•• Tu termines à pied les derniers mètres. Il faut dire qu'ici, pas question d'appeler un taxi. De toutes façons, tu n'aurais pas de quoi le payer. Tu l'as déjà fait bien sûr; t'enfuir en courant une fois déposé. Mais ici, la ville est si petite que tu aurais du mal à passer inaperçu le lendemain. En cinq ans, tu as essayé de limité la casse. De limiter les vols. Les pillages. Les trucs illégaux. Mais disons que pour toi, c'est presque une habitude. Quelque chose dont tu as du mal à te défaire. Ah, Louis, prince, ta mère disait ? Parle, parle, pauvre et folle à lier. Non, Louis, tu ne seras pas prince. Tu as vingt-ans et déjà tout gâché. Ou alors sont-ce les autres qui ont tout gâché à ta place, ne te laissant même pas ce contrôle sur ta vie. Prince, ben voyons ! Ah, Louis le roi de France. Ici, tu n'es rien, tu n'es personne. Ici, comme à Paris, tu n'existes pas. Tu passes inaperçu. Pourtant, ta gueule d'ange font se retourner les filles sur ton passage. Parfois même les mecs. Mais toi, tu ne les vois pas, tu ne les regardes pas. Chimère d'un monde parallèle, tu traces ta route sans te soucier des signalisations. Louis, le fantôme solitaire et déchu. Quelle dérision quand on y pense.

Tu frappes un coup bref à sa porte. Ce soir, tu as décidé de passer la soirée chez Blake. C'est un bon ami. Un de ceux qui te ressemblent vraiment. Pas tous ces crétins pour qui tu fais semblant. Non, tu partages vraiment des choses avec lui. Voire plus, même. Dans ta main droite, un sac en plastique sorti tout droit d'un centre commercial peut-être. Le genre de sachet blanchâtre ou s'inscrit un vulgaire « 100% recyclable ! » et que pourtant, tu jetteras, comme les autres, dans une poubelle ou dans une rue abandonnée. Dedans, un paquet de chips et une pack de bières. Certains auraient emmené un gâteau du plus prestigieux pâtissier de la ville, avec une bouteille de champagne, ou de rosé au moins. Mais toi, t'as pas été élevé comme ça. En fait, t'as pas été élevé tout court. Tu as à peine de quoi survivre; alors payer une bouteille de champagne, tu parles ! Tu attends qu'il t'ouvre, enfouissant ton autre main dans la poche de ton jeans troué au genoux. Tes yeux clairs et bleutés se rivent sur son jardin. Sur les alentours. Une belle maison. Une maison près de la mer. Une maison qui respire la sérénité, un endroit où il fait bon de venir se réfugier en cas de tempête intérieure. Toi, tu n'as nul endroit comme ça où aller. Alors, peut-être est-ce pour ça que tu viens souvent ici. Comme si tu avais, toi aussi, des souvenirs apparentés à un endroit comme celui-ci. Comme si toi aussi, tu t'étais assis sur le perron, face à la mer, sur les genoux de ton père. Triste ironie du sort. Ton père, tu n'en as jamais vu la silhouette, et la mer est bien loin quand on habite à Paris. Soudain, la porte s'ouvre et tu sors alors de tes pensées brusquement, comme un pantin secoué par son marionnettiste.

•• La porte s'ouvre, et tu as le loisir de découvrir Blake en belle tenue décontractée. En même temps, tu n'as pas prévenu, il ne devait pas s'attendre à ce que quelqu'un vienne frapper à sa porte ce soir. « Louis. » En personne. Tu esquisses un sourire. Tu détestes ce prénom bon sang, mais tu ne peux que faire avec, n'est-ce pas ? « J'te dérange pas au moins ? » Ouais, sait-on jamais quoi. Parfois, tu demandes. Parfois, tu oublies. Parfois, on t'en veut. Mais bon... Blake, c'est Blake quoi. Tu ne remarques rien quant à son arme. Il est habile. Il se décale; tu entres alors. Tu es déjà venu chez lui, ce n'est pas la première fois que tu découvres cette maison qui a, tu le sais, beaucoup d'importance. « Qu'est-ce que tu fais là ? » Tu baisses les yeux vers ton sac, que tu lui tends, avec une certaine négligence. Tu passes ta main dans tes cheveux pour les ébouriffer. « J'me disais qu'on pourrait passer une soirée tranquille... » Ouais, tu t'incrustes même chez lui, ouvertement. Mais bon, ici les gens ont l'habitude, non ? « Ça va ? » Tu relèves tes yeux bleus vers lui. Quand tu le regardes, tu as l'impression de te voir toi dans dix ans. Moins, sans doute. En fait, c'est quasiment toi. Toi dans pas longtemps. C'est peut-être ce qui fait que tu te sentes en confiance avec lui. Il est l'un des seuls. « Oui, oui, la routine. Et toi, Blaer ? » Tu observes son intérieur, comme si c'était la première fois que tu venais. « Vas-y, installes-toi. Fais comme chez toi. » Il file ramener un verre vers la cuisine. Toi, tu restes un instant là, debout, un peu hésitant. Puis alors, tu suis ses conseils et t'installes dans un canapé, savourant le confort d'un véritable sofa, ce dont tu as rarement le droit. Il revient alors et tu lui lances un rapide sourire. « C'est pas de la qualité que j'ai apporté, mais si t'as rien chez toi on peut j'sais pas... commander des pizzas. » Tes yeux descendent sur sa tenue décontractée et un sourire malicieux s'esquisse. Un sourire qui en dit long sur les petits plus de votre relation. Tu détournes malicieusement le regard, comme si tu cachais quelque chose. « Tu es pas mal dans ces fringues. » murmures-tu alors doucement, narquois et taquin, avant de croiser les bras sur ton torse, te mettant à l'aise en retirant tes chaussures. Faire comme chez toi ? Tu ne sais pas trop ce que cela veut dire... mais tu essaies.