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 « L'alcool a des effets pervers qui ne sont pas marqués sur la bouteille, des effets qui aggravent les maux et embellissent les joies. »

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« L'alcool a des effets pervers qui ne sont pas marqués sur la bouteille, des effets qui aggravent les maux et embellissent les joies. »


Elle leva un regard vide sur la cliente qui rangeait avec sa douceur habituelle ses yaourts dans son sac. « Vous avez la carte du magasin ? ». La vieille dame lui lança un regard surpris et inquiet. Thabyta sentit ses joues rosir sous l'effet de ce qu'elle venait de dire. Elle réalisait à peine qu'elle venait de demander cela à celle qui était peut-être sa première cliente ici. Cette pauvre dame venait tous les jours. Thabyta lui lança un sourire gêné en guise d'excuse et fit passer sa carte devant le lecteur.

Ce matin, elle avait provoqué un murmure effroyable au sein de la petite équipe du supermarché. Pour la première fois en deux ans, elle était arrivée coiffée, vêtue de vêtements neufs, et coiffée avec soin. Cela lui avait évidemment demandé un réveil avancé de deux heures, mais en arrivant sur les lieux de son travail, elle avait presque oublié son accoutrement peu commun au yeux des autres. Ce n'est qu'en recevant des compliments amusés de la part de ses collègues qu'elle s'en était souvenue. Maintenant, le mascara lui piquait l'oeil, et sa robe lui serrait la taille, et elle avait une folle envie de courir chez elle pour attacher ses cheveux n'importe comment et enfiler une jupe large.

Mais il était de retour. IL, celui à qui elle pensait à chaque fois qu'elle se levait et se couchait dans son ancien appartement, cet espace qu'elle n'avait jamais vraiment réussi à s'approprier. Il était en ville et elle n'aurait pas été surprise de le voir débarquer pour acheter deux trois trucs. Il fallait qu'elle soit prête à tout, prête à n'importe quel scénario, autant celui de passer la journée dans cette tenue désagréable que celui de le voir dans dix minutes devant sa caisse une bouteille de son rouge préféré à la main. Toute cette atmosphère d'incertain la rendait aussi nerveuse que distraite et elle tâchait, à chaque nouveau client, de se re-concentrer sur ce qu'elle avait à faire, et de le faire le mieux possible. Il ne manquerait plus qu'elle perde son travail pour une idiotie. Ca n'était certes pas le meilleur boulot du monde, mais il lui permettait de payer ses factures et de continuer à manger à sa faim. Et puis elle s'était habituée à ces gens qui venaient à horaires réguliers à sa caisse, et lui racontait de temps à autres leurs malheurs, qu'elle écoutait d'ordinaire avec une oreille compatissante, auxquels elle ne faisait pas réellement attention aujourd'hui. Un nouveau client arrivait. Elle faisait passer les articles un peu vite, et n'avait pas encore levé la tête pour voir la personne en face d'elle. Sa main se posa sur un objet froid, lourd. Une bouteille d'alcool, c'était plus précisément du whisky, et un assez bon selon ses sources. Ce fut machinal, elle leva les yeux, le regard toujours aussi vide, et tomba sur un jeune homme grand et blond, à l'apparence confiante bien qu'aux traits tirés. Son regard à lui était terni par quelque chose, ce qui attira l'attention de Thabyta. Malgré ses cernes, il avait l'air jeune. Elle toussa légèrement avant d'élever vers lui d'une voix très calme. « Pardonnez-moi monsieur, mais auriez vous une pièce d'identité, s'il vous plaît ? » son visage par ailleurs lui disait quelque chose, comme une grande majorité des visages qu'elle voyait passer au long de la journée, mais d'une manière différente : elle ne l'avait jamais vu ici, mais ailleurs. Ce qui devenait plus étrange dans la mesure où elle sortait très peu de chez elle, en temps normal.

