Je ne savais pas quel jour on était. Ni depuis combien de temps j’étais à l’hôpital. Depuis combien de temps j’avais accouché. Trois, quatre jours ? J’en savais rien. La morphine avait au moins provoqué ça. Elle m’avait fait perdre toute notion du temps. « Ella, comment ça va aujourd’hui ? » Je regardais le docteur Cohen et son grand sourire. Il faisait de son mieux pour me rendre la vie plus simple. Pour que tout aille bien. Tout en refusant catégoriquement que je vois mon fils. « Bien mais, j’irais encore mieux si je voyais Lleyton. ». À chaque fois qu’il venait c’était la même réponse. Je voulais voir mon fils. Mais il(s) ne voulai(en)t pas prendre le risque de contaminer le bébé. Et puis comme le disait Cohen, il n’était pas certain que je survive le temps du chemin. Ce que je trouvais débile. Et lui justifié. Mais, plus particulièrement, il avait peur que je vois mon fils. Que je ne m’en remette pas. Je sais pas dans sa tête je devais certaine être la gosse qui vit dans le monde des bisousnours. Et pendant un long moment ça avait été ça. Ça l’était encore aujourd’hui. Mais je savais que mon fils ne pesait que deux kilos. Qu’il était minuscule. Branché à des tuyaux. Tout comme moi. Je savais comment j’allais le trouver. Mais, il ne me croyait pas. Ou du moins, l’équipe médicale ne me croyait pas. Parce que Cohen, je crois que ça lui faisait vraiment de la peine. « Non pas encore, mais on va essayer de te retirer la pompe à morphine. ». Il me fit un large sourire. Il savait que ça aussi, ça me faisait chier. Donc c’était déjà pas mal. Mais sérieux. Je voulais mon fils. « C’est déjà un début mais, vraiment docteur, j’aimerais voir mon fils. ». Il m’accorda un regard triste et désolé. Ce n’était pas possible. Mais j’allais finir par crever. Tant il me manquait. Il y avait réellement un manque à l’intérieur de moi. Il n’était plus dans mon ventre. Et le temps sans contact avec lui m’avait semblé une éternité. J’avais même cru qu’il était mort. Jusqu’à que Mattia vienne, j’avais cru qu’il était mort. J’avais besoin de lui.

La nuit était tombée. Je regardais inlassablement par la fenêtre. Pressée de sentir à nouveau l’air frai sur mon visage. De partir d’ici. De vivre à nouveau. Je m’ennuyais toute la journée. Je regardais la télé. J’écoutais de la musique. J’écrivais. J’essayais de ne pas penser à Lleyton. Mais, c’était dur. Trop dur. Puis soudainement je tournais la tête. Des bruits de pas. Une jeune femme venait d’entrer dans ma chambre. Je l’avais déjà vu. Elle venait souvent prendre des nouvelles de moi. Et elle s’entendait bien avec Ange Cohen. Ils étaient parfois venus ensemble. Et quand ma porte restait ouverte je les voyais discuter tous les deux. « Docteur Meyers, c’est bien ça ? ». Je lui accordais un sourire. J’imaginais qu’elle était pour vérifier que ça allait. Sans morphine. Et ça allait, j’étais beaucoup moins défoncé, c’était déjà ça.

Le docteur Meyers. Elle était agréable. Elle avait toujours ce joli sourire réconfortant et sincère avec elle. J’avais vu d’autres médecins. Et vraiment ils n’étaient pas tous comme ça. Les internes étaient les pires. Ils pensaient tout savoir. Et finalement ce n’était qu’une croyance. Ils ignoraient leur incompétence même. Ils étaient là pour apprendre et prétendait déjà tout connaître. Bien sûr je ne parlais surtout pas de Fernando. De mon meilleur ami. En fait là, je pensais aux deux internes que Cohen avait eus hier. Il n’avait pas l’air de les apprécier d’ailleurs. Bref, revenons au Docteur Meyers. « C’est bien ça. Tu as bonne mémoire. Tu peux m’appeler Priya ceci dit. ». Ah là, ça ne devrait pas trop me poser de soucis. Je n’étais pas du genre à tutoyer tout le monde. Mais au moins pouvoir les appeler par leur prénom, c’était plus agréable. « Pas de soucis, je vous appellerais Priya. ». Je lui offrais un sourire à mon tour. N’empêche ça devait être un truc d’ici. Cohen aussi voulait que je l’appelle par son prénom. Et j’avais parfois un peu plus de mal. Parce que tout le monde semblait prononcer Cohen autour de moi. Et non pas Ange. Du coup naturellement, je ressortais son nom de famille.

Enfin bon, elle était venue pour voir comment j’allais. Je le savais. Ils défilaient pour ça. Parfois je faisais semblant de dormir. Pour ne pas avoir à répondre à cette question. « Comment te sens-tu maintenant ? ». C’était un jeu d’acteur. Une répétition bien rodée. Une phrase apprise par cœur. Pour elle. Pour moi. En fait, j’aurais pu me taire. Elle aurait su au mot près ce que j’allais dire. Du coup, j’avais presque envie d’être plus bavarde. « Encore mieux depuis que je ne suis plus dopée par cette cochonnerie de morphine. ». Oui, même si j’avais été contrainte d’arrêter la natation synchronisée, l’esprit sportif était toujours là. Et les drogues c’est le mal. C’était prendre le risque d’être testé positif au dopage. Je n’avais jamais touché à la drogue de ma vie. Et là on me foutait de la morphine dans le sang. Rien que le nom me filait des frissons.

Évidemment, j’avais repris aussitôt pour achever mon discours si habituel. « Mais franchement, j’aimerais voir Lleyton, j’irais beaucoup mieux si je pouvais enfin le voir de mes propres yeux. Enfin, j’ sais pas qui est le débile qui a décidé que je ne pouvais pas le voir mais bordel… celui-là ne sait pas ce que c’est d’être privé de son enfant. Je ne sais pas, j’ai fait le choix de garder cet enfant et là… on me le retire. ». Et ça aussi, c’était très dur à avaler. Cette idée que finalement on m’empêcher de faire des choix. Qu’on ne respectait pas mes choix. Je n’avais plus l’impression d’être libre. J’étais soumise à des médicaments. A des avis médicaux. Et je n’avais plus aucune influence sur ma propre vie. Et avant aujourd’hui presque plus sur mon corps. Du moins quand j’étais en mode morphine à fond. Voilà. J’avais un peu trop parlé. Je n’aurais peut-être pas dû m’emporter. Même si j’étais restée très calme. « Désolée… ». Je l’étais parce que rien n’était de sa faute. Mais je ne pensais pas moins ce que j’avais dit sur le connard qui prenait ce genre de décision.

Je savais que je parlais tout le temps de lui. Que je ne parlais que de lui. J’avais constamment son prénom à la bouche. Lleyton. Bordel si tout le service de pédiatrie n’avait pas entendu son nom, c’est qu’il y avait un problème. Mais Lleyton était mon bébé. Certes, il n’était pas désiré à la base. Mais j’avais décidé de le garder. Je l’avais choisi. Même si ça avait été dur, très dur. J’avais fini par vouloir voir son petit nez. Et puis, Lleyton, c’était le fils de Mattia. Ok, je ne devais pas dire ça devant lui. Mais, Mattia il était bien le seul homme de ma vie. Je n’avais jamais eu envie de personne. Je n’avais embrassé personne. Je n’avais jamais envisagé de coucher avec quelqu’un. Et lui, il avait débarqué comme ça. Me changeant radicalement. A jamais. Je lui avais offert tout ce que j’avais. Je m’étais donnée à lui. Et Lleyton quoiqu’il en dise, c’était son fils. J’avais même un peu peur qu’il lui ressemble trop dans le futur. Mais ce petit bébé, je l’aimerais autant que je pouvais aimer son père. D'un amour différent certes mais, tout aussi indestructible. Je ne sais pas, ça comptait pour moi que ce soit le fils de Mattia. Si j’avais été violée, aurais-je été capable de réagir ainsi ? D’aimer cet enfant ? D’avoir envie de la voir ? Enfin, Lleyton c’était mon bébé, mon ange, mon trésor. Et tant que je ne l’aurais pas vu, je ne parlerais que de lui. Je le savais. Mais c’était plus fort que moi.

Priya s’approcha de moi avec un regard doux, compréhensif. Quelque chose d’attendrissant, d’agréable. « Ella, si seulement c’était possible. Le docteur Cohen t’en a surement parlé. Ça ira mieux dans quelques temps et ils te permettront d’aller le voir. ». J’avais beau le savoir c’était difficile à admettre. Et puis ce n’était pas comme si j’avais une date. Comme si j’étais certaine que j’allais pouvoir le voir. Bientôt, à un jour précis. J’étais dans un flou artistique et qui vivra verra. Mais en attendant mon bébé grandissait sans moi. Il se battait sans moi. J’avais l’impression d’être nulle. Incapable. Inutile. « Je sais, mais je ne sais pas quand… il doit rester six semaines en néo nat', et je pourrais pas louper six semaines de sa vie... ». J’étais sûre qu’il se croyait seul. Il allait se sentir abandonner. Et du coup, il allait développer des complexes. Il allait se croire abandonner. Bon, ok, je me cherchais des excuses. Parce que la réalité était simple. Je ne pouvais pas supporter d’être sans lui aussi longtemps. Il me manquait une partie de moi. Et je ne vivrais pas tant que je n’aurais pas eu un contact avec lui. Je le savais. Et tout le monde autour de moi le savait. « Je repasserai te voir avant de partir. Essaye de te reposer un peu. ». Je me mordais la lèvre inférieure. Là, je n’allais pas dormir pendant un long moment. Parce que j’allais penser à lui. Repasser toutes les photos de lui. Je n’arrêtais de demander à tous ceux qui venaient me voir. De m’envoyer des photos. Mon père. Mon frère. Ferny. Mattia. Kai et même ma mère qui était venue malgré son point de vue sur ma grossesse. « Je vais essayer… ». Je le disais tellement tristement que c’était évident. Que je n’allais pas y arriver. Mais, bon qu’importe. C’était mon problème n’est-ce pas ?

Priya s’était éloignée vers la porte. Mais très rapidement, elle rebroussa chemin. Aurait-elle oublié quelque chose ? Je ne voyais pas quoi. Elle s’approche de moi. Et murmura tout bas. « Dis, est-ce que penses pouvoir tenir debout un petit moment ? ». Je la regardais sans comprendre. Les médecins estimaient que non alors, pourquoi cette question ? « Ecoute, je ne te promets rien, mais, je veux bien t’aider à aller le voir. Le seul problème c’est qu’on va devoir être très discrètes et ne pas attirer l’attention sur nous. Tu comprends ? ». Ah ça oui, je comprenais. Très bien même. J’étais prête à tout pour voir Lleyton. « Franchement s’il faut, je ramperais jusqu’à là-bas pour le voir. Alors, oui, je vais tenir. ». Ah oui oui, je n’allais pas me plaindre. Que ça aille ou pas. J’allais tout faire pour arriver jusqu’à lui. Me battre pour lui. D’ailleurs je me mettais déjà assise sur mon lit. Sortant de la couette. Prête à toucher le sol. Ça faisait bizarre, d’être dans une autre position. De ne pas être allongée.

Priya était géniale. C’était vraiment le genre de médecin pour qui j’avais de l’admiration. Elle était douce. Compréhensive. Rassurante. Et sincère. A cette liste je pouvais rajoutée impliquée. Parce que je n’étais même pas sa patiente. Mais, qu’elle s’occupait de moi comme si. Elle se souciait réellement de moi. Et de Lleyton. Je n’aurais su dire pourquoi elle faisait ça. Mais je l’admirais très sérieusement. Elle était cette femme qu’on aimerait avoir pour modèle. Et là elle m’écoutait me plaindre, sans broncher elle. Elle m’écoutait m’inquiéter. Parfois oui, je me trouvais capricieuse et râleuse. J’exigeais ce que je ne pouvais pas avoir. Mais j’avais l’impression que si Priya Meyers ne râlait pas c’est parce qu’elle comprenait. Que c’était un besoin vital de voir mon bébé. Et non pas superficiel. Bref. « ça doit être dur à concevoir, je te l'accorde mais, regarde les choses ainsi, vous aurez tous les deux des milliers et des milliers d'autres semaines pour rattraper ce temps perdu. L'important et ce qui compte le plus maintenant c'est qu'il doit s'en remettre avant tout. Que tu dois guérir avant tout, pour pouvoir rester à ses côtés jours et nuits, jusqu'à ce que tout aille pour le mieux. ». S’il survivait. C’était la condition pour que cela se réalise. Et rien de tout ça n’était certain. Son foie pouvait lâcher. Entraînant ses poumons. Son cœur. Son cerveau. Il pouvait encore mourir. Il n’était pas hors de danger. Même si j’essayais de me dire que ça ne pouvait pas m’arriver. Je n’arrivais pas à être l’adolescente optimiste d’antan. Peut-être parce que j’avais toujours été optimiste pour les autres. Et pas vraiment pour moi. Du coup, je lui faisais un sourire pour toute réponse. J’espérais de tout cœur qu’elle ait raison.

Priya s’apprêtait à partir. Elle s’apprêtait à le faire mais, elle fit demi-tour. M’offrant alors la plus belle possibilité du monde. Elle voulait m’amener voir mon fils. Du moins si j’en étais capable. Et franchement j’étais prête à tout pour ça. Me mettant déjà assise sur mon lit. Toute tremblante mais ce n’était pas grave. Il fallait que je voie Lleyton. Et la seule chose qui régnait en moi c’était ça. Cette détermination. Ce qui changeait royalement de ma passivité. Peut-être un peu trop même. Le docteur Meyers de rapprocha de moi très rapidement. Oui, elle se précipita quoi. « Doucement Ella. Je dois d'abord faire un tour dans le coin et m'assurer que personne ne nous en empêchera. En attendant je te conseille de te reposer un peu. ». Oui, c’était plutôt évident maintenant qu’elle le disait. Mais, je voulais tellement lui montrer que j’étais capable. De bouger. De tenir. De me forcer. De me faire s’il fallait. J’en avais rien à faire. Je voulais mon fils. En fait, je voulais lui montrer ce que ses collègues ne voulaient pas croire.

Elle m’aida à me réinstaller dans ce lit blanc. J’aurais du mal à me reposer là maintenant. J’étais toute excitée à l’idée de le voir. Et certainement que Priya l’avait remarqué. Puisqu’elle me fit quand même quelques précisions. « Je tiens juste à préciser qu'il nous sera impossible d'y rester longtemps. Les visites ne sont pas permises à cette heure de la nuit, sommes-nous bien d'accord Ella ? ». Ouais, j’en avais conscience, mais, simplement le voir en vrai. Le regarder. Avoir une image réelle. Concrète de lui. Et lui murmurer que j’étais là. Franchement, mêmes quelques secondes me suffisaient. « Je sais ouais, mais, même le voir quelques secondes ça serait déjà magique. ». Même en sachant qu’après ça je voudrais constamment le revoir. Je ne pourrais plus me plaindre de ne pas l’avoir vu. Et j’arrêterais de faire chauffer les oreilles de mon frère avec ça. Peut-être pas des médecins… sinon ils allaient se douter de tout. « En tout cas, je ne sais pas pourquoi vous faites ça mais, Merci. ». Et là je ne pouvais pas être plus sincère. Elle faisait mon bonheur. Et si un jour je pouvais lui rendre la pareil, je le faisais. Genre si elle voulait que je rende la vie impossible à l’un de ses collègues, pas de problèmes ! Elle pouvait tout me demander là.

