Sujet: There's money lenders inside the temple - Faye. Jeu 10 Mai - 21:17
Ce matin en sonnant à l’entrée de l’épicerie de longues minutes s’écoulent jusqu’à ce que mon employeuse ne vienne déverrouiller la porte. Celle-ci s’ouvre sur moi tel que je me présente ces derniers temps : pâle, habillé d’un t-shirt blanc et d’un pantalon déchiré, un joint aux lèvres. Je souris du mieux que je peux mais seulement le côté droit de ma bouche s’étire car j’ai peur de laisser choir cette tige garnie de marijuana que j’ai coincée là. Je crois qu’elle me rend mes civilités mais j’en suis pas certain car alors qu’elle inhale une courte lampée d’atmosphère je m’introduis dans le commerce et entame cent pas.
Depuis que mon existence s’est synthétisée, divers rituels sont intervenus dans les chroniques de mon évolution. Ces enjambées initiales ont une portée aussi essentielle qu’absurde puisqu’effectivement elles ne m’apportent rien mais sont étrangement nécessaires. Il semblerait que je comble ainsi certains vides mais l’avouer solennellement aurait l’air d’une reconnaissance courageuse de mes obsessions. Or je n’avais aucune intention de m’admettre dominé même si je l’étais à n’en pas douter. S’en suit l’assemblage des rayons qui pourtant paraissent théoriquement impeccables mais que je ne peux m’empêcher d’ordonner à nouveau. Bernie – peut-être que c’est pas son vrai nom – me dit qu’elle s’en est déjà occupé mais je l’ignore et slalome entre les étagères en égarant de la cendre dans tous les coins.
Le premier client de la journée débarque et sa présence me permet de me trouver une occupation décente qui est celle de l’observer à loisir. Je le détaille sans raison, de ses cheveux gris à ses chaussures cirées en passant par ses lunettes à montures roses que j’enfilerais bien simplement pour voir si elles me donnent l’air aussi rock’n’roll qu’à lui. Puis je me lasse et m’enferme dans l’arrière-boutique où j’ai déposé une télévision quelques semaines auparavant. Je me demande d’où vient cette philosophie débile selon laquelle les prétendues choses à faire me sautent aux yeux lorsqu’elles ne sont pas primordiales et qui lorsqu’elles le deviennent me semblent brutalement secondaires.
« Excusez-moi Monsieur, vous ne pouvez pas manger ça sans l’avoir payé… » Dit Bernie.
Là encore je me demande s’il est nécessaire que j’intervienne. Je m’assois sur un fauteuil et croise les jambes loin devant moi.
« S’il vous plait… » J’entends sa petite voix misérable qui murmure.
Le client ne répond rien et je me demande s’il est sourd et si elle s’emmerde pour que dalle. Je décide d’aller vérifier car la situation me paraît comique et à la fois inquiétante. Ma présence ne dérange pas plus ce mec que celle de ma vieille patronne dont les genoux s’entrechoquent et qui menace de tarir sa vessie à même le sol. Il continue d’ouvrir un tas de boîtes de chocolats dont il sépare consciencieusement les blancs et les noirs et je commence à avoir peur qu’il ne veuille en fait nous enseigner le communautarisme.
« Hé, t’es sourd ? » Je dis.
« Non. » Il me répond.
Notre échange se termine là et je hausse les épaules face au regard désemparé de ma boss. Quelque chose me dit qu’il faudrait qu’on appelle la police mais je jette un regard à mes doigts qui sont roulés autour de mon joint et alors je me dis que c’est une plutôt mauvaise idée. Puis le carillon de la porte d’entrée sonne et un second client entre. J’aurais jamais imaginé ça possible mais je crois que j’aurais préféré qu’on reste seulement tous les trois. Bernie, l’inconnu et moi.
Sujet: Re: There's money lenders inside the temple - Faye. Jeu 10 Mai - 21:26
you’re just a ghost in the future that we've lost, you’re just a name tattooed on someone else’s hand.
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Je n'ai jamais été cette personne investie, voulant donner le meilleur de soi-même, ce genre de personnes ambitieuses qui triment pour être le meilleur ou pour aller le plus loin possible : non, moi je ne mange pas de ce pain-là, et pourtant quand il s'agit de mon métier, je tente malgré tout d'être le plus investie possible. Enfin, dans ma définition de l'investissement. Alors quand j'ai annoncé à mes parents que j'allais faire de mon camion mon lieu de travail, que j'allais pratiqué ma soit-disante voyance dans celui-ci, ils ont d'abord écarquillé les yeux tant ils ne croyaient pas à ma réussite, puis ont préféré se muer dans le silence, sachant pertinemment que je suis incapable de recevoir les remarques négatives. Et en réalité, ils avaient raison de se taire : je n'irais pas jusqu'à dire que mon projet est une pure réussite, car ma flemmardise m'empêche de faire une promotion efficace, mais je commence à avoir de la fidélité, ce qui est la clef du fric, de l'alcool coulant à flot, villa et tout le tralala... n'est-ce pas ?
La femme est incapable de se tenir droite sur le dossier de sa chaise et ne cesse de taper du pied contre le sol de mon camion, ce qui a le don de m'exaspérer -moi j'ai le droit de le faire mais pas toi, t'as compris le principe?- mais apparemment j'ai acquis en ces quelques minutes une politesse et un respect inconnus au bataillon auparavant et me contente dans ce cas de lui sourire poliment. Ses yeux sont rouges, et on peut encore deviner les traces des larmes sur ses joues : ongles rongés, désespoir évident, j'imagine immédiatement une rupture, un divorce, une perte. J'inspire profondément et ferme les yeux, voulant prétexter que je cherche au fond de mon âme pour trouver la réponse à son malheur : une fois la mise en scène terminée, j'ouvre à nouveau les yeux et pose mes mains sur la table. « La personne que vous avez perdu reviendra. Elle va se rendre compte de l'erreur qu'elle a commise, et saura se fondre en excuses. » En un fragment de secondes, voilà qu'un sourire illumine son visage et que l'ancienne femme présente face à moi a complètement disparu : on pourrait m'insulter de sadique, d'arnaqueuse et de ce que vous voulez, mais au moins, j'apporte l'Espoir aux autres.
Quand mon horloge m'indique qu'il est enfin l'heure de déjeuner, je ne perds pas une seconde de plus et ferme mon camion, accrochant précieusement la clé de celui-ci autour de mon cou. Plus par automatisme que par véritable réflexion, je me dirige vers le centre-ville, et entre chez Bernie sans véritable motivation. A part la propriétaire, le vendeur et un client, personne n'est présent et je ne peux m'empêcher de me demander comment cette épicerie peut encore faire des bénéfices : mais quand je tombe nez à nez avec un paquet de pistaches, mes réflexions à propos du magasin s'envolent et j'ouvre le sachet sans plus attendre mon déjeuner. La propriétaire se tourne vers moi, sûrement pour me faire une remarque, mais il me suffit de lui faire mon regard pédant, arrogant, et peut-être même un peu menaçant pour la dissuader de dire quoique ce soit. Finalement, je m'approche du vendeur et me pose face à lui, un certain sourire satisfait envahissant mon visage. Il me semble qu'il s'appelle Julian, ou Puliam, je serais incapable de le savoir vu que lors de notre première rencontre, il était incapable de prononcer mot, et je devais traduire chacun de ces marmonnements -j'ai abandonné au bout d'une minute, juste le temps de savoir son prénom, en fait.
« Tu sais, j'ai réfléchi cette nuit et je me suis demandée ce qui était mieux entre être vendeur et être voyante. Peut-être que la réponse te paraît évidente en ce moment, mais en fait, ça se vaut. Mais après une liste de pour et de contre, un débat intérieur très dynamique, le meilleur job est... » Ma voix s'éteint dans un soupir, tandis que mes index dansent dans l'air comme pour marquer le rythme de tambour, voulant imiter un instant de suspense intense. « La voyance... ! D'ailleurs si tu veux, tu pourrais passer au camion, je te ferais une séance avec une remise. Disons 5%. » Je voudrais ajouter que c'est sûrement ce que je lui dois en pistaches volées à chaque fois que je passe à l'épicerie, mais je me modère à la dernière minute : après tout, je ne le connais pas, l'homme pourrait me foutre des coups de pieds aux fesses pour me virer de son lieu de travail. Ou pas.
Sujet: Re: There's money lenders inside the temple - Faye. Jeu 10 Mai - 22:15
Elle ne remarque rien de la scène qui se joue sous ses yeux et en rajoute même une couche en piquant des pistaches comme à chaque fois qu’elle se pointe. Car ouais c’est pas la première fois. C’est pas la première fois qu’elle débarque comme une putain d’habituée à qui l’on a toujours fait des cadeaux, face à qui je me disloque et contre qui l’on n’a pas la force de s’opposer. J’ai plus jamais su quoi lui dire, j’ai beau regarder profond dans ses yeux noirs je n’y vois rien de ce que j’y voyais avant ou peut-être que j’ai simplement pas envie d’y voir quoi que ce soit. J’ai cette peur irrationnelle d’être une nouvelle fois déçu et mes entrailles me crient de me mentir, de lui mentir et de faire d’elle une étrangère au même titre que ces passants que je croise chaque minute et qui ne laissent aucune trace dans ma mémoire. Cette mémoire que j’ai gardée intacte malgré moi. Je me dis que les choses doivent être bien moins compliquées de son côté car quand elle me regarde elle se contente de m’observer en surface parce que rien ne la pousse à y voir plus clair. Je ne suis que l’épicier de son village, et en plus j’ai des problèmes d’élocution.
Je jette mon joint à terre et l’écrase sous ma semelle alors que Faye s’approche de moi. Inconsciente de tout ce qu’elle chamboule à chaque apparition et inconsciente tout court. Je regarde Bernie qui tourne autour de l’opportuniste comme un papillon de nuit brûle de s’approcher d’un néon clignotant puis mes yeux accrochent ceux de Faye alors qu’elle s’immobilise face à moi, le paquet de pistaches dans le creux d’une main tandis que l’autre pioche à l’intérieur toutes les trois secondes. Quand on était ensemble je la laissait prendre tout ce qu’elle voulait et je me demande si le fait qu’elle continue de se servir impunément n’est pas le fruit d’un souvenir vaguement enfui qui reviendrait clandestinement à la surface. Je ne suis pas sûr d’avoir envie qu’elle se souvienne. Je ne suis pas sûr d’avoir envie qu’elle se souvienne de quoi que ce soit à vrai dire. Ni de moi, ni de nos vies, ni de nos habitudes, et surtout pas du fait qu’on en avait terminé l’un avec l’autre. J’aimerai peut-être qu’elle se souvienne jamais qu’à un moment ou à un autre elle avait tout simplement cessé de m’aimer quand moi je ne jurais que par elle. Mais alors la jeunesse parlait pour moi et la sienne qu’elle a d’ailleurs en partie perdu m’explose à la figure un peu plus à chaque pas qu’elle fait vers moi. Je ne reconnais plus ces joues creuses et ces yeux ourlés de noir qui me semblent appartenir à quelqu’un d’autre qu’à elle mais je sens qu’il est possible que je m’y fasse. Une partie de moi veut qu’elle continue à venir comme bon lui semble et comme si de rien n’était parce qu’il s’agit là de la seule excuse qui me permet de la voir en chair et en os – surtout en os – et l’autre s’insurge face à cette injustice flagrante. Son amnésie justifiait elle que je doive accepter sa présence après ce que j’avais enduré à cause d’elle.
« Tu sais, j'ai réfléchi cette nuit et je me suis demandée ce qui était mieux entre être vendeur et être voyante. Peut-être que la réponse te paraît évidente en ce moment, mais en fait, ça se vaut. Mais après une liste de pour et de contre, un débat intérieur très dynamique, le meilleur job est... »
Le voleur s’en va. Il ne paie pas. Le carillon résonne. Bernie pousse un soupir. Je sais qu’elle va dire voyante et le temps passe à toute vitesse. Je crois que j’ai arrêté de respirer. Je suis pas sur de supporter d’entendre le son de sa voix.
« La voyance... ! D'ailleurs si tu veux, tu pourrais passer au camion, je te ferais une séance avec une remise. Disons 5%. » Elle dit.
Je me rappelle des fois où elle lisait les lignes de ma main sans rien attendre en retour. J’ai perdu mes privilèges en même temps que j’ai perdu l’ancienne Faye. Au fond je ne sais pas si elles sont si dissemblables. Rien ne me le prouve mais j’ai si mal que j’ai envie de pouvoir faire la différence en même temps que je me donne l’impression d’avoir le droit à une seconde chance. J’en viens même à me dire qu’elle s’est jetée sous les bagnoles pour moi. Pour avoir une raison de me revenir. Mais tout ça c’est des conneries, j’ignore pas du tout que j’étais qu’un pion sur un damier. Glorieusement bouffé par un autre sur l’autel de mes espérances. Je lui arrache le paquet des mains.
« T’as vu quelque part une pancarte disant qu’elles étaient gratuites ? » Je dis.
Puis j’en croque deux ou trois. Je me dis que je suis la contradiction même.
« Je vois pas en quoi raconter des conneries aux gens à propos de leurs existences de merde peut être plus bénéfique que de leur vendre de la bouffe. » Je dis.
« Alors arrête de t'avaler les pistaches des autres, Faye. »
Sujet: Re: There's money lenders inside the temple - Faye. Jeu 10 Mai - 22:40
Il m'énerve, c'est fou comme il m'énerve. Il se prône marginal avec son look différent, mais lorsqu'il s'agit d'être un véritable rebelle, il préfère retenir sa folie et rester dans le système qu'on nous a imposé : voler, c'est mal, voler ça entraîne la prison. Quel idiot. Quand il m'arrache le paquet des mains, j'ai cette envie atroce de taper du pied en criant que c'est mon paquet et qu'il n'a pas le droit de me le voler, mais je me contente de lui jeter un regard noir et haineux, tandis que mes poings se serrent pour contenir la colère que j'accumule à cause de ce Pujian, Puliam, Julian. « T’as vu quelque part une pancarte disant qu’elles étaient gratuites ? » Parce qu'il croit qu'il faut qu'une pancarte m'autorise de faire quelque chose pour que je le fasse ? J'essaie de récupérer le paquet qui m'appartient, mais voilà que la grande perche le tend de son bras pour que je sois dans l'incapacité de le récupérer : je le déteste.
Derrière nous, on entend des soupirs et j'imagine que c'est Bernie qui veut montrer sa lassitude, mais je m'en fous tu sais, elle ne compte pas dans la scène qui se déroule. Constatant qu'elle n'a pas du tout notre attention et qu'elle fait plus tapisserie qu'autre chose, elle quitte la pièce, en marmonnant quelques mots : je crois qu'elle déclare qu'elle prend sa pause déjeuner, mais ne se rend-t-elle pas compte que l'on s'en moque éperdument ? J'arrête de penser à la propriétaire lorsque le vendeur se met à manger les pistaches devant moi, tout ça pour me narguer : peut-être qu'il n'aime même pas ça, peut-être qu'il n'a même pas faim. Tout ça pour me faire chier, le salaud. « J'te l'jure, tu devrais me rendre ce paquet, parce que tu ne me connais pas en colère, et tu ne veux pas me connaître dans cet état. » Les menaces, c'est tout ce que j'ai, avec mes 55 kgs et mon incapacité de me battre correctement : oh bien sûr que je peux donner des petites claques et des poings, mais ils n'ont aucune force. Comme si dans ce coma, j'avais laissé tout mon système de défense/d'attaque endormi et que mes membres étaient devenus impotents. Super. « Tu sais quoi ? Tu vas pas t'en sortir comme ça. Je peux porter plainte contre toi, contre non assistance à personne en danger. Je crève la dalle et j'ai la peau sur les os, connard. » Comme pour illustrer mes mots, je laisse tomber mon manteau par terre et soulève mon tee-shirt, entourant dans l'air un cercle invisible autour de mes côtes, plus que perceptibles. Je m'en fous de le lever trop et de dévoiler intégralement ma poitrine, mes piercings et mes tatouages, je me fous de tout ça tant que je peux avoir raison. « Tu vois, hein, tu vois ? Faye en un coup de vent, pouf elle s'en vole si elle mange pas à sa faim ! »
« Je vois pas en quoi raconter des conneries aux gens à propos de leurs existences de merde peut être plus bénéfique que de leur vendre de la bouffe. » Je voudrais lui dire que parfois, des personnes malades viennent me voir, et en démontrant par ma magie qu'ils sauront sauver, ils parviennent à guérir : c'est vrai que je me moque de ce qu'ils adviennent, mais ça compte tout de même ces choses-là, n'est-ce pas ? Et puis si tu me connaissais Julian, tu saurais que la voyance, raconter des conneries comme tu sembles penser, j'en ai besoin, pour moi. Acte complètement égoïste, je l'accorde, mais j'ai besoin de bercer les autres d'illusions et de rendre heureux grâce à elles pour me rassurer : moi aussi je pourrais être heureuse si je m'en persuade assez. Mais t'es pas assez méritant pour savoir la vérité, alors je me contente de serrer les bras sous ma poitrine -si on peut appeler ça des seins- et pester. « T'es qu'un con. » Et je commence à partir, jouant la fausse vexée pour qu'il change d'avis et qu'il m'offre ces putain de pistaches : mais lorsque j'arrive près de la porte, toujours pas de tentative pour me rattraper. Rien. Alors je fais demi-tour et cours au milieu du magasin, me jetant sur lui pour attraper enfin ce qui est à moi. Je parviens à accrocher mon corps au sien, fermant mes jambes autour de sa taille tandis qu'un de mes bras se hisse pour avoir le sachet, et je ne peux m'empêcher de rire comme une idiote quand j'ai enfin ce que je veux. Mais il me semble que l'on perd l'équilibre, que ma vitesse et mon corps contre le petit Julian a été de trop et ne peut plus tenir sur ses jambes. On tombe sur le sol froid de l'épicerie, et je remercie intérieurement le vendeur de m'avoir servi d'amortisseur : je vérifie malgré tout l'état de ce dernier, et ne voyant aucune tâche de sang ni de douleur apparente, j'affiche un sourire rayonnant, trop fière de ma victoire pour pouvoir la cacher.
« Alors arrête de t'avaler les pistaches des autres, Faye. » Je le déteste. Il m'insupporte à vouloir me faire la morale, à vouloir réduire à néant mon énergie, à prononcer mon prénom comme si on se connaissait sur le bout des doigts : tu n'es que le vendeur de l'épicerie, je ne suis que la folle voyante dans son camion, pourrions-nous s'il te plaît nous en tenir là ? Je suis une boule de colère Julian, alors je me lève de toi et au lieu d'engloutir le paquet de pistaches, je l'étale sur le sol et les pistaches se mettent à tomber et danser sur le sol. Pas de pitié, je les écrase toutes, je saute pour les tuer, ce qui donne l'impression que je me suis prise pour une indienne en train de faire une incantation, ou d'appeler les dieux, ou je ne sais quoi. D'accord Julian, si je ne peux pas les manger, personne ne pourra. « T'es content maintenant ? Et ne me parle plus jamais comme si t'étais...Je sais pas, mon grand frère, mon père, ou mon mec, parce que t'es rien de tout ça ! On se connaît pas, on se connaît pas, on se connaît pas ! » On se connaît pas. On se connaît pas. Ma voix se brise et j'ai cette impression qu'elle sonne faux. Alors mes hurlements dans la pièce s'estompent et il ne reste plus que nous deux, entourés de ces pistaches éparpillées et écrasées. Ça tourne dans ma tête et ça devient incontrôlable, et voilà que je dois m'accrocher à une des étagères d'un rayon pour éviter de flancher : tu vois comme je deviens faible quand je n'ai pas mangé. Radin des pistaches.
