Ecrire, c'est ranger le bordel de sa vie. En tout cas, c'est ce que mon père m'a toujours dit. D'ailleurs, c'est pour ça que j'ai commencé à faire des courts-métrages. Il me manque. Dans quelques heures, je serai de retour dans la ville où j'ai grandis, où je suis devenu ce que je suis en grande partie grâce à lui. Dans quelques heures, je serai chez nous, à Arrowsic, et lui ne sera pas là. J'ai peur, et je m'en veux. J'aurai aimé être là pour lui, jusqu'au bout. Mais j'ai fuis, en ne pensant qu'à moi, et demain sera probablement le jour le plus difficile pour moi.
Quand j'étais gosse, mon père était mon héros. Il n'avait pas besoin de porter une cape rouge pour l'être. Il en a porté une un jour, mais c'était pour Halloween. J'en ris encore, il était incroyable. Mon premier livre d'enfant, c'était lui qui l'avait écrit, ma mère en avait fait les illustrations. Je l'ai toujours d'ailleurs, il est rangé dans mon armoire, sous un tas de bordel. L'histoire qu'il avait écrite était très belle, d'ailleurs s'ils l'avaient proposé à une maison d'édition, il se serait vendu comme des petits pains. Mais ils voulaient que je sois le seul à l'avoir, c'était un livre unique. D'ailleurs, quand ma sœur est venue au monde, elle a eu droit au sien aussi. Ma mère, c'est son héroïne. C'est certainement le cas pour beaucoup d'enfants, mais c'est toujours beau à dire je trouve. Heureusement, je lui ai dis de nombreuses fois, à mon père, quand j'étais gamin. Il est partit en sachant qu'il était mon héros. Moi, je crois que j'avais de nouveau besoin de l'écrire. Il va me manquer. Quand on perd quelqu'un, on a ce réflexe, incontrôlable, de revoir tous ces bons moments passés avec cette personne défiler dans notre tête. Je n'ai pas dormi cette nuit, ni la nuit précédente. Je n'ai plus vraiment l'esprit très clair, et au lieu de dormir dans le train, je préfère faire ce qu'il m'a toujours dis de faire quand c'est autant le bordel dans ma tête. Écrire.
C'est lui qui m'a offert ma première caméra. J'avais treize ans, j'avais l'habitude de prendre l'appareil photo de maman et faire semblant de les filmer, de filmer n'importe quoi. Alors pour mon anniversaire, il a eu cette excellente idée de m'acheter une caméra. Elle n'avait rien d'exceptionnel, parce que j'étais quand même jeune, mais c'était le plus cadeau qu'il ait pu me faire. C'est peut-être cliché, pour un réalisateur, mais c'est comme ça. Nous avions passé la journée en famille pour fêter ça, nous étions une vingtaine dans la maison, et moi je n'ai pas quitté ma caméra. Ils sont tous passés devant, pour me souhaiter un joyeux anniversaire, parler d'eux, ma mère a même fait un dessin sur le mur de ma chambre, comme elle le faisait à chacun de mes anniversaires. Neüs avait six ans, et comme à chacun de mes anniversaires, mes parents lui avaient offert un tableau à colorier, pour ne pas qu'elle soit trop jalouse de l'attention qu'on me portait. Le soir, quand tout le monde est partit, on s'est installé tous les quatre devant la télévision et on a regardé La Belle et La Bête. Ils adoraient le cinéma français, et m'ont fait partager leur passion. Je me disais qu'un jour, je travaillerai avec Godard ou Cocteau. On rêve lorsqu'on est gamin.
A l'école, je passais mon temps libre à écrire des histoires et je demandais à ma mère d'en faire les storyboards. Et le weekend, je filmais. Souvent, c'était ma famille qui jouait dedans, mais qu'est-ce que j'aimais ça. Et en grandissant, rien n'a changé. Au grand désespoir de mes professeurs, je préférais écrire que travailler sur mes devoirs. J'avais à peine la moyenne dans la plupart des matières, sauf les littéraires. Ça m'ennuyait. Et puis j'ai eu ma première histoire d'amour. Elle s'appelait Devin, je l'ai connu au parc alors que je me baladais, caméra en main. Elle m'a vu la filmer, et elle a souri. J'avais seize ans. Cette même année, avec l'option art et audiovisuel de mon lycée, j'ai réalisé mon premier court-métrage présenté à un festival. C'était un petit événement dans le Maine qui avait lieu chaque années, c'était la première fois que j'obtenais un prix. Le jour de la projection, je m'en souviens encore, j'étais tellement nerveux que j'ai essayé cinq chemises et dix t-shirt avant de trouver comment m'habiller. Devin m'avait accompagné, avec toute ma famille, je revois encore leur sourire et à quel point ils étaient fiers de moi. C'est là que j'ai dis à mes parents qu'après le lycée, je m'arrêtais. Il ne me restait plus qu'une année, et je décidais de me consacrer entièrement à ma passion. Je suis partis cinq mois à Los Angeles quand j'ai eu dix huit ans, pour faire un stage. Second assistant réalisateur sur le tournage d'un film. Je servais le café, apportait les scripts, tout le monde me gueulait dessus, mais j'en n'avais rien à faire, parce que j'apprenais.
Et puis je suis revenu à Arrowsic. J'étais fier de moi parce que j'avais plutôt bien survécu à mon expérience hollywoodienne, et j'avais des idées plein la tête. Je passais mon temps à écrire et tourner des courts-métrages. Parfois, c'était bon, très bon, j'avais même gagné deux nouveaux prix dans différents festivals. Parfois, c'était franchement nul, mais au moins, ça me donnait de l'expérience. J'allais un peu partout en Amérique, je présentais mes films dans des festivals, et parfois ils passaient même en première partie dans des cinémas d'art et essai. J'avais de la chance, mes parents me supportaient et lorsque je n'avais pas les moyens de payer mes billets d'avion ou de train, ils me les offraient. Je peux vous sembler être un enfant gâté, qui profite de ses parents plutôt que d'apprendre la vie. Je vous arrête là, ce n'est pas le cas. Oui, mes parents m'ont beaucoup aidés, mais n'importe quel artiste peut vous dire que lorsqu'on peut donner tout son temps à son art, alors on le fait. J'ai eu la chance d'avoir des parents qui me soutiennent. Maintenant, grâce aux prix que je remporte et aux bourses que j’obtiens, je n'ai plus besoin d'eux, mais ça n'a pas toujours été aussi simple.
Les histoires d'amours, ça n'était pas vraiment ma spécialité, simplement parce que je n'y connaissait pas grand chose. On n'écrit pas sur ce qu'on ne connait pas. D'ailleurs on dit toujours qu'avant d'écrire, il faut vivre. Et puis un jour, ça m'est tombé dessus, comme ça. Elle était tellement jolie, son uniforme mettait ses beaux yeux en valeur, et son sourire était à tomber. C'était il y a cinq ans, je me rendais à Portland par avion, à l'époque j'enchainais les rendez-vous pour trouver une collaboration intéressante. J'avais une idée de film, il me fallait une équipe et du matériel. J'étais assez nerveux, alors comme toujours, j'avais mis mon casque sur les oreilles, j'écoutais Belle et Sebastian et regardait les nuages. Quand j'étais petit, je m'allongeais avec ma sœur dans le jardin et on observait le ciel d'en bas. J'aimais pouvoir le regarder d'en haut. Et puis au moment je tourna la tête, elle était à côté de moi, cette hôtesse que je n'avais pas encore remarqué. Je la vis et je ne pus m'empêcher de sourire. Comme je le disais, je n'y connaissais rien à l'amour, mais quand on se met à sourire à une personne comme ça, sans pouvoir rien n'y faire, alors qu'on ne la connaît pas, ça veut bien dire quelque chose non ? J'avais soif, je lui demanda une bière. J'avais aussi envie de tout connaître sur elle, mais je ne dis rien. Du moins la première fois, mais après avoir retourné différents scénarios dans ma tête, je me suis dis que c'était bien trop bête, je n'allais pas manquer une occasion pareille.
On a discuté tout le reste du vol, elle n'était pas seulement jolie, elle était intéressante, et me faisait complètement craquer. Je ne voulais pas la quitter, je voulais qu'on reprenne l'avion, pour faire un vol beaucoup plus long. Aller à Paris par exemple, c'était romantique en plus. Mais le vol se terminait et tandis qu'elle devait retourner à son poste, moi je devais retourner à mon siège. En descendant de l'avion, je la cherchais partout. J'avais écris mon numéro sur un morceau de papier, et lorsque je l’aperçu, je me mis à courir vers elle et me sentit franchement ridicule. Il ne manquait plus qu'une musique, un ralentit, et on était dans un film romantique typiquement hollywoodien. Mais je ne le regrette pas, parce que comme dans tout bon film, on s'est marié. Oui, c'est allé vite, mais franchement, on s'en fout quand on aime. Et qu'est-ce qu'on s'aimait. Finalement, je savais pourquoi je n'y connaissais rien à l'amour. On a beau lire des romans d'amour, voir des films, tant qu'on ne le vit pas, on ne peut pas savoir ce que c'est. Ça ne se décrit pas. Ou plutôt si, mais chacun a sa vision. Pour certains, c'est se chamailler autour d'un verre de vin, pour d'autres c'est marcher dans la rue main dans la main. Pour nous, c'était un tout. C'était être heureux. Thabyta, c'était la femme de ma vie. Mais mon père me le disait, toutes les histoires ont une fin.
Il m'a dit d'avancer. « Ne t'inquiète pas, c'est les coups difficiles qui nous rendent forts. Et puis, elle était pas si bien que ça. » Je savais qu'il disait simplement ça pour me remonter le moral, parce qu'il l'adorait, il l'aimait autant que sa fille. J'étais tellement heureux d'avoir une femme qui s'entendait si bien avec ma famille. Après tout, ils sont tout pour moi, alors il valait mieux que ce soit le cas.
Après trois ans de mariage, réaliser que la personne en qui on a le plus confiance vous trompe, avec un crétin prétentieux, c'est difficile. Lui, je voulais l'étrangler. Mais je n'en avais pas le courage, je voulais simplement pleurer. Pourtant j'étais tellement fier d'elle, elle avait du talent, elle pouvait percer, j'en étais convaincu. J'aimais l'écouter jouer, souvent je la filmais, parfois je restais allongé à ne rien faire d'autre qu'à la regarder et l'écouter. Et puis il a débarqué dans sa vie. J'imagine que c'est ce qui arrive lorsqu'on donne sa confiance à quelqu'un, ils nous trahissent. Logique, puisque les seules personnes que l'on peut trahir sont celles qui nous accordent leur confiance. J'ai toujours dans ma tête l'image de Thabyta dans les bras de ce type à poil. Je me souviens de ce coup de poing que j'ai ressentis. Le même que j'ai ressentis trois mois plus tard, lorsque nous avons signé les papiers du divorce. Je ne voulais pas entendre ses explications. Quoi, elle s'ennuyait avec moi ? Elle ne m'aimait plus ? Toutes ces pensées me rendent fou, et depuis deux ans, j'essaie de ne pas y penser. J'essaie de refaire ma vie, mais je n'ai pas eu une seule relation sérieuse depuis notre divorce. Je ne veux plus m'attacher. Trois semaines avec la même fille doit être mon record. Pensez ce que vous voulez de moi, je ne les prends pas pour des objets, je suis juste paumé. Je sais que de revenir à Arrowsic va être difficile pour moi, avec tous ces souvenirs. Mais ce n'est que provisoire. J'ai passé les deux dernières années à me focaliser sur mon métier, je suis partis un an en Nouvelle Zélande en tant qu'assistant réalisateur sur le tournage d'un film, et puis je me suis installé à New-York. Le bordel de cette ville correspond assez à celui qui se trouve dans ma tête, alors j'ai trouvé ça approprié.
Je ne veux pas penser à elle, je veux être là pour ma mère et ma sœur, et dire au revoir à mon père. Je veux qu'il soit fier de moi. Je veux réussir à lui dire au revoir. Je veux réussir à ranger le bordel de ma vie.
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. Je ne sais pas si c'est normal ou non. Peut-être qu'elle est partie en vacances...
et bonnes vacaaaaaaaances :abbey: