« Mon ange, on va partir. » « on va où maman? » Je caressai sa petite tête blonde. Elle était tellement adorable... C'est fou ce qu'elle me rappelait son père, parfois. C'en était effrayant. D'ailleurs, c'était pour lui qu'on allait partir. Pour lui qu'on retournait à Portland. ça, Apolline l'ignorait. « On va en vacances, là où maman a grandi. C'est en Amérique. Peut-être qu'on y restera plus longtemps, tu iras à l'école là-bas. » Apolline releva ses yeux clairs vers moi, l'air interrogateur. « Et pourquoi maman? tu aimes pas ici? » On habitait en France depuis sa naissance. Ma marraine, chez qui j'avais vécu ces cinq dernières années, avait été parfaite avec la petite, qui était désormais bilingue en vue de son contexte familiale. D'ailleurs en parlant de celui-ci, il était loin d'être optimal; elle ne connaissait pas son père. C'est d'ailleurs à son propos qu'elle me questionnait sans cesse. C'est d'ailleurs pour lui répondre que j'avais décidé de partir. Il ne savait même pas qu'elle existait. Mais comment aurais-je pu expliquer ça à une petite fille de quatre ans?
Vous pensez certainement qu'au premier abord, ma vie semble compliquée. Je ne saurais vous contredire. Pour tout comprendre, laissez-moi reprendre du début. Pas du tout début, je vous passerai les détails; je suis née dans une famille de classe moyenne, des parents relativement aimants, une adolescence un tantinet rebelle et des résultats convenant en cours. Ma vie se résumait aux sorties, aux amis, aux amours... dont un qui m'a fait perdre la tête. C'est avec Danny que tout s'est compliqué. C'était il y a cinq ans, à peu près. En mars 2007...
3 MARS 2007, Maine, Portland. « T'es sûr que tes parents rentrent pas avant demain ? » « Mais oui, sinon tu crois vraiment que je t'aurais fait venir ici ? » « Non mais c'est juste que j'ai pas envie qu'on nous surprenne.. » « Si tu veux pas le faire, tu peux partir, rien ne te retient ici écoute, tu es libre Emma. » « Non, c'est bon. Embrasse-moi. » Il était mon premier amour, ma première moi, ma première erreur. Tout aurait pu très bien se passer entre nous; je l'ai su dès ce moment. C'était fabuleux. On n'était ensemble que depuis deux mois, pourtant je sentais que je l'aimais plus que tout. J'étais bien dans ses bras. On était jeunes, on était cons, et c'était tout ce qui comptait. Seulement voilà, notre inconscience a causé notre perte. Et cette simple nuit d'amour, que je considérais comme la plus belle de ma vie, a eu des conséquences irrémédiables sur nos vies respectives.
27 MARS 2007, Maine, Portland. 17H « Quoi, t'es sérieuse? Je vais pas faire un test de grossesse dans les chiottes d'un lycée Kate, dis pas n'importe quoi! » « Écoute ma belle, plus tôt tu le sauras, mieux ce sera; et puis je suis juste à côté. Crois-moi, ça vaut mieux. » J'étais "en retard", et avais donc commencé à me poser des questions, me rappelant que Danny et moi ne nous étions pas protégés. En regardant le test que me tendait ma meilleure amie, à qui j'avais parlé de mes craintes, je haussais finalement les épaules. Après tout elle avait raison, il fallait que je sache... et pour tout dire, j'étais persuadée que c'était une fausse alerte. Dans cet optique, je pensais que le plus tôt je le saurais, plus je serais rassurée. Le test fait, j'attendis les quelques secondes les plus longues de ma vie. « Oh non... » Je retournai auprès de Kate, me jetant dans ses bras, en pleurs. « c'est positif... » Un enfant, maintenant? à 16 ans? Et Danny? Danny n'en voudrait certainement pas... j'avais si peur. Kate me rassura, me convainquit de tout dire à Danny le plus vite possible pour qu'on puisse prendre une décision ensemble. J'étais effrayée, mais je savais que quoi qu'on fasse, Dan' serait derrière moi et m'aiderait. C'était un type bien, j'en avais conscience.