Spoiler:
Je pouvais difficilement faire plus pourri. Désolée.
Sujet: Re: There's money lenders inside the temple - Faye. Ven 11 Mai - 0:26
Elle tente de récupérer le sachet en me l’arrachant des mains mais je me montre plus rapide et tend le bras haut vers le plafond pour le mettre hors d’atteinte. C’est alors qu’elle me regarde avec cet air mauvais qu’elle prenait parfois lorsqu’elle avait sincèrement envie de m’en retourner une et je me dis que peut-être je devrais lui rendre les pistaches histoire de mettre un terme à cette scène idiote que l’on est en train de vivre. Mais j’arrive pas à m’y résoudre et au contraire mes doigts se crispent sur le plastique comme si j’y tenais plus que tout. Quelque part j’avais là un truc qu’elle désirait et ça impliquait forcément qu’elle reste pour enfin l’obtenir. Je voulais me dire qu’il fallait qu’elle parte mais je savais au fond qu’il fallait qu’elle reste.
« J'te l'jure, tu devrais me rendre ce paquet, parce que tu ne me connais pas en colère, et tu ne veux pas me connaître dans cet état. » Elle dit.
Si, Faye, bien sûr que je te connais dans cet état puisque j’avais l’habitude de t’y mener souvent. Tu ne t’en souviens pas mais c’est très clair dans mes souvenirs et j’y vois alors mes défauts et mes erreurs, ces choses que j’aurais du faire et que je n’ai pas faites, ces choses que j’aurais du dire pour te retenir, mais que je n’ai jamais dites et que je n’aurais plus jamais l’occasion de dire. Lorsque t’es en colère tes paupières sont à moitié closes, tes narines frémissent et tes lèvres se pincent avant que tu ne te mette à hurler, parfois même tu balances les objets qui te tombent sous la main et j’ai plusieurs fois souffert de coupures occasionnées par les tasses et les cendriers que t’avais envoyé sur moi dans ces cas-là. Et ta colère n’est pas la seule que je connais sur le bout des doigts car je connais de toi des tas de trucs que j’ai jamais mentionné ou dont j’ai jamais fait l’éloge mais ta personnalité flottait dans ma tête au milieu d’un aura spécial que j’aurais pas su décrire de toute manière. Je te trouve toujours spéciale, je voudrais jamais te trouver autrement que spéciale.
« Tu sais quoi ? Tu vas pas t'en sortir comme ça. Je peux porter plainte contre toi, contre non assistance à personne en danger. Je crève la dalle et j'ai la peau sur les os, connard. » Elle continue.
Je voudrais croire qu’elle déconne mais je sais que non car dans son monde à elle les choses sont aussi simples que ça. Un coin de ma bouche s’étire dans un sourire jusqu’à ce qu’elle dépose à terre sa veste, un truc que j’avais jamais vu sur elle d’ailleurs, et qu’elle relève le bas de son t-shirt sans faire gaffe à tout ce qu’elle dévoile dans ce geste et à tout ce qu’elle remue en moi car elle n’en a aucune conscience. Je crois que je fixe une seconde de trop ses côtes saillantes et sa poitrine que je n’ai plus touchée depuis trop longtemps, les piercings et les tatouages qui ornent sa peau depuis que je l’avais accompagnée les faire, mais elle ne remarque rien et c’est tant mieux. Ça ne compte pas pour elle, tout ce qu’elle veut c’est me prouver par a plus b que j’ai tord, me mettre mal à l’aise pour que je capitule, me déconcentrer pour que j’en oublie mes priorités. Et j’ai peur qu’elle ait bel et bien toujours ce pouvoir sur moi.
« T’es qu’un con. » Elle ajoute.
Je me dis qu’elle a parfaitement raison parce que j’ai pas été foutu de me battre. C’est un truc que j’ai jamais fait d’ailleurs car je préfère éviter tous conflits et tous malentendus. A l’école élémentaire je m’étais rendu compte que j’avais ce côté faiblard quand on avait commencé à me bousculer pour me prendre mes paquets de chips et que je n’avais jamais fais un geste pour me défendre. Parfois je les tendaient même à bout de bras pour qu’on évite à la fois de se dire quoi que ce soit et aussi qu’on évite les détails inutiles qui menaient à cette conclusion inévitable. Encore une fois Faye s’en va et me laisse planté là tandis que je n’exécute aucun mouvement pour qu’elle ne passe pas la porte. Je me dis que cette fois-ci elle ne me quitte pas définitivement et que d’une manière ou d’une autre elle finira par revenir. Je ne pense même pas à lui proposer le paquet de pistache pour qu’elle reste car j’ai l’impression qu’on s’est alors tout dit. Je ne la connais pas, elle crève la dalle, je ne suis qu’un con. Est-ce vraiment tout ce que nous sommes en mesure de partager à présent qu’elle a oublié à quel point on avait compté l’un pour l’autre ? Peut-être pas puisqu’elle fait finalement demi-tour et je m’attends à ce que cette fois-ci elle ne me laisse pas le choix quant à l’avenir du sachet plastique et je me dis que j’ai probablement raison lorsqu’elle s’élance vers moi en me fixant si intensément que je n’ai même pas la force de me déplacer. Ses jambes maigres s’enroulent autour de mon bassin aux os proéminents et ses doigts se referment autour du paquet avant que je n’ai pu émettre quelque protestation que ce soit. Elle se met à rire et je ne sais pas pourquoi cet éclat de voix se transmet jusqu’à moi mais je m’entends faire de même alors qu’on tombe.
La chute ne dure en réalité qu’une poignée de secondes mais j’ai l’impression d’avoir vécu là une douzaine d’années. Mon dos cogne le sol dans un bruit mat et mes omoplates commencent alors à me faire souffrir mais je ne grimace même pas tant le reste prime. Faye, allongée sur moi et dont le parfum se propage un peu partout alentours. J’ai toujours le sourire jusqu’à ce qu’elle perde le sien, à nouveau contrariée par je ne sais quoi. Tout ce que je lui avais jamais reproché était là : sa facette lunatique que j’avais jamais comprise. Les pistaches s’éparpillent sur le sol comme une pluie de grêle et je reste couché à terre observant ce spectacle qui se déroule malgré moi. J’efface toute trace de ce que j’ai pu ressentir une seconde auparavant de mon visage pour qu’elle se rende compte que ce qu’elle fait là ne me plaît pas le moins du monde. Je sais qu’elle s’en fiche et que c’est même la dernière chose qui lui importe, de savoir que je suis fâché ou non. Les coquilles brunâtres craquent sous ses chaussures et je l’observe impuissant se montrer un peu trop théâtrale, un peu trop heureuse de me faire du mal. Je me relève lentement alors qu’elle termine son génocide et je me passe une main dans les cheveux, puis le long du visage. Cette nouvelle rencontre est un échec et nos existences entrecroisées m’ont l’air fatalement dédiées au naufrage.
« T'es content maintenant ? Et ne me parle plus jamais comme si t'étais...Je sais pas, mon grand frère, mon père, ou mon mec, parce que t'es rien de tout ça ! On se connaît pas, on se connaît pas, on se connaît pas ! » Elle hurle.
Je sens un déclic. Je ne suis rien de tout ça. Pourtant je l’ai appelée Faye comme si n’avait jamais cessé d’être proches. J’ai presque envie de m’excuser mais je voudrais aussi qu’elle devine que cette spontanéité n’avait été que le résultat d’un combiné d’habitudes à moitié effacées seulement. Je baisse les yeux non seulement parce que je me sens las mais aussi parce que je n’ai plus envie qu’ils croisent les siens. Elle a tord quand elle dit qu’on ne se connaît pas mais je suis incapable de lui faire entendre le contraire. Je n’ai pas envie de lui dire ce qu’on avait été et à la fois ce qu’on avait cessé d’être. Je me dis qu’il est possible de reconstruire les choses mais quand je regarde les débris de pistaches à mes pieds je sens que le chemin est un peu trop long pour moi qui suis si abattu et épuisé d’avance. Elle se tait et le silence revient. Je continue de fixer le bout de mes chaussures et peu à peu mes forces m’abandonnent. Je me demande de quoi elle se souvient si elle ne se souvient même pas qu’au contraire, on se connaît sur le bout des doigts. Qu’on est si semblables qu’on en devient différents et que cette différence nous a longtemps complétés. J’aurais du lui filer ces putains de pistaches et je l’aurais sans doute fait si j’avais su que ça m’aurait évité autant de pas en arrière sur la route de notre réunion.
Je lui tourne le dos et attrape un balais posé dans un coin et je commence à rassembler les miettes de ce qui avait générer notre conflit. Mais j’ai alors étrangement peur qu’elle s’ennuie en me regardant faire le ménage comme un parfait chef de rayon que je n’étais pas et je m’immobilise. Je l’observe à nouveau, elle se tient à une étagère comme si elle manquait de souffle et je ne veux pas qu’elle tombe dans les pommes à l’intérieur de mon magasin. La vision de son corps qui s’oublie me serait insupportable tant j’aurais l’impression que quelque chose quelque part veut me forcer à affronter cette vision d’elle endormie mais toujours en vie à laquelle j’avais refusé de faire face lorsqu’elle était à l’hôpital. Je m’approche d’elle, pose une main sur son bras.
« Ça va ? » Je demande et je n’ose plus prononcer son prénom.
« Ecoutes, prends toutes les pistaches que tu veux et vas t’en, c’est tout ce que je te demande. » Je souffle.
