Se lever, mettre de la pâte à dentifrice sur sa brosse à dent verte, se les brosser soigneusement pendant presque trois minutes. Comater quelques minutes supplémentaires, râler silencieusement en se rendant compte qu'il n'y a plus que du muesli dégueulasse dans le placard à biscuits, et que pour une énième fois, elle allait se contenter d'un verre de lait car la date de péremption approchait très rapidement. Sa vie était passionnante. Et ça continuait comme ça, on se dandine devant le miroir en enfilant son jean, on traîne un peu parce qu'on a du temps en plus et on se rend compte par la suite qu'il nous en manque. Elizabeth baignait dans une routine parfaite, la routine des vieux retraités qui se sont enlisés dans la morosité, et qui refusent même les rares occasions de se lever de leur rocking chair tant ils sont habitués à leur quotidien réglé comme une pendule. Elle s'était garée à quelques rues de chez elle après une journée à l'hôpital, frottant ses pieds contre le goudron pour rejoindre son immeuble, avant de tomber sur un gosse traînant par-ci par-là, faisant des allers-retours sur le trottoir, un gosse avec ses cheveux blonds en bataille, avec son air perdu, avec ses mains rentrées au plus profond de ses poches, et les épaules légèrement relevées. Un gosse qui lui disait étrangement quelque chose de loin là, comme ça, une silhouette qui lui rappelait quelqu'un, sans vraiment savoir qui. Des adolescents en mal de vivre, elle en voyait tous les jours, elle en côtoyaient tous les jours avant et maintenant, et d'une façon ou d'une autre, elle en était restée une. Une gamine qui est pressée de grandir et de se voir libérée de ses complexes, une gamine qui croit de toutes ses maigres forces que les années sauront la défaire du noir qui l'entoure, une fille qui se veut pleine d'espoir mais qui est quand même freinée par un pessimisme très présent. Elizabeth, c'était un peu ça, toujours, encore, une fille perdue qui a été contrainte de supporter un corps un peu plus adulte, et un quotidien un peu plus responsable, et qui n'était absolument pas prête, finalement. Se rapprochant du jeune homme, elle finit par avoir un déclic : lui, c'était l'adolescent borné avec un sweat coloré, qui clamait haut et fort que les adultes étaient trop curieux, et que c'étaient eux, les satanés obstinés, toujours à chercher des problèmes, toujours à creuser là où il n'y avait rien. Comme si ces foutus adultes étaient obnubilés par les problèmes, qu'ils en avaient tellement eux-même qu'ils se sentaient obligés d'en trouver aux autres, pour partager un peu leur peine et partager leur fardeau pour alléger leur quotidien. Lui, c'était le gamin qui jouait dangereusement avec les nerfs d'Ethan, qui le poussait à bout par son silence de religieux, et qui pourtant avait débité plus de deux formules de politesse avec elle. Les choses étaient censées s'arrêter là, elle aurait dû passer à côté de lui, et glisser dans son hall gentiment, car au fond, ils n'étaient que deux inconnus autrefois réunis par un bout de papier nommé certificat médical.
Malgré la lumière manquante et les teintes bleues qui teintaient son visage pâle, malgré les ombres dansantes alentours, elle vit en passant à ses côtés cette espèce de tâche rougeâtre plantée dans sa face, comme une aura géante entourant son oeil à moitié clos. C'était comme une sorte de maquillage raté, des couleurs un peu trop osées et trop peu maniées, qui viraient en un nuage terne, qui dégoulinait sur les paupières et sous les cils de façon grossière. C'est pas tes affaires ma vieille, faut que t'arrêtes de te mêler de ce qui ne te concerne pas, et éventuellement, te mêler de ce qui te regarder vraiment. Parce que t'es dans la merde jusqu'au cou, comme une conne, que t'es tellement désespérée par ta propre vie que t'essaies de sauver celles des autres, parce que c'est la seule occupation qui arrive à divertir ton esprit pourri par le vice. Sa curiosité (admettons-le, ce n'était pas tant que ça de la générosité et le désir de secourir toutes les pauvres âmes abattues – même s'il y en avait un peu, quand même) voulait être assouvie, mais elle essayait quand même de la faire taire. Car c'était déplacé, car elle allait se faire remballer comme une pauvre chaussette, car c'était sans doute tout ce qu'elle méritait, et qu'elle ferait la même chose si un inconnu se dressait devant elle avec une curiosité trop envahissante. Mais là, il était clair qu'il s'était pris un coup, et un coup plutôt violent. Ça, en plus de son envie de convaincre tout le monde que tout allait bien, cachait sans doute un problème, même s'il s'échinait à nier. C'était peut-être un de ces gosses perdus dès l'âge de treize ans, qui s'embourbent dans des situations impossibles, un gosse violent qui passe sa vie au commissariat, et dont on a marre. Arrowsic avait beau être un village tranquille, l'adolescence restait l'adolescence, cette période boutonneuse durant laquelle on se déchaîne et où l'on fait des choses qu'on regrette parfois par la suite – même si en effet, la débauche était généralement moins présente ici que dans la capitale. Quoiqu'on trouvait quand même de belles perles dans les rues d'Arrowsic ; que les filles ne portaient pas toutes des jupettes roses pâles avec des ballerines de fille bien sages, que toutes les mères n'allaient pas à la messe et que celles qui y allaient n'étaient pas si vertueuses que ça.
Elle se disait que c'était peut-être un adolescent ayant des problèmes familiaux, et là, en effet, cela expliquerait bien des choses : la crainte du parent, le refus de dénoncer celui le pousse à bout par peur d'empirer son quotidien. C'était logique après tout. Serrant les dents, et se sentant faible de tourner les talons, elle finit cependant par céder ; se rapprochant de Mattia, pour lui lancer : « Tu te souviens de moi ? Est-ce que tu veux que je regarde un peu pour ton oeil ? » Sans vraiment attendre une réponse, elle commençait à son ecchymose. Ce n'était peut-être rien, elle s'inventait peut-être – et sans doute d'ailleurs – des histoires trop tragiques, parce qu'elle était baignée dans les drames pourris de la télévision et qu'elle aimait chialer comme une idiote devant les tragédies au cinéma, faisant ainsi du drame des jeunes premiers le drame de toutes les personnes de son entourage. « Tu devrais rentrer chez toi tu sais, mettre de la glace dessus, et ça ira mieux demain normalement. »
Sa raquette en main, Mattia était rentré chez lui avec un grand sourire. Aujourd'hui avait été un merveilleux jour. Adios les ennuis, adios les cauchemars. L'entrainement de tennis s'était magnifiquement bien passé. De revers liftés en coups droits explosifs, Mattia Jarvis n'avait pas démenti sa place de numéro un dans l'équipe. A tel point que ce jour-là, son entraineur lui avait annoncé qu'un de ses amis, à la recherche d'un nouveau poulain, allait passer dans deux semaines voir comment ce petit espoir jouait. C'était le genre de nouvelles qu'on grave à jamais dans sa mémoire, et en n'oubliant pas de mettre une croix sur cette date. Quinze jours.. Ce fut les pensées de Mattia sur le chemin du retour. Le tennisman avait quinze jours pour montrer ce qu'il avait dans le ventre. Il avait déjà deux-trois idées de travail. Il fallait qu'il progresse au niveau de son jeu de jambes; rien de plus simple, il n'avait qu'à aller courir un peu plus souvent. Il fallait aussi qu'il revoit ses smatchs. Au dernier match, il en avait fait un plutôt mauvais. La tête perdue dans ces splendides pensées, Mattia était arrivé chez lui, sans qu'il se rende compte du chemin qu'il avait parcouru à pieds. Et pour une fois, depuis presque un mois, il souriait en passant la porte d'entrée de sa maison. « Te v'là enfin, j'ai deux-trois mots à te dire! » Le sourire éclairant le visage du jeune homme s'effaça aussitôt. Lui, là, il vociférait. Lui, là, il l'avait complètement oublié. « C'est vrai que ta copine est enceinte? » En entendant ces mots, Mattia perdit toute l'excitation qu'il avait eu jusqu'à maintenant. Incapable de répondre, il hocha la tête de gauche à droite, les yeux rivés sur le monstre qui venait de faire son apparition, et s'approchait dangereusement de lui. Lui, incapable de bouger. « Putain, t'fous pas de ma gueule! » Il était là, tout près de lui maintenant. Menaçant. Le regard noir. Le visage ferme. Les yeux injectés. L'haleine empestant l'alcool.
C'était comme ça que tout avait commencé. Ou fini. Que la journée mémorable de Mattia Jarvis devint l'une de ses pires journées.
Dans les rues d'Arrowsic, un jeune homme de dix-sept ans, les cheveux ébouriffés, les mains enfoncées dans ses poches errait. Il arpentait depuis une quinzaine de minutes les rues de son village, balançant au hasard des cailloux qui trainaient sur son chemin, s'asseyant par moment, avant de se relever, incapable de rester en place plus de deux minutes. En cette fin de journée, les rues étaient vides, et ce n'était pas pour lui déplaire. Mattia n'avait guère envie de croiser quelqu'un, dans l'état où il devait être. Pressé de quitter sa maison, il n'avait pas vu son reflet dans le miroir. Mais il devinait qu'il en effrayerait plus d'un. Son visage lui faisait mal. Comme tout son corps d'ailleurs. Il s'était lâché ce salaud ! Il avait voulu lui faire payer la grossesse d'Ella. Comme si une raclée suffisait. Comme si ça changerait tout. Comme si lui foutre des coups allait changer la situation. C'était un idiot, c'est tout! Un idiot que les gens admiraient. Ils le croyaient fort, ils le croyaient avec la main sur le coeur. Parce que le 11 septembre 2001, il était là-bas, à New-York. Parce que ce jour-là, il avait tenté, en mettant sa vie en danger, de sauver des personnes. Il suffisait juste de cet acte pour qu'on le qualifie de héros. Le genre de bonhomme que les gens admirent parce qu'il avait sauvé des vies. Mais il était pompier. Par conséquent, c'était normal tout ça! C'était normal qu'il sauve des vies! Pestant, vociférant, Mattia vit un gros caillou trainer sur le trottoir. Pris d'un élan, il l'envoya valser d'un shoot. Le caillou atterrit sur la portière passagère d'une voiture, quelques mètres plus loin, laissant une marque à l'endroit de l'impact. Qu'importe, il s'en fichait. Il fit encore quelques pas, essayant de penser à autre chose qu'à la douleur qu'il ressentait. A cette douleur qui infiltrait sa peau, le bouffant, le grattant, le tiraillant, le lançait, le faisant souffrir. Il le haïssait. Aujourd'hui encore plus que les autres jours.