L’idée de voir Lleyton me rendait plus qu’heureuse. Rien que le voir. Même quelques secondes. J’en mourrais d’envie. « Et tu le verras. Je te le promets. ». J’affichais un large sourire. Comment réagir autrement ? Je veux dire, je crevais d’envie de le voir. Et là, elle m’affirmer que ça allait être possible. Priya Meyers était un ange. Réellement. « Maintenant tu t'allonges et tu te reposes. Tu as besoin de regrouper toutes tes forces. ». Ah vraiment elle insistait avec ça. Un petit sourire amusé s’installa sur mon visage. Je n’avais pas spécialement envie de me reposer là. Je le faisais déjà toute la journée. J’allais bien. Enfin…. Aussi bien que possible. « Vous y tenez vraiment hein ? ». Je m’allongeais bien sagement dans le lit. Remettant les draps sur moi. Je n’allais pas dormir vraiment pas. Je me sentais trop impatiente. En même temps elle devait le savoir. Elle devait s’y attendre. Mais qu’importe. J’allais voir mon fils. Mon bébé. Et pour ça je la remerciais. Cette femme était vraiment extraordinaire. « Inutile de me remercier maintenant. Tu le feras quand tu le verras. ». Ah bah ça c’était certain. J’allais obligatoirement le faire. J’allais la remercier autant que je pourrais remercier Fernando. Ou presque. L’avantage avec Priya c’est qu’elle avait cette voix douce et rassurante. Plus elle parlait plus j’étais certaine que j’allais voir Lleyton.

Elle m’offrit un dernier sourire avant de s’éclipser. Je souriais comme une idiote dans ma chambre. Décidant toutefois de fermer les yeux. Je ne savais que je ne dormirais pas. C’est bien pour ça que je prenais mon baladeur. Un peu de musique pour tuer le temps. Un peu de musique pour essayer de me calmer. Oui, je savais qu’elle voulait que je me repose. Mais je n’y arrivais pas. J’avais envie de me lever. Et de courir voir Lleyton. Alors que je pouvais à peine tenir debout. Enfin je me sentais pousser des ailes quoi. J’allais bien me casser la gueule au sens propre comme figuré si je m’étais en action mes pensées. Du coup, je restais sagement dans mon lit. Même si je ne me reposais pas vraiment.

Et puis, Priya toqua à la porte. Entrant directement. J’ouvrais les yeux aussitôt. Je ne voulais qu’elle pense que je dormais. J’étais déjà bien impatiente. « Tu es prête ? ». Ah oui oui. Je me redressais déjà. Ce n’était pas con l’idée du fauteuil. Mais alors pas con du tout. « Oh ça oui je suis prête ! ». C’était tellement évident. J’étais même certaine qu’elle le savait déjà. Et j’espérais sérieusement que les murs n’étaient pas en papier mâché. Parce que j’avais peut-être parlé un peu fort. « Si je comprends bien, faut que je monte là-dedans non ? ». Je retirais les draps. Assise sur le lit. J’allais tout de même attendre son feu vert avant de descendre d’un étage. J’allais voir mon fils. Et en plus j’allais être un peu plus près du sol. Ce qui était une perspective intéressante. Parce que très honnêtement rester dans un lit c’est chiant. Et oui, le sport me manquait. Mais rien que l’activité utiliser ses jambes me manquait. Enfin bon, je me trouvais plein de raisons pour expliquer cette banane sur mon visage. Mais ce qui comptait le plus c’était mon fils.

Priya avait affiché un sourire amusé en entendant ma question. Non, le fauteuil roulant c’était pour elle. Pour que je fasse de l’exercice. Oui, d’accord. La réponse était un peu évidente. Mais en même temps je voulais simplement être sûre. On sait jamais, si ça se trouve elle voulait juste la ranger et c’était sur le chemin. Ouais, bon d’accord. J’étais blonde. « C’est bien ça. Aller hop, allons-y donc. ». Et je me retrouvais dans la chaise roulante. C’était carrément bizarre. J’aurais jamais accepté ça en temps normal. Je n’avais pas besoin qu’on me traîne. Mais là, franchement, elle pouvait même me transporter dans un cercueil. Je n’irais pas dire non. Il fallait que je voie Lleyton. Les choses ne pouvaient pas être autrement.

Les couloirs défilaient. On se traîner dans l’hôpital. Sans le moindre souci. Il n’y avait de collègue de Priya pour venir lui taper la discute. Ni d’amies de ma mère pour me reconnaitre. Et finalement, c’était tant mieux. Parce que nous n’avions pas vraiment besoin de ça. Priya prenait déjà d’énormes risques. Et je ne savais même pas pourquoi. Mais cette femme je l’appréciais vraiment. Et je lui étais reconnaissante. Même si à l’instant je n’avais encore vu Lleyton. Mon cœur battait de plus en plus fort dans ma poitrine. Mon sourire s’agrandissait déjà. Parce que je me doutais qu’on approchait. Je n’étais pas médium. C’était les indications destinées au public.