J’ai pas envie qu’elle parte. J’ai pas envie qu’elle parte. J’ai pas envie qu’elle parte. J’ai pas envie qu’elle parte.
« Je veux juste que tu t’en ailles. » Je répète, un peu plus fort.
J’ai pas envie qu’elle parte. J’ai tout sauf envie qu’elle parte. J'ai menti. Alors mes doigts s’enroulent autour de son bras et serrent légèrement. Je me demande qui je suis pour me donner le droit de faire une chose pareille. Je l’attire vers moi et une fois qu’on se retrouve face à face et si proches je ne sais plus quoi faire. Je perds l’ensemble de mes moyens et j’ai l’impression que mon t-shirt me colle comme une seconde peau. Je pourrais compter les battements de mon cœur sans en manquer un seul tant ils sont assourdissants. Et alors je me rends compte de ce que j’ai l’intention de faire. Je vais l’embrasser. C’est certain, c’est que je veux faire, et pourtant je m’en empêche avec une force incroyable. On ne vit pas la même chose. J’essaye de reconquérir la personne qui compte le plus pour moi dans cette vie de merde et elle a surement plutôt l’impression de se faire agresser par un type qu’elle connait à peine. Je suis immobile.
Sujet: Re: There's money lenders inside the temple - Faye. Ven 11 Mai - 1:57
Et ça me fait mal tu sais, ça tourbillonne dans mon esprit et j'aimerais que tu me dises que ça passera. A cet instant de douleur ultime, la seule chose que je vois -et qui n'améliore pas mon envie de vomir- est mon psychologue, jambes croisées, le doigt jouant continuellement avec son stylo, son calepin posé sur les cuisses, et surtout son nez plissé, comme si la contemplation de mon corps permettait l'étude de mon cas, et de mon mal-être. Je le déteste, je déteste les médecins, je déteste ce qu'ils représentent, mais c'est bien la seule chose que m'ordonne mes parents, et malgré mon caractère de merde voire complètement insupportable, il se peut que j'apprécie leur faire un minimum plaisir. Et il est là, ce psychologue, à tenter les méthodes freudiennes, à me psychanalyser comme si j'étais un simple divertissement. « Mais mademoiselle Sullivan », se complait-il à me dire à chaque fois qu'il entame une phrase, « Ne songez-vous pas que votre vie serait plus appréciable et facile à vivre si vous tentiez de ne pas vous mettre dans un état d'énervement à chaque fois qu'on vous répond quelque chose qui ne vous plaît pas ? » Il me semble que par la suite, il a tenté de faire un rapport entre mon impulsivité et mon incapacité de tenir droite toute une journée, et que mes douleurs physiques étaient sûrement dues à mon incapacité à rester calme. Oui, je crois qu'il m'a fait un discours de la sorte, ce genre pédant et arrogant, celui qui m'a conduit tout droit à lui hurler dessus de plus belle, au point d'enlever ma chaussure et de lui jeter au visage. Je déteste l'admettre monsieur le psychologue, mais je crois que ma folie m'emporte, et que de ce fait, vous aviez raison.
« Ça va ? » J'aimerais lui rétorquer une phrase cinglante, lui crier que non ça ne va pas, et que cela se voit assez pour éviter de poser la question, mais quand je sens le contact de sa main contre mon bras, je me calme instantanément. Une douleur et je deviens une gamine de quatre ans, parce que voilà que j'aimerais plonger dans les bras du vendeur, qu'il me fasse un bisous magique, et qu'il me serre si fort contre lui que je ne ressente plus que la force de son corps contre le mien. Au lieu de ça, par fierté et par envie de prouver que je ne suis pas seulement une gamine, je repousse son bras et me redresse, voulant me montrer forte et stable -comme s'il pouvait y croire. « Mais bien sûr que ça va, ça va et ça ira toujours. » Et dans ton regard, je vois que tu ne me crois pas d'un pouce, que tu me penses bien trop fragile avec mon corps d'anorexique et ma gueule de dépressive, mais pourtant, t'as la politesse de cacher ta pensée et je voudrais t'en remercier, mais je suis bien trop pudique pour oser prononcer ce mot qui me brûlerait la gorge.
« Ecoutes, prends toutes les pistaches que tu veux et vas t’en, c’est tout ce que je te demande. » Je me fous de toi mais je ne supporte pas l'idée que tu te lasses de moi. Cette voix pleine d'indifférence, cette envie que je m'en aille, ça me tue tu sais. T'es que le vendeur de chez Bernie, t'es que la grande asperge avec plus de tatouages que de poils sur le corps, t'es que le popo incapable de s'affirmer, et pourtant j'ai pas envie que tu me laisses partir. Je voudrais que tu me retiennes comme font les princes, j'aimerais que tu me dises que mon caractère, c'est de la merde, mais que ça te convient. Et je réalise alors, que je te connais pas, mais que j'ai ce besoin inconditionnel de me rendre tous les midis à ton épicerie bidon pour te vanner et te mépriser, ou juste pour pouvoir te parler. Je prétends que je ne viens que pour ces pistaches que j'aime tant, mais au final, je les déteste tant j'en ai trop mangé. J'essaie, je te jure que je tente, de jouer les indifférentes moi aussi, mais je crois que j'ai jamais été bonne comédienne. Que ma déception se lit sur mon visage, que j'ai envie de pleurer parce que j'ai l'impression que tu me laisses tomber, que je désire plus que tout te supplier de ne pas m'abandonner, toi aussi. « J'en veux plus de tes pistaches, j'ai plus faim. » Je m'efforce à éclaircir ma voix avant de parler, mais j'ai beau lutter pour agir en toute normalité, ma gorge se serre sans que je puisse la contrôler. Et merde.
« Je veux juste que tu t’en ailles. » Je te déteste, c'est moi qui suis censée être la méchante, la sans cœur, celle qui brise les autres sans avoir peur de passer pour un tyran. C'est mon rôle, et tu me voles sans me demander la permission, petit salaud. Je voudrais rétorquer, te faire aussi mal et te rejeter comme tu me le fais, mais je sais pas quoi te dire. Que t'es qu'un con ? Je te l'ai déjà faite, celle-ci. Partir véritablement ? Mais je peux pas te laisser vainqueur, je peux pas croire que j'aurais perdu le combat de saloperies lancées. Je voudrais lancer un Adieu sec et franc dans l'air du magasin, mais j'aurais trop peur que tu ris face à cette tragédie ridicule. Et avant que je prenne la décision, voilà que ta main retrouve instinctivement sa place de tout à l'heure, et tu serres mon bras si fort entre tes doigts, que j'en ai mal, mais je te dis rien, parce que j'aurais trop peur que tu me lâches et que tu me laisses alors partir. Je veux pas que tu me lâches Julian, je veux pas qu'on parle parce que j'ai peur qu'on se hurle dessus comme tout à l'heure. Tu m'attires vers toi, mais t'es qu'un petit garçon hésitant, mais moi je veux plus attendre, je veux plus perdre de temps : c'est pas comme si on était proches, mais j'ai ce besoin soudain de me blottir dans tes bras et de cacher ma tête dans ton cou. Je devrais me sentir bête dans les bras d'un inconnu, je devrais me sentir gênée, moi détestant les caresses et pourtant je ne peux me résoudre à changer de position. Ton odeur me fait penser à celui de l'amour et du pain d'épices, et puis je me rends compte que j'y suis bien, c'est comme si tout ce temps j'avais pas trouvé ma place, et que c'était là que je devais me trouver. Alors je souris dans son cou, parce que c'est pathétique ce que je pense, c'est pour les adolescentes amoureuses. Rassure-moi, dis-moi que je n'en deviens pas une, dis-moi que c'est mon ventre qui crie famine, qui me fait complètement dérailler.
Et puis je te pousse, je te rejette comme si c'était toi qui m'avait contrainte à t'enlacer. Je sais pas si tu comprends, si tu vois comme si je suis un ouragan, un paradoxe, et pardonne-moi si je t'effraie, mais je suis comme ça. « Et sérieux, c'est quoi tes tatouages ? Toutes tes étoiles, tu veux reproduire une constellation, c'est ça ? En tout cas, c'est pas beau. » Je baisse les yeux, j'ose plus soutenir ton regard, comme si ça aussi c'était devenu un acte trop intime, et que je dépasserais une nouvelle fois les limites. Alors je fixe mes bottes, et je suis comme cette petite fille qu'on punit, avec les joues rosées et le besoin de jouer avec ses mains pour cacher sa gêne. « T'as pas le droit de me dire de partir, je suis une cliente et le client est roi, je te rappelle. Alors si je veux que tu me portes sur le dos et que tu tournes jusqu'à ce que je vomisse, tu dois le faire. Si j'ai envie que tu me masses les pieds sur le comptoir, tu es condamné à supporter cette pénible tâche. »
Sujet: Re: There's money lenders inside the temple - Faye. Sam 12 Mai - 1:37
Elle repousse ma main et je la laisse faire parce que je me dis que peut-être j’ai été trop loin. Je recule de quelques pas et je dis plus rien de peur qu’elle ne se remette à me faire une scène car j’ai pas envie de vivre ça à nouveau. Mais voilà qu’à présent on s’observe quelques instants dans le silence et c’est un truc qui commence à me mettre mal à l’aise. Je me demande ce que peut bien faire Bernie dans l’arrière boutique parce que j’entends pas le son de la télévision et c’est bien la seule distraction à laquelle on peut s’adonner dans ce trou. J’imagine qu’elle est juste derrière la porte, l’oreille collée au battant pour ne pas perdre une miette du désastre que je suis en train d’expérimenter. Faye me dit qu’elle n’en veut plus de mes pistaches et c’est alors que je me rends compte que moi non plus j’en n’ai jamais voulu, je me demande même pourquoi je l’ai pas laissé prendre ce paquet débile sans m’opposer à quoi que ce soit. D’ordinaire j’en aurais rien eu à foutre mais il fallait bien que je me fasse à l’idée que les choses avaient changées quand bien même j’étais resté identique à celui que j’étais.
