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 Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan)

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Kai Eowyn Bonistaw
Kai Eowyn Bonistaw
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MessageSujet: Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan)   Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan) EmptyDim 20 Mai - 21:15


« Vous savez quelquefois on en arrive à un point où pour pouvoir tenir le coup on est obligé d’effacer l’ardoise. »
Kai regarda discrètement l’heure, elle avait horreur d’être en retard mais, elle ne pouvait décemment pas foutre cette cliente à la porte à coup de pieds au cul, elle s’attardait à savoir quelles fleurs elle mettrait dans l’église, elle adorait les lys mais, voulait à tout prix des roses, pour autant, elle ne voulait pas mélanger les deux – Futile ? Absolument ! Mais, cette cliente voulait à tout prix se décider aujourd’hui-. Malheureusement, Kai n’avait plus vraiment de temps à perdre, elle aurait dû fermer la boutique il y a déjà cinq bonne minutes, en somme ce n’était pas grand-chose mais, si cette cliente insistait, Kai n’allait jamais parvenir à être à l’heure, or, elle ne pouvait pas louper ce rendez-vous. « Que diriez-vous d’alterner les bouquets ? Comme ça aucun choix n’est fait et aucun mélange non plus. » La brunette se retourna vers son organisatrice avec des yeux pétillants, apparemment elle adhérait à l’idée – du moins pour aujourd’hui, demain elle aurait probablement changé d’idée -. « Vous pourriez ? » Kai se précipita pour lui dire que oui, elle pouvait, que tout était possible, sortant machinalement son parfait discours d’organisatrice et enfin réussir à fermer sa boutique.

En fait, Kai avait rendez-vous avec son psy et ce n’était pas vraiment le genre de rendez-vous qu’elle pouvait se permettre de faire sauter comme ça, surtout sans prévenir – et si ses parents apprenait qu’elle avait loupé un rendez-vous, elle s’en prenait deux, qu’elle ait vingt-cinq ans, ou non-. Et puis bon, ce n’était pas une torture pour Kai d’y aller, c’était devenu une habitude, un simple réflexe bien plus qu’une corvée et comme Mademoiselle était persuadée que tout allait parfaitement bien, ça n’avait rien d’effrayant. Enfin… presque rien, en réalité, Kai depuis neuf ans était habituée à faire craquer les quelques nombreux psy qu’elle avait rencontré, ils finissaient soient pas jeter l’éponge, soient par ne plus l’écouter ce qui au fond, convenait bien à la rouquine qui parlait à des murs qui ne relevait rien. Malheureusement pour elle, le vieux truc qui lui avait servi de psy pendant approximativement un an avait pris sa retraite et la rouquine devait à présent faire face à Ethan Calaan. Qu’est-ce que ça changeait ? Pas mal de choses. Tout d’abord, Ethan n’avait pas encore abandonné, Kai se retrouvait donc face à quelqu’un qui l’écoutait et analysait chacun de ses propos – du moins ceux qu’il pouvait saisir au vol tant la jeune femme déblatérait sur un tas de conneries superficielles- et du coup, le beau psychiatre faisait naître en Kai la peur de voir ses souvenirs remonter. Évidemment, c’était là tout le but de la manœuvre, la raison même pour laquelle elle voyait des psy depuis autant d’année mais, Kai ne cessait de le répéter, elle ne voulait pas se souvenir.

Enfin, malgré l’idée qu’Ethan puisse toucher un point sensible, c’est le cœur léger qu’elle entrait dans l’hôpital –d’un pas pressé tout de même, parce que techniquement, elle avait deux petites minutes de retard, en ayant couru la majeur partie du trajet-. Elle connaissait le chemin par cœur et c’est tout naturellement qu’elle avait pris les escaliers, sachant qu’à cette heure, l’ascenseur était toujours encombré –sans qu’elle ne sache la raison pour autant-. Elle se retrouva rapidement dans le couloir, remarquant son psy qui s’aventurait dans la salle d’attente –pour vérifier si elle y était, très certainement- ni une ni deux, Kai se précipita à sa hauteur manqua de glisser de se retrouver les fesses sur le carrelage affreusement glissant. « Docteur Calaan, je suis désolée, je suis légèrement en retard, une cliente m’a quelque peu retenue. » Bon quatre minutes de retard en tout et pour toi, on allait pas en faire en montagne, surtout que ses cheveux en bataille et ses joues en peu trop rouges témoignaient parfaitement de son essoufflement pour être à l’heure – en même, il ne tenait qu’à elle de passer enfin son permis et de vaincre cette peur idiote de la voiture-. Elle fit un beau sourire, remettant une mèche de cheveux, prête à suivre le jeune docteur.
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MessageSujet: Re: Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan)   Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan) EmptyJeu 24 Mai - 11:11

C’était une mécanique parfaitement huilée : à chaque heure une nouvelle histoire à explorer, à extorquer. Et c’était justement le moment de son rendez-vous avec l’une de ceux qui lui permettaient de terminer plus qu’honorablement ses fins de mois. Au point de pouvoir en dilapider une partie dans de futiles jeux d’argent sans risquer de se faire couper l’eau chaude et l’électricité. Kai Bonistaw. Flamboyante tornade qui fonça à toute vitesse sur lui alors qu’il partait à l’exploration de sa salle d’attente déserte. S’empressant de s'excuser pour son retard dérisoire, les joues rougies par l’effort, visiblement essoufflée. Il lui semblait difficile d’en vouloir à la rouquine pour si peu, tant elle transpirait la gentillesse et l'honnêteté. Se distinguant de ceux qui s’abstenaient sciemment de se présenter à l’hôpital, ou qui ne daignaient débarquer qu’avec un retard monstrueux, pour ne pas citer le jeune Jarvis. On ne pouvait ainsi pas prétendre qu’il redoutait les séances avec elle, qu’il en venait à appréhender de se retrouver dans la même pièce en devant se retenir de l’étriper. Non, il ne la rangeait certainement pas dans la catégorie de ces patients aussi méprisants qu’insupportables. Aussi caractériels que bornés. Dans celle de ceux qui sont convaincus de l’inutilité de la psychiatrie, et estiment que ses spécialistes ne sont que des charlatans et des emmerdeurs nés. Des ratés qui n’étaient pas suffisamment doués pour réussir en chirurgie, qui se sont repliés sur les pathologies mentales par défaut. Ou qui n’avaient simplement pas le cran de tenir des vies entre leurs mains au sens le plus littéral du terme. Ceux qui ont été trainés de force par un proche inquiet, et qui espèrent décourager leur médecin comme des enfants gâtés font fuir les nourrices les plus coriaces les unes après les autres. Qui viennent seulement pour avoir la paix, autant avec leur entourage qu’avec leur âme et conscience. Même si elle ne s'y astreignait pas non plus de son plein gré, et avait pris la fâcheuse habitude de confondre son cabinet avec un salon de thé. Même si ça menait inévitablement à une conversation stérile la plupart du temps, avec l’avantage cette fois d’avoir rarement à combler tous les blancs.