27 MARS 2007, Maine, Portland. 22H. Danny me ramenait chez moi. Il venait d'avoir sa voiture, soit dit en passant. Il en était tout fier. Seulement je n'avais pas vraiment la tête à ça. Pendant tout le trajet j'avais regardé au dehors, l'air perdu, me demandant comment formuler ce que j'avais à lui dire. J'avais peur qu'il ne me laisse tomber. Finalement, quand nous arrivâmes, je lui lançai un regard qui suggérait que quelque chose se passait. « Danny, je suis enceinte. » « Oh.. Tu vas le garder ? Tes parents sont au courants ? » Je ne savais pas si je devais garder cet enfant. J'en avais envie, certes, mais j'étais jeune, et je ne pouvais le faire sans lui... d'autant que mes parents ne l'auraient jamais accepté. « Non et si ils l'apprennent, je vais me retrouver à la rue... » Il me regarda alors, l'air émerveillé, les yeux emplis d'étoiles, comme un enfant qui projetait de se construire une cabane dans les arbres. Je ne pus m'empêcher de sourire à la vue de cet air enthousiaste; il semblait atténuer toutes mes craintes. « Partons, installons-nous ensemble Emma, je t'aime, marions nous à Las Vegas ! » Je ris légèrement à sa proposition, étonnée mais plus que ravie. Je l'aimais peut-être plus encore à cet instant qu'auparavant. « Tu n'es pas sérieux ? Oh Danny, je t'aime tant.. Mais comment allons-nous faire ? » C'est vrai, on était jeunes, on était trop jeunes, on n'avait pas d'argent, pas de toit, des parents qui risquaient de nous renier s'ils apprenaient la nouvelle... mais bon sang ce que j'avais envie qu'il ait raison, qu'on puisse l'élever ensemble... « Je travaillerais dur. Mais gardons-le, c'est le fruit de notre amour Emma, ne le tuons pas. On sera heureux, je te le promets. Prépare ton sac, je passe te chercher demain. » Sur ces mots je l'embrassais tendrement, les larmes aux yeux, réalisant alors que je prenais mon destin en mains, et que mon avenir, il était à ces côtés, aux côtés de ce jeune homme dont j'étais folle. Danny et moi allions fonder une famille... et j'étais assez mûre pour apprécier ce fait, même du haut de mes 16 ans...
28 MARS 2007, Maine, Portland. 12H30. Mes valises étaient prêtes. J'attendais. J'attendais que Danny passent pour m'emmener. J'avais tellement hâte... Et puis quelqu'un toqua à la porte. Déjà? Je m'approchai pour aller ouvrir. Une fois devant la porte, je découvris avec stupeur le père de Danny. Arquant un sourcil, je le laissai entrer après qu'il ait demandé à me parler. « Mademoiselle, mon fils est trop jeune pour tout ça. » Il m'expliqua que Danny lui avait tout raconté, et que lui pensait que c'était une très, très mauvaise idée. Je n'étais pas de cet avis. De toute façon, les adultes n'y comprenaient rien. Ils se voulaient trop sages, avec leurs formules à deux balles, ils pensaient que leur âge avancé leur conférait une raison dont nous ne pouvions disposer à seize ans. C'étaient faux. « Écoutez, je sais de quoi ça a l'air, mais on est prêts. L'empêchez pas de faire quelque chose dont il a envie sous prétexte qu'il faudrait qu'il ait quelques années de plus. » Il passa une main dans sa poche, en sortit un papier qu'il me tendit. « Vous voyez, ça? C'est son passeport pour Yale. Ne lui enlevez pas ça... Emma, il a toute sa vie devant lui. Ne lui opposez pas un enfant, un métier misérable, une vie bancale et instable financièrement, il a de réelles capacités, pour l'instant un enfant, ça lui paraît génial, mais une fois que le gosse lui aura pris tout son temps, toute ses capacités, quand il se retournera et qu'il verra tout ce qu'il a gâché, il sera malheureux, vous rendra malheureux, rendra votre enfant malheureux. Ne lui enlevez-pas son avenir, s'il vous plait. Je sais que vous l'aimez; si c'est vraiment le cas, ne gâchez pas son avenir. » Gâcher son avenir... Ces mots résonnaient dans ma tête. Et s'il avait raison? Si Danny n'était pas prêt? C'est vrai, moi j'avais eu une école modeste, j'avais une idée de métier, des plans simples à réaliser, un potentiel existant mais peu élevé. Avoir cet enfant n'empêcherait pas la carrière que j'avais prévue. En revanche lui, il rêvait à Yale, à Harvard. Je le voyais quand il en parlait; il rêvait d'intégrer ces écoles... Son père avait raison, au fond. Je ne supporterais pas de le voir malheureux parce qu'il a pris la mauvaise décision. « Je... vous avez raison. »
28 MARS 2007, Maine, Portland. 14H. C'est à deux heures de l'après-midi que Danny vint toquer chez moi. Je lui ouvris, tentant de masquer les nombreuses larmes qui avaient roulé sur mes joues. Je ne pouvais pas lui dire la vérité, son père me l'avait fait promettre, et si je lui expliquais, il s'appliquerait à gâcher son avenir de toute façon pour prouver qu'on avait tort. Et qui plus est, il saurait qu'il avait un enfant quelque part sur cette terre, et ça le tuerait de ne pas le voir. « Dan, mes parents ont trouvé le test de grossesse... » Il me regarda, intrigué, ne voyant pas où je voulais en venir. « Je viens d'avorter. » Il sembla perturbé, d'un coup son regard s'assombrit, il eut besoin de s'appuyer contre le mur de la bâtisse pour encaisser le choc. « Je veux pas être un poids... je veux dire, c'est fait, c'est trop tard. Oublie-le. Oublie-moi. ça vaut mieux. Je t'aime Danny mais... je peux pas t'empêcher de vivre tes rêves. » J'imaginais à peine ce qu'il ressentait; je lui annonçais que son enfant était mort, que je le quittais. À la vérité, j'aurais voulu lui sauter au coup, lui dire que je l'aimais, que je ne pourrais me passer de lui. Mais je n'avais pas le choix, c'était mieux pour tout le monde. Je fermai alors brusquement la porte pour ne pas me laisser aller à cette faiblesse, et me laissai glisser le long du mur, en pleurs, déposant une main sur mon ventre, comme pour assurer mon enfant que je serais toujours là pour lui, malgré le fait que son père soit absent par ma faute.