Je répète encore que je veux qu’elle s’en aille bien que je le pense pas réellement. C’est que je me dis que ça vaut mieux pour nous deux de mettre un terme à ces conneries ici et maintenant. Je me suis trompé dans cette stratégie à deux balles qui consistait à ne pas lui dire qui j’étais dans l’espoir qu’on puisse se reconstruire sans être apte à donner de l’importance aux erreurs du passé. Il aurait fallu que je sois honnête dans l’immédiat mais ça n’a pas été le cas et je doute de l’efficacité qu’auraient mes aveux si je les lui balançais maintenant. Je la regarde et je me dis que c’est trop bête. J’ai réfléchi à un tas de banalités depuis un bout de temps mais j’en reviens toujours à la même question qui est celle de savoir ce qui l’a poussé à vouloir en finir. Car c’est bel et bien ce qu’elle a voulu faire à ce moment là. Je pose une nouvelle fois ma main sur elle car tout ça m’attriste et m’effraie à la fois. Je ne sais plus si c’est elle qui doit être rassurée ou moi, au final.
Je l’attire vers moi en sentant qu’en quelque sorte c’est maintenant ou jamais qu’on peut se sentir proches sans l’être plus réellement sauf que je suis plus tellement sur que ce soit là une bonne idée. Alors mes doigts s’accrochent et l’agrippe puis lorsqu’on se retrouve face à face je perds une bonne partie de mes moyens. C’est finalement elle qui s’avance et voilà que son corps se serre contre le mien et je sens ses cheveux qui balaient mon cou ainsi que tous ces trucs qui fonts qu’elle est elle et qui me rappellent tout ce que j’avais oublié sans avoir eu l’impression qu’ils aient abandonné ma mémoire. J’ai envie de mettre mes bras autour d’elle pour lui montrer que je trouve tout ça très cool mais plus rien ne m’appartient et plus rien ne m’écoute tant j’ai perdu le contrôle alors ces deux là tombent faiblement le long de ma personne sans que je puisse rien y changer. Je me demande combien de temps va durer ce moment et aussi est-ce qu’il existe pour de bon car ce qui se passe là me semble brutalement surréaliste et j’ai peur d’être encore prisonnier d’un rêve bizarre que j’aurais pu faire en dormant. Au fond je sais qu’elle est effectivement là à respirer mon odeur, son menton calé contre moi mais je ne sais pas tout à fait ce que ça représente.
Comme je m’y attendais elle me rejette avec violence et j’ai alors l’impression d’avoir fait quelque chose de mal et qu’en plus je l’ai fais sans permission. Je mets immédiatement mes mains dans mes poches comme si ce geste allait m’aider à avoir l’air moins coupable mais alors elle se remet à me crier dessus et j’ai cette peur irraisonnée qui me reprends car je refuse qu’elle écrase à nouveau des pistaches sur le sol tant elle est colérique.
« Et sérieux, c'est quoi tes tatouages ? Toutes tes étoiles, tu veux reproduire une constellation, c'est ça ? En tout cas, c'est pas beau. » Elle dit.
Et alors pendant une seconde mes yeux s’ouvrent plus grand car les seuls tatouages qui dépassent de mes vêtements sont des fleurs et des feuilles mais en aucun cas des étoiles car celles-ci se trouvent plutôt vers mes épaules qui sont dissimulées par mon t-shirt. Je me dis que peut-être et sans s’en rendre compte elle s’est souvenue d’un truc qui me concerne et même si c’est pas grand-chose ma gorge se serre comme si c’était un truc vraiment démentiel. Une fois encore je reste silencieux quand un autre que moi lui aurait fait remarquer son avancée aussi minime fut-elle. Mais j’étais incapable de lui laisser entendre quoi que ce soit à propos de nous et j’avais bien l’intention de rester incapable encore quelques temps.
« T'as pas le droit de me dire de partir, je suis une cliente et le client est roi, je te rappelle. Alors si je veux que tu me portes sur le dos et que tu tournes jusqu'à ce que je vomisse, tu dois le faire. Si j'ai envie que tu me masses les pieds sur le comptoir, tu es condamné à supporter cette pénible tâche. » Elle dit.
Un demi-sourire s’affiche sur mon visage. A peu de choses près, cette fille a certainement raison.
« Je crois pas que tu puisses bénéficier du titre de client quand tu te pointes sans fric. Le terme qui convient c’est pickpocket. » Je réponds en riant.
Puis je sors une main de mes poches et je touche mon dos qui finalement est douloureux à cause de notre chute. Je grimace mais en me rappelant celle-ci je me dis qu’un spectateur extérieur n’aurait pas été déçu et je me marre un peu plus.
Sujet: Re: There's money lenders inside the temple - Faye. Dim 20 Mai - 21:58
Je le trouve bizarre, je le trouve pas net ce mec. J'avoue que je suis pas l'exemple même de la normalité, mais il a une façon de me regarder qui est bien trop étrange pour passer inaperçue. J'sais pas, c'est louche, et ça me met pas à l'aise d'avoir ses yeux fixes sur moi comme si j'avais un morceau de chocolat sur le front et qu'il brûlait d'envie de me voler et de le manger. Il m'énerve autant qu'il me fait rire, il me provoque un cocktail de sentiments en moi, des tas que je ne comprends même pas, et ça me met en rogne, parce que je supporte pas cette incapacité de me contrôler quand Julian est dans les parages. Je voudrais qu'il quitte son métier pour que j'arrête d'aller chez Bernie, je voudrais qu'il quitte Sand Valley pour que j'arrête de tenter constamment de le croiser.
« Je crois pas que tu puisses bénéficier du titre de client quand tu te pointes sans fric. Le terme qui convient c’est pickpocket. » Je voudrais bouder, crier que c'est dégueulasse de me dire ça, mais quand j'entre-ouvre la bouche pour commencer une énième crise, je me rends compte que ma voix ne suit plus et qu'elle se brise à cause de mes hurlements précédents. Du coup, par dépit, je me mets à rire légèrement avec lui, me rapproche de Julian et pose ma main sur sa fesse droite. Ne pas croire à l'acte sexuel, mais j'ai l'intime intuition que son porte-feuille est caché dans sa poche de jean arrière, et quand je rencontre le cuir de l'objet, je ne peux m'empêcher d'afficher un large sourire de fierté. Et puis mon sourire s'efface aussi vite qu'il est apparu : putain de merde, mais comment j'ai su qu'il était là ? Comment, sans réfléchir, avec seulement mon instinct, j'ai deviné qu'il serait là ? Je crois que je commence à paniquer, alors je me mets à souffler dans l'épicerie comme font les femmes enceintes prêtes à accoucher, je fais les cents pas et il y a encore quelques crépitements sous mes semelles à cause des pistaches à terre. Puis finalement, je parviens à me calmer et me rassurer : mais Faye, presque tous les hommes de cette planète rangent leur porte-feuille ici, c'est pas une découverte. Et puis t'es pas voyante pour rien, peut-être qu'à force de faire croire aux autres que t'as une relation avec l'au-delà, tu développes des pouvoirs surnaturels. Je sais pas si c'est ça, mais ça serait top cool. Alors j'ouvre finalement son porte-feuille, cherche les trois premiers billets qui me tombent sous la main et les tends au vendeur. « Tenez, monsieur le vendeur. Je pense que le compte est bon, vu combien les pistaches étaient infâmes voire complètement dégueulasses, elles ne doivent pas valoir plus que six dollars. »
Je suis qu'une peste, une petite conne qui abuse de ta gentillesse, je suis le lunatisme même, je peux te cracher à la gueule et t'embrasser la seconde d'après, je parle trop fort, je chante trop mal, je crois que les vêtements troués font rock, que j'ai l'air d'une grunge, je continue à espérer que les gens me redoutent quand ils me croisent dans la rue. Je suis un stéréotype à moi toute seule, un putain de cliché dégueulasse de la fille perdue et hystérique mais j'aime bien Julian, tu sais. J'aime bien tomber à la dérive, mais continuer à rire en cassant tes pistaches. « Je crois que je me suis cassé une vertèbre. » Il peut pas arrêter de se plaindre, celui-là ? Je suis peut-être chiante mais moi au moins je suis vivante, je suis pas pessimiste et moitié endormi. Alors je soupire de désespoir face à cette fiotte face à moi : « Pauvre petit chat, tu veux que je te passe de la pommade pour soulager ta douleur ? » Et puis l'idée de le faire véritablement me fait rire, alors je commence à arpenter les rayons de chez Bernie à la recherche d'une crème apaisante, et il faut que je fasse le tour du magasin pour réaliser que merde, c'est une épicerie, pas un supermarché et encore moins une pharmacie. Alors je retourne face à lui, et alors que je ne peux le soulager à sa vertèbre douloureuse, j'attrape sa main que je mords de toutes mes forces. « Tiens, comme ça, tu penseras plus à cette douleur qu'à ta vertèbre cassée ! » Et puis comme ça, tu garderas toujours une trace de moi sur toi, mais cette pensée, je préfère la garder pour moi, parce qu'il serait capable de se moquer ou de rejeter cette idée, et je m'énerverais encore une fois.