Il se composa ainsi un visage aimable, esquissant un sourire de façade qui se voulait chaleureux et rassurant. Attitude posée supposée la mettre en confiance, entretenir cette image parfaitement lisse et normale qu’elle avait encore certainement de lui. On ne pouvait pas dire qu’il avait besoin de se forcer. Il restait sincère, elle n'avait pas le don de le rendre hostile. Se faisant néanmoins constamment violence pour ne pas endosser son rôle d’ours renfrogné au travail y compris. Cet aspect immature de sa personnalité qui lui donnait sans cesse envie de partir loin, ou juste de rentrer s'enfermer à l’abri des regards. Dans l’obscurité si possible, histoire d’être bercé par le tumulte silencieux des ténèbres environnantes. Mais il n’avait plus huit ans, même pas dans sa tête, alors ce n’était pas s’enfermer à double-tour dans une chambre mi-lugubre mi-réconfortante qui allait arranger ses problèmes d’un fameux coup de baguette magique. Il était bien placé pour l’affirmer : il avait déjà essayé, et plus d’une fois.
« Ne vous en faites pas, je n’étais pas très en avance non plus. »
Souffla t’il d’un ton amical avant d’ouvrir plus largement la porte de son bureau, encourageant la jeune femme à entrer d’un bref signe de main. Récupérant un stylo et les notes déposées sur un coin de table avant de s’installer dans un fauteuil. Directement face au sofa dans lequel la rouquine s’était posée. « Alors comment s’est déroulée cette semaine ? » Question rituelle nécessaire pour briser la glace, et éventuellement passer à travers. Sachant qu’elle risquait fort de s’étendre en détails inutiles, et lui raconter en détail l’organisation de mariages dont il n’avait que faire et qui remueraient à vrai dire le couteau dans la plaie béante en travers de son torse, il rajouta aussitôt : « De nouvelles choses vont sont revenues en mémoire ? » Oui car c’était après tout la raison première de sa venue ici : son amnésie. Cette clef égarée dans les tréfonds du cimetière de sa conscience, et qui était d’après lui davantage un mécanisme d’auto-défense qu’une réelle perte physique. Le psychiatre souhaitait évidemment qu’elle se souvienne enfin, et mettait tout en œuvre pour mener à ces révélations. L’homme avait en revanche envie de lui intimer de sortir immédiatement, et de ne plus jamais s’aventurer à réveiller le passé. Car il l’enviait furieusement, d’être parvenue à effacer d’un trait ses souvenirs les plus douloureux. D’avoir réussi à les enfouir au creux de ses entrailles. Il était celui qui devait les remuer à mains nues, les extirper et les arracher pour maculer de noirceur cette innocence qu’elle avait réussi à retrouver intacte à son réveil. Et quelque part, ça le dérangeait. Il y avait évidemment aussi la possibilité de ne rien trouver, ni cadavres dans le placard ni remords lancinants. Ni affreuses injustices, ni ignobles trahisons. Peut être que son ancienne vie se résumait à de joyeux arcs-en-ciel et à des petits poneys multicolores, qui gambadaient dans des champs de coquelicots fluorescents. Mais il se permettait d’en douter. Terriblement.
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Kai Eowyn Bonistaw
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MessageSujet: Re: Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan)   Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan) EmptyVen 25 Mai - 23:06


« Vous savez quelquefois on en arrive à un point où pour pouvoir tenir le coup on est obligé d’effacer l’ardoise. »
Ethan, aux yeux de Kai, faisait partie de ces hommes qui en un simple sourire vous inspirait confiance, il ne lui avait jamais semblé antipathique et froid comme beaucoup d’autres psychiatres, il se permettait de sourire là où les autres restaient impassibles, tels des statues qui auraient mal vieillies. Elle ne savait pas si Ethan était plus compétant que les autres – tout dépendrait du temps qu’il mettrait à abandonner son cas- mais, il était plus agréable que n’importe lequel de ceux qu’elle avait vu auparavant et une chose est sûre, elle ne se forçait pas pour lui rendre ses sourires. « Ne vous en faites pas, je n’étais pas très en avance non plus. » Le psychiatre utilisait bien évidemment un ton amical qui était apprécié par la rouquine qui amplifia son sourire sans se forcer, avant de mettre les pieds dans ce bureau qu'Ethan lui ouvrait, lui faisant signe de rentrer. Kai se dirigea vers le sofa machinalement, sans même penser à ce qu’elle faisait, elle savait que le brunet allait récupérer de quoi écrire avant de s’installer juste en face d’elle et de la laisser se prendre dans son flot de parole sous ses belles prunelles. « Alors comment s’est déroulée cette semaine ? » C’était la question habituelle qui permettait de commencer la conversation pour ne pas laisser quelconques silences ou froids s’installer – comme si c’était possible avec Kai, elle flipperait bien trop d’entendre le tic-tac de l’horloge, elle ne tiendrait pas deux minutes assise sans se barrer en courant si l’un des deux ne parlait pas-. Cette question, Kai l’aimait beaucoup parce qu’elle était totalement vague, imprécise, elle pouvait parler de ce que bon lui semblait et elle déblatérait sur tout et n’importe quoi, plus souvent sur ses clients que sur elle-même quand on y pense, cette question rendait les choses si faciles. Cependant, Ethan avait appris à la connaître et s’il avait pu faire l’erreur avant, il ne le faisait plus maintenant, avant même qu’elle n’ait eu le temps d’ouvrir la bouche, il rajouta : « De nouvelles choses vont sont revenues en mémoire ? » Voilà, ça devenait toute de suite plus précis, elle devait déjà parler de ce dont elle préférait ignorer l’existence. C’était tout de même dingue, la plupart des gens rêvaient d’oublier certaines parties de leur passé et, elle, qui avait cette chance, on l’obligeait à se souvenir, quelque part, c’était le monde à l’envers et si toutes ses choses étaient enfouies au fond de sa mémoire ce n’étaient pas pour être déterrer – et quand on savait ce qui s’y cachait, on comprenait pourquoi-.

La jeune femme ne put s’empêcher de se mordre la lèvre inférieure, amusée, la précision de son psy ne pouvait pas provoquer d’autres réactions, il commençait à la connaître et c’était le moment où elle devait commencer à se méfier mais, paradoxalement, le moment où elle ne pouvait pas s’empêcher d’avoir un peu plus confiance en lui. « Pour être honnête ? Rien qu’on ne puisse vraiment appeler des souvenirs non. Je rêve tous les soirs de l’accident, sans exception mais, c’est devenu tellement habituel que je ne me réveille même plus en sursaut, c’est devenu un rêve comme un autre. Et au réveil j’ai toujours la sale tête de mes parents en face et je ne ressens toujours rien pour eux si ce n’est que du mépris. En fait, ils sont réellement pathétiques. La dernière fois, j’ai regardé pour prendre un appartement sur Arrowsic, parce que je n'ai ’as du tout envie de partir d’ici et ma mère a regardé mon historique, comme si j’avais cinq ans et c’était la crise du siècle. Je sais que je leur ai fait énormément de mal avec ce coma mais, ils ont une vie à part, ils ont plein de fric à claquer, ils peuvent toujours se lancer dans l’humanitaire… quoique mon père, je me demande s’il est humain lui… enfin ils me couvent beaucoup trop. Et ils insistent encore pour retourner à Santa Barbara, comme si j’allais prendre le risque de retourner dans cette ville tiens. Et j’ai rencontré un garçon aussi. Et eu… sinon je me suis demandé comment j’avais pu être éduqué, j’ai imaginé deux secondes à quoi ressemblait mon enfance et c’est drôle parce que c’est le gros vide, je ne vois rien, je sais même pas la gueule que j’avais et ça ne me fait rien et à force je ne comprends plus cette manie que les gens ont à vouloir me rappeler le passé, surtout quand ils ruminent tous leurs erreurs, finalement, c’est un peu masochiste tout ça, parce que si je retrouve des souvenirs, je vais souffrir de ça… et si techniquement j’ai déjà souffert dans le passé, ça fait double peine, même triple si on compte ce foutu coma, j’ai quand même perdu pas mal de temps quand on y pense… » Et la jeune femme poursuivit sur un truc qui n’avait plus rien à voir et sans le moindre intérêt, voilà, Kai, c’était ça, dériver pendant des heures et des heures, partir d’une phrase pour aller sur une autre, faire la conclusion de la première, puis le développement, revenir sur la deuxième et effectuer le même traitement. Là, elle s'en était pris à ses parents, comme souvent, parce qu'en dehors du cabinet, elle n'exprimait pas ce qu'elle ressentait et combien elle pouvait les détester -surtout qu'elle ne parvenait pas à les considérer autrement que comme de simples géniteurs-.

De plus, Kai n’était pas bête, elle résumait en une phrase les évènements les plus importants de sa vie, là c’était Fernando, en quelques mots, elle avait balayé le sujet alors qu’il y avait bien plus de chose à dire à son sujet. Notamment, si elle avait dit qu’on ne pouvait pas parler de souvenirs à proprement parlé c’était parce que Fernando avait raviver quelque chose du passé qu’elle s’était empressée d’ignorer, elle avait refoulé le souvenir d’avoir ressenti ce sentiment pour un autre garçon que le bel espagnol, dans le passé, encore fallait-il qu’Ethan parvienne à démêler l’essentiel dans ce flot de parole sans fin –si elle s’était lancée dans la politique comme son père, nulle doute qu’elle aurait été encore meilleure oratrice que lui-.

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MessageSujet: Re: Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan)   Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan) EmptyVen 1 Juin - 12:58

Même avec des ajustements, ses questions restaient trop générales. Emplies de failles dans lesquelles la rouquine s’engouffrait tête la première. Un véritable moulin à paroles sur pattes : on savait quand elle démarrait, mais jamais réellement quand elle allait s’arrêter. Elle ne prenait pas la peine de reprendre son souffle, démarrant au quart de tour et poursuivant ses raisonnements sans lui laisser l’occasion de caser ne serait-ce qu’un semblant de réplique. Lors de certaines séances, il devait se faire violence pour ne pas s’irriter devant un tel flot ininterrompu de jacassements. Cette fois, il se surprit à réprimer un sourire. Se mordant avec férocité l’intérieur de la joue pour rester sérieux. Ce qu’elle pouvait lui raconter n’avait rien de spécialement risible, c’était plus nerveux qu’autre chose, mais il finissait par s’amuser de constater à quel point elle était incorrigible. Imaginant sans mal les crises de nerfs qu’elle avait probablement déclenché chez ses prédécesseurs. Un tel débit de paroles devait être épuisant à la longue.
Lui aurait été purement incapable de se lancer dans un tel monologue. De lâcher toutes ses pensées comme ça en vrac, presque sans tri, comme ça venait. C’était en partie de la pudeur, en partie de l’orgueil, mais surtout une armure pour se protéger. Il préférait rester un mystère, car tout ce qui se trouvait tapi sous le masque était pourri jusqu’à la moelle. Et puis l’époque où il avait tant à raconter était loin, révolue depuis longtemps. Ne restait désormais plus qu’une coquille de plus en plus vide, de plus en plus morne. Dévorée par le vice. Il avait passé plus d’une vingtaine d’années à raconter tous ses tracas à une seule et même personne. Les détails futiles, les nouvelles incroyables, et ce qui pouvait se dérouler entre les deux. Désormais il n’en restait plus rien. Plus aucune possibilité d’entretenir une conversation normale sans hurler à s’en briser les cordes vocales et à s’en faire exploser les tympans. Tout n’était plus qu’haine et incompréhension, avec quelques bribes de tendresses enfouies profondément sous ses entrailles. Vide soudain aussi étrange que douloureux auquel il continuait de s’habituer jour après jour, sans en avoir pourtant la moindre envie.