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Mattia Jarvis
Mattia Jarvis
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Le regard dérivant d'une bouteille à l'autre, le jeune homme cherchait la perle rare dans le rayon. De la vodka, c'était trop dégoûtant seul. Le champagne était trop french. La tequila, ça ne lui plaisait pas. Il avait envie d'une bonne bouteille, quelque chose qui arrache la gorge et qui en même temps, vous met la tête à l'envers. Parce que c'était ça qu'il recherchait. Il voulait boire de l'alcool pour oublier tout ça, cesser de penser à tous ses problèmes, plonger son désespoir dans de l'alcool tellement fort qu'il finirait par s'y noyer. Du haut de ses dix-sept ans, il en avait marre de sa vie. Marre de tout ce qu'on racontait sur lui. Marre de voir que sa carrière allait partir en lambeaux, tout simplement parce qu'on ne voulait pas le croire. Les gens avaient ouvert leurs yeux, et découvert la vérité. Il l'avait tellement espéré, ça, que maintenant, ça avait perdu toute sa saveur. Se rendant compte des conséquences, il essayait, encore et encore de le cacher, de mentir, de nier l'évidence à leurs yeux, mais ces derniers ne se cachaient plus. Pire, ils enfouissaient des allumettes dans leurs yeux, et ne les fermaient plus, l'empêchant de vivre sa vie normalement. Il n'avait plus peur maintenant de se faire tabasser en rentrant chez les Andersson, mais plus le temps passait, plus il se rendait compte que c'était la fin de son tennis. L'assistante sociale lui avait parlé de l'envoyer à Portland dans un foyer pour mineurs. Un foyer. Le mot avait été dur à entendre. La suite aussi; elle lui avait clairement expliqué que là-bas, continuer le tennis allait être difficile. Depuis qu'il avait entendu ces mots, la descente aux enfers avait commencé.
Le tennis avait toujours fait partie intégrante de sa vie. Son père avait été le premier à l'encourager dans cette voie, trouvant qu'il avait du potentiel. Même à la mort de celui-ci, de son premier admirateur, il n'avait rien lâché; pour que de là-haut, il puisse voir qu'il continuait. Le jour de l'enterrement, il avait fait une promesse, la main sur le cercueil Je jouerai toujours, suivi d'un coûte que coûte, petit bout de phrase que son père aimait tant dire. Alors, il s'était acharné dans ce sport; jouant des matchs, s'entrainant à fond. Sa seule ombre au tableau était de ne pas avoir autant réussi qu'il l'aurait désiré. La faute à un seul homme; le monstre. Mais maintenant que celui-ci avait été écarté de son chemin, tout comme sa malheureuse mère, il n'allait pas laisser ses enfoirés gâcher sa vie.