Avec un oeil à moitié clos, Mattia ne l'aperçut pas de suite. Il ne l'entendit pas non plus s'approcher. Le son de ses pensées s'étant tellement amplifié dans sa tête que l'extérieur même ne comptait plus. Ce n'est que quand elle fut à un ou deux mètres de lui, qu'il se retourna. « Tu te souviens de moi ? Est-ce que tu veux que je regarde un peu pour ton oeil ? » Fronçant les sourcils -et réveillant la douleur sur son oeil au passage-, Mattia secoua la tête. Non, il n'avait pas envie qu'on regarde son oeil. Ce n'était rien, rien de rien. Et puis, il n'était pas prêt à discuter avec quelqu'un, encore moins avec cette inconnue -pas tant inconnue que ça d'après ce qu'elle disait-. Il l'observa, lui laissant involontairement le temps de contempler l'art du monstre sur son visage. « Tu devrais rentrer chez toi tu sais, mettre de la glace dessus, et ça ira mieux demain normalement. » Elle venait de lui dire ça, comme si elle s'y connaissait. Mais malgré ces bons conseils, elle n'y connaissait rien; Parce ce qu'elle lui demandait, c'était impossible à faire. Justement, j'peux pas rentrer chez moi avait-il envie de lui hurler. Au lieu de quoi, il répondit simplement par un « Oh! C'est rien, vous inquiétez pas. » Il jouait un jeu, se faisant surpris de l'avoir inquiéter. Peut-être pour lui mentir, comme pour lui avouer qu'il n'avait pas mal. Mais son regard toujours rivé sur elle, il l'observa. Sa tête ne lui était pas inconnue. Et puis, enfin, il réussit à mettre un nom sur ce visage. Il lui fit un petit sourire -le regrettant aussitôt juste après. « Ah! Elizabeth Calaan.. » murmura-t-il. Il poursuivit sur sa lancée. « Je comprends mieux maintenant pourquoi vous me parlez.. » Parce qu'elle était comme son mari, incapable de ne pas se mêler de ce qui ne la regardait pas.. Après tout, les chats n'épousaient pas des chiens. Sur ce, Mattia ajouta « Vous ne pouvez pas vous en empêcher. » Il lui fit un petit sourire, histoire de ne pas la vexer non plus. « Mais rassurez-vous, c'est juste une vieille blessure. » Accompagnant cette parole d'un geste, il posa doucement la main sur son oeil, là où -semblait-il- il l'avait frappé. Même ce geste le fatiguait. Même parler, c'était douloureux. Douloureux et fatiguant. Parce que derrière ce sourire douloureux, il était blasé par cette vie de merde.
Sujet: Re: L'ecchymose - Mattia Sam 12 Mai - 15:10
Il n'avait pas changé, toujours à nier, à tenter de trouver une minuscule échappatoire, à essayer de se glisser par les petites failles, avec un joli sourire et quelques formules de politesses qui suaient la banalité – sauf qu'il était tout de suite moins éclatant maintenant, avec la tâche rougeâtre qui recouvrait un bon quart de son visage d'ange s'étalant jusqu'à sa tempe, la paupière bouffie et gonflée ; avec son espèce d'air abattu, ses poches sous les yeux qui se confondaient aisément avec son ecchymose. Malgré l'image de gosse rebelle – qui, on espère, se calmera au fil des années, et arrêtera ses petits caprices pourris, saura contenir sa fierté et ravaler ses petites piques arrogantes, Elizabeth le trouvait touchant, d'une certaine façon. Ce n'était pas quelqu'un de foncièrement mauvais, même s'il pouvait parfois – voire souvent – se montrer terriblement impulsif et incontrôlable. C'était juste un homme, plongé dans ces âges fragiles où l'on semble être un funambule, déambulant sur le fil de la vie, avec à tout moment, le risque d'être renversé, avec à tout moment, le risque de subir une secousse traître qui fait perdre l'équilibre ; de se retrouver dans le vide en train d'agiter ses membres comme un pauvre oiseau désespéré avant de s'écraser violemment. Mattia, c'était ça, le petit funambule débutant, qui ne maîtrise pas encore très bien les choses, qui sent son souffle s'accélérer quand il fait l'erreur de baisser ses yeux, et qui tente de réprimer les tremblements de ses jambes, parce qu'il ne veut pas tomber, parce qu'il veut s'y accrocher mais qui toutefois connaît l'adrénaline du vide. Il est fougueux et persévérant, et frôle souvent les dangers par pure effronterie. Il a l'impétuosité de la jeunesse, l'ignorance aussi peut-être.
« Vous ne pouvez pas vous en empêcher. » Il la voyait comme cette fille qui débitait des tirades ennuyeuses et qui voulait faire la morale à quiconque, juste parce qu'elle portait une blouse blanche où était soigneusement étiqueté son nom. Mais ça la fit sourire, car c'était vrai, en y repensant, elle s'était jetée sur lui, et glissée dans la peau d'un inspecteur du FBI qui essaie de faire un portrait du suspect afin de le comparer à celui du criminel, fouillant ainsi tous les détails de sa vie et posant des questions pleines de sous-entendus, afin d'analyser les réponses et les micro-expressions qu'il pourra déceler. Mais c'était plus fort qu'elle, et de toute façon, elle était comme ça tous les jours, que ça concerne la médecine ou non. Se chamailler jusqu'à l'épuisement total pour une cause qui lui semble juste, enchaîner les explications jusqu'à ce que ça paraisse logique et évident à l'effronté ayant osé lui dire qu'elle avait tort... Elizabeth, elle creusait, elle creusait, et parfois à tort – même si elle avait raison la majorité du temps. Mais toujours avoir raison n'était pas si bien que ça, c'était même plutôt fatiguant, en fait. C'était comme avoir trop conscience et être trop lucide, incapable de se plonger dans la rêverie, car trop rapidement rattrapé par ce côté terre-à-terre omniprésent. Elle se contenta d'acquiescer, car pour tout avouer, elle ne se rappelait plus vraiment de son nom. Dans sa tête, c'était celui qui... celui qui tapait sur les nerfs d'Ethan, celui qui était venu pour un certificat médical et qui avait presque eu droit à un interrogatoire, celui qui ci, celui qui ça. C'était d'ailleurs le cas pour la majorité des personnes passant à l'hôpital, capable de citer les symptômes, les examens effectués, la maladie, sans pour autant être réellement capable de retenir le nom et de l'épeler sans faute. Il tenta de la berner avec une vieille excuse qui ne tenait pas la route, « une vieille blessure » disait-il. Oui, bien sûr. Et il alla même poser sa main sur son oeil, tentant ainsi de lui prouver que ce n'était plus douloureux, que c'était vieux ; mais la grimace qui se lisait sur son visage suggérait le contraire. Après six années de médecine, Elizabeth se sentait apte à reconnaître une blessure dite « vieille » à une blessure plus récente, quand même. « J'ai peut-être pas encore mon diplôme, on ne met pas 'docteur' devant mon nom, mais je connais quand même quelques trucs. Donc tu vas devoir trouver une meilleure excuse, parce que crois-moi, une vieille blessure, ça n'a pas cette couleur là. »
« C'est pas une très grave, tu sais, c'est pas très discret comme blessure, mais dans une semaine, dix jours, ça sera parti. Mais pour ça, il vaut mieux être chez soi, se reposer plutôt que de faire les cent pas sur un petit bout de trottoir. » Il avait peut-être peur d'être réprimandé, peur de s'attirer la foudre de ses parents, dépassés de ses excès et de cette fâcheuse manie que leur fils a de tout régler avec ses poings, quitte à ressortir avec les articulations éraflées, avec l'oeil noirci et la démarche boiteuse. Peut-être qu'il en avait déjà trop fait ce mois-ci, ou cette semaine-ci, et rentrer provoquerait un carnage dans une petite maison de village perdu. A dix-sept ans, malgré le désir d'émancipation grandissant, on reste toujours un enfant aux yeux de ses parents, et surtout, on est, la plupart du temps, intimidé par leurs engueulades. De façon caricaturale, c'était un peu comme une gosse de treize ans qui s'essaie à la fumette, crapote et s'étouffe, et qui finalement traîne des heures dehors pour espérer que l'odeur se dissipe, rajoutant par dessus un parfum immonde couplé à un déodorant écoeurant, ''au cas où''. « J'habite ici, et j'ai de la glace, si tu veux. Je peux te donner un sachet, et... » et tu devrais rentrer après. Elle haussa légèrement des épaules, avant de se diriger vers la porte d'entrée, faisant signe à Mattia de la suivre. « Je sais que ça peut paraître louche, mais non, tu ne risques rien, donc viens. Je n'attire pas de jeunes adolescents chez moi tous les soirs, afin de les séquestrer et de les ouvrir pour étudier l'anatomie humaine pour mes examens. »
Le problème, c'était qu'elle n'avait pas pensé à son apparemment, sa reproduction parfaite d'un salon Ikea avec quelques cartons traînant encore par-ci par-là, remplis d'affaires inutiles. Dévoiler son appartement revenait à dévoiler toutes les failles de leur comédie : l'absence flagrante de personnalité, des affaires pour une plutôt que deux, et surtout, l'absence même de son mari – mais cette dernière chose était facile à démentir.