Il était ainsi tentant de la laisser parler, parler, parler sans rien ajouter, sans rien en retirer. En particulier quand on se trainait autant de nuits d’insomnies que lui, chercher à démêler l’essentiel du superficiel avait de quoi filer de sacrer migraines en prime. Il n’avait toutefois pas encore renoncé, et il s’efforçait ainsi de ravaler ses opinions personnelles. De ne pas approuver ouvertement ce qu’elle pouvait affirmer, que le mieux restait d’oublier. De ne pas avouer qu’il aurait tout donné pour être à sa place. Sauf que dans son cas il doutait fortement qu’un lavage de cerveau suffise. Il avait l’intime conviction qu’il faudrait lui arracher le cœur pour pouvoir dire comme elle « je ne ressens rien, si ce n’est que du mépris ». Les termes choisis étaient particulièrement durs, et sévères. Ils amenaient à se demander si elle avait toujours entretenu ce genre d’hostilité à l’égard de ses parents, ou si une commotion cérébrale suffisait à atteindre ce résultat radical. La jolie rousse n’était pas seulement amnésique. Elle était aussi décidée à le rester quoi qu’il puisse advenir. Il la sentait effrayée, prête à accepter le néant parsemant une partie de son existence pour être sûre de ne pas aller mal. Mais on ne peut pas se protéger de ses tourments, et même quand le cerveau trouve un moyen, il y a toujours des égoïstes pour vouloir nous faire replonger dans le gouffre. Il était le premier à s’y être employé avec sa sœur, à l’avoir poursuivie jusque dans ce coin perdu pour qu’elle ne l’efface pas comme de la craie sur un tableau usé. Pour ne pas être le seul monstre soumis à ses abjectes pulsions, asservi à un désir aussi répugnant qu’enivrant.

Profitant de quelques secondes de silence inespérées, il s’empressa d'enchaîner ses interrogations : « Se rappeler c’est un risque pour vous ? Qu’est ce qui vous dit qu’il y a quelque chose dans votre passé qui pourrait vous faire souffrir ? » Il s’efforçait d’adopter une voix calme et rassurante, pour éviter de la brusquer. Pour éviter qu'elle se referme comme une huitre et prenne ses jambes à son cou. « Ah et quel est le rapport entre le garçon que vous avez rencontré et votre mémoire ? » Il n’avait pas prêté attention au premier abord à ce petit bout de phrase perdu dans la masse, en partie parce qu’il détestait devoir s’infliger la vie sentimentale de ses patients, mais tout d’un coup ça lui sautait aux yeux. En principe ça n’avait pas grand-chose à voir avec le reste de ses développements, rien à voir avec sa question. Et c’était déplaisant à entendre, car lui ne pourrait jamais lancer à un ami, un proche parent, ou qui que ce soit d’autre « tiens au fait j’ai rencontré une femme. » Le genre de remarque anodine, énoncée sur un ton faussement désinvolte, mais qui est en vérité très lourde de sens. C’était donner de l’importance à quelqu’un en particulier, envisager de construire davantage. Lui ne pourrait jamais, à moins de se voiler complètement la face et d’en faire voir de toutes les couleurs à une pauvre fille qui n’avait rien demandé. Certains gaspillent leur vie entière à courir après le grand amour, à le chercher partout. A désespérer parfois de ne pas le trouver. Lui n’avait pas eu besoin de faire ça, ça lui était tombé dessus comme une évidence. Comme une maladie incurable qu’on attrape sans comprendre pourquoi, sans cerner non plus d’où elle vient, et qui s’acharne à ne vous laisser plus que la peau sur les os. Qui vous détruit lentement, misérablement, jusqu’à vous ensevelir sous les ruines de votre infortune. Balayant tous vos rêves d’avenir sans ne serait-ce qu’une once de pitié. C’était fou d’avoir ce qui était pour beaucoup un but en soit et de ne pas pouvoir en profiter, sous peine d’en crever littéralement de honte.
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Kai Eowyn Bonistaw
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MessageSujet: Re: Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan)   Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan) EmptySam 2 Juin - 21:41


« Vous savez quelquefois on en arrive à un point où pour pouvoir tenir le coup on est obligé d’effacer l’ardoise. »
Grand nombre de personne aurait été incapable de se lancer dans des monologues tels que ceux de Kai, jugeant que la silence était certainement la meilleure défense face à quelqu’un qui était censé analyser chacune de votre phrase, la réalité, c’était que Kai, dans ses toutes premières séances avait pensé ainsi, avant de comprendre que plus elle parlait plus elle les perdait, elle était plus mystérieuse en livrant chaque détail futile de son existence qu’en restant blottie dans le silence, prouvant ainsi que ses pensées n’étaient pas rose. Elle n’avait plus peur d’exposer tout et n’importe quoi à ses psy et elle n’avait plus peur de parler pendant l’heure si elle ne voulait pas entendre l’homme qui était en face d’elle ouvrir la bouche –elle l’avait déjà fait avec certains confrères d’Ethan-, la parole c’était sa meilleure attaque et finalement, pour la déstabiliser il fallait dans un premier temps lui couper la parole, chose qu’Ethan n’avait pas encore fait – mais, en même temps, il avait d’autres armes en stock avant de s’y prendre de façon aussi barbare-. Le jeune docteur était armé de questions pointues qu’il plaçait des lors qu’elle lui offrait quelques secondes de répits, de silence. « Se rappeler c’est un risque pour vous ? Qu’est-ce qui vous dit qu’il y a quelque chose dans votre passé qui pourrait vous faire souffrir ? » Celle-là, la jeune femme ne l’avait pas vu venir et malgré la voix posée et agréable du psychiatre, elle ne pouvait s’empêcher d’être tout de suite mal à l’aise, ne sachant pas quoi répondre tant c’était logique pour elle et tellement flou à la foi. « Ah et quel est le rapport entre le garçon que vous avez rencontré et votre mémoire ? » La jeune femme se recula dans le fauteuil, carrément surprise qu’il ait relevé cette partie dans son monologue, elle aurait pourtant juré qu’elle l’avait noyé, à croire que ce petit jeu ne prenait pas avec lui –pour autant, il ne fallait pas croire que ça allait dissuader la jeune femme de parler jusqu’à ne plus avoir de salive-. « Oui, c’est un risque, je n’ai pas envie que le passé vienne empiéter sur ma vie présente, c’est vrai que c’est idiot de se borner à l’idée que ce passé va forcément me faire souffrir mais… j’avais quatorze ans, j’étais dans une voiture avec on ne sait qui, en pleine nuit alors que mes parents me croyaient dans ma chambre… déjà rien que l’idée d’imaginer quelle adolescente j’ai pu être, ça me suffit. Et puis l’être humain à un don pour ne retenir que les tâches d’encre sur la poésie, je suis sûre que si je viens à me souvenir ça sera plutôt les moqueries de Sander que les bons moments sur une balançoire… Et quand on voit que la majorité des gens rumine le passé sans voir le présent ni même l’avenir… je ne veux pas être de ceux-là. » C’était tellement le bordel tout ça, il faut dire que même dans sa tête ce n’était pas clair, c’était une intuition, et même une certitude depuis qu’on lui avait dit « tu as changé » quand elle était sortie de son coma, ce n’était pas un changement physique dont parlait cette personne mais bien mentale, depuis ce jour-là, elle était persuadée que le passé ne lui ferait que du mal et effrayée à l’idée de connaître la fille qu’elle avait pu être.

