« T’en veux combien ? » « Euh.. Je sais pas.. Quinze. » « Ca te fera quarante francs. » J’enfourne les billets dans ma poche et repars avec un sourire triomphant. J’ai commencé dès mon plus jeune âge, que voulez-vous, on a le sens des affaires ou on l’a pas. Naturellement, j’ai débuté au bas de l’échelle en revendant des pogs trois fois leur prix d’origine quand la boutique du quartier a fermé ses portes pour délocaliser en ville. Les gamins d’ici sont trop naïfs, j’en profite pour me faire un peu d’argent. Je crois que c’est une de mes grandes qualités.. J’ai vite appris à retourner les points faibles des gens à mon avantage. Mais parfois cela s’avère un peu plus difficile. Je me souviens encore.. « Cinquante. » « Quoi ?! Ca va pas à la tête ? Ca vaut même pas dix francs ton truc. » « Ce sont des brillantes, elles valent plus cher. Bon tu les veux ou pas ? » « J’t’en donne vingt, pas plus. » « Vingt-cinq. » « Quinze. » « Okay, va pour vingt. T’es chiante. » Ce visage satisfait me sort par les yeux, cette idiote a réussi à m’avoir et elle est fière d’elle. Du coup, je dois lui refiler une super collection de cartes pour à peine vingt balles. Mais bon, elle est mignonne alors je vais pas trop rechigner, et puis j’ai le vague pressentiment qu’on sera vite amenés à se reparler.. Je m’étais pas trompé. Enfin.. Vite.. On aura fini par se revoir au collège, dans une salle de colle au début du trimestre. Je ne l’ai pas reconnue tout de suite, elle avait bien changé depuis le temps. Moi en revanche.. J’étais toujours le petit con qu’elle avait rencontré quelques années auparavant, je ne m’étais d’ailleurs pas arrangé en grandissant. « Salut. » « Hm ? » Elle lève vers moi un regard dédaigneux, et surpris, je n’ose pas dire un mot de plus. « J’te connais toi non ? » « Cartes pokémon, en primaire.. Tu m’as arnaqué de trente balles. » « C’était mérité. » Et nous avons discuté, longuement. Un peu trop, puisque nous avons tous deux écopé d’une heure supplémentaire. « J’te raccompagne ? » « Ca a l’air de te faire tellement plaisir. » Allez, prends-toi ça dans la gueule. Aussi, c’est dans le silence que je la raccompagnai chez elle. Sur le pas de sa porte, je me plantai devant elle et la regardai avec insistance. « Quoi ? » « Pourquoi t’es comme ça ? » « Pourquoi pas ? » « Je t’ai rien fait. » « C’est en prévision de ce que tu me feras plus tard. » Je restai sans voix un instant, et elle déposa un baiser sur mes lèvres, avant de rentrer et de me claquer la porte à la tronche. « D’accord.. » Trop intrigué pour repartir chez moi directement, je traînai un moment dans les rues, ce qui déplut un peu trop à mon père. Ouais, mon père n’a jamais été cool. Que ce soit avec moi, ma mère.. On en a tous les deux bavé.
« Nath’, ma jolie Nath’. » « Salut toi.. » C’est un soleil doux et radieux qui me tire du sommeil ce matin, et le sourire qui orne son doux visage me comble de bonheur. Un bonheur éphémère, il me faut me lever, les affaires ne prennent pas de vacances. J’enfile un boxer et dépose un baiser sur sa joue, son regard me supplie de rester mais rien n’y fera, elle ne m’aura pas comme ça. « Alleeez, j’t’en prie. Rapha peut attendre, et pis ça lui évitera p’tet une overdose. » « Désolé ma belle, le business ! » Elle souffle longuement, mécontente, frustrée. Elle boude, et j’adore ça. Je franchis le pas de la porte, et vais retrouver ma petite bande. Raphaël, Jack, Steph’ et Rose. C’est encore une journée banale mais qui me rapporte gros, comme souvent. Cet argent suffira pour payer la facture d’électricité, je suppose que c’est le plus important même si j’aurai préféré en faire profiter Nathanaëlle. Elle mérite que je lui offre de belles choses, et ça arrivera un jour. « Alors Adrien, Nath’ n’est pas là aujourd’hui ? » « Nan, elle a préféré rester dormir. Tu comprends, je passe la nuit à l’épuiser.. » « Ouais, ou alors elle te supporte plus, c’est une question de point de vue ! » me lance Rose d’un air moqueur. Je me serais volontiers défendu en disant que j’étais un jeune homme dont personne ne pouvait se lasser mais mon téléphone m’interrompt. Je ne me doutais pas encore que ce coup de fil affecterait le restant de mes jours.