Sujet: Re: L'ecchymose - Mattia Dim 13 Mai - 11:09
Lui sortir la vieille excuse de la vieille blessure n'était apparemment pas la bonne excuse à sortir. Mais pour lui, c'était la plus logique, la plus facile à déblatérer. Si il faisait passer cette tâche pour une blessure ancienne, il n'y avait pas besoin de glace, ou de médicaments en tout genre. Mais miss Calaan ne fut pas dupe. « J'ai peut-être pas encore mon diplôme, on ne met pas 'docteur' devant mon nom, mais je connais quand même quelques trucs. Donc tu vas devoir trouver une meilleure excuse, parce que crois-moi, une vieille blessure, ça n'a pas cette couleur là. » Bon, ça, c'était dit, c'était fait, et ça n'avait pas passé. Le tennisman souffla légèrement, et regarda ailleurs. Des excuses, il en avait à revendre. Mais parce qu'il était fatigué, que son corps le faisait souffrir, il n'avait même pas la force de débattre sur le sujet. Qu'importe ce qu'elle pense après tout. Ce n'était pas parce qu'il avait un ecchymose sur son visage qu'il y avait aussi écrit dessus le nom de son agresseur. Non. Ce bleu voulait juste dire qu'il s'était battu. Ca pouvait arriver à tout le monde, à tout les gamins. Il suffisait que l'un d'entre eux critique Ella pour qu'il s'énerve. C'était légitime non?
« C'est pas une très grave, tu sais, c'est pas très discret comme blessure, mais dans une semaine, dix jours, ça sera parti. Mais pour ça, il vaut mieux être chez soi, se reposer plutôt que de faire les cent pas sur un petit bout de trottoir. » Décidément, elle voulait vraiment le faire partir de son bout de trottoir. Pas grave. Après tout, si elle désirait tant qu'il s'en aille, il s'en irait. Il suffisait de lui dire qu'il retournait chez lui, et même si -évidemment-, il n'en prendrait pas le chemin, il s'en irait vers un autre bout de trottoir, le parc ou n'importe quel autre endroit. Juste un petit bout d'endroit où il se sentait en sécurité, où il n'avait pas peur à chaque fois qu'il entendait une porte s'ouvrir. « J'habite ici, et j'ai de la glace, si tu veux. Je peux te donner un sachet, et... » Il serait sans doute parti si elle n'avait pas ajouté ça. Non pas qu'il tenait absolument à rentrer chez elle, mais l'idée de mettre de la glace dans moins de cinq minutes sur son oeil meurtri lui plaisait grandement. Ca le soulagerait. Il arrêterait de sentir son oeil gonflé, larmoyant, et sans doute bien bleu. Parce que c'était peut-être l'endroit où il avait le plus mal. En fait, pour bien faire, il devrait carrément prendre un bain de glace. Mais en mettre rien qu'à un endroit lui convenait parfaitement. Le médecin se dirigea vers la porte d'entrée en lui faisant signe de le suivre. Les mains dans les poches, il hésita encore un instant. Rentrer chez elle plutôt que chez lui pourrait lui paraître suspect. Ouais, il ne devrait pas y aller. Mais là, à quelques mètres, il y avait de la glace. Il pourrait soulager son oeil douloureux. Alors, Mattia fit quelques pas en avant, sentant quelques douleurs supplémentaires. « Je sais que ça peut paraître louche, mais non, tu ne risques rien, donc viens. Je n'attire pas de jeunes adolescents chez moi tous les soirs, afin de les séquestrer et de les ouvrir pour étudier l'anatomie humaine pour mes examens. »
A l'entente de ces mots, Mattia se mit à rire d'un léger rire. Les yeux rieurs -du moins un oeil- posés sur la jeune femme, il rouvrit enfin la bouche. « Je ne m'inquiète pas. Je sais encore me défendre. Mais si vous voulez, je peux toujours essayer de capturer des souris et des rats pour vos dissections. Vous risquerez moins gros comme ça.. » fit-il, avec un petit sourire. Les souries et les rats faisaient partis des animaux les plus proches de l'homme -à quelques différences près. Ce n'était pas pour rien qu'on faisait des tests sur eux. Mattia s'engouffra alors dans la porte d'entrée, et la suivit jusqu'à son appartement. A mesure qu'il avançait, Mattia avait envie de reculer. Y aller, ce n'était peut-être pas une si bonne idée. Et si.. Ethan était là? S'il était là, assis sur son canapé, à attendre que sa charmante épouse rentre pour faire son devoir conjugal? Repousser à plus tard leur devoir conjugal, ce n'était pas un soucis, il s'en fichait. Mais l'imaginer là, alors qu'il arrivait tout cabossé, et que cet homme, Ethan, lui avait clairement posé la question « Est-ce que vous vous entendez bien avec votre beau-père? », le mettait mal à l'aise. Ethan n'aurait plus qu'à tracer un trait dont une ligne claire était déjà toute tracée pour mettre le doigt sur le problème.
Il passa la porte d'entrée de l'appartement, et jeta un coup d'oeil dedans. Si jamais il le voyait, il s'en irait. Mais aucun bruit ne sortait de dedans, et il ne vit personne bouger. Il fit quelques pas dedans, et observa le lieu d'habitation d'Elizabeth et d'Ethan. Si on lui aurait dit qu'ils faisaient de la pub pour un magasin de meubles, Mattia les aurait cru. L'appartement était rempli de meubles en tout genre, mais aucun bibelot, aucune photo ne trainaient. C'était surprenant. En général, les couples affichent des photos d'eux ensemble, souriant à pleines dents. Mais là, rien. Il fit un tour sur lui-même avant de demander à Elizabeth. « Votre mari n'est pas là? » Parce qu'il n'avait pas envie de le voir débarquer d'une chambre, ou de n'importe quel endroit. Il ne fit aucun commentaire sur l'état de l'appartement. Rien. Parce que pour le moment, la seule chose -ou plutôt personne- qui l'obnubilait, c'était Ethan.
Sujet: Re: L'ecchymose - Mattia Ven 18 Mai - 19:23
Sur le coup, elle n'y pensa pas, se contentant d'ouvrir la porte, de le laisser passer, patienter gentiment devant l'ascenseur pendant que le bouton rouge clignotait. Et finalement, dans l'attente, elle se fit la remarque à elle-même, trouvant Mattia plutôt docile pour quelqu'un qui se faisait facilement passer pour un adolescent rebelle et effronté. Il aurait pu rechigner, lui dire que ce n'étaient pas ses affaires, qu'elle n'était qu'une sale curieuse incapable de se cantonner aux limites du raisonnable, aimant l'excès jusqu'à l'excès. Mais non, pas de cela avec elle ; il n'était pas l'huître fermée qui crachait avec dédain de temps à autre un peu de son jus, attisant la curiosité de l'autre sans pour autant réussir à l'assouvir. Avec elle, il était presque chaleureux, ou en tout cas, peu froid. Il ne s'offusquait même pas à ses blagues foireuses, et y marchait volontiers. « Tu m'attraperas autant de souris que je te donnerai de glaçons, on sera quitte comme ça. » Didoum.
Et elle lui dévoila son appartement, avec sa teinte ivoire tirant un peu sur le crème, assorti au parquet clair, le couple de couleur étant censé donner une impression de grandeur à l'appartement pas si grand que ça, finalement. C'était vide, c'était morne, et même le canapé semblait y mourir à l'intérieur, avec ses deux pauvres coussins dont la couleur juraient par dessus tout. Chez Elizabeth, c'était le chassé-croisé entre le studio étroit et presque miteux de l'étudiant, dont les 10m² ne permettent pas une véritable répartition des espaces, se retrouvant avec ses chiottes à dix centimètres de son four à micro-ondes dans lequel la quasi-totalité de ses plats y passent, et avec une merveilleuse moquette constituée de ses manuels, à défaut d'avoir la place de mettre un meuble ; et l'appartement des jeunes couples, pas très sûrs de leurs choix et émerveillés par les moindres pages décoration des magazines, qui ne savent s'ils vont plutôt opter pour un intérieur légèrement rustique qui a ce côté si doux de rappeler les étés de jeunesse à la maison de campagne de papi et mamie, ou plutôt le salon présenté à la page suivante, qui, lui est très moderne, avec son jeu de couleur noir et blanc et la forme géométrique de ses meubles – quoiqu'il faut avouer qu'en ce moment, le mélange beige/par-terre boisé/accessoires violines fait particulièrement fureur. Son chez-elle actuel dégageait cette fausse chaleur tant il était impersonnel – bien que ses nombreux classeurs et ses bouquins faisaient office de bibelots et de vases de porcelaine. Ses murs étaient immaculés, pas de photos joyeuses où chacun affiche un sourire parfait, plantés dans un décor tout aussi parfait sous un soleil au parfait dérangeant ; pas de tableaux envoûtants dont la vue contraste fortement avec celle qu'offre la fenêtre, éveillant alors lors des soirées tamisées des désirs d'ailleurs et des envies de voyages, des rêves de Seychelles et de sable brûlant, des paréos colorés, des noix de coco et des palmiers.
« Votre mari n'est pas là? » Elle releva la tête, alors qu'elle remplissait soigneusement son petit sac plastique. Les lèvres pincées, réalisant enfin qu'elle n'était qu'une pauvre idiote. Elle essayait de berner tout le monde, tout son entourage et même ceux n'en faisant pas partie, essayait de les convaincre et de les persuader qu'elle était bel et bien l'épouse du psychiatre travaillant à l'étage supérieur ; et en parallèle, elle invitait un patient d'Ethan chez elle ; ce qui revenait presque à agiter une pancarte sous son nez indiquant que leur quotidien à Arrowsic n'était qu'un doux mensonge. « Non, non, il est pas là... Tu veux quelque chose à boire, sinon ? J'ai pas grand chose, à part de l'eau, du lait et... du jus d'orange. » A vrai dire, elle s'en moquait un peu, elle n'était pas là pour sympathiser avec lui, ni lui servir des petits gâteaux apéritifs – quoique à cette heure, il était plutôt question de digestifs. C'était juste pour ne pas s'étendre sur le sujet, le faire taire à l'aide de jus de fruit et d'eau minérale ; et dans ces situations là, Elizabeth parle, parle, et parle. Et elle ferma le zip du sachet, replia la moitié vide sur l'autre, et prit quelques sopalins avant de tendre le tout à Mattia. Elle le découvrit en plein milieu du salon avec un espèce d'air ébahi sur le visage, celui qui est perturbé car il s'attendait à autre chose – une présence masculine, sans doute. Il semblait regarder un peu partout, observer et surtout trouver qu'il y avait des failles grosses comme le monde. Il avait ses petits coups d’œil furtifs, une fois à gauche, puis à droite, en direction du couloir non éclairé pour vérifier qu'aucune ombre n'en jaillirait. Mais non, la triste vérité était qu'ils étaient seuls ici, et que le doute allait pouvoir se glisser en Mattia. Elizabeth se contenta d'afficher un sourire gêné, qui se voulait quand même convainquant – il lui fallait trouver une excuse pour justifier l'absence de tout mari, l'absence même d'objets pouvant prouver qu'ils étaient effectivement deux à vivre dans ces pièces. Car en effet, l'absence d'Ethan n'était pas très difficile à expliquer ; les médecins avaient eux aussi une vie sociale, ils leur arrivaient de sortir, mais le principal problème était que son appartement n'avait rien d'un appartement qui abritait deux personnes.