Elle reprit son souffle en même pas deux secondes pour aller butiner sur la deuxième question du beau brun – et cette fois, la réponse risquait d’être plus courte-. « J’imagine que ce garçon n’a rien à voir. Simplement… vous pensez que c’est possible de se rappeler d’un sentiment plutôt que d’un souvenir ? ». Oui, elle ne se rappelait que du sentiment mais parce qu’elle avait refoulé le souvenir qui suivait – et certainement à raison pour ce qui concernait sa relation avec Fernando, pour le reste, c’était une autre paire de manche-. En tout cas, rien que le fait qu’elle ne développe pas, qu’elle interroge son psy plutôt que d’user uniquement d’affirmative lui prouvait qu’il avait visé en plein de mil et que Kai ne savait pas comment fuir le sujet qui la gênait le plus… enfin celui-ci et son frère par exemple –les sujets pour la mettre mal à l’aise ne manquaient pas en fait mais, ils étaient assez compliqués à aborder-.




Dernière édition par Kai E. Bonistaw le Jeu 7 Juin - 18:03, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan)   Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan) EmptyMer 6 Juin - 13:33

Kai avait toujours l’air surprise lorsqu’elle entendait le son de sa voix. S’il était forcément flatteur d’arriver à surprendre une femme, cela prouvait néanmoins qu’elle s’obstinait à ne pas comprendre le but des séances. Finalement, même si elle était indubitablement sa patiente la plus bavarde, elle était aussi l’une des plus difficiles. Celle qui pourrait encore perdre une trentaine d’années en consultation sans pour autant arriver à se rappeler. Celle qui avait si peur de celle qu’elle était, de celle qu’elle pourrait redevenir, qu’elle avait cadenassé sa mémoire derrière du béton armé. Le blocage avait certainement du se renforcer avec les années, comme un vieux mensonge qui devient de plus en plus pénible à révéler à mesure que le temps file. On ne trouve jamais de bon moment pour que la vérité éclate, on l’enfouit le plus loin possible et on espère que personne n’aura l’étrange idée d’aller la déterrer à notre place. Elle en devient si terrifiante qu’il est ensuite totalement inconcevable de la laisser sortir, venir souiller un air déjà à peine respirable. « Pourquoi empièterait-il sur votre avenir ? Vous n’avez plus quatorze ans, vous n’êtes plus cette adolescente prête à faire le mur. Même si vous le vouliez, ce serait impossible. » Il doutait fort que retrouver des instants volés par l’oubli bouleverse le ressenti de la rouquine. Ses parents n’allaient pas subitement devenir autre chose pour elle que de simples géniteurs. Peut être qu’elle éprouverait de la culpabilité à les avoir considéré avec tant de mépris, et encore rien n’était moins sûr, mais ça s’arrêterait surement là. Elle se remémorerait ses choix, mais pas le cheminement de ses réflexions, ses raisons, ses convictions, sa personnalité d’antan. Il y avait aussi un autre problème avec l’amnésie : à son réveil elle l’avait laissée dans le noir complet. Se chargeant petit à petit d’allumer la pièce par d’infimes jets de lumière si aveuglants et lumineux que c’en était douloureux. Ses yeux s’étaient faits à l’obscurité, et il fallait accepter de se réhabituer au jour. A choisir il devinait aisément qu’elle préférait qu’il fasse éternellement nuit.

Plantant l’acier de ses prunelles dans les azurs légèrement inquiets de la rousse flamboyante, il rajouta dans un souffle : « Vous pensez que ça pourrait ternir l’image que vous avez de votre frère ? » Certains sujets étaient plus épineux que d’autres. Il avait remarqué que son ainé en faisait partie, et qu’elle ne parlait pas de lui avec dédain, bien au contraire. Même si les absents ont toujours tort, et qu’on voudrait leur faire payer à crédit les fuites et les vides qu’ils ont pu nous imposer. A ce niveau-là, sa cadette se retrouvait sacrément endettée. Sander l’était probablement aussi. Lui n’en voulait toutefois pas réellement à l’étudiante d’être partie. Il lui en voulait d’avoir cru ça possible.