Et puis je réalise que j'ai encore son porte-feuille entre les doigts, et qu'il n'a pas encore fait une crise pour que je lui redonne. Alors j'affiche le sourire le plus malicieux que j'ai en réserve, commence à reculer de Julian pour avoir une longueur d'avance s'il me court après, et je le tiens du bout des doigts et en hauteur, insinuant par mes gestes « si tu le veux, viens le chercher ». Et je me mets à rire, si fort en fait, que je crois que ça résonne dans le magasin. Je m'en fous, on est que toutes les deux, et ça fait bien longtemps que j'ai abandonné de vouloir paraître comme une personne normale pour les habitants de Sand Valley. Alors je cours le plus vite possible, et je me cache dans un des rayons : je sais que j'ai très peu de temps avant qu'il me retrouve, alors je n'hésite plus et ouvre son porte-feuille, détaillant chacune de ces cartes. « Voyons voir qui est véritablement Julian ! Sous ces airs de gentil vendeur, a-t-il une carte de fidélité pour un sexshop ? A-t-il une carte d'inscription pour le concours de country de l'année ? Cache-t-il de la weed au fond de son porte-feuille ? » J'aperçois une photo dépassée d'un rangement utilisé normalement pour mettre la carte d'identité. J'ai envie de la regarder, je le jure que j'en ai envie, mais je reste fixée sur ce rangement, à ne pouvoir rien faire. Et je comprends pas pourquoi.
Sujet: Re: There's money lenders inside the temple - Faye. Dim 20 Mai - 23:54
Je suis là et finalement je me demande comment j’ai pu laisser autant de choses en plan. Ça fait des dizaines de fois qu’elle se pointe ici et c’est aujourd’hui seulement que l’existence s’accélère juste assez pour que je me rende compte que tout ce que j’ai fais jusqu’alors : lui mentir, lui cacher un tas de trucs sans raison, faire de moi un étranger, n’étaient que des erreurs. Je bouge à peine lorsqu’elle tend son bras pour atteindre la poche arrière de mon jean parce que j’ai quelques difficultés à comprendre entièrement les événements qui se déroulent tant je pense à ma méprise et à combien je sens que je vais me blâmer pour tout ça pendant des siècles. Je m’étais toujours dis que le chagrin et la nostalgie seraient des émotions que j’allais laisser à d’autres mais alors je constate qu’en réalité j’ai pas du tout le choix. Elles s’opposent à moi, se juxtaposent, se démentent et se disjoignent parfois, mais elles sont là et j’ai pas la force de les repousser, pas même une minute. Je me demande pourquoi c’est maintenant et pas une autre fois, pourquoi maintenant alors que je perds à moitié les pédales et que j’ai les effluves d’un joint chargé qui me flottent dans la tirelire. Puis je me rends compte que j’ai pas la réponse et que personne dans cette pièce ne l’a, je crois même que personne dans ce monde ne l’a et je me demande même si elle existe tant le phénomène me semble inexplicable. Faye pousse des soupirs qui se transforment en véritable halètement et j’ai soudain peur qu’elle fasse une crise de je ne sais quoi mais je ne me sens plus vraiment assez apte à lui venir en aide comme s’il était nécessaire d’avoir une putain de médaille du mérite pour épauler qui que ce soit.
Son état m’inquiète le temps d’un battement d’aile, le temps d’un coup d’œil sur une montre à quartz, le temps d’un éternuement et puis je la vois qui se reprend d’elle-même et je me dis que je l’ai peut-être trop souvent sous estimée du temps qu’on était ensemble et presque indissociable et que c’est surement l’une des choses lourdes que je lui faisait endurer et qu’elle m’avait si souvent reproché. J’avais été un genre de chien qu’on adopte et qui au début est mignon et cool à promener mais qui ensuite grandit et se révèle n’être qu’une pâle copie de ce qu’on s’attendait à ce qu’il soit dans l’avenir. J’y avais pas pensé. C’est maintenant que ça me saute aux yeux et je trouve ça plutôt douloureux. Alors qu’elle fouille dans mon portefeuille, celui qu’elle m’a impunément volé sans que je résiste d’aucune façon, et qu’elle en sort quelques billets verts. Les miens.
« Tenez, monsieur le vendeur. Je pense que le compte est bon, vu combien les pistaches étaient infâmes voire complètement dégueulasses, elles ne doivent pas valoir plus que six dollars. » Elle dit.
Je réponds pas et je les prends. Je me retourne et je les place dans la caisse enregistreuse parce que finalement quelle différence ça fait que ce soit moi ou elle qui les paient sachant que si elle m’avait demandé, je les lui aurais offerts sans sourciller. C’est surement un truc dont elle se doute et dont elle sait qu’elle peut jouer parce qu’en fait je suis à sa merci, maintenant comme autrefois et c’est quand je pense à de telles choses que je vois les bons côtés de son ignorance. Elle sait pas qu’elle m’a déjà dans la poche depuis longtemps. Je recommence à me toucher le dos et à grimacer car étrangement être à moitié stone n’atténue pas entièrement mes douleurs et je me dis que peut-être je devrais mettre fin à notre échange avant qu’il ne tourne au drame et rentrer chez moi pour dormir jusqu’au lendemain en oubliant tout ce qui dans la journée m’avait foutu dans un état lamentable.
« Pauvre petit chat, tu veux que je te passe de la pommade pour soulager ta douleur ? » Elle me demande.
Je fronce les sourcils et je sais pas si elle donne ce surnom à tout le monde ces derniers temps car dans ces cas-là c’est un truc dont je ne veux pas. J’ai envie d’être n’importe qui et tout son monde à la fois. Lorsqu’elle s’élance dans les rayons à la recherche de je ne sais quoi, je pose une main sur mon front et je ferme les yeux, je crois que je suis épuisé. Je commence à la suivre mais tout à coup elle se retourne vers moi, attrape ma main et la porte à sa bouche. Ses dents, comme des étaux, s’enfoncent dans ma chair et je sens mes veines se comprimer les unes contre les autres tandis qu’un cris s’échappe de ma gorge, court et excédé. Faye, qui es-tu.
« Tiens, comme ça, tu penseras plus à cette douleur qu'à ta vertèbre cassée ! » Elle me dit, contente d’elle.
« Non mais t’as vraiment un p… »
Je reste là, la bouche entrouverte et ma phrase en suspend tandis qu’elle se casse, mon portefeuille à la main, genre insouciante, courant entre les rayons comme si c’était un putain de labyrinthe et que depuis le début on était en train de jouer. Sauf qu’on ne joue pas même si au fond j’aimerai qu’il s’agisse que d’un jeu débile où les matchs nuls surviennent parfois quand les deux joueurs se trouvent être au même niveau. Je nous regarde et je sais qu’on l’est pas. Qu’on l’est plus. Je suis à un rayon d’elle et je l’entends rire comme si elle s’était plus amusé comme ça depuis des lustres et ce son me donne envie de la rejoindre. J’arrive au croisement de celui où elle se trouve et je la vois, mon portefeuille entre les mains, celui-ci ouverts et révélant quelques secrets.
« Voyons voir qui est véritablement Julian ! Sous ces airs de gentil vendeur, a-t-il une carte de fidélité pour un sexshop ? A-t-il une carte d'inscription pour le concours de country de l'année ? Cache-t-il de la weed au fond de son porte-feuille ? »
Je passe mentalement en revue tout ce qui s’y trouve. Rien de ce qu’elle a mentionné en tout cas vu que je laisse loin de moi les délires sexuels et les clubs de bouseux. Ma weed est en sécurité dans la poche de ma veste pendue dans l’arrière boutique. Et là j’implose parce que je finis par me souvenir de ce que j’y ai laissé alors que je m’étais toujours jurer de la balancer au détour de l’ennui. Une photo d’elle et de moi. Plutôt une photo de nous et à ce moment là c’était bel et bien de nous qu’il s’agissait. Je m’élance vers elle plus brusquement que je l’aurait voulu et lui arrache ce truc des mains, j’aperçois la marque de ses dents sur ma peau avant de voir que ses doigts se sont refermés sur la photo qui dépassait alors que je lui retirais le plus gros. Je reste immobile. Le moment est trop surprenant. Combien de chance y avait-il pour que la photo lui reste entre les doigts. Moi visage insondable et elle souriante en train de me pincer la joue. Je me demande ou sont passé ces deux-là. Je crois bien qu’on les a perdus.
« Écoutes, c’est… Je… Je sais pas quoi te dire, là. »
C'est pas ce que tu crois ? Si, au contraire, c'est très exactement ce que tu crois.
Sujet: Re: There's money lenders inside the temple - Faye. Mar 22 Mai - 2:18
La photographie me tombe entre les doigts comme une triste évidence. Je crois que je mets de nombreuses secondes à percuter que sur cette photo, c'est lui, et que la niaise, à côté, c'est moi. Pas de doutes sur la personne, je reconnais mes cheveux ébouriffés, mon nez pointu et ma maigreur à en faire peur plus d'un. Je suis plus jeune, mais c'est moi, avec lui, avec le vendeur de Chez Bernie qui ne m'évoque rien à part des pistaches. Je tente de me relever mais voilà que je retombe sur le sol, incapable de coordonner mon corps face à cette nouvelle inattendue. Et que je déteste. J'aimerais qu'il m'avoue que c'est un montage, qu'il a toujours été amoureux de moi et que c'est qu'un psychopathe faisant réunir nos deux corps sur une photo pour une fausse réalité. Peut-être que je préférerais même qu'il me dise que j'avais une sœur jumelle mais qu'elle est morte: je préférerais un tas d'explications, mais pas ça.
« Écoutes, c’est… Je… Je sais pas quoi te dire, là. » Et moi, j'en ai des tas, de choses à te dire. Te narrer comment t'es un salaud, te hurler que c'est injuste, de faire des choses comme ça, que c'est malsain de n'avoir rien dit. Mais ma gorge, elle se serre tellement, qu'elle m'empêche alors de sortir ne serait-ce qu'un son. J'ai envie de chialer mais je t'offrirais pas ce plaisir. J'ai envie de te tuer à coup de boîtes de conserves mais j'ai pas envie de crever en prison par ta faute. On était quoi au juste, putain? Et pourquoi je souris comme ça, pourquoi je souris comme une idiote amoureuse sur cette photo, alors que quand je regarde les autres photographies de mon passé, j'ai l'air tout simplement morose et vide? Et pourquoi si je t'aimais, Maggie ne t'a pas rappelé cet épisode de ma vie? J'ai la nausée et je voudrais quitter cette épicerie, ramper jusqu'à la sortie s'il le faut, mais je peux pas. J'le voudrais, mais je crois que mon corps me hurle de rester pour réclamer des explications, ou bien simplement hurler des insultes inimaginables jusqu'à ce que j'en perde la voix.