« Comment tu t'es fait ça ? » souffla-t-elle, comme par habitude ; je ne peux plus bouger mon poignet, comment tu t'es fait ça ; je suffoque et ça me démange, est-ce que tu as mangé quelque chose qu'il ne fallait pas. Une sorte de déformation professionnelle, qui n'en était pas réellement une finalement, car d'une façon ou d'une autre, ils étaient dans un contexte médecin-patient, ou plutôt apte à soulager ta douleur avec de la glace-blessé à l’œil gonflé.
Sujet: Re: L'ecchymose - Mattia Dim 20 Mai - 12:46
Avant de rentrer dans l'appartement, Elizabeth lui dit alors. « Tu m'attraperas autant de souris que je te donnerai de glaçons, on sera quitte comme ça. » Pas de soucis, il pourrait le faire. A l'entendre lui dire ça, Mattia se mit à sourire. Il le regretta presqu'aussitôt. Les traits de son visage se déformant sous l'effet de son sourire le faisaient souffrir; particulièrement sur son oeil cabossé.
Il la suivit donc tranquillement dans son appartement, jetant des regards autour de lui, et finalement, lui demandant si son mari était là. De là où elle était -la cuisine-, la jeune femme lui répondit « Non, non, il est pas là... » Tant mieux. Si il était là, il aurait pris direct ses jambes à son cou pour se sauver. Il n'eut pas le temps de demander autre chose qu'elle ajouta « Tu veux quelque chose à boire, sinon ? J'ai pas grand chose, à part de l'eau, du lait et... du jus d'orange. » Il secoua la tête. Il ne désirait rien boire; il était sûr que son estomac ne le supporterait pas. A peine en aurait-il bu une gorgée que la boisson serait recrachée. Son ventre était noué. Son corps était meurtri. Et franchement, la seule chose dont il rêvait, c'était de la glace. Alors, il l'attendait, sa poche de glace, ses yeux scrutant l'appartement du jeune couple. Il était surprit de le voir si impersonnel. A l'image du bureau d'Ethan où rien ne trainait, l'appartement était identique. Ce qui choquait le plus Mattia, c'était l'absence de photos du jeune couple. Pas une photo de tout les deux sur la plage. Pas une photo de tout les deux en mariés. Pas une photo de tout les deux à un repas. Rien. Juste des bouquins qui trainaient par-ci, par-là et qui égayaient par leurs couleurs l'appartement beige au parquet brun.
La doctoresse revint alors, un sachet de glace entre les mains. Elle le tendit, avec du sopalin à Mattia. Il lui fit un léger sourire, avant d'attraper le tout, tout en lâchant un « Merci » Posant sa poche sur son oeil, Mattia se sentit soulagé. Bon sang ce que ça faisait du bien ! La fraicheur qu'elle dégageait calmait la douleur. Mattia, tenant de sa main gauche la poche, et de sa main droite l'essuie-tout sous son menton pour éviter de salir, en prime, l'appartement de la jeune femme, l'entendit alors lui souffler. « Comment tu t'es fait ça ? ». L'habitude sans doute. Elle remettait ça sur le tapis. Et cette fois, l'excuse bidon d'une ancienne blessure ne marchait pas. Il ne serait pas aussi heureux d'avoir de la glace. De son seul oeil ouvert, il posa son regard sur elle, prenant bien le temps de répondre à sa question; il n'avait point envie de passer du temps à répondre à d'autres questions. « C'est rien; je me suis juste battu. » Jusque-là, au moins, il ne mentait pas. Il fallait dire que Mattia était le genre de gamin incapable de mentir très longtemps. Le mensonge se lisait sur son visage; chaque fois, c'était la même chose. Quand il mentait une première fois, ça passait. Mais quand on insistait, encore et encore, on finissait toujours par lui dire tu mens!. Il se croyait un peu Pinocchio; malgré que son nez à lui ne grandissait pas. Pour dédramatiser la situation, Mattia se permit d'ajouter, feignant un petit sourire. « J'ai cru que je serai le plus fort, mais j'me suis bien trompé.» Dans un sens, ce n'était pas un mensonge. Il espérait un jour pouvoir l'envoyer valser; ce n'était pas pour rien que de temps en temps, il faisait quelques cours de boxe. Mais il faut bien l'avouer, malgré sa carrure de jeune tennisman, musclé pour ses dix-sept ans, il était loin d'avoir la stature du monstre, pompier depuis son plus jeune âge, et encore bien sportif à l'heure actuelle. Et puis, plus il pensait, plus cette excuse lui paraissait plausible. Son caractère impulsif n'était un secret pour personne -peut-être était-ce même la raison pour laquelle personne n'avait encore soupçonné tout ça-. Il ne comptait plus le nombre d'heure de retenue qu'il avait reçu pour cause de bagarres, et à cause de ça, il avait dû louper environ cinq matchs; et dans sa jeune carrière, rater cinq matchs de tennis pour cause d'indiscipline, c'était déjà beaucoup. Alors, dire ça, c'était possible. Mattia aurait pu se battre avec un de ses « amis », quelqu'un qui l'aurait bien énervé, à tel point que ses poings auraient commencé à s'abattre sur lui.
Voulant à tout prix changer de sujet, Mattia reposa son regard -ou plutôt son seul oeil- sur l'appartement. Tenant toujours sa poche de glace sur son oeil, il sentait de moins en moins la douleur. Le froid anesthésiait son oeil, pour son plus grand bonheur. « Vous êtes mariés avec le psy? » Se rendant compte que 'le psy' était quelque peu négatif pour l'image de son mari, il reprit « Je veux dire, vous êtes mariés avec Ethan? » ils l'étaient forcément; ils avaient le même nom de famille, Calaan, pas tant répandu que ça. Avec un petit sourire, il ajouta « Vous pourriez afficher une photo de vous deux, le jour de votre mariage, dans votre appartement. Parce que là, on a l'impression que vous ne vivez pas ensemble.. » Il s'arrêta net, jetant son oeil sur Elizabeth. C'était peut-être ça le problème justement. Peut-être qu'ils n'étaient plus vraiment ensemble. Peut-être qu'ils étaient en train de divorcer..
Si il paraissait curieux, malpoli, il s'en fichait. Au moins, tant qu'il demandait ça, elle éviterait de lui parler de sa blessure. Et c'était ce qu'il recherchait. Qu'importe si Elizabeth n'aimait pas l'entendre poser ce genre de questions indiscrètes; elle n'avait qu'à le fichtre dehors -avec sa poche de glaces-. Parce que lui, la seule chose qui l'incombait, c'était qu'on cesse de lui poser des questions. Tant qu'ils parlaient d'Elizabeth et d'Ethan, il était tranquille.
Sujet: Re: L'ecchymose - Mattia Sam 26 Mai - 21:36
Elle se contenta de sourire, relevant légèrement les sourcils, prête à dire qu'en effet, il s'était bien trompé. Mais en soi, ce n'était pas si méchant que ça, un poing mal placé et le voilà accompagné d'une tâche noirâtre ; ses membres restaient toujours fonctionnels, pas de véritable blessure qui allaient le handicaper à vie, c'était les inconsciences de l'âge – quoique l'âge n'avait pas tant que ça à faire, et que l'impulsivité était toujours là, à 17 ans comme à 28 ans. Et même elle se surprenait parfois à rêver de combats acharnés, sa nature peureuse et son orgueil qui refuse tout échec la freinant néanmoins – pour son plus grand bien, car si elle osait de lancer dans des corps à corps, elle finirait avec bien plus qu'un œil amoché au vue de ses capacités physiques minables, de son endurance inexistante, et de ses petites manies de fille fragile qui pleurniche dès que son index saigne un peu.
Mattia et elle jouait tous les deux au même jeu finalement ; il refusait de parler de sa blessure et pour cela, il préférait lui parler de son sujet favori à elle, le fameux couple qu'elle était censée former avec Ethan. Le couple fragile de médecin et médecin-en-devenir, avec leurs cheveux qui faisaient ensemble un camaïeu de couleur, il y avait beaucoup de choses à dire, plein d'explications plus ou moins rationnelles, ou plus ou moins imaginées à fournir, mais elle n'avait aucunement envie de déblatérer de sa vie personnelle, alimentant ainsi la curiosité du jeune homme, qui n'attendait sans doute qu'une chose, un ragot croustillant à se mettre sous la dent, et à balancer au psychiatre froid lors de la prochaine séance. Lui clore son bec, lui et ses belles théories utopiques, ses morales qui sonnent comme des fables de la Fontaine ; lui renvoyer le boomerang violemment dans la gueule et lui faire comprendre sans ménagement que des deux, il était celui qui avait le plus besoin de consulter. Et puis peut-être que Mattia prendrait plaisir à se placer dans le rôle du médecin, prendre un petit air de suffisance, croiser ses jambes et remuer ses doigts pour simuler une quelconque réflexion, et derrière son masque de faux-psychiatre-faussement-intéressé, il jubilerait littéralement de ce renversement de situation splendide. Mais la vérité, c'était qu'il serait écoeuré d'apprendre une telle ignominie, tellement dégoûté qu'il ne penserait pas à s'amuser du pauvre malheureux qui tentait de le faire parler, ne serait-ce qu'un peu. Il déguerpirait bien rapidement pour ne pas choper cette infection, pour ne pas se retrouver à ressentir des choses répugnantes envers un proche parent.