Une interrogation plutôt qu’un long discours destiné à noyer le poisson dans l’eau. Cela prouvait effectivement qu’il commençait à viser juste, et à repérer les indices dans tout ce magma de confusions et de contradictions. Ce qu’il en pensait lui n’avait pas d’importance, c’était à elle de se faire son propre avis sur la question. Il s’enfonça plus profondément dans le moelleux de son fauteuil, jouant un instant avec ses phalanges, un air pensif accroché au visage. Méditant sur la réponse à lui apporter, même s’il la connaissait déjà. C’était quelque chose qu’il avait appris à faire dans le cadre de son travail. Murir ses réflexions plutôt que de se montrer impulsif et de répliquer au-tac-au-tac. Se modérer pour trouver les failles.
Les souvenirs poussiéreux et les photos jaunies par l’usure, ce n’était pas ce qui comptait finalement. Ce n’était pas ce qu’on regrettait. Non, on regrette d’avoir été heureux, et de ne plus en être capable à présent. D’avoir eu le bonheur un court instant entre ses mains et de ne pas avoir su le reconnaitre. Ou d’avoir eu l’audace de le laisser s’enfuir en pensant naïvement qu’il reviendrait. Il pourrit s’il reste trop longtemps dans les mêmes veines, il s’autodétruit. Comme l’amour il tourne à l’envers, et en devient venimeux. Étouffant. Il s’infiltre, tenace et perfide, vous berce de vaines illusions. Il commence par rendre la vie belle, avant de vous l’empoisonner. Il part sur la pointe des pieds et ne vous laisse que des miettes, riant aux éclats quand vous vous retrouvez à lécher le sol pour en récupérer les restes putrides. Alors oui, sans doute qu’on pouvait se remémorer une émotion plutôt qu’une scène précise d’un passé révolu. « C’est un début… On se souvient souvent davantage des sensations plutôt que des détails, du pourquoi du comment. Quel sentiment vous évoque t’il ? » Il tendait le bâton pour se faire battre, contraint et forcé. Mettant au second plan son appréhension à la voir aborder ce qui le rendait si frileux, ce qui l’écorchait vif, au profit de la thérapie.
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Kai Eowyn Bonistaw
Kai Eowyn Bonistaw
les poissons sont plus affectueux que les hommes
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MessageSujet: Re: Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan)   Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan) EmptyJeu 7 Juin - 19:35


« Vous savez quelquefois on en arrive à un point où pour pouvoir tenir le coup on est obligé d’effacer l’ardoise. »
[color=#788CAF][color=#E8954D]Kai avait longtemps espéré que son suivit psychologique soit abandonné mais, ça n’avait pas été le cas et avec le temps, elle s’était fait à l’idée que tant qu’elle ne se souviendrait pas, elle perdrait son temps, chaque semaine, à s’asseoir sur un fauteuil et à raconter sa vie et comme elle ne voulait vraiment pas se souvenir, ça pouvait encore durer des années, aisément. Elle avait parfois songé à s’inventer des souvenirs, un passé et une folie, pour en finir et avoir la paix mais, elle avait bien vite rebroussée chemin, comprenant que ça serait bien pire et que si elle ne se faisait pas griller, ça serait le début d’une vraie thérapie et non pas de ces manœuvres pour forcer son cerveau à fonctionner. Elle détailla discrètement l’homme en face d’elle, voyant d’abord le professionnel qui ne rentrait pas dans son petit jeu, qui savait parfaitement où il mettait les pieds et quelles questions poser, elle voyait d’abord l’homme qui lui faisait peur et qu’elle désirait fuir plus que n’importe quel pervers détraqué. Et derrière ce docteur, il y avait l’homme, celui qui avait le droit à l’erreur et qui n’analysait certainement pas les paroles de son entourage, agissant lui-même par des impulsions bestiales et se protégeant dans la souffrance avec les barrières que la nature lui avait fourni, derrière ce docteur, elle était persuadée qu’il y avait l’humain. Évidemment, tous les autres psychiatre étaient eux-mêmes humains sur un point de vue technique, elle n’avait jamais été voir de canard en thérapie mais, voilà, des canards auraient été plus réactifs, des canards auraient été plus humains, beaucoup d’autres psychiatres qui l’avaient effrayé n’étaient que des murs qui transpiraient la froideur et l’impassibilité alors, oui, Ethan essayait de faire comme eux - et encore par totalement-, mais, lui, même quand il plantait sérieusement ses prunelles grises sur la rouquine, elle savait qu’il avait un cœur qui battait et des oreilles qui écoutaient vraiment ce qu’elle disait -même si elle devait bien vite le perdre-, en gros, lui, il était investi et sa motivation n’était pas uniquement le porte-monnaie. Enfin bon, le jeune homme reprit la parole « Pourquoi empièterait-il sur votre avenir ? Vous n’avez plus quatorze ans, vous n’êtes plus cette adolescente prête à faire le mur. Même si vous le vouliez, ce serait impossible. » La rousse afficha un petit sourire amusé, non, elle ne redeviendrait jamais cette gosse de quatorze ans et même si elle n’était pas croyante, dieu merci ! Non, le tout c’est qu’elle savait très bien que c’était un homme autre que son frère au volant de cette voiture et qu’elle bousillerait sa vie à tout faire pour le retrouver si elle se souvenait de quoique ce soit sur lui, si les souvenirs commençaient à revenir petit à petit, elle finirait par vouloir connaitre toute l’histoire et retrouver l’intégrité de sa vie passé, elle gâcherait chaque moment à chercher les réponses aux questions qui pourraient en découler et elle se laisserait totalement bouffer par cette vie qui ne serait jamais plus, perdant tout, de sa joie de vivre à son boulot, oui, Kai avait tendance à imaginer les scénarios les plus sombres quand elle pensait qu’elle pourrait retrouver la mémoire mais, elle n’y pouvait rien, elle avait peur, comme une petite fille à peur du noir, ou du monstre caché sous son lit, et s’il n’y avait personne pour lui tenir la main, elle ne risquait pas de vaincre sa peur et la seule personne qui pouvait tenir cette main avait décidé de se barrer pour jouer à la guerre. « Non évidemment, et heureusement, je n’ai pas envie de retrouver mes quatorze ans mais, vous voyez, c’est un peu comme un puzzle. Avant de le commencer, on se fout bien du résultat final, et puis, il faut se motiver à le faire et souvent, on n’ouvre jamais cette boite. Mais, une fois qu’on l’a commencé ? On veut assembler toutes les pièces, et on peut y passer des heures et si par malheur il manque la dernière pièce ? On passe des heures à chercher cette pièce, on perd un temps fou, souvent en vain. Là c’est pareil, sauf que je ne vais pas passer des heures à essayer de comprendre et de me souvenir mais, des années et ces années-là, elles seront perdues. » Kai savait pertinemment qu’elle serait comme ça, qu’elle gâcherait sa vie à parcourir Santa Barbara, à la recherche de cet homme, à la recherche du moindre détail à apprivoiser –à moins que quelqu’un l’en empêche mais, pour le moment, elle pouvait se gratter, Sander était au front et il n’en reviendrait pas de sitôt et elle n’imposerait pas ça à Fernando-.