« Je te déteste. » dis-je finalement, avec cette voix d'enfant de cinq ans. Je parviens finalement à me relever et j'entame une danse, peut-être même une valse si je savais la danser véritablement, pour tenter de calmer mon cœur qui se prend lui-aussi pour un danseur dans ma poitrine. J'ai toujours prôné l'honnêteté et la franchise, mais pourquoi maintenant que la vérité est sous mes yeux, j'en crève de douleur? « Comment t'as pu me faire ça? COMMENT TU AS PU ME FAIRE CA? » L'hystérique Faye, le retour, mais il me semble que pour une fois c'est légitime. J'attrape les différents aliments des rayons qui me tombent sous la main et je lui balance, je le vise avec force en espérant qu'il aura aussi mal que moi. Je le déteste. J'ai cette sensation d'avoir été violée, cette impression qu'on a abusé de moi et qu'on a tenté de me contrôler à mes dépends. J'arrête pas de lui balancer des trucs, parce que c'est tout ce que je peux faire à ce moment-là, tant les mots me manquent. Et quand ma main desserre la photo, je la regarde encore une fois et je crois...que je m'en rappelle.
Je me souviens du moment où on a pris cette photo. On était au Joe's Music, tu m'avais acheté le vinyle de Bob Dylan à sa période rock que j'aimais tant, et c'est pour ça que j'étais si heureuse. Je me souviens de tes mains sur mes hanches, de ma façon de t'embrasser passionnément alors que j'étais qu'une gamine, l'odeur de lys que t'avais toujours sur toi, alors que merde, t'as jamais eu de ces fleurs chez toi. Il me semble que c'est le propriétaire du disquaire qui nous a pris en photo, et je t'ai collé si fort pour prendre la pose, que t'as soufflé de désespoir par ma proximité: mais j'ai pas bougé d'un pouce, parce qu'au fond, je savais que t'aimais ça. Et je t'ai attrapé la joue comme si on attrapait un bonbon, me moquant de si je pouvais te faire mal ou non, parce que moi, face à cet appareil photo, je voulais juste montrer que t'étais à moi.
« J'étais amoureuse...de toi? » Ma voix se fait plus calme, et il me semble que cette question s'adresse plus à moi qu'à lui. J'aimerais y répondre moi-même, pas avoir besoin de l'aide de ce tocard, mais ce moment est l'unique qui m'est parvenu. J'aurais aimé, par cette photo, récupérer toutes les bribes de mon passé, mais je crois que la mémoire est pas aussi simple que ça. La connasse. « On se connaît. On se connaît et on s'est aimés, et toi...T'as rien dit. T'as estimé que quoi, vu que j'étais amnésique j'avais pas besoin de savoir la vérité? T'avais pas le droit de choisir pour moi. T'avais pas le droit de prendre cette décision sans demander mon avis. C'est mon passé, et tu m'en prives. Mais t'es quel genre de mec taré pour faire ça? » Je parle vite, trop vite, je suis pas sûre qu'il puisse parvenir à comprendre tout ce que je dis, alors je me tais pour tenter de me calmer, mais ça marche pas. J'ai l'impression que cette photo a bouleversé toute ma vie alors qu'il s'agit que d'un putain de mec dégueulasse grand comme une asperge. « Quand je venais ici, je t'imaginais popo, débile, abruti, lent, timide, réservé, chiant. Mais pas cruel. Je pensais vraiment pas qu'on pouvait être aussi cruel. »
Sujet: Re: There's money lenders inside the temple - Faye. Mar 22 Mai - 14:19
Mes efforts passés et présents s’évaporent à mesure qu’elle observe cette photo. Je vois des ombres sous ses paupières, j’ai peur qu’elle la laisse choir et qu’elle m’abandonne comme autrefois. Je suis un peu voûté, un peu en colère et je me sens stupide. Je suis comme un putain de criminel au pied du mur. Je sais que les mensonges finissent toujours par être découverts et que j’ai été con de croire le contraire. Demander à sa famille de ne rien lui dire à propos de nous et de moi impliquait qu’ils soient mes complices et qu’ils soient jugés pour les mêmes fautes mais toute cette merde émane de moi. Ses doigts tremblent, quelque chose en moi veux que je les saisisse et la rassure mais j’en suis pas capable. J’en ai jamais été capable, pourtant cette fille a toujours eu besoin qu’on l’apaise. Je me sens comme une erreur de parcours à nouveau.
Quelque chose brille dans ses yeux et j’ai vraiment pas envie qu’elle se mette à pleurer juste là devant moi parce que j’aurais forcément l’impression d’être entièrement coupable et lui faire du mal tout en étant conscient de ça est la dernière chose dont j’ai envie. Mes genoux se plient à demi, contrôlés par ma gêne. Je supporte sans mot dire le contraste entre mes souvenirs de la manière dont je matais cette photo et la façon dont Faye la maintient du bout des doigts comme si c’était un truc répugnant qu’elle ne supporterait pas longtemps d’avoir sous les yeux. Je m’étais pas préparé à vivre ça aujourd’hui, j’ai pas exactement la tête sur les épaules et je commence à oublier qu’on n’est pas seuls et qu’en plus les clients peuvent débarquer d’un moment à l’autre. Je ressens quelque chose et je me dis que le terme qui convient est détresse et celle-ci monte en moi comme une sorte de fusée interne qui n’est conduite par rien d’humain. Une partie de moi se sait coupable quand l’autre pense qu’elle a prit la bonne décision en choisissant la route de l’ignorance. J’ai presque oublié avoir été le premier d’entre nous à en avoir souffert.
« Je te déteste. » Elle me dit.
Au fond j’aurais du savoir qu’elle me sauterait pas dans les bras en me disant qu’enfin elle se souvenait, qu’elle comprenait pas pourquoi elle m’avait laissé tombé pour un autre et qu’elle voulait qu’on reprenne là où on avait tout laissé. Un petit tas de n’importe quoi en décomposition, des restes de nous pêle-mêle et dont personne ne veux plus et que je suis le seul à chérir malgré les enfers déchaînés qui nous sont passés dessus. Mes tempes reproduisent les pulsations de mon cœur à un rythme incroyable et je me demande si je suis en train de devenir sourd. Soudain elle se déplace, je vois ses pieds se poser un peu partout et mon petit carré de papier glacé toujours entre ses doigts qui tourbillonne, mais elle ne lâche pas prise. Je sens déjà sa voix qui hurle avant même qu’elle n’ait ouvert la bouche à nouveau. Un frisson me traverse, un de ceux qui vous poussent mentalement à des actes stupides qu’en réalité vous n’oseriez jamais entreprendre. Il veut que je m’avance, que je lui dise que je n’ai rien oublié mais que je suis qu’un lâche qui assume que dalle. Le fait est que c’est ce que je suis et que ce lâche là n’est pas prêt d’avouer une telle faiblesse.
« Comment t'as pu me faire ça? COMMENT TU AS PU ME FAIRE CA? » Elle hurle.
Passer du statut d’étranger à celui d’ennemi public numéro un en une fraction de seconde est un exercice douloureux. Mais je savais depuis longtemps qu’un jour allait venir où il allait falloir que je supporte à la place de fuir. Celui-ci s’était simplement pointé plus tôt que prévu. Léger contretemps dans mon quotidien embrumé, mon existence morose.
« Qu’est-ce que t’as encore fait Julian, Bon Dieu ? » Gueule Bernie, mais heureusement elle se pointe pas.
C’est à croire qu’en fait ma vie est un chemin sinueux parsemé de mes erreurs et celles-ci sont si nombreuses qu’on n’y voit rien de plus à l’œil nu. Alors que je suis tourné vers l’arrière boutique d’où provenait la voix de ma patronne, je sens quelque chose me heurter le crâne. J’observe Faye à nouveau et j’assiste à sa présence transfigurée et méconnaissable qui me jette des objets au visage. Je ne suis pas surpris et je ne riposte pas, je me contente de me protéger à l’aide de mes bras. Mes yeux sont couverts je ne vois plus rien de la scène et curieusement ça m’apaise parce que je suis plus obligé de constater qu’en réalité c’est aussi de la détresse qu’elle ressent et que j’ai été con de croire que j’étais le seul à mesurer ma peine. Je voudrais lui gueuler des trucs en retour mais j’ai pas envie de finir la journée à l’hosto. Enfin tout s’arrête et je peux baisser les armes, mais ce que je vois est presque pire. Faye nous contemple à nouveau et son regard est différent. Je sais pas si j’ai envie qu’il change finalement. Je suis indécis, j’ai jamais été sûr de rien, j’ai jamais voulu être un perdant mais le fait est qu’on m’a jamais laissé le choix sauf que j’ai longtemps senti la vie m’aider à me mouvoir quand même et bien souvent c’était suffisant.
Je sens que l’atmosphère change et mes joues s’embrasent sans raison. J’ai d’ores et déjà laissé filer le moment précédent, celui où je pouvais enfin la tenir contre moi après tout ce temps au profit de l’instant. J’ai à nouveau envie de plus tout en sachant que j’aurais rien. Maintenant mes bras aussi sont douloureux et c’est encore une chose que j’aurais voulu qu’on ait évité.
« J'étais amoureuse...de toi? » Elle demande.
