Sujet: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Mar 21 Aoû - 17:51
Le mardi soir était la soirée la moins agitée de la semaine chez Rudy. Il se sentait trop près du dernier week-end pour sortir et user les dernières parcelles d'énergies de son foi et n'avait pas encore tout à fait récupéré de ses dernières nuits estudiantines à boire de la bière comme à seize ans en jouant au beer pong. Il avait dont opté pour une soirée beaucoup moins contraignante, à savoir manger des cheetos devant les vieilles rediffusions des Drôles de dames. En effet, il arrive un temps où toute classe délaisse votre corps et vous regarde de haut, laissant votre pauvre personne comme un déchet échoué sur un canapé miteux devant un poste de télé posé sur une pile de cartons faisant office de table - Rudy avait effectivement cassé l'ancienne surface où son téléviseur reposait alors qu'il jouait au foot dans le salon avec Lenny. Ainsi, rajouter une touche de misère humaine à la Zola, en peignant une bouteille de wisky par dessus cette vision hideuse d'un type mangeant des curly orange aurait rendu la scène encore plus dramatique. Il alla même jusqu'à vouloir appelé son grand frère, réparateur de tous les maux. Sauf qu'à cette heure-ci, il avait sûrement plus fumé que le Chat du Cheshire et lui aurait répondu quelque chose s'apparentant à « tu sais, les lamas aussi ont des problèmes, alors ne t'apitoie pas sur ton sort. » plutôt qu'à des paroles censées remonter le moral de son cadet.
Ce fut la sonnette qui le sortit de sa nature de résidu humain. En entendant la sonnerie aiguë retentir dans tout l'appartement il soupira de désespoir et se prit le visage dans ses mains. Il avait foncièrement oublié la visite d'Elizabeth. Il se dépêcha alors d'appuyer sur la zappette, tombant sur un reportage traitant de l'élevage “bio” des saumons sur la chaîne parlementaire, et balança à travers la pièce son emballage de gâteaux apéritifs dans la poubelle, à la manière d'un ballon de basket. Il passa sa main dans les cheveux histoire d'être présentable, bien qu'il lui aurait aussi fallu changer son tee-shirt à effigie de Dark Vador, et accouru à la porte. En regardant Elizabeth, il alla se demander s'il était désespéré au point d'avoir une copine mariée dans son répertoire étiquetée « à baiser en cas d'ennui mortel un mardi soir devant Les Drôles de Dames. » Il se sentait franchement à la limite de l'obsédé n'ayant pas de quoi se payer une racoleuse et préférant passer un deal avec une amie en manque de gigolo. Parfois il se maudissait vraiment, et entretenait une haine particulière pour ses pensées extrêmes. Mais après tout, si elle se pointait quand même sur le pas de sa porte, c'était qu'elle le considérait elle aussi comme tel. Il n'y avait donc pas lieu de s'affoler. Ils agissaient juste comme des humains quelconques répondant à un désir naturel de s'adonner à de longues étreintes charnelles par pur plaisir. Et techniquement, vu l'état de la situation, il n'était pas prêt d'être avec Helena. Autant donc jouer les opportunistes.
Sauf que cela faisait un bout de temps qu'il n'avait pas vu son étudiante en médecine préférée (l'adjectif pouvait s'avérer relatif), et il ne savait pas trop s'il devait être gentil ou aussi mesquin que la dernière fois. Il n'avait aujourd'hui pas de bonne raison de commencer leur petit jeu vicieux. Il trouva néanmoins une petite réplique à sortir après un neutre « Salut », que son esprit gamin approuva avec délectation. « T'as bien fait d'envoyer paître Lenny, un seul Gavennham te suffit amplement. » Le tout avec un sourire jusqu'aux oreilles accroché à son visage de gosse pré-pubère prononçant le mot “zigounette” pour la première fois de sa vie. Il s'écarta ensuite de l'entrée, et marcha vers la cuisine d'où la pluie commençait à claquer petit à petit contre le verre de la fenêtre. Vu l'heure, Rudy ne pouvait deviner si sa très chère invitée avait déjà dîner ou non. En bon gentleman parfait sous tout rapport, il lui proposa gentiment un en-cas. « Tu veux boire un truc ? Manger quelque chose ? »
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Mar 21 Aoû - 20:15
Les micro-villages comme Arrowsic avaient leurs avantages et inconvénients. Le plaisir de sortir dans la rue, et de se sentir chez soi, comme on le serait affalé sur son lit dans un pyjama à petit pois aux couleurs complémentaires, avec des charentaises terriblement laides dont on n'oublie facilement le manque d'esthétisme tant elles sont confortables. Passer de Toronto à Arrowsic constituait un véritable changement, changement tant désiré dans lequel elle s'est finalement retrouvée coincée. Contrainte de côtoyer tous les jours les mêmes personnes, qui semblaient toutes avoir un don venu du ciel pour déceler toutes tes micro-expressions. Avides de ragots, de trucs croustillants à se mettre sous la dent ; et la quantité de personnes pouvant fournir d'éventuels potins étant réduite, c'étaient d'une façon ou d'une autre toujours les mêmes qui défilaient. Avec sa foutue tendance à tout exagérer, elle était persuadée qu'elle était devenue le fournisseur officiel de tous les on-dits qui parcouraient les couloirs de l'hôpital, le froid qui s'était instauré entre elle et Ethan n'y aidant pas. Elle fuyait alors depuis quelques temps toutes les soirées gentilles autour d'un verre avec des personnes fréquentant de trop près l'hôpital, se rendant malheureusement compte que l'une des rares personnes n'ayant pas pour seconde maison des salles puant le médicament et l'alcool modifié à 90°, avec qui elle entretenait un semblant de lien, était Rudy.
Il ne s'est rien passé. Il ne s'est rien passé, c'était juste un accident, ça arrive. C'est pas pour autant que tu doives te faire bonne sœur et Hermite à la fois. Puis Rudy n'était pas obligé de savoir, et de toute façon, il n'allait pas le savoir. Parce qu'elle imaginait bien sa réaction, qui allait être celle d'un môme de quinze ans, paniqué à l'idée d'avoir engendré une nouvelle vie, et lui demandant la voix chevrotante ce qu'elle comptait en faire, à la fois effrayé d'entendre un sec ''je vais avorter'' qu'un timide ''je veux le garder''. Ça ne le regardait pas. Si les termes de leur relation avaient été résumées sur un papier, alors il serait sans doute écrit que la grossesse de la femelle ne faisait pas partie des problèmes du mâle. Puis il apparut, avec son air faux-air décontracté, ses cheveux en pagaille qui constituait en fait, à ses yeux un semblant de coupe. C'était dans ses moments là, lorsqu'il lui ouvrait la porte avec un son demi-sourire histoire d'être aimable, qu'elle se demandait sérieusement comment elle en était arrivée là, et pourquoi elle revenait à chaque fois. Mais c'était également à ces moments là qu'elle réalisait que tout ce que Rudy pouvait représenter était de son âge. Que son seul cruel dilemme devait être le choix de l'apéritif dans le rayon spécialement consacrés à ces petites bouchées, alors qu'elle n'avait en poche qu'assez pour un paquet. Les disputes de couples et les jalousies vertes étaient bonnes pour les vieux, ces amants oscillant entre la jeunesse et la vieillesse qui ne savent plus sur quel pied danser et qui se sentent obligé d'être en perpétuel état de crise. L'appartement de Rudy était en quelque sorte devenu le sien, et après enlevé ses chaussures et posé ses affaires, elle s'affala sur son canapé. Sa remarque lui arracha un sourire, « Un Gavennham... Tu comptes pour deux, toi. » Réalisant par la suite que ça sonnait comme un espèce de compliment, dans lequel elle vantait ses capacités sexuelles, elle se rectifia : « T'emballes pas trop vite, je veux juste dire qu'il y a toi – et elle fit avec ses mains une forme vague et longiligne représentant le corps de Rudy – et ton ego. » Pour ce dernier, elle écarta les bras, comme si elle allait embrasser un éléphant, avant de lui rendre le même sourire remonté jusqu'aux oreilles. « Qu'est-ce qu'il voulait, en fait ? Parce que bon, à part pour me communiquer l'adresse d'un café, j'ai pas trop compris pourquoi il était si insistant. Tu lui as quand même pas dit qu'il pouvait venir se ressourcer chez moi, lorsque sa frustration serait trop grande ? J'ai pas envie de me taper tous les Gavennham, hein. »
Reposant son regard sur le poste de télévision, elle grimaça face au programme que Rudy était apparemment en train de regarder. Prenant la grosse voix afin d'imiter celle qui sortait de la boite à images, elle répéta « Le tranchage est effectué à la main car il est doux et ne provoque aucun éclat de cellules... Tu regardais quoi ? Tu sais, si c'était un porno c'est pas grave. Je crois que ça me choquerait moins que l'élevage bio des saumons. » Le dos bien enfoncé contre le dossier et les jambes en tailleur, elle fronça les sourcils en écoutant presque attentivement les sages paroles du pécheur qui prêchait cet élevage sain et doux. Fascinant, fascinant, il n'y avait pas à dire. « Oui, oui je veux bien un truc à boire. Un de tes jus de fruits bizarres. Ah, et t'as un truc orange collé sur ton t-shirt. »
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Mer 22 Aoû - 1:11