Ethan plongea son regard dans celui de Kai, elle le sentait plus déterminé, plus sérieux, prêt à aborder un sujet dont elle ne voulait pas parler, et elle était certaine de l’avoir deviné, comme une idiote, elle lui avait ouvert la porte en prononçant le prénom de Sander précédemment, et Ethan n’avait pas loupé le coche. « Vous pensez que ça pourrait ternir l’image que vous avez de votre frère ? » Le sang de Kai se glaça, baissant les yeux et croisant les bras sur sa poitrine, simple geste qui ne faisait que prouver qu’elle se refermait sur elle-même, Sander n’était pas un sujet comme un autre, c’était comme attaquer Kai en plein cœur, le cœur d’une sœur qui avait perdu son nord, son sud, son est, son ouest, et qui voguait au gré du vent, recherchant inlassablement un signe de vie de la part de cette partie d’elle-même, ils n’étaient pas jumeaux, mais, des vrais frères et sœurs n’ont pas besoin de ça pour se vouer un amour inconditionnel. « Et comment je pourrais ternir plus que ça son image ? Il est parti, il a préféré prendre le risque de se prendre une balle pour une stupide guerre plutôt que d’affronter l’amnésie avec moi. Un frère n’est pas censé abandonner sa sœur dans un moment pareil parce qu’on le veuille ou nous, aucun traumatisme ne suffit à détruire l’amour qui lie les deux… » Et elle préférait s’arrêter là, ne supportant pas de parler de ça, se sentir la colère et les larmes grimper, parce qu’il n’aurait jamais dû l’abandonner et qu’on ne pouvait pas s’étonner qu’elle ne désire pas se souvenir alors que lui avait préféré fuir, elle avait trop parlé à son goût, et en fait, elle se repliait doucement sur elle-même, et dans ses conditions, avoir plus de mots que ça sur Sander serait bien difficile.

Soit, la thérapie continuait et la jolie rouquine posa une question –même si ce n’était pas son rôle du tout, même si c’était sa réponse à sa propre question qui comptait mais, là, elle était trop perdue-. Le beau psychiatre sembla prendre la peine d’y réfléchir, laissant le silence envahir l’espace le temps de la réflexion, inutile de dire qu’en attendant, Kai serrait les dents pour ne pas partir en courant, ne supportant pas de se retrouver dans son fauteuil quand aucun des deux ne parlait, c’était bien trop angoissant, ça l’obligeait à être seule avec les pensées qu’il réveillait. « C’est un début… On se souvient souvent davantage des sensations plutôt que des détails, du pourquoi du comment. Quel sentiment vous évoque t’il ? » Kai ne put s’empêcher de faire échapper un léger rire – ce qui lui permit se détendre à nouveau et d’appréhender un peu moins le sujet- elle n’aimait pas parler de sa vie sentimentale, si elle ne l’avait pas fait jusqu’à présent c’est parce qu’il n’y avait rien à dire mais surtout parce qu’étant organisatrice de mariage, elle entendait tous ces couples parler de leur bonheur sans retenue et c’était à vomir, parce que même si Kai y trouvait une large forme de satisfaction, il y avait toujours quelque chose en elle qui la dégoutait, une jalousie qui montait et l’envie de les obliger à fermer leur gueule. Quelques fois, pour avoir des réactions avec ses précédents psys, elle leur avait décrit l’acte sexuel avec des coups d’un soir, parce que précisément, elle se faisait chier dans ce cabinet, et elle avait juste eu le droit à des petits toussotements gênés, vive la réaction. Bref, Kai n’avait pas pour habitude de parler de ça et il y avait une pudeur qui faisait qu’elle s’obstinerait à ne pas parler de ses sentiments, elle ne serait pas plus à l’aise avec une psy, il était simplement hors de questions qu’elle en parle. « Joker ? » Elle fit une petite moue avant d’ajouter aussitôt « Non sans rire, on va pas parler de ça hein ? On peut se contenter du “je suis amoureuse de lui et il semblerait que je l’ai été dans le passé" et en rester là pour ce sujet ? » c’était presque une bouille suppliante, Kai avait différente réaction quand un sujet-là gênait, elle pouvait le dire clairement, comme là, ou se replier sur elle-même, comme pour Sander, dans les deux cas, elle risquait à tout moment de repartir sur un monologue concernant la pluie et le beau temps à Arrowsic et il était difficile de la faire parler du vrai sujet.



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MessageSujet: Re: Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan)   Recommencer à zéro ? Personne n’a cette chance. (Ethan) EmptyLun 2 Juil - 19:28

Il sentait bien qu’il venait de toucher un point particulièrement sensible, et que si la rousse volcanique avait pu se transformer en une minuscule petite souris pour y échapper elle n’aurait pas hésité une seule seconde. Évidemment elle préférait parler de la pluie et du beau temps, de toutes ces futures mariées se muant en harpies maniaques à l’approche du jour J. De son merveilleux chien et de leurs balades sur la plage. Et il était presque tenté de dire que lui également. Ils se torturaient mutuellement l’un l’autre. Lui avec ses questions incisives, elle avec les réponses fébriles qu’elle tentait de lui apporter. Elle y allait avec autant de délicatesse qu’un éléphant dans une petite maison de porcelaine. Remuant le couteau dans la plaie sans s’en apercevoir, ranimant d'abjects souvenirs qu’il aurait préféré voir sombrer dans les ténèbres. Leurs histoires n’avaient pourtant que peu de choses en commun, et il aurait échangé la sienne avec elle sans hésiter une seule seconde s’il avait pu. Il aurait troqué l’horrible inceste contre une cadette amnésique, si en échange tout le désir qu’il pouvait éprouver pour elle s’était évaporé. Prêt à perdre n’importe quelle partie de son corps, à se faire amputer d’une jambe ou à se faire perforer les poumons, pourvu que la vermine disparaisse. Puisqu’il n’était pas capable lui-même de mettre un terme à cette infamie, et qu’il s’évertuait au contraire à faire se propager les flammes chaque fois qu’il en avait l’occasion, il aurait lâchement voulu qu’un coup du destin renverse la situation à sa place. Rester ou partir… Le choix n’était pas si facile à faire quand on y songeait, ne serait-ce que parce que cela s’avérait définitif. Même en ayant la possibilité de revenir, de renoncer à sa décision d’origine. Cela laissait forcément des traces, des stigmates qui s’estompaient à l'usure sans jamais s’effacer complètement. Au jeu d’échecs, c’était ce qu’on appelait le Zugzwang, littéralement un coup forcé. Quand la seule action valable pour s’en sortir sans encombre… serait de ne pas jouer.