La première chose qui me vient en tête et est un oui, parce que j’ai toujours adoré y croire mais alors mes plans sur la comète me rattrapent et je me dis, un peu hypocrite, que de son côté c’était du vent. Je finis par penser non mais Faye n’attend aucune réponse de ma part. Elle ne fait que dire à voix haute ce qu’elle pense, ce qu’elle constate et interprète. J’ai pas la force de la contredire dans l’immédiat.
« On se connaît. On se connaît et on s'est aimés, et toi...T'as rien dit. T'as estimé que quoi, vu que j'étais amnésique j'avais pas besoin de savoir la vérité? T'avais pas le droit de choisir pour moi. T'avais pas le droit de prendre cette décision sans demander mon avis. C'est mon passé, et tu m'en prives. Mais t'es quel genre de mec taré pour faire ça? » Elle dit.
J’ai pas la réponse. Jusqu’alors j’avais pas sa version ni son ressenti mais là je me rends compte que j’ai merdé plus fort que je l’aurais imaginé. Quel genre de mec taré je suis pour faire ça ? Aucune idée Faye, je suis qu’un putain de vendeur dans une épicerie. J’ai perdu mes maigres qualités quand je t’ai perdue et c’est probable que ce qui me servait d’âme ait profité de la tourmente pour se faire la malle également.
« Je… » Je quoi ? J’en ai pas la moindre idée, alors je termine pas ma phrase.
J’avance un peu plus vers elle sans conviction. Je me rends compte que je sais plus rien d’elle, plus rien de sa nouvelle vie et que je peux m’en prendre qu’à moi car c’est moi qui m’en suis volontairement éloigné. Peut-être qu’en sachant la vérité elle m’aurait pas accueillit comme le plus attendu des convives mais au moins j’aurais été… plus proche. A deux pas. Juste à côté. Un détail. Ca me suffisait au fond, d’être un détail.
« Quand je venais ici, je t'imaginais popo, débile, abruti, lent, timide, réservé, chiant. Mais pas cruel. Je pensais vraiment pas qu'on pouvait être aussi cruel. » Elle souffle.
Je me dis que moi je savais qu’on pouvait l’être, je savais juste pas qu’un jour ceci allait s’appliquer à moi. J’attrape sa main et j’ai les yeux mi-clos parce que j’aurais vraiment les boules de sentir une putain de larme s’écouler. Je ferme mes deux mains sur la sienne et je la presse, je refuse un peu qu’elle s’éloigne même d’un centimètre et j’ai l’air pathétique mais ça me convient tant qu’elle passe pas les portes.
« Faye, Faye, te casse pas. » Je dis.
J’ajoute presque que je la supplie et alors je me souviens qu’un jour lointain j’avais des couilles. Je lâche brusquement sa main. Alors c’est maintenant. C’est maintenant ce moment dégueulasse et redouté où j’avoue tout. Je me sens précipité, j’ai les pieds au bord d’une falaise, je tangue un peu, je sais pas bien si je dois tomber ou me sauver désespérément la vie.
« Je suis désolé, t’étais pas amoureuse de moi. » Je dis.
Je voudrais croire que ça brise son conte de fée mais qu’est-ce que je branle, c’est ses cauchemars que j’étouffe.
« On est sortis ensemble, pas longtemps, rien d’important. Au fond je suis même pas sur de t’avoir aimé moi non plus. » Je me remets à mentir.
J’essuie un truc mouillé sur ma joue. Je voudrais qu’on me passe à tabac, qu’on m’émascule, qu’on m’arrache la moindre membre à la scie sauteuse, qu’on me brise les côtes, qu’on me jette aux crocodiles, qu’on m’oblige à regarder des clips de Britney Spears en boucle… Mais je suis toujours là debout avec mes forces qui s’amenuisent.
« J’ai jamais rien eu à t’offrir que ma lenteur, ma timidité et ma bêtise et au début ça te suffisait mais t’as trouvé quelqu’un d’autre Faye. Un gars, genre, le double de moi, avec des bras comme mes deux cuisses et des cheveux de présentateur télé. Et je t’ai laissée à lui, tu vois, je t’ai même laissée te jeter sous une putain de bagnole et je t’ai laissée crever dans ton lit d’hôpital sans jamais venir voir ta gueule de déterrée. C’est pas une preuve que je t’aimais pas ça putain ? » Je gueule.
Je m’en rends pas compte mais je suis de plus en plus proche et mes mensonges, mon ironie, sont de plus en plus flagrants.
« J’ai même pas essayé de me battre pour quoi que ce soit, j’ai préféré te mentir et je t’ai regardée droit dans les yeux tous les jours où tu t’es pointée ici en te mentant. J’ai pas souffert une seconde de ton absence parce que j’avais aucune envie que tu te souviennes d’une période aussi minable de ton existence qui a si peu compté pour chacun de nous. J’ai voulu nous oublier en même temps que toi, mais ça a pas fonctionné et j’ai gardé cette putain de photo à deux balles parce que… » Uhm.
Mes mains entourent son visage. Je me reconnais pas. Je sais pas qui est Julian Pyle. L’amnésie est contagieuse.
Sujet: Re: There's money lenders inside the temple - Faye. Mar 22 Mai - 17:15
C'est tragique, il me semble. Ce qui se passe à cet instant précis, dans cette épicerie, c'est tragique, et je déteste ce goût amer d'histoire mièvre et dramatique qu'on retrouve dans les navets et dont j'adore me moquer: les regarder, ça me convient, mais pas les vivre. Tu sais Julian, quand je suis énervée, je mets à bouger tout mon corps comme une hyperactive, et ma voix déraille tant mes hurlements sont puissants. Mais pourtant, là, tu vois, je suis pétrifiée face à toi, et je hais cette force et ce contrôle que tu exerces à présent sur moi. « Faye, Faye, te casse pas. » Tu me voles mes souvenirs, mon passé, et maintenant tu veux t'approprier ma liberté. C'est pas pour te faire plaisir que je reste face à toi, petit con, ça me fout la rage que tu puisses penser que je t'écoute, mais c'est juste que je peux pas songer à te quitter sans que tu m'énonces l'idée qu'on s'est aimés, bêtement.
« Je suis désolé, t’étais pas amoureuse de moi. On est sortis ensemble, pas longtemps, rien d’important. Au fond je suis même pas sur de t’avoir aimé moi non plus. » Je sais pas trop pourquoi, mais je suis déçue. Je devrais me réjouir de cette nouvelle, me résoudre que finalement cette histoire n'est qu'une chose anodine à oublier, et qu'alors je pourrais reprendre ma vie, mais je peux pas. J'ai cette photographie entre les doigts, cette preuve évidente d'un bonheur disparu, et je ne peux prétendre pouvoir l'effacer de ma mémoire, comme ça. Je veux pas qu'il me dise qu'il m'a jamais aimé, que je l'ai jamais aimé : il a pas compris l'espoir qu'il a crée en moi en me livrant cette vérité, qu'il m'a offert cette possibilité que je peux finalement aimer, et voilà qu'il me vole encore une fois toutes mes croyances. Je suis peut-être anticonformiste, mais pour une fois, je voulais une histoire à la happy end, qu'il me narre comme on était beaux ensemble, si beaux qu'on faisait des envieux, même si nous étions toujours en train de nous engueuler. Ça comptait, pour moi.
Je voulais que tu me racontes notre histoire, la notre, rien qu'à nous, et voilà que tu entames ce récit comme si ce n'était qu'un bout de ta vie sans importance. Tu commences, je t'entends, et je veux que tu te taises, parce que je peux pas imaginer une seule seconde ce que je t'ai infligé. En fait, j'admets enfin que tu me fais craquer, que t'es mignon même si t'es trop grand, trop lent, trop chiant. Et si tu me plais maintenant, tu devais me plaire avant, alors comment j'aurais pu te quitter pour un autre ? Et je réalise que la fille avant mon coma, c'est qu'une étrangère, après tout. Une petite conne que je déteste. Il me gueule dessus, et je voudrais le frapper pour le faire taire et prouver que je suis plus colérique que lui, mais face à ce putain de Julian, je ne suis que l'ombre de moi-même et deviens une espèce de larve dégueulasse. Tu me fais me détester, espèce de con de Pyle. « J’ai même pas essayé de me battre pour quoi que ce soit, j’ai préféré te mentir et je t’ai regardée droit dans les yeux tous les jours où tu t’es pointée ici en te mentant. J’ai pas souffert une seconde de ton absence parce que j’avais aucune envie que tu te souviennes d’une période aussi minable de ton existence qui a si peu compté pour chacun de nous. J’ai voulu nous oublier en même temps que toi, mais ça a pas fonctionné et j’ai gardé cette putain de photo à deux balles parce que… » Et puis j'agis. Je suis plus impotente, je suis plus transparente, je crois que la tornade Faye s'est réveillée. Alors dès que tu poses tes mains sur mon visage, je les retire et te gifle parce que t'as pas le droit. T'es injuste de me briser pour ensuite me câliner, c'est malsain, et c'est trop dur pour mon cœur qui ne sait comment réagir face à ce cocktail de sentiments. « Parce que t'es qu'un con ! T'es qu'un putain d'emmerdeur sadique qui résout ses fantasmes tordus en détruisant les autres ! » Il me semble que si ma mère était présente, elle aurait frôlé l’infarctus face à mes innombrables insultes, mais je m'en fous. Je me fous de tout parce que de toute façon tout se barre en l'air. Tout se casse la figure, moi la première, et je vois pas de solutions à part en frappant Julian. Mes petits poings ridicules rejoignent son torse comme une évidence, et puis je me rends compte que ça ne sert à rien : ça ne me défoulera pas, ça ne résoudra rien, je serai toujours cette fille paumée sans traces réelles de son passé, et je déteste cette vérité qui s'impose sans que je puisse le décider. Alors je m'en vais, je me casse de cette épicerie, de cet endroit, de cette ville. Je cours, je sais même pas où je me dirige, mais je ne cesse pas pour autant d'avancer. J'le déteste.