Il était partagé entre un sentiment de banalité qui lui rappelait l'année morne qu'il venait de passer avec Elizabeth et ce goût difficile à digérer suspendu au travers de sa gorge. Lors de leur dernière rencontre, il n'y avait pas dans les parages de pseudo-écolo défenseuse de la cause des kangourous et vivant pendant deux ans dans un pays où l'eau s'écoule dans le sens des aiguilles d'une montre. Non. Et cela lui rappela son devoir de mâle, à savoir faire le premier pas et tenter un appel pacifiste. Sauf que, persuadé que son interlocutrice n'aurait pas la patience de décrocher, il lui avait semblé qu'essayer était synonyme de perte de temps. Il ne savait donc pas trop comment se positionner vis à vis d'Elizabeth. Dans tous les cas, le mal était fait, et il put prendre conscience du temps qui s'était écoulé depuis leur dernière embrassade. Techniquement, elle lui avait laissé un message l'informant de la tentative d'approche, complètement ratée, de son aîné. Mais sinon, rien. Silence radio. Et si Rudy avait été un masochiste complètement abruti, il aurait pu penser qu'Elizabeth lui manquait.
« Un Gavennham... Tu comptes pour deux, toi. » Ce qui était certain avec elle, c'était sa manière de dire les choses, et de sortir spontanément les phrases vicieuses qu'ils s'arrachaient tant. Et même si cette soirée n'avait pas le même ton assassin que leur dernière nuit, il prenait un plaisir fou à sourire de façon mesquine à chacun de ses mots. Surtout quand ces derniers glorifiaient ses prouesses sexuelles. Et son rictus s'étira d'ailleurs d'autant plus quand elle mima sa schizophrénie, entre lui et son soi-disant égo sur-développé, à en croire les gestes brusques qu'exécutait Elizabeth, ayant l'air d'une idiote, assise sur son canapé. « T'es pas la mieux placée pour me donner des leçons, franchement. Si j'ai un égo de cette taille, je me demande par combien doit-on le multiplier pour arriver au tien », fit-il, en mimant son écart de bras. Elle enchaîna ensuite avec l'histoire de Lenny, lui l'écoutant d'une oreille alors qu'il cherchait une canette de coca-cola dans son frigo presque vide, de sorte à se rincer la bouche de l'arrière-gout de ses cheetos. Il commença alors sa phrase, d'un ton tout à fait naturel, avant de baisser brusquement la voix, étouffant la fin de sa réplique. « Je sais pas. Il voulait sûrement s'assurer qu'il n'y avait rien entre nous. Il doit croire que je... » que je ne me suis pas débarrassé d'Helena. Il ne se souvenait pas avoir mentionné son prénom devant Elizabeth. Et ne comptais franchement pas commencer. Cette dernière n'était pas sa meilleure amie à qui il était censé confier ses peines de coeur. Elle n'était pas là pour lui tenir la main et lui ramener des kleenex de la salle de bain pendant que lui reniflait et pleurnichait, ou à frotter son épaule en disant que ce n'était pas grave, qu'il en trouvera dix mille autres dans sa vie bien plus intéressantes. Et puis, face à une fille mariée, sa petite romance ne ressemblait qu'à un amour de vacance insignifiant. Un flirt, un bécotage de collégien. Il inventa alors une fin de phrase bidon, qu'il mâcha du mieux qu'il put pour la rendre peu compréhensible, le son de la télé l'aidant avec finesse. « que je ne sais pas m'occuper tout seul de ma vie sentimentale. » Enfin sentimentale... s'il y avait des sentiments fourrés dans la relation qu'il entretenait avec son invitée, ils l'auraient su depuis longtemps. « Et t'inquiètes pas, je conseille quand même de la meilleure qualité à Lenny quand il s'agit de ressource. »
Il prit une gorgée de son coca, alors qu'il mettait un minimum d'ordre dans sa cuisine. Il n'était pas vraiment question de faire jouir Elizabeth sur la table à manger, mais par principe, il essayait de paraître un minimum ordonné en présence d'autrui. Surtout que, contrairement à pas mal de mâles que nous ne citerons pas (Fernando...), il connaissait le mode d'emploi d'un placard et du produit vaisselle. Rangeant ainsi une paire d'assiettes sales et quelques emballages de pâtes vides, il continuait d'écouter la voix d'Elizabeth, apparemment obnubilée par