Posant les yeux sur une bouteille de whisky à l'étiquette avenante, il l'attrapa. Il la contempla un instant, avant de décréter que cette bouteille était géniale. Le degré d'alcool était élevé; parfait pour se bourrer la gueule. Tenant fermement sa bouteille dans sa main droite, Mattia arpenta les allées du magasin, priant pour ne croiser personne qu'il connaissait. Au détour d'une allée, il rencontra une de ses voisines; du moins une voisine de sa mère et de son beau-père. Maugréant contre le mauvais sort, il fit aussitôt demi-tour, avant de s'enfoncer dans une allée parallèle. Il arriva rapidement en caisse. Jetant un regard aux différentes caissières, il en choisit une. Elle était derrière sa caisse, et semblait passer les articles machinalement, sans vraiment faire attention à ses clients. Parfait, elle ne risquait pas de trop l'observer. Elle ne risquait pas de voir sa jeunesse. Il se mit dans sa file, et attendit patiemment son tour. Une fois que la petite mamie d'avant, elle aussi inconnue à ses yeux, se soit sauvée avec son cabas presque aussi grand qu'elle, il posa la bouteille, et s'avança. Il fallut, évidemment, qu'elle relève la tête, et qu'elle l'observe. Mattia ne put s'empêcher de la regarder elle aussi, s'affirmant. Elle était bien coiffée, bien habillée même. Peut-être un peu trop pour quelqu'un qui passait des articles devant une machine toute la journée. Il allait reprendre son dû, lorsqu'elle se mit à tousser. Sa voix s'éleva alors. « Pardonnez-moi monsieur, mais auriez vous une pièce d'identité, s'il vous plaît ? » Ses yeux, fatigués, s'élargirent un peu, et il murmura un « Oui, je vous cherche ça.. ». Il mit alors sa main dans son jean, et en sortit un billet. Il passa alors dans son autre poche, et ne sentit rien. En réalité, il savait très bien où sa pièce d'identité était, mais il n'avait guère envie de le lui montrer. Il ne tenait pas à ce qu'elle voie son trop jeune âge. Fouiller de la sorte lui permettait juste de gagner du temps pour trouver une idée de génie, et cette idée, il l'avait enfin en tête. « Merde, je ne l'ai pas. J'ai dû l'oublier à la maison. » lâcha-t-il alors. Relevant ses yeux las vers elle, il lui fit un petit sourire, quelque peu désolé. « Mais j'ai 21 ans depuis mars, si c'est ce que vous voulez savoir. » Il mentait évidemment. Mais si il n'avait pas cette bouteille, là, de suite, maintenant, il sentait que ses nerfs allaient lâcher.
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La brume épaisse autour de l'esprit de Thabyta venait de fondre comme neige soumise à un puissant soleil. Elle qui depuis des heures n'avait, par presque aucun moyen, réussi à se concentrer plus d'à peine trois minutes, la voila qui ouvrait ses grands yeux bleus et fixait la personne en face de sa caisse. Elle avait même, le plus inconsciemment possible, redressé son dos qui se trainait en position du vieillard tortue depuis huit heures du matin. Thabyta voulait prendre de la hauteur et de l'autorité. Elle n'en avait jamais eu et avait toujours pensé que pour cette bonne raison, elle allait être une mère complètement dépassée. La question ne se posait plus maintenant, malgré la douleur que cela lui provoquait. Elle était tombée enceinte une fois, et puis il, elle, elle ne savait jamais trop, avait disparu avant même qu'elle ne puisse l'annoncer à son mari. Elle allait devenir trentenaire dans la solitude. C'était une des nombreuses choses qui l'empêchaient encore de dormir une nuit complète sans se réveiller en sueur au milieu d'un lit transformé en zone de chaos et de destruction, ou alors en position fœtale sur le sol de son salon.