« Vous ne pensez pas qu’il s’est senti renié lui aussi ? En à peine une nuit, celle qu’il croyait surement connaitre mieux que personne s’est muée en une étrangère. Peut être que c’était trop insupportable. Peut être qu’il espérait revenir plus tard, et que tout ça n’ait été qu’un mauvais rêve. » La facilité en somme. Croire naïvement que le temps effacera tout, cicatrisera les plus infâmes blessures. Il savait désormais que non, que les secondes s’égrenaient douloureusement, lui rappelant à chaque souffle, chaque inspiration, chaque expiration, que son âme continuait inlassablement de pourrir. Putréfaction qui se poursuivrait au-delà de la mort ; rongeant son cadavre, sa peau, ses os. Il était capable de se mettre dans la peau du fuyard pour lui trouver des circonstances atténuantes, mais inapte à vraiment pardonner sa propre sœur qui n’avait fait qu’écouter son instinct de survie. Les choses s’avéraient toujours plus simples lorsqu’il s’agissait des autres. Il parvenait à leur trouver toutes les excuses du monde, à éviter de les juger effrontément. Il pouvait certes être rangé dans la catégorie de ces psychiatres manquant cruellement de professionnalisme, prenant beaucoup trop à cœur leur mission par moments. Mais ce n’était rien à côté de sa vie personnelle. Tous les précieux conseils dispensés à ses patients s’évaporaient en fumée, au même titre que toute tendance rationnelle. Il se muait en un espèce d’ours aigri, rancunier, détestant être dérangé tout en ruminant lorsque la solitude devenait sa seule alliée. C’était presque de l’hypocrisie en fin de compte, l’emblème du « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais. » Il comprenait réellement le déchirement de la rouquine, son envie de ne pas reconstituer le puzzle de sa courte existence. Le fait d’appréhender de trouver par la suite l’ensemble laid, décevant, honteux. La peur affolante de courir après une vaine obsession, une chimère. Mais cela revenait quasiment à punir son ainé pour son absence, à le laisser dans l’oubli alors que c’était justement ce qui l’avait mutilé, au point de lui faire prendre la fuite.

Il y avait un moment où il fallait arrêter. Se résigner. Accepter l’échec. Il ne pouvait pas non plus forcer tous ses patients à parler contre leur gré, à lui faire des confidences qu’ils n’avaient de toute évidence aucune envie de lui concéder. Il pouvait insister, revenir sur le sujet de manière plus ou moins ouvertement détournée à la première occasion qui se présenter. Mais appuyer sur les plaies béantes avec ses deux mains, en insistant bien pour finir par voir le sang gicler de tous les côtés, non. Il était obligé d’y aller délicatement, méticuleusement, de faire du bourrage de crâne sans en avoir l’air. Un peu comme un neurochirurgien en train de triturer le malheureux cerveau d’une patiente avec un scalpel. La moindre incision pouvait être fatale, et couper d’un trait sec tout le circuit. En l’occurrence cela signifiait faire se braquer Kai, et la voir se refermer comme une huitre sans laisser filtrer ne serait-ce qu’une goutte d’eau. Contre toute attente, il décida ainsi qu’il pouvait lui épargner d’aborder le sujet sentimental pour cette fois. L’épargner et surtout se préserver lui-même, tant parler de ça lui refilait la nausée et des palpitations cardiaques. Mais il y reviendrait, et elle devait se maudire de l’avoir mentionné, d’avoir prononcé cette malheureuse phrase perdue dans une masse confuse d’évènements anodins. Et difficile de résister à cette moue suppliante, titillant allègrement son instinct de culpabilité.

« -Très bien, mais je pense quand même que… »
Il n’eut pas le temps de terminer sa maigre tentative pour lui tirer les vers du nez de manière spontanée, sans devoir s’y prendre avec une pince effrayante. Interrompu en plein vol par la sonnerie stridente caractéristique de son bipper, qu’il avait si peu l’occasion d’entendre qu’il se retrouva à farfouiller précipitamment dans les poches de sa blouse blanche. Finalement obligé de vider ses tiroirs trahissant son tempérament bordélique, tant les feuilles, les stylos et les babioles en tout genre avaient pu s’y entasser. Contrastant sévèrement avec le reste de la pièce, si propre et organisée que n’importe qui ne le connaissant pas pouvait le croire maniaque. Le brun scruta l’écran d’un air perplexe, s’y attardant comme s’il se trouvait confronté au déchiffrage de hiéroglyphes avant de reporter son attention sur la jeune femme. Se mordillant nerveusement les lèvres en hésitant à ignorer royalement le signal avant d’amarrer ses prunelles azurées aux siennes. « Sauvée par le gong. Je suis désolé, je dois me rendre immédiatement dans un autre service. » Il s’était levé sur ses mots, s’approchant de la porte en rajoutant : « Je ne vous facturerai pas la séance évidemment. Vraiment navré de ce contretemps, on… on reprendra la semaine prochaine. » Il avait failli lui lancer qu’ils continueraient là où ils s’étaient arrêtés, avant de se rétracter en songeant que ce serait le plus sûr moyen pour qu’elle cesse la thérapie et ne remette plus un pied dans l’hôpital. Autant lui donner l’illusion qu’il aurait la mémoire courte avant de s’engouffrer à l’extérieur, dans des directions diamétralement opposées.


"HJ":


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