Et puis nous y étions enfin. Devant mon bébé. « Nous y sommes. Il est là, ton bébé. Il est juste là ». Mon cœur battait à tout rompre. Des larmes de joies roulaient sur me joues. J’affichais un sourire béat. Et tout simplement j’étais aux anges. « Il est magnifique… ». Et je ne disais pas ça parce que c’est ce qu’une mère est censé dire. Je disais ça parce que son petit cœur battait. Parce qu’il se battait pour vivre. Il était magnifique parce que c’était mon fils. Et qu’il était bien vivant. Il était magnifique parce qu’il était la preuve de tout l’amour que j’avais eu pour Mattia. De tout l’amour que j’avais pour lui. Il était tout pour moi. « Vous pensez qu’il ressent notre présence… je veux dire malgré ses petites vitres ? ». Et puis il avait les yeux fermés. J’avais la sensation qu’il savait que j’étais là. Mais c’était certainement uniquement parce que je voulais qu’il sache. Parce que j’étais folle de joie de le voir. Et je voulais qu’il sache tout ça. « Tu sortiras bientôt de là mon ange… ». J’avais murmuré ses quelques mots. Six semaines. Six semaines et il sortirait de là. Six semaines et je pourrais ne plus le lâcher si je le désirais. « Vous êtes une femme fantastique Priya Meyers. ». Je la regardais toute émue. Je le pensais vraiment. Elle ne se contentait de faire son boulot. Et d’avoir une vie à côté. C’était une femme extrêmement humaine. Remarquable. Avec sans doute beaucoup de caractère. Mais un gros comme le monde. Et un sourire tellement charmant qu’elle devait faire tomber avant tout. Mais ce que je soulignais là c’était surtout son humanité. Sa gentillesse. Et son courage. Après tout, certain avait le cœur mais pas le courage d’agir. Elle, elle avait les deux.

Plus je regardais mon fils, plus je le trouvais magnifique. C’était un point commun avec tous les bébés. Mais, mon fils, il se battait pour vivre. Depuis le début. Il avait décidé de vivre. En se logeant dans mon ventre. En arrivant bien plus tôt. Et maintenant en faisait tout pour respirer de lui-même. Pour ne pas retrouver l’obscurité. Mais continuer à voir la lumière. « Oui, il l’est. Et le plus magnifique c’est qu’il continue à se battre pour sa petite vie. ». Oui, elle voyait les choses comme moi. C’était vraiment ça qui le rendait encore plus magnifique. J’avais envie de le serrer dans mes bras. De lui souffler qu’il pouvait continuer à se battre. Que ce n’était pas pour rien. Je voulais qu’il sente ma présence. Je voulais l’encourager. Lui dire combien je l’aimais, mon fils. Mon ange. J’étais ailleurs. Dans mon petit monde à moi. Ou je pouvais sentir son cœur battre. En le prenant dans mes bras. Embrassant tendrement ses petites joues. Lui offrant mes plus sourires. J’en rêvais tellement.

Je demandais à Priya s’il ressentait notre présence. Si elle pensait que c’était possible. Ou si elle le savait. Pourtant, elle n’ajouta rien. Elle posa sa main sur mon épaule. Avant de reculer. Certainement pour que je me fasse ma propre idée. Pour que je ne pense pas trop à ça. Pour que je pense simplement au fait qu’il était là. Et c’est vrai moi, j’avais l’impression qu’il pouvait ressentir notre présence. Qu’il savait que sa maman était là. Priya elle se recula. Elle semblait vouloir se faire la plus discrète possible. Me laisser avec Lleyton en quelque sorte. J’imagine. Mais, je savais qu’elle était là. Et je voulais à tout prix la remercier. Parce que cette femme était extraordinaire. Elle avait un cœur immense. « Tu es adorable, Ella, mais, je ne fais que ce que je crois être juste. ». Oui mais, tout le monde ne l’avait pas cru juste. Et personne n’avait osé. Dans ceux qui l’avait cru juste. Elle était modeste. Mais vraiment, il fallait qu’elle le sache, qu’elle devait continuer à agir comme ça. En se fiant à ce qu’elle pensait, au patient. En pensant à ses besoins, à ses désirs. Et non en se fiant uniquement aux chiffres et u risques. J’étais censée pétée un plomb si je voyais Lleyton. C’était de ne pas le voir qui me rendait malade. « Tout le monde ne le fait, mais, si je peux vous demandez un autre service, continuez à agir comme vous le faites avec moi. ». J’espérais que d’autres patients pourraient connaître ce cœur immense. Lui être reconnaissant. Ça faisait du bien de savoir qu’il n’y avait ici pas que des machines à opérer. Des machines à pronostiques et statiques. Qu’il n’y avait pas que des cinquante pour cent de chance. Qu’il y avait des cœurs. Des âmes. Un esprit critique. Un être humain.