Mais aujourd'hui, elle avait mit de l'anti-cernes, et souriait le plus possible, chaque fois qu'elle y pensait du moins. C'est dingue comme le sourire, qui était une des choses les plus naturelles et les plus spontanées émanant de Thab, ne venait pas dès que quelque chose d'important se tramait. C'était pourtant le moment obligatoire pour ce genre de choses. Sauf bien entendu dans la situation dans laquelle elle se trouvait maintenant. Une bouteille d'un whisky sombre trônait devant sa caisse. Elle manipula très légèrement la bouteille, puis leva les yeux vers le jeune homme. Il y avait dans ses yeux quelque chose qu'elle ne pouvait ne pas reconnaitre. Ce jeune homme, quel que soit son âge qu'elle n'avait pas encore déterminé, vivait quelque chose qu'il faut avoir vécu pour connaître : la douleur de l'abandon, le lâcher-prise de quelqu'un que l'on méprise ou pire, que l'on ignore. Peu importe qu'il ait 18 ans, ou 26, la personne en face de Thabyta avait mal. Elle le savait. Il s'était passé plus de 730 jours dans lesquels le regard de Thabyta avait abrité cette flamme noire et destructrice. Elle regarda de nouveau la bouteille, puis le jeune homme, dans un mouvement lent des yeux. Une dernière erreur pouvait lui coûter trop cher. En temps normal, Thabyta aurait lâché prise au dernier obstacle. Elle avait une personnalité bien trop transparente pour tenir tête dans ce type de bras de fer. Céder à la première difficulté brisait un peu plus son égo mais lui permettait de ne pas angoisser plus que nécessaire. Mais le contexte était différent. Son boulot ne ressemblait à rien aujourd'hui, et elle savait que son directeur avait parfois la gâchette facile. Il fallait juste prendre une grande inspiration et se lancer. C'est ce qu'elle fit, de la façon la plus ridicule qui soit. « Ecoutez, hum. Je ne pense pas que vous soyez un menteur, mais.. » commença-t-elle de la manière qu'elle détestait le plus : par condescendance ultime. A vomir, pensait-elle. Elle essaya de se reprendre. « Mais les règles sont très claires. Je ne peux vous vendre de l'alcool sans la présentation d'une pièce d'identité en règle et avec l'âge requis. » débita-t-elle comme on débite une leçon, avec ce même ton faussement naturel et saccadé. Elle était bien sûr extrêmement effrayée, bien que certaine de la jeunesse de ce garçon. Elle en venait même à se demander si il était majeur ; et puis elle se rappelait du moment succin où elle avait vu dans ses yeux cette étincelle de malheur, ce virus insupportable qui s'appelle le désespoir. Ou n'importe laquelle de ses formes. Elle secoua la tête à ses propres pensées et le fixa d'un air sévère, indiquant bien qu'elle ne reviendrait pas sur sa décision.
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Mattia Jarvis
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Le regard dérivant de sa bouteille à l'hôtesse de caisse, le jeune homme attendait désespérément un geste de sa part. Un simple geste suffisait à son bonheur. Elle n'avait qu'à passer le code barre de la bouteille devant son lecteur, et il serait heureux. Enfin, heureux était un bien grand mot. Il pourrait le temps d'une bouteille noyer son chagrin, oublier ce drame, et vivre comme n'importe quel adolescent. Dans ses yeux, on pouvait y lire quelque chose qui faisait mal. Sa détresse se voyait. Même quand il accompagnait ses paroles d'un petit sourire. Ce simple geste amical, plutôt jovial, contredisait le regard perdu qu'il arborait. Un regard triste. Un large sourire. Et une pensée; Allez, putain, donne-la moi cette bouteille. Qu'elle cesse de vouloir jouer les bonnes petites caissières! Qu'elle arrête de vouloir faire son job dans les règles de l'art! Ne lui avait-on jamais appris à passer outre les règles? Certaines règles doivent être suivies, mais d'autres sont plus désuets. Ne voyait-elle donc pas qu'il avait envie de la boire cette bouteille? Qu'il avait mal? Au lieu de l'observer, elle prit un air un peu plus hautain, se redressant doucement, et montrant du haut de sa petite taille le maximum d'autorité qu'elle dégageait. Tenant toujours sa bouteille entre les mains, elle finit par dire quelques mots. Des mots qui faisaient mal. « Ecoutez, hum. Je ne pense pas que vous soyez un menteur, mais.. » Mais quoi? Les yeux de Mattia se posèrent sur elle; tout sourire s'évapora de son visage. Consternant, il la dévisagea, elle, la caissière. « Mais les règles sont très claires. Je ne peux vous vendre de l'alcool sans la présentation d'une pièce d'identité en règle et avec l'âge requis. » Elle parlait d'un ton rapide, peu naturel, trop saccadé, comme si ses paroles, elle les avait appris par coeur en les répétant devant un miroir. Son air autoritaire, et son regard sévère ne laissaient peu de chances à Mattia. Cette bouteille, il ne l'aurait jamais. A moins de le lui arracher des mains..