Quelques heures plus tard, je reçus un coup de fil. Danny avait eu un accident de voiture. Il avait grillé un feu rouge. Mon cœur cessa de battre un instant. Je me sentais fébrile, mes jambes tremblaient. Heureusement, on m'assura qu'il allait s'en remettre, même si ça allait être long. Je ne pus m'empêcher d'aller à l'hôpital. Là je le vis, dans un lit blanc, étendu de tout son long. Si je l'avais perdu, je ne m'en serais jamais remise. M'approchant de lui, je l'embrassai une dernière fois, sachant pertinemment qu'à partir de cet instant, ma vie allait radicalement changer. Mes parents avaient compris, m'avaient mis à la porte. J'allais prendre un avion pour rejoindre ma marraine, en France; elle m'aiderait avec la grossesse, m'hébergerait, m'aiderait même avec l'enfant. Je me redressai alors, passant une main sur la joue de mon petit ami. « Je t'aime... » Je savais qu'il ne m'entendait pas, et quelque part ça me rassurait. Je ne voulais pas lui faire plus de mal encore, je ne voulais pas qu'il le sache. Pourtant je ne supportais pas l'idée de ne pas le lui dire une dernière fois. Et je le pensais plus que jamais. Je sortis ensuite de la petite salle d’hôpital, fermant la porte sur un passé qui me suivrait toute ma vie, m'apprêtant à en ouvrir un tout nouveau chapitre, effrayant d'inconnu...
25 DÉCEMBRE 2007, Paris, France, 5h05. La plupart des gens fêtaient noël en famille. Moi, ma famille, elle s'agrandissait. C'est le jour de mon accouchement. ma fille venait au monde. Il m'a fallu plusieurs heures pour donner naissance à ce bout de chou. À vrai dire, j'ai maudis cet enfant pendant mon accouchement, pourtant quand j'ai vu son visage, j'ai oublié toute cette souffrance, parce que ses simples poings clos m'auraient fait oublier toute la misère du monde. On me tendit mon bébé, et je la pris dans mes bras. J'avais les larmes aux yeux. Des larmes de joie. C'était ma fille... elle était tellement belle, tellement petite. J'avais le sentiment que je devrais la protéger toute ma vie. Je l'aimais déjà plus que tout. « Et elle a un prénom cette petite fille? » me demanda tendrement la sage femme qui avait assisté l’accouchement. « Apolline. Apolline Savannah. » Apolline, c'était un prénom que Danny adorait. Il m'en avait déjà parlé, comme ça, au détour d'une conversation anodine. Ce prénom était adorable, il me semblait plus que normal que ce soit le prénom de notre fille. Il aurait tellement aimé la voir... Je trouvais qu'elle lui ressemblait. Elle était magnifique.
En grandissant, Apolline a commencé à me poser des questions, sur son père. Elle s'étonnait d'être la seule petite fille de la crèche qui n'avait pas de papa. J'ai longtemps évité ses questions, je lui ai menti, parfois, pourtant je savais qu'un jour je n'aurais pas le choix, il faudrait que je lui dise la vérité, et surtout que j'explique à Danny qu'il était père. C'est comme ça que j'en suis arrivée là. Alors qu'elle va sur ses cinq ans, j'estime que Apolline a le droit de rencontrer son père. Maintenant il a terminé ses études, et est en droit de décider si oui ou non il veut être père. Je ne peux plus lui cacher son existence. C'est pourquoi je prends un vol direct pour Portland. J'ai expliqué à ma fille que ce ne sont que des vacances... mais si toutefois il souhaitait la voir plus régulièrement, je pourrais envisager de m'y installer. Après tout rien ne me retient en France, à part peut-être ma marraine, qui m'a donné sa bénédiction pour partir. J'espère de tout cœur qu'il me pardonnera de la lui avoir cachée, et qu'il saura apprendre à la connaître... parce que bon dieu, cette petite est géniale, et plus que ça encore; elle est la preuve qu'on s'est aimés. Elle est même née de notre amour. C'est certainement pour cette raison qu'elle est si parfaite... |