Elle tiqua à sa question, non pas à cause de l'appellation, mais à cause de l'interrogation en elle-même. Paranoïaque, et pensant que tout le monde les soupçonnait d'être plus étroitement lié l'un à l'autre. Elle serait sans doute capable, maladroite et affolée comme elle pouvait l'être dans certaines situations, de tendre le bâton pour se faire battre alors qu'elle tentait de construire une armure pour se protéger des pierres catapultées. Elle fronça les sourcils, ne voyant pas réellement où voulait en venir Mattia, et surtout, parce qu'elle ne s'imaginait pas à répondre à une telle question. Alors il continua, lui faisant remarquer que ses murs étaient atrocement blancs, et qu'il aurait sans doute aimé voir une photo d'eux dégoulinant d'amour. « C'est pas trop notre truc, les belles photos dans des parcs pourris, avec toute la famille qui s'extasie autour du photographe, qui lui te demande de faire des poses ridicules, qu'il a pompé sur l'album photo de ses propres parents, mariés il y a cinquante ans. Les beaux décors verts avec des oiseaux qui chantent derrière, Ethan en costard blanc et chaussures cirées, moi qui me bouffe complètement le voile... » Elle s'en moquait, mais finalement, elle crevait de ne pas pouvoir se tenir devant un arbre fleuri dans une robe de princesse et une surcharge de perles qui l'étouffait, avec une coiffure tellement sophistiquée qu'elle ressemblait aux chiffons usés de cuisine, Ethan dans son dos et l'enlaçant amoureusement, serrant ses petites mains entre les siennes, en faisant attention à bien exposer l'anneau fraîchement passé au doigt, et les posant sur son ventre, comme le signe d'un futur heureux, où un éventuel bébé viendrait compléter cette famille si merveilleuse. Et il aurait été beau avec son air désinvolte si bien imprimé sur ses traits, et il l'aurait embrassée, et le photographe aurait immortalisé ce moment sur papier glacé. Ce n'était pas tant le jour du mariage qui la meurtrissait finalement, ce n'était pas le désir d'une pièce montée qui n'en finissait pas avec quelques figurines disposées au sommet, ce n'était pas l'ivresse du champagne dans sa robe de sainte. C'était l'idée en elle-même. Elle aurait accepté les mariages grotesques, réalisé les vœux les plus fous de leur famille, porté une robe hideuse trop courte devant, et traînant trop à l'arrière, elle aurait supporté les talons imposant une courbure qui n'était la sienne pour tenter d'effacer l'écart qu'elle pouvait avoir avec Ethan. Elle aurait fait n'importe quoi, pour avoir au moins le choix. Elle aurait aimé pouvoir se tenir dans une robe blanche sans avoir l'impression de crier au blasphème, sans avoir l'impression que sa personne coulait et salissait la clarté du tissu.
Elle finit par se laisser tomber sur le canapé, levant ses bras comme elle essayait d'agripper le plafond, avant de reposer son regard sur Mattia. Sans vraiment attendre une réponse, sans vraiment prendre ses questions au sérieux, et désirant uniquement changer de sujet, elle lui lança : « J'espère que la bagarre en valait le coup. C'était pour quoi, ta fierté, de l'argent, une fille ? »
Sujet: Re: L'ecchymose - Mattia Mar 29 Mai - 10:02
Les gamines rêvaient depuis leurs plus tendres enfances de se marier, enveloppées dans une belle robe blanche à froufoux, cachées derrière un voile satiné, et prêtes à se lover dans les bras forts et musclés de leurs maris. Elles imaginaient tout depuis leurs plus jeunes âges. Elles s'imaginaient souriantes, le regard rivé sur le photographe, et s'habituaient à jouer les mini-stars devant les flash. Elles avaient déjà fait la liste des invités, avaient déjà prévu le repas qu'elles offriraient aux personnes présentes, et c'était limite si le lieu et la date n'étaient pas encore réservés; tout comme le groupe de musique qu'elles désiraient. Ce jour-là était censé être le plus beau de leur vie, et franchement, avec en moyenne trente ans de leurs vies passés à cette organisation, ce serait rageant qu'un détail gâche la fête.. Les garçons, eux, ne sont pas du tout comme ça. Ils sont loin de rêver de devenir la star d'un jour; eux, ils rêvent de devenir des héros. Des super-héros! Ils se voient voler au-dessus de Manhattan pour sauver une magnifique fille des flammes. Ou ils se voient, cachés derrière un bunker, prêts à se lancer à l'attaque de leurs ennemis. Pour eux, le mariage, ce n'est qu'une option. Mattia ne faisait pas exception. S'il avait cessé de rêver d'être le héros de la prochaine guerre, il rêvait lui aussi de gloire et de fortune. A sa façon. Peut-être n'atteindra-t-il jamais le top 20; le top des meilleurs joueurs de tennis, mais il se rêvait à passer la barre des 100. Il se voyait acclamé par la foule durant les plus grands tournois. Sentir la foule derrière lui. Se laisser pousser des ailes pour y croire. C'était ça, son rêve à lui..
Elizabeth Calaan, elle, n'avait pas non plus le même rêve que toutes les petites filles. Son appartement le reflétait. Si le mariage avait été son plus grand rêve, se marier avec Ethan aurait été son plus beau jour, et elle ne serait pas gênée pour l'afficher sur les quatre murs de toutes les pièces de leur appartement. Au lieu de ça, il n'y avait rien. Juste des murs immaculés de blanc. Trop impersonnel. Ca faisait limite peur. Et lorsqu'il lui annonça qu'une photo d'eux sur les murs ne serait pas de trop; elle répondit rapidement. « C'est pas trop notre truc, les belles photos dans des parcs pourris, avec toute la famille qui s'extasie autour du photographe, qui lui te demande de faire des poses ridicules, qu'il a pompé sur l'album photo de ses propres parents, mariés il y a cinquante ans. Les beaux décors verts avec des oiseaux qui chantent derrière, Ethan en costard blanc et chaussures cirées, moi qui me bouffe complètement le voile... » A croire que son mariage n'avait été qu'un affreux jour, où elle avait du se pavaner devant une foule de personnes dans une tenue qu'elle détestait. Jetant son seul oeil sur elle, et tenant toujours la glace sur l'autre, Mattia haussa les épaules. Il ne savait pas quoi répondre à cela. Il l'observa se lover sur son canapé, levant ses bras, et reposant ensuite son regard sur lui. « J'espère que la bagarre en valait le coup. C'était pour quoi, ta fierté, de l'argent, une fille ? » Et bam. Retour à la bagarre. Mattia grimaça. Il ôta un instant le sachet de glace de son oeil, et de son index libre, il se tapota doucement son creux orbitaire. La douleur était toujours présente, et avec une légère grimace, il reposa la glace dessus. Il se retourna de nouveau vers la future médecin ou médecin -il n'en savait rien-, et répondit alors. « Ouais » Ouais, ça en valait le coup. Pas vraiment en fait; à dire vrai, pas du tout même. Mais évidemment, ça lui écorcherait la gueule de le dire. Mais pour éviter qu'elle ne pose sans cesse des questions -comme elle semblait tant vouloir le faire-, Mattia ajouta alors. « C'est pour une fille. » Ca, au moins, c'était vrai. S'il s'était pris cette raclée, c'était bien à cause d'une fille, à cause d'Ella et de son utérus gravide. Il souffla un petit coup, et commença à marcher, doucement, autour du salon. Il arpentait la pièce, comme une chouette tourne autour de sa proie.
Ce déplacement dans un appartement inconnu pouvait paraître malplacé. Comme si il voulait à tout prix découvrir quelque chose; alors que ce geste, cette façon de bouger, c'était juste sa façon à lui de ne pas se sentir oppressé, pris au piège. Parce qu'elle le voulait ou non, en posant toutes ces questions, elle le mettait mal à l'aise. Il avait l'impression que dès qu'elle ouvrait la parole, un de ses vêtements protecteurs étaient enlevés; en quelques questions, il se sentait mis à nu.
Reposant son regard sur les murs vides de l'appartement, Mattia ne tarda pas à rouvrir la bouche. Cette fois, se tournant vers Elizabeth, il demanda « Ca s'est mal passé votre mariage, c'est ça? Vos parents ne voulaient pas que vous marriez ensemble? Ou alors, je sais! Vous vous êtes mariés à Vegas, bourrés ou drogués, et vous avez honte. »Et bam. Lui aussi, il revenait au mariage. Un petit sourire sur le coin de ses lèvres, il essayait de changer la situation. Parce que malgré tout, il avait l'impression qu'elle aussi, elle faisait tout pour cacher quelque chose. Peut-être que c'était ça. Peut-être qu'ils s'étaient mariés bourrés à Vegas, et qu'ils en avaient honte. Peut-être qu'Ethan avait lâché en riant « on n'a qu'à se marier! »; et Elizabeth, blottie dans ses bras, aurait répliqué un « chiche! », qu'Ethan se serait offusqué « mais évidemment que je suis chiche! », et que ni une, ni deux, les deux alcooliques d'un soir s'était frayés un chemin difficilement vers une chapelle. Cette situation pouvait au moins faire rire Mattia. Bien plus que la vérité, qui, au contraire, le ferait flipper. Mais il était loin de se douter pourquoi elle-même s'efforçait de se taire. Et vous savez, parfois, ne pas savoir, c'est beaucoup mieux que de découvrir toute la vérité.