Dépité, Mattia gardait son regard posé sur elle. Il secoua sa tête, montrant ainsi son mécontentement. Cette règle, c'était de la connerie, une pure connerie. Il se mordit légèrement les lèvres, fuyant le regard de la dame. Il avait envie d'exploser. De lui cracher à la figure tout ce qu'il avait sur le coeur. De l'insulter. De lui faire ouvrir les yeux. De la faire pleurer à tel point qu'elle finirait par lâcher ce job qu'elle n'aimait sûrement pas. Mais il se contenta d'avaler sa salive, de rester calme pendant quelques secondes, tentant de ne pas s'énerver. Il ferma un instant les yeux, et quand il les rouvrit, il la vit, elle-là, derrière sa caisse, son regard sévère, sa main sur sa bouteille d'alcool. Son sang ne fit qu'un tour. D'un geste brutal, il tapa du poing sur le devant de la caisse. Elevant un peu la voix, il s'écria « Vous faites chier avec vos règles de merde. » Il secoua la tête, et finalement, décida de lâcher. D'abandonner. Un lâche en quelque sorte. Parce que Mattia était un lâche; il avait toujours trop peur de se mouiller. Il n'avait jamais répliqué face à son beau-père, préférant encaisser plutôt que répliquer. Comme là, il préférait fuir, plutôt que de risquer de s'énerver, et d'en vouloir à cette pauvre dame qui ne faisait que son travail.

Malgré tout, il la fusilla du regard une dernière fois, et commença à quitter ce magasin. Il sortit d'un pas rapide, assez énervé d'avoir du laisser là-bas, sur place, cette boisson tant désirée. Le regard perdu, il se demanda où aller. Il n'avait guère envie de rentrer chez les Andersson à cette heure-ci. Avec leurs sourires, et leurs petites attentions, il les haïssait. Soupirant, l'esprit occupé à se demander quel bon goût avait ce whisky, il finit par traîner au fond du parking du magasin. Il y vit un arbre. Il s'approcha de lui, et s'assit devant, posant son dos contre le tronc. Il ferma les yeux, essayant de se calmer. Cette petite dame à la caisse n'y était pour rien. Il s'en voulait de lui avoir sans doute fait peur. Mais quel pays! Il n'avait pas le droit de boire. Ca changeait quoi qu'il achète une bouteille? Il en avait envie, personne ne le forçait, si il se détruisait, ça ne tenait qu'à lui. Ruminant de la sorte, le jeune tennisman resta là, occupé à essayer de se vider l'esprit, sans alcool.

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Il fallu une seule petite seconde à Thabyta pour réaliser qu'elle n'avait peut-être pas effectué le bon choix. Le bon choix, elle n'avait jamais su le faire, de toute manière. Quel qu'ai été le problème en face de ses yeux et le temps de réflexion précédent la décision, elle s'était toujours écrasée de tout son long en réalisant l'erreur. La différence était qu'ici, la conséquence engendrée serait bien entendu moindre. Il ne s'agissant que d'une bouteille. Il ne s'agissait que d'un client comme un autre, comme il y en avait eu et en viendrait encore dans la journée. Un gamin paumé, un de plus dans cette ville qui semblait aspirer doucement ses habitants dans un typhon infernal. Plus ils étaient jeunes, plus ils y tombaient vite. Et celui-là donnait l'impression d'être véritablement proche de l'oeil du cyclone.