Je lui offrais un petit sourire. Alors qu’elle, elle reprenait la parole. « Aller, je te laisses encore quelques minutes. Je devrais te ramener à ta chambre très bientôt. ». Oui, elle devrait me ramener. Parce que je savais moi-même que je n’allais pas tenir longtemps. Il fallait que je profite de mon fils. Je regardais alors mon fils. Il dormait. Il semblait tellement paisible. « Je suis là mon ange, bientôt tout cela sera fini, je te le jure… ». Je murmurais ses quelques mots. J’avais besoin de lui parler. De lui faire cette promesse. Je savais que pendant que je prenais soin de moi Fernando était là pour moi. Mais j’avais besoin que moi je puisse lui dire ces mots. J’avais besoin qu’il sache que je ne l’oubliais pas.

Priya était vraiment une femme adorable. Et très modeste. Elle n’acceptait pas les compliments comme ça. Pour elle, elle faisait simplement son métier. « Tout le monde ne le fait pas peut-être parce que tout le monde n'a pas eu l'occasion de le faire. Ils font parfois preuve d'humanité tu sais... ». Je souriais. Peut-être bien. Peut-être que parfois une âme s’intégrait dans certains de ces robots médecins. Mais Priya, elle était entièrement humaine. « Parfois, mais sans doute bien plus rarement que vous. ». J’haussais les épaules. Elle n’allait sans doute pas l’accepter à nouveau. Mais c’était vrai. Il fallait qu’elle le sache. Que quelqu’un lui dise.

La jeune femme me laissa seule avec mon fils. Du moins, elle se recula. Pour me donner cette illusion. Et je l’avais. Quand bien même elle serait à côté. Il n’y avait plus que Lleyton. Je lui promettais mont et merveille. Et plus je l’observais plus je savais que je donnerais tout pour lui. C’était un sentiment qui semblait croître en moi. Je ne l’avais jamais touché. Jamais embrassé. Mais je pouvais tout pour lui. Et plus je le regardais plus j’étais heureuse. De ne pas avoir avorté. Je remerciais ma faiblesse. Ou mon humanité, dirons certain. Je crois que je n’aurais jamais été capable de me pardonner. Et maintenant qu’il était là, je ne voulais plus d’une vie sans lui.

J’étais perdue dans ma contemplation. Je souriais doucement devant mon fils. Je rêvais de toucher ses petites mains. De le serrer contre moi. Je rêvais tellement que je n’avais pas entendu les vois dans le couloir. C’est celle de Priya qui m’éloigna de mon petit monde. Me faisait légèrement sursauter. « Ella... ». Je regardais la jeune indienne. D’abord sans comprendre. Avant ce capté que oui, il était sûrement tant. « ... Je pense que tu ferais mieux de te dépêcher de lui dire au revoir. ». Je hochais la tête. Je n’allais pas bouder. Elle m’avait prévenu. Et m’avait offert plus que je ne l’aurais espéré. « D’accord... ». Je lui offrais un sourire. Avant de poser mes yeux sur Lleyton. J’avais tellement d’amour pour ce petit bout. Pour mon petit bout. Mon bébé. « Bonne nuit petit bonhomme. ». Je mourrais d’envie de déposer un baiser sur son front. De le bercer. Mais c’était impossible. Alors un bonne nuit suffisait. Avec un sourire. Un regard plein d’amour. Et le cœur plein d’espoir. L’esprit de promesses.