Sujet: Re: L'ecchymose - Mattia Jeu 7 Juin - 20:31
« C'est pour une fille. » Chacun sa façon de faire, lui préférait peut-être des réponses concises, censées dissuader l'interlocuteur de toutes autres tentatives de bavardage tant elles pouvaient parfois paraître froide. Elizabeth, elle, se sentait obligée de se lancer dans de longs discours mensongers, élancées qui se voulaient lyriques et qui tendaient plutôt vers le pathétique, faisant même un détour chez le ridicule. Elle ressentait le besoin de multiplier des détails, étoffer son imposture pour qu'elle ait l'air un minimum crédible, pour lui prouver – bien qu'il n'était qu'un adolescent pioché au hasard et qu'elle n'avait pas à se justifier de quoique ce soit auprès de lui – que ce qu'elle avançait était vrai. Prête à enchaîner sur une nouvelle question, elle s'arrêta cependant net lorsqu'elle vit le jeune homme dégourdir ses jambes autour d'elle, déambulant comme s'il était chez lui entre les meubles, mais surtout comme un de ces enquêteurs charismatiques de ces fameuses émissions policières du jeudi soir, tentant de trouver un petit indice niché dans un coin, ou faisant les cent pas, le menton légèrement relevé, à la recherche d'un scénario possible. Et généralement, ils ne prennent pas longtemps à tomber nez à nez avec l'Indice, ce petit poil entre deux meubles, invisible à l’œil nu mais qu'il voit quand même. L'Indice qui provoque une illumination, celui qui rend le puzzle cohérent, permet de coincer le suspect en deux temps trois mouvements. Et pourtant, elle n'avait rien à cacher, pas de cadavres de beaux blonds sanglants dans les toilettes, pas de foies de malheureuses victimes congelés à côté des petits pois en sachet et des pavés de rumsteck. C'était pourtant cette absence qui perturbait Mattia, qui semblait chercher n'importe où la vision de son unique pouvait lui permettre d'accéder.
Sans étonnement, il reprit ce petit jeu insolent, et c'est agacée qu'elle écoutait ses questions défiler les unes après les autres. Non, ça ne s'est pas mal passé, ça ne s'est jamais passé. L'évocation des parents lui arracha un sourire, un de ces sourires nerveux qui glissent sur la bouche alors qu'on n'en veut pas, cette palpitation au rythme du cœur qui se fait sentir sur le bout des lèvres ; l'impression d'avoir un bout de muscle qui a décidé de danser la salsa tout seul. Ils n'en savaient rien, et dieu merci, car elle n'osait pas imaginer le carnage que cela créerait. Leurs parents... Rien que cette idée la fit frissonner, tant elle lui parut lugubre. Elle n'avait pas envie de s'imaginer leur réaction, et ne pouvait même pas de toute façon tant elle dépasserait les limites humainement possibles. Pas de mot permettant une description pareille, même ''dégoût'' ou ''déception'' ou ''j'ai envie d'étouffer mes propres gosses avec leur cordon ombilical'' ne seraient pas assez expressifs, ne seraient pas à la hauteur de leur ressentiment. Avouer à ses propres parents qu'on se damnerait volontiers pour quelques caresses incestueuses, avouer qu'on crève d'envie pour la seule personne qui nous est interdite, qu'on l'aime de l'amour le plus déchaîné possible alors que ce dernier ne devrait qu'être platonique. S'écraser tous les deux n'est plus suffisant, il fallait entraîner dans sa chute inexorable, et le père, et la mère, et les ancêtres, et toute la famille. Et peut-être que ainsi, cette tare génétique serait éradiquée. Peut-être qu'ils épargneront leur descendance d'une telle saleté. Vous savez, comme des espèces qui commencent à disparaître, car moins résistantes, moins aptes à se reproduire, et qui finissent par faire partie du passé finalement. Elle resta interdite, notamment lorsqu'il s'écria « Ou alors, je sais! », craignant qu'il lui balance mine de rien une remarque censée être humoristique tant elle était impossible, et se rendre compte finalement qu'il frôlait dangereusement la vérité. Mais rien de ça, il était loin de s'imaginer ne serait-ce qu'un dixième de sa réalité, et son hypothèse parût presque adorable. Bourré de naïveté ; mais une naïveté qui faisait plaisir à voir à ce moment précis. « Non, non, pas de week end de débauche à Las Vegas, mais c'est bien essayé. »
Alors cette bagarre, c'était pour les grands et beaux yeux d'une fille ? A vrai dire, rien d'intéressant. C'était un adolescent de dix-sept ans, qui était peut-être un peu plus impulsif que la moyenne, qui avait des poings qui pouvaient lui servir, bon voilà. Elle n'avait nullement envie d'entendre un long monologue sur le comment du pourquoi, et de toute façon, Mattia ne semblait vraiment être de ceux qui se lançaient dans de longs discours alors que son interlocuteur ne lui avait posé qu'une question. Pas du genre à donner une conférence sur le temps et l'existence alors qu'un inconnu vient tout juste de lui demander l'heure au détour d'une rue. Il était d'ailleurs le contraire, une petite huître vicieuse qui ne se laisse pas ouvrir et qui grimace lorsqu'on lui asperge du citron dans la gueule. « C'est pour une fille, hein ? Ta copine ? C'était quoi, une bagarre à l'issue de laquelle le vainqueur remporte le cœur de la princesse ? » Elle n'était pas son psychiatre, pas celle qui essayait de mettre des mots sur l'impensable, sur l'inavouable, alors elle pouvait se permettre l'humour ridicule qui ne faisait rire personne. « Non, ça marche plus comme ça les histoires d'amour ? »
Sujet: Re: L'ecchymose - Mattia Jeu 14 Juin - 23:04
Chacun continuait leur petit jeu inlassablement. Préoccupé par ce que pourrait devenir son avenir si tout ça se savait, le presque adulte niait l'évidence, préférant déblatérer un mensonge aussi gros que lui plutôt que de crier la vérité sur tout les toits. Et le pire dans tout ça, c'est qu'en face de lui, il avait la même personne. Essayant de cacher sa véritable relation avec le psychiatre, elle jouait le même jeu ridicule. Avec beaucoup plus de paroles, ceci dit. Elle, au moins, elle tentait de jouer la carte du romantisme, pendant que lui s'amusait à jouer la carte de l'adolescent amoureux ayant perdu son amour.
Et dans un grand élan, il ouvrit la bouche pour dire haut et fort l'hypothèse la plus probable. Une virée à Vegas qui aurait mal tourné. De l'alcool. De la drogue. Une chapelle. Un prêtre. Et deux « oui ». Pour l'amour éternel. Ah, la blague en soit! Cette pensée fit sourire Mattia; et il le regretta presqu'aussitôt. Le bleu qui enflait sous son oeil lui rappela que sourire n'était pas la meilleure expression à montrer à ce moment-là. Et ce fut sous un « Non, non, pas de week end de débauche à Las Vegas, mais c'est bien essayé. » que le jeune homme lâcha l'affaire, haussant les épaules. Oui, c'était plutôt bien essayé, mais ce n'était pas ça...
Il détourna le regard de la jeune fille, continuant de marcher, doucement, essayant de comprendre pourquoi donc, aucune photo du couple n'était exposée dans leur nid d'amour. Et au final, peut-être que c'était simplement parce qu'ils n'avaient aucune envie de s'exposer ainsi. Tout simplement.
« C'est pour une fille, hein ? Ta copine ? C'était quoi, une bagarre à l'issue de laquelle le vainqueur remporte le cœur de la princesse ? » Elle ne lâchait donc jamais l'affaire? Se retournant vers elle, Mattia la regarda, incapable de savoir si elle essayait d'en savoir plus ou si c'était seulement pour combler le vide. Parler, juste pour ouvrir la bouche. Ou parler, juste pour comprendre. « Non, ça marche plus comme ça les histoires d'amour ? » Bien sûr que non. Les yeux relevés vers elle, tenant toujours son sachet de glace contre son oeil, Mattia se demanda si elle avait connu un autre amour que son psy. Peut-être était-ce le premier et le dernier. Ca expliquerait au moins, pourquoi, elle s'amuse de cette façon à dire ces mots sur une chose aussi importante qu'était l'amour. Il alla se rasseoir sur le canapé, là où il s'était mis quelques temps auparavant. « Non. Et c'est pas aussi mignon que ça cette histoire. » lâcha-t-il. Après tout, il n'avait pas tord; son histoire avec Ella avait bien commencé. Finissant très mal. Plus que mal même. Il ne voyait même pas comment ça pouvait être pire. A 17 ans, avec un bébé dans le ventre. Un bébé qui en sortirait un jour, en hurlant, et en bousculant leur vie comme jamais. Un bébé qui les catapultait bien trop rapidement dans le monde des adultes. Avalant sa salive, Mattia fit une grimace avant de rajouter quelques mots. « Juste que je n'ai pas apprécié que quelqu'un se moque d'elle » Ca, c'était faux. Un vrai mensonge.
Mais dans l'ensemble, il ne mentait pas. Il s'était bien battu pour une fille. L'idée était la même; le fond de l'idée était bien différent. Qu'importe. Il fallait juste lui dire ce qu'elle voulait entendre. Ou du moins, ce qu'elle espérait entendre. Il lui boucherait les oreilles pour ne pas qu'elle découvre la vérité. Regardant la jeune femme, il lui fit un petit sourire, et demanda alors « Vous m'demandez ça pourquoi? Le psy vous a demandé en mariage après avoir combattu un autre homme sur son cheval blanc? C'était comme ça à votre époque?» Magnifique. Cette femme devait encore croire au père Noël dans ce cas. Mais quitte à rentrer dans son jeu, au moins pouvait-il jouer son propre rôle. Amusé par ses propos, et ceux de la future doctoresse, il ajouta alors un « vous avez de sacrés coutumes... » avant de demander « vous avez des origines mormones? »
Ceci expliquerait cela. Si elle avait des origines mormones, peut-être faisaient-ils des combats de coq à l'issue de laquelle, le gagnant épouserait la jeune femme promise. En réalité, Mattia se doutait bien que malgré leur décalage avec la vie réelle, jamais ils ne feraient une chose ainsi. Mais s'amuser de la sorte, rire de tout ce qu'elle venait de dire, commencer à raconter des conneries, c'était un peu comme s'éloigner de la vérité. Oublier de révéler quelque chose de grave. Tout en ayant une bonne excuse pour oublier.