Son oeil était fixe, vif, déterminé. Quelle que soit la façon dont son coeur tremblait tout au fond de sa petite cage thoracique, rien ne la trahissait. Elle essayait juste de commencer à faire les bon choix. C'était une résolution qui allait forcément lui devenir profitable un jour. Le jeune homme en face d'elle s'assombrit immédiatement, encore plus que Thabyta n'en pensait ça possible. Il secouait la tête, dans un silence parfait. Il n'y avait pas grand monde dans le petit supermarché à cette heure-ci et personne ne voyait aussi bien que Thabyta ce qui animait ce garçon. Une colère anonyme, dirigée contre la vie elle même et qui prenait racine dans l'alcool qu'elle avait dans les mains. Du moins qui en avait l'intention. Elle le vit fermer les yeux et compris que sa colère allait prendre un nom. Qu'elle allait prendre une cible, et que c'était elle. Rien n'y manqua. Un poing d'homme, violent et imprévisible, s'abattit sur le métal de la caisse. Un bruit sourd résonna dans le magasin, sitôt couvert par la voix déshumanisée du client. « Vous faites chier avec vos règles de merde. », avait-il dit comme par réflexe, pour dire quelque chose et ne pas avouer sa défaite. Thabyta aperçu d'un coin de l'oeil le vigile esquisser un mouvement précipité vers elle, visiblement sorti de sa torpeur habituelle par l'évènement. D'un très léger geste de la main et d'un regard insistant, elle sauva le jeune homme d'une expulsion à grand fracas. Cela suffit, étrangement, à arrêter l'homme de sécurité. Elle leva le même regard vers le garçon, regardant une nouvelle fois ses yeux qui étaient passé de noirs à rouges. Les siens le perçaient, comme pour lui dire qu'il se trompait. Qu'il avait faux sur toute la ligne. Et puis il reparti aussi vite qu'il était arrivé, laissant Thabyta avec sa bouteille et un sentiment de victoire et de tristesse à la fois.

Deux heures passèrent, pendant lesquelles elle tenta de reprendre son service le plus naturellement du monde, et y arriva beaucoup plus honorablement qu'en prévision. Comme tous les jours, elle était libérée vers les 15h. Elle enleva son badge avec plaisir et quitta le magasin chargée de ses affaires. Sa voiture était heureusement garée très près. Elle s'y jeta avec angoisse. Depuis qu'elle était sortie du magasin, elle avait eu le temps de repenser à l'épisode du jeune homme au whisky. Elle n'arrivait pas à se détacher de l'idée qu'elle avait quelque chose à régler dans cette histoire. Pensive, elle introduisit les clés dans la voiture, et mit le contact. A ce moment là, la voiture ronronna une seconde, puis un tas de sons inhabituels en sorti et finalement elle s'arrêta. Thabyta esquissa un large regard de surprise et tenta de tourner la clé plusieurs fois, sans succès. Incrédule, elle s'extirpa de son siège et se plaça au devant de la voiture, avec sa petite robe neuve, faisant croire à qui voulait le voir qu'elle était capable de réparer ça toute seule.
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Essayer de vous vider l'esprit, assis sur l'herbe, le dos collé contre un tronc d'arbre, au milieu de dizaines de voitures qui se mettaient une à une en route. C'est impossible. Vous n'arriverez pas à vous concentrer, à imaginer autre chose que votre misérable petite vie. C'était ça qu'il ruminait. Il repensait à toute sa vie. A Ella. A ce bébé non désiré. A Ella qui le lui annonçait. A Ella qu'il larguait vulgairement. A son tennis. Et puis, il le revit, lui et son visage horrible. Ses traits déformés par la colère. Son haleine empestant l'alcool. Sa demande C'est vrai? C'est vrai ce qu'on dit? Que la petite Clarke est enceinte? C'est vrai? Ses mots résonnaient encore à son oreille. Ses nerfs saillant. Ses yeux noirs. Sa bouche tordue. Sa main sur Sa ceinture. Son poing levé. Il avait hésité, un instant. Et puis, il l'avait attrapé, avait serré son col contre sa gorge, l'avait plaqué contre le mur, et avait laissé Sa haine se déverser. Parce que soit disant, faire un bébé c'était pas bien. Mais putain, il ne l'avait pas voulu ce gosse! Il n'avait pas voulu de ce bébé; il ne l'avait pas fait exprès. C'était malheureux, mais c'était comme ça. Comment à 17 ans, avec un tel avenir devant lui, pouvait-il croire qu'il voulait d'un gosse? Un gamin ne peut pas comprendre sur un terrain de tennis. Et lui, il comptait passer les quinze prochaines années dessus..
Il ferma les yeux un instant. Savoir que tout le monde savait le mettait mal à l'aise. Les gens ne le regardaient plus pareils. Avant il était le gamin doué du tennis. Celui à qui on promettait un bel avenir. Celui qui deviendrait peut-être un Grand. Avant, il était parfois connu comme le gamin de Casey, ce pauvre gamin qui avait perdu son père bien trop jeune d'un cancer. Maintenant, on parlait de lui comme de ce gosse qui s'était fait tabassé. C'était facile de parler maintenant, de sous-entendre qu'on l'imaginait, de dire je m'en doutais. C'est déculpabilisant pour la personne, mais c'est énervant pour la victime.
Et puis, comme toujours, son esprit se reposa sur sa mère. Sa chère mère. Incapable de voir ce qu'il se passe autour d'elle, tellement elle ne vit plus. Depuis la mort de son mari, elle essaye de survivre, mais une force incroyablement puissante l'entraine vers les ténèbres. Elle n'était pas morte, mais c'était tout comme. A rester sur son fauteuil les trois quart du temps, les yeux rivés sur la fenêtre, elle finissait par dépérir. Et pire que tout, là, son mari n'avait plus de punching-ball. A moins qu'il s'en achète un, il avait peur qu'elle finisse par prendre sa place.