« Qu’est ce qui s’est passé ?! Où est-elle ?! » « Adrien, calme-toi. Elle est encore en chirurgie, on ne nous a rien dit pour l’instant. » Alex me toise d’une façon que je n’apprécie guère, comment diable peut-il être si calme alors que sa petite sœur est sur une table d’opération, probablement le ventre ouvert en deux avec des gars qui vont foutre leurs mains dedans, mains couvertes de son sang. Une fraction de seconde, il aura suffi d’une fraction de seconde pour changer nos vies à tous. Une voiture qui n’a pas su freiner à temps, un connard de chauffard qui n’a pas pu assumer ses responsabilités et qui a préféré se tirer, parce qu’il n’avait pas conscience que cette jeune fille qu’il venait de renverser était une fille, une sœur, une petite amie. Cela fait maintenant trois années, et j’ai depuis longtemps perdu espoir qu’elle ouvre les yeux. Pour autant, je n’ai jamais cessé d’aller la voir. Elle a été et restera une partie de moi-même qu’il m’arrive parfois de renier, peut-être par crainte de paraître moins fort que ce que je suis en réalité.
« Hey miss, oh la belle rousse là, oui toi ! Tu prends combien pour la nuit entière ? Je suis plein de ressources et t'as un magnifique petit cul. » « Connard ! » Ahah, elle est déjà folle de moi la belle, c’est une évidence. C’est par une nuit sombre que j’ai rencontré Sheila, et je m’en souviens encore comme si c’était hier. Cette nana ne m’échappera pas, elle finira par m’appartenir à un moment ou à un autre et je la jetterais comme toutes les autres, c’est ainsi que je construis ma vie et elle me satisfait pleinement. Collé par une surveillante un peu trop chiante qui n’a pas apprécié que ma main aille se promener sur sa hanche, je me retrouve dans cette salle. Avec elle. La jolie rousse pousse la porte et ne prend pas le temps de s’arrêter sur moi. Ne m’a-t-elle pas reconnu ? Attends quoi ! C’est un coup terrible pour mon égo quelque peu surdimensionné. « Mais attends, j'te reconnais toi ! Oui t'es la belle rousse qui se déhanchait sur le trottoir la nuit dernière. T'es plutôt mignonne pour une pute. » Mauvaise approche. Mademoiselle se vexe et m’en colle une bien sentie mais je lui réponds par un sourire des plus agaçants, je le sais bien. Amusé, je plonge ma main dans mon sac et en ressors une chaussure qui attire son regard immédiatement. « T'as eu ça ou ? » « Tu ne te souviens pas ? Quand t'as passé ta nuit chez moi, je t'ai payé tellement cher que tu voulais me laisser un souvenir, mais bon, ce n'est qu'une chaussure, tu peux la garder. » « Ouais, ou alors j'me suis fais tellement chier que je suis partie tellement vite que j'en ai oublié une chaussure. Pas de chance. » Cette fille sera une adversaire de taille, et sa réaction ne manque pas de me rappeler cette jeune fille que j’ai connue autrefois..
Elle m'aura valu un aller retour en prison, cette jeune demoiselle. J'ai été trop con pour le coup, assumer une faute que j'aurai pu lui coller sur le dos, elle aurait plongé avec moi. Ca aurait été nettement plus drôle, en fait. Mais par bonté d'âme, ou peut-être parce que je me disais qu'il serait plus difficile de me la faire si elle passait deux ans sous les verrous par ma faute, je l'ai disculpée. Mais naturellement, il aurait été trop beau que Sheila m'en remercie d'une quelconque manière. Après deux longues années, j'ai pu retourner à mon ancienne vie mais en opérant quelques changements. Le mannequinat était une voie toute trouvée pour moi, sois beau et tais-toi, c'était là le maximum de travail que je m'autorisais à fournir. Et quelle jolie coïncidence. Elle aussi est devenue mannequin, j'imagine d'ailleurs qu'elle n'a eu aucun mal à décrocher ce contrat grâce auquel je la retrouve enfin, après cinq ans d'absence. « Contente de me revoir chérie ? Alors, pas de remerciement pour ce que j't'ai épargné ? La prison c'est vraiment la misère, t'aurais même pu te faire violer si je n'avais pas menti. » Et encore une fois, elle ne veut pas de moi, elle me jette comme si je ne lui étais pas indispensable mais on sait tous les deux que ce n'est que mensonge. Elle m'a dans la peau, et c'est bien malheureusement réciproque. Cette nana est unique, je la veux et je finirai par l'avoir je n'en doute pas le moins du monde. Tu vas en baver ma belle, tu vas galérer et tu finiras par comprendre..
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