Un léger sourire sur son visage s'étira, et Mattia enleva alors son sachet de glace de sur son oeil. Posant ses yeux sur la jeune femme, il lui demanda alors, quelque peu inquiet « ca va comme ça? C'est un peu dégonflé? » Parce qu'il tenait quand même bien à son oeil; il n'était pas prêt à le perdre. Vous avez déjà vu un joueur de tennis borgne, vous? Lui non. Déjà qu'il se doutait bien que les prochains jours de tennis allaient être horriblement horribles...
Sujet: Re: L'ecchymose - Mattia Ven 22 Juin - 23:07
Et il continuait, à parcourir le salon en jetant de temps en temps un coup d’œil vers elle, comme la pauvre victime qui se retrouvait esseulée et dépouillée au milieu de son appartement, tellement traumatisée qu'elle n'était plus capable de tenir sur ses deux jambes, ses muscles ne lui permettant que de s'affaler comme un tas sur son canapé, pleurant soigneusement entre ses mains, priant silencieusement qu'on découvre enfin ce sale traître ayant ruiné son existence. Mais il fallait croire que le charismatique inspecteur ramait dans cet épisode, et que malgré les tours qu'il faisait dans cette pièce, rien ne lui venait. Elizabeth suivait précisément ses déplacements, détaillant sa silhouette en même temps qu'elle essayait d'afficher bonne figure. « Non. Et c'est pas aussi mignon que ça cette histoire. » Vraiment ? Qu'est-ce qu'il pouvait savoir de ça, lui avec ses dix sept années à peine ? Parce qu'elle était intimement persuadée qu'elle trouverait son histoire mignonne, particulièrement charmante s'il daignait lui raconter quelques anecdotes, elle-même bouffie par l'égoïsme, se pensant presque la plus malheureuse du monde et enviant secrètement ces amourettes d'enfants. « Ah oui ? Qu'est-ce qui s'est passé ? » l'interrogea-t-elle, curieuse de voir ce que ce garçon trouvait mignon et ce qu'il supportait moins, voir s'il était un de ces gamins pourris gâtés jusqu'à la moelle qui voient leur monde s'effondrer au moindre petit incident. Elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire en entendant sa réponse – alors c'était ça, la bonne raison ? Quelques paroles maladroites venant d'un pauvre minable avaient suffit à écorcher sa fierté au point de le mettre à genoux, en espérant que ses poings seraient une arme assez redoutable, et qui l'avaient finalement mené à se coucher sur le dos pour subir des coups, se rendant compte que des deux, il était loin d'être celui qui dominait ? Que lui n'avait qu'un petit couteau suisse alors que son adversaire tenait entre ses doigts une épée flamboyante ? Coup suprême qui avait de quoi achever les restes de sa fierté, si c'était donc ça lui l'avait conduit à se battre. « Tu devrais apprendre à calmer tes ardeurs. C'est bien beau de vouloir défendre ta copine, mais ça l'est pas tant que ça lorsqu'on ressort avec un œil pareil. » Il vaut mieux se lancer dans un combat lorsqu'on sait qu'on va terrasser l'autre, non pas lorsqu'on ne fait qu'y croire. Mais bien que sa réaction lui paraissait totalement stupide, le comportement de Mattia n'allait pas sans lui rappeler celui de son propre frère, cette espèce d'étincelle permanente qui n'aspire qu'à s'embraser follement ; sa colère grandissant au fur et à mesure que son orgueil serve de bûches. Cet idiot qui ne réfléchissait pas, bondissant sur sa proie aussi idiote que lui, et ne réalisant ce qu'il avait fait que lorsqu'il constatait qu'il avait l'arcade qui pissait le sang, la mâchoire déglinguée et les phalanges sanglantes.
Puis vint enfin le boomerang, boomerang qui n'avait plus de propriétaire. Elle serra les dents, se forçant tout de même à sourire, presque satisfaite finalement qu'il ne prenne pas ses questions trop au sérieux, préférant la suivre dans sa lancée d'aventures et mariages chevaleresques, plutôt que de la questionner sur la couleur des robes des demoiselles d'honneur, la forme de sa bague de fiançailles et le lieu de leur lune de miel. « Ouais, c'était comme ça à notre époque. Les prétendants se battaient dans leurs armures de ferraille, et une fois l'adversaire achevé, suant comme des porcs et recouvert de sang, le gagnant allait embrasser la main de la fille lui étant promise. » De sacrées coutumes comme il disait. Et c'était peut-être vrai, Ethan avait peut-être été un de ces chevaliers dans une vie passée, se battant pour l'honneur et la fierté de sa famille et ses terres. « Ethan était plutôt spectaculaire, je dois avouer. » rajouta-t-elle finalement, se disant qu'elle était censée représenter l'épouse amoureuse et admirative de son mari, et non pas la soeur aigrie.
Prête à relancer leur petit jeu, elle fut cependant coupée par Mattia, désireux de savoir si son œil allait mieux. Non, ça n'allait pas réellement mieux, il allait toujours avoir mal, et sa peau était toujours teintée de cette couleur noirâtre parsemée de nuances verdâtres, et son œil n'était finalement qu'une espèce de petite fente autour de chairs gonflées. « C'est de la glace, ça apaise peut-être ta douleur mais c'est toujours gonflé. Évite de tripoter ton œil, et remets de la glace dessus demain si ça te fait mal, mais dans tous les cas, la douleur ne durera pas longtemps. La couleur un peu plus, par contre. »
Et elle le regarda, se demandant s'il allait partir ou s'il comptait rester jusqu'à ce que sa glace fonde, et face au silence qui commençait à s'installer, elle reprit : « Et donc ça se passe pas comme ça, maintenant ? Pourtant vous avez pas l'air d'être plus calmes que nous autrefois là, à vous tabasser comme de bons idiots et à vous amocher la gueule joyeusement. Mais bon, elle en vaut la peine tu dis... » Elles en valent toutes la peine, toujours. Il n'y a pas d'âge pour se jeter dans la gueule du loup, pas d'âge pour rentrer à la maison avec un sale air désolé collé au visage et les paupières baissées. Pas d'âge pour être un crétin. Mais en posant ses yeux sur lui, elle se sentait presque désolée de voir qu'il en arrivait là lui aussi. Et c'était peut-être noble que de se battre pour sa bien aimée, mais surtout sacrément inconscient. Et les filles en chaleur du lycée trouveraient sans doute en Mattia l'image de l'homme viril et courageux, mais elles avaient tort. Peut-être que Mattia n'était pas de ce genre là, peut-être que les années auront raison de son impulsivité, mais elle savait que les hommes qui avaient un penchant pour la destruction restaient des hommes avec un penchant pour la destruction, qui n'allaient certainement pas se transformer en agneau une fois rentrés dans l'étable. Aimant d'une passion folle et détruisant avec cette même passion. Il valait mieux que l'adolescent ne soit pas de ces hommes-là, car sinon elle pourrait se mettre à plaindre sa pauvre copine, sans se douter que cette fille-là n'était d'autre que cette blonde rôdant autour de son frère. « Elle était là, lorsque vous vous êtes battus ? »
Sujet: Re: L'ecchymose - Mattia Jeu 28 Juin - 11:17
Cette femme était curieuse. Bien trop curieuse. Dès que Mattia ouvrait la bouche, elle ouvrait la sienne, cherchant à en savoir d'avantage sur leur relation. Comme si elle espérait trouver dans la relation qu'il entretenait avec la dite-fille un souvenir de son temps passé au côté d'Ethan. Un temps où la beauté du couple était encore au rendez-vous. Un temps où le quotidien ne les avait pas encore rongé. Ils se voyaient encore en riant, en se regardant avec un petit air malicieux. Déjà rien que ça, Mattia avait du mal à l'imaginer. Elizabeth, oui. Mais un air malicieux sur les traits d'Ethan lui paraissait tellement impossible.. Ce type était capable de rester calme un long moment. Avec ses yeux, il était capable de te scanner, de faire comme si il lisait en toi comme dans un livre ouvert. Mais jamais, Mattia ne l'imaginait avec un sourire, autre qu'un sourire moqueur.
Mattia finit par lui avouer la raison de ces coups portés. Du moins, il avouait la fausse raison. Il n'était pas si fou pour dire et haut fort ce qui s'était réellement passé. Et puis, ça changeait quoi au fond? Là, il venait de dire qu'il s'était battu juste pour une phrase mal placée. Au vue de son état, il était clair que c'était lui le maillon faible, celui qui n'avait réussit qu'à mettre quelques coups pendant que lui s'en prenait une tonne. Il était évident que c'était lui, celui qui était couché au sol, et qu'on tabassait. Que ce soit un autre type debout qui s'acharnait sur lui, ou que ce soit son beau-père n'avait au fond, aucune importance. Le résultat était le même; et toujours aussi douloureux. « Tu devrais apprendre à calmer tes ardeurs. C'est bien beau de vouloir défendre ta copine, mais ça l'est pas tant que ça lorsqu'on ressort avec un œil pareil. » Et la voilà, la morale. Apprendre à calmer tes ardeurs. mais ce n'était pas lui qui devait apprendre ça. Ce n'était pas lui qui devait essayer de se calmer. C'était l'autre imbécile! Pas lui. Et comme d'habitude, c'était à lui qu'on disait ces mots.
Enfin, toujours est-il que Mattia rebondit prestement, préférant parler du couple qu'elle formait avec ce fou de psychiatre, plutôt que de parler d'autres choses. « Ouais, c'était comme ça à notre époque. Les prétendants se battaient dans leurs armures de ferraille, et une fois l'adversaire achevé, suant comme des porcs et recouvert de sang, le gagnant allait embrasser la main de la fille lui étant promise. » Charmant, très charmant. Derrière sa poche de glace, il esquissa un sourire. « Ethan était plutôt spectaculaire, je dois avouer. » Son ajout fit quelque peu rire le lycéen. Il imaginait parfaitement la scène. Lui sur son cheval blanc, transpirant à pleine sueur, et elle, assise, attendant de voir lequel de ses deux promis finirait par la baiser. Drôle de scène. Drôle de jeu. En même temps, drôles de personnages..