Et puis son tennis, son sport préféré. Il allait devoir tout lâcher, l'abandonner. Pour quoi? Pour des rumeurs qui circulaient. A cause de son beau-père. Il allait finir par partir à Portland, dans un foyer. Bye bye les terrains. Bye bye ces petites balles jaunes. Bye bye le tennis. Toute sa vie partait à la dérive ! La seule chose qui le retenait, avant, c'était de pouvoir jouer. Mais il sentait que d'ici peu, il n'aurait même plus de bouée de sauvetage. Tout serait fini pour lui. Il pouvait bien devenir alcoolo, drogué, tout serait fini de toute façon.

Secouant la tête, Mattia du retenir une forte envie de pleurer. D'hurler. De défoncer les voitures autour de lui. D'arracher l'herbe. Son cerveau allait exploser. Il fallait qu'il arrête de penser, qu'il arrête de ruminer, qu'il cesse de penser à tout cela. Attrapant sa tête avec ses deux mains, il se mordit les lèvres, les larmes pleins les yeux. Il voudrait tellement retourner en arrière. Revenir au début de sa relation avec Ella. C'est débile à dire, mais il avait envie de revenir à un moment où son seul souci dans la vie était d'éviter les coups. Au moins, il n'avait pas l'impression d'avoir gâché sa vie, d'avoir gâché celle d'Ella, de porter une étiquette 'enfant battu' sur le front, d'avoir donné sa mère à manger à un lion. Et au moins, au moins, il continuerait à jouer au tennis. C'était la chose la plus important à ses yeux.

Sa tête dans ses mains, Mattia était perdu dans ses pensées depuis déjà un bon moment. Il ne faisait plus attention à ce qu'il se passait autour de lui. Ce n'est qu'en entendant un ronronnement et des bruits inhabituels pour la deuxième fois qu'il finit par relever la tête. Une femme sortit alors de sa voiture. Ni une, ni deux, elle se planta devant sa voiture, faisant presque croire qu'elle y connaissait quelque chose. Il la reconnut, la caissière pimpante, super bien habillée. Il secoua la tête, et la regarda un instant galérer. D'une de ses mains, il attrapa une herbe qu'il commença à déchirer en petits bouts. Elle semblait déterminée à comprendre le problème, mais incapable de le comprendre réellement. Ca se voyait; elle n'avait rien d'une mécano. Il en aurait mis sa main à couper; il se doutait qu'elle sache où se trouve la batterie. Alors, parce qu'il avait pitié d'elle, parce qu'il voulait se rattraper de tout à l'heure, et parce qu'il ne voulait pas entendre une fois de plus cette voiture râler, il ouvrit la bouche. « Cherchez pas, c'est la batterie » Il en était certain. Il reposa alors un instant son regard sur elle. Il n'avait pas bougé. Il était toujours le dos contre l'arbre, assis par terre, le regard minable.


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