Je me tournais vers Priya. « Je crois…je crois qu’on peut y aller. ». J’avais la gorge serrée. Mais je ne voulais qu’elle prenne plus de risques. Parce que maintenant je les entendais ces rires dans le couloir. Ces pintades allaient alerter tout le monde. Alors je jetais un dernier regard à Lleyton. Prête à partir. Même si j’aurais pu rester là toute la nuit. J’aurais voulu. J’avais promis de en pas faire d’histoire. Et puis si Lleyton devait reprendre des forces, moi aussi. Même si Lleyton m’en avait déjà redonné. J’avais envie de marcher jusqu’à ma chambre. Mais je savais que ce n’était pas une bonne idée. Et que Priya restait un médecin. Alors bon. Je n’avais plus qu’à m’asseoir et à retourner dans cette chambre. En la remerciant une dernière fois.

Pour moi, les médecins étaient rarement humains. Un diagnostic souvent. Mais oubliant que nous n’étions pas des robots avec un défaut. Et qu’eux n’étaient pas que des techniciens. Priya, elle n’était pas comme ça. Elle était humaine. Souvent. Tout le temps. « Qu’est-ce qui te fait dire ça ? ». Je souriais. Amusée par sa question. « Parce je vous ai observé. Parmi une armée de médecin, on vous reconnait de loin. Parce que vous êtes celle qui a un sourire éblouissant. Vous faite le tour de vos patients avant de partir. Pas seulement pour vérifier les constantes mais aussi, pour s’assurer de comment ils vont, psychologiquement. Vous êtes soucieuse de l’humain dans son intégralité. ». En réalité, il y avait d’autres arguments. Mais, il était clair que Priya, l’hôpital ne devait surtout pas la mettre à la porte. Elle était la touche de couleur qui reflétait sur les murs blancs.

Et puis suite à des voix provenant du couloir, je disais au revoir à Lleyton. Le laissant dans sa petite couveuse. Bien au chaud. Espérant qu’il reprenne vite des forces. « Ne t'inquiète pas pour lui, il est entre de bonnes mains et tu le verras très prochainement. Je suis sûre. ». Oh oui, ça il était entre de bonnes mains. Parce qu’en plus Fernando veillait à ça. C’était bien souvent lui qui se chargeait de Lleyton. Il surveillait le moindre fait et geste des sages-femmes. Et je ne pouvais que le remercier pour ça. Mais, si j’avais pu m’en occuper moi-même, ça aurait été encore mieux. « Je l’espère… ». Oh oui, j’espérais que bientôt plus aucune autre main ne le touche. Du moins, pas des mains indésirables on va dire. Pas que les médecins soient ignobles. Mais, ce n’était pas bon signe s’ils s’occupaient de mon fils.

En tout cas, c’était dur pour moi de le quitter. J’avais envie de faire un caprice. De rester avec lui. Je me sentais triste de le laisser si tôt. Et Priya devait le sentir, elle tentait de me rassurer. « Ça ira. ». Elle faisait ce qu’elle pouvait. Et je devais avouer que ça marchait. J’essayais d’accepter cette idée. Que tout irait bien. On vadrouillait en mission discrétion dans les couloirs. Et moi je tentais de m’accrocher à cette idée. De m’éloigner du pire. Pour envisager le meilleur.

Une fois devant la porte, Priya se pencha à mon oreille. « Tu sais, je peux t'aider à le revoir encore si tu le souhaites... Si ton médecin insiste encore sur le fait qu'il est trop tôt de le voir. ». Je la regardais surprise alors qu’on rentrait dans la chambre. « T’es… enfin vous êtes sérieuse ? Vous êtes vraiment formidable. ». Je le regardais avec des yeux brillants de reconnaissances. Je ne savais plus comment lui dire merci. J’avais envie de lui sauter au cou.

Je descendais du fauteuil. Pour retourner dans mon lit. M’allonger. En réalité, c’était là que je m’apercevais que j’étais crevée. « Vous êtes vraiment géniale, merci pour tout. ». Grâce à elle, j’avais des images de Lleyton plein la tête. Pas celle des photos. Mais celle de ce que j’avais vu.