Voulant savoir s'il pourrait bientôt enlever la glace de sur son oeil, le jeune homme le lui demanda. Sa réponse ne fut pas celle qu'il espérait. La glace n'apaisait que la douleur, pas les couleurs. Pendant plusieurs jours, il allait se promener avec un oeil rouge, puis bleu, puis marron, et enfin beige. Les regards des gens allaient s'arrêter sur son oeil. Comme à chaque fois. Et encore une fois, il allait jouer de tous les stratagèmes possibles et inimaginables pour faire détourner leur cerveau du chemin de la vérité. Comme il essayait de le faire avec Elizabeth.
Le regard dans le vague, l'esprit occupé, un silence pesant se fit entendre. La future doctoresse en profita pour reprendre la discussion. « Et donc ça se passe pas comme ça, maintenant ? Pourtant vous avez pas l'air d'être plus calmes que nous autrefois là, à vous tabasser comme de bons idiots et à vous amocher la gueule joyeusement. Mais bon, elle en vaut la peine tu dis... » Ouais, elle en valait le coup. Ella était le genre de filles pour laquelle Mattia serait capable de faire beaucoup de choses. Il faut dire qu'elle était la seule avec qui ça avait duré aussi longtemps. Ils étaient ensemble depuis près de sept mois. Sept mois dans une vie d'adolescent, c'était long. Mais il avait fallu qu'un coup d'amour supplémentaire gâche tout. Et voilà où ça le menait; à une situation délicate où il essayait par tous les moyens de cacher un secret qu'il avait envie de rendre public, mais qu'il ne pouvait oser dire haut et fort. « Elle était là, lorsque vous vous êtes battus ? » Relevant la tête vers le docteur, Mattia réalisa petit à petit que sa vérité n'était pas celle qu'il prétendait donner. Perdu dans ses pensées, il avait oublié ce léger détail. Il remit alors tout en place. Une fille pour qui il s'était battu. Voilà la version officielle. Etait-elle là cette fille? Non. Elle était loin de se douter un seul instant de ce qui s'était tramé à quelques maisons de chez elle. Soupirant doucement, Mattia répondit un « non ». Simple. Direct. Véridique. Avec un regard vers elle, il lâcha alors un « Elle ne se doute pas du tout que je me suis battu. » qu'on m'a battu. « Et c'est bien mieux comme ça.»
Et tant mieux. Si elle savait.. Elle en serait malade. Elle n'en mangerait plus, elle n'oserait plus sortir, elle se laisserait aller petit à petit, rendant malade ce gamin qui n'y était pour rien. Ce bébé que mattia n'avait pas envie de voir mais qui méritait quand même de vivre. Parce qu'après tout, il avait été conçu par amour. Ca, au moins, personne ne pouvait le renier. Jetant un coup d'oeil autour de lui, Mattia aperçut l'heure. Il se faisait tard. Il ferait peut-être mieux de rentrer s'il ne voulait pas subir d'autres foudres. Son rythme cardiaque s'accélérant petit à petit, sa boule au ventre se formant de nouveau, le lycéen hocha la tête et dit à la jeune femme. « Je vais m'en aller. Ils doivent m'attendre. » A ces trois mots, il commença à stresser de nouveau. Rentrer chez lui. Ou fuguer. S'il n'avait pas entre ses mains sa carrière en jeu, et si sa mère n'était pas aussi désespérée, il aurait fugué. Quitte à aller élever des pingouins au Groenland, ou des serpents en Australie. Debout, la glace toujours sur son oeil, le jeune homme la regarda. Au moins, s'il partait, elle ne risquait pas de tout découvrir. Il ne risquait pas de faire une bourde énorme, de cracher le morceau involontairement. Et avec toutes ces questions, il avait peur de commencer à s'emmêler, de dire une bétise aussi grosse que lui, et de mettre la puce à l'oreille de la dame. Alors, autant s'en aller, même s'il rêvait de rester ici, encore un peu. Repensant à Ethan, il dit alors. « Il rentre tard votre mari.. C'est tout le temps comme ça? Il a autant de travail que ça? » demanda-t-il alors, trouvant que rentrer aussi tard pour un psychiatre c'était abusé. Y avait-il autant de fous à Arrowsic? Probablement..
Sujet: Re: L'ecchymose - Mattia Ven 29 Juin - 23:28
C'était lui, à qui on répétait inlassablement, comme un gosse de cinq ans qui continue sans cesse de voler des sucettes à la boulangerie, ou qui refuse de manger ses épinards, que c'est mal, qu'il faut arrêter, qu'il faut obéir. Encore, et encore, avec l'espoir que cette phrase devienne un acquis, quelque chose de si bien ancré dans sa tête qu'elle lui semble logique. Et c'était sans doute désagréable que de devoir écouter ces maximes récitées par de bons inconnus qui étaient probablement nés avec une cuillère en or dans la bouche, et enfoncée jusqu'au fin fond de la trachée ; alors qu'on n'était certainement pas celui qui était en tort. Dans cette situation là, Mattia n'était pas le fautif, du moins, il n'avait rien fait pour se retrouver couché sur le parquet à subir les poings de son beau-père. Il n'avait pas volontairement implanté un gosse dans l'utérus d'Ella, et encore moins obligé cette dernière à le garder. D'une certaine façon, il était celui qui subissait, aussi bien l'autorité tyrannique de son beau-père que la grossesse non désirée de celle qui était la prunelle de ses yeux. Et ça devait le rendre fou d'être assis là, à écouter une énième fois des énièmes reproches, avec le tiers du visage à moitié anesthésié par le froid, une absence de sensation lui rappelant cependant avec vivacité l'injustice qui s'abattait comme une averse sur lui, lui rappelant que son avenir était entre les doigts boudinés d'un vulgaire pompier qui ne possédait aucune délicatesse, sauvant des vies sur le devant de la scène et les réduisant en miettes dans les coulisses. La seule façon pour lui de ne pas voir son avenir s'envoler était d'être docile, ou très silencieux, car c'était pour lui l'unique chance de ne pas voir ces phalanges marquées par les flammes se resserrer. Il n'avait pas eu de chance et était tombé sur un de ces beaux héros, beaux salauds, mais tentait quand même de s'en sortir. Prêt à accepter les coups, par peur ou par courage, pour voir son rêve demeurer intact. Il n'était ni Elizabeth, ni Ethan, ces enfants dont la pire frayeur était celle de l'abandon du petit Poucet dans la forêt et qui avaient grandi dans un bain d'amour et de douceur. Ces incapables qui, au lieu de se rendre de compte de leur chance, avaient préféré massacrer leur bonheur parfait, alors que certains n'aspiraient qu'à ne serait-ce qu'un dixième de ce dont ils avaient eu droit.
« Et c'est bien mieux comme ça.» Elle hocha la tête ; en effet c'était mieux qu'elle n'en sache rien. Car aussi séduisant, aussi brave, aussi rassurant que cela puisse paraître de l'extérieur, ça l'était bien moins lorsqu'on était au coeur même de l'histoire. « Sans doute, oui. Essaie de trouver une excuse qui tient la route pour l'oeil, hein. » Elle s'étonnait presque à prononcer ces mots, elle qui voulait la vérité à tout prix, rien que la vérité, tout le temps, toujours, elle qui hurlait sur les toits qu'elle était prête à encaisser les pires insanités, les pires horreurs, tant qu'elles portaient le tampon certifiant qu'elles étaient vraies. Elle clamait ça tout haut, et se disait tout bas à quel point finalement parfois, elle regrettait d'avoir tiré sur le voile de la Vérité ; et à quel point l'innocence du mensonge pouvait se révéler douillet.
Une fois de plus, elle se contenta d'acquiescer en guise de réponse. C'était sans doute la meilleure des solutions en effet, il était assez tard déjà, et ses parents devaient sans doute s'inquiéter – ce qui n'irait pas en s'améliorer vu l'état dans lequel il allait rentrer. Ce n'était pas la fin du monde, il allait se traîner une petite semaine une ecchymose peu esthétique certes, mais sa vie n'était pas en danger. Cependant, Dieu sait comme les réactions sont toujours exagérées lorsqu'il s'agit d'une personne qu'on aime. La raison était inconnue au bataillon lors de ces moments là, et la seule chose qui prenait le dessus, plus folle, plus indomptable que jamais, était la passion. La passion qui déchaîne les peurs, qui provoque les colères. Il se permit une dernière question cependant, et dans son esprit dérangé, elle avait des airs de provocation. Une de ces interrogations balancées mine de rien, qui étaient pourtant bourrées de cynisme, et qui avait pour unique pour de déstabiliser son interlocuteur. Mais elle chassa rapidement ces idées absurdes, tentant de se replonger dans la réalité avec laquelle elle essayait de berner tout le monde – et surtout elle-même. Dans ce monde là, ils étaient censés vivre ensemble, et la logique voudrait sans doute qu'elle râle ou soit exaspérée de passer la nuit seule, avec un mari croulant sous le travail, qui semble plutôt habiter à l'hôpital qu'avec elle. Et elle l'adossait sans broncher ce rôle de bonne femme, car aussi grotesque que cela puisse être, c'était presque agréable d'avoir la sensation de toucher du bout des doigts leur chimère – même si le douleur de voir que ce n'était qu'une comédie vulgaire et puérile prenait aisément le dessus. Alors, haussant les épaules, elle répondit calmement, comme lasse et habituée : « C'est comme ça... Jamais à l'abri de recevoir un appel disant que les projets de la soirée tombent à l'eau, ou même tout simplement qu'il ne sera pas à l'heure, et qu'il ne sait même pas à quelle heure il sera là... Mais bon, je sais ce que c'est, et on s'y habitue. » Mais le connaissant, il devait sans doute être affalé dans son fauteuil, jonglant avec le sommeil sans réussir à y succomber ; remuer ses méninges pour échafauder de nouveaux reproches sous lesquels ensevelir sa bien aimée ; s'embourber dans une situation délirante ou encore en train de jouir entre les cuisses dégueulasses d'une fille pas moins dégueulasse. En somme, certainement pas à l'hôpital en train de sauver des vies ou d'apaiser de quelconques douleurs. Donc oui, c'était toujours comme ça, il rentrait toujours aussi tard, il ne rentrait jamais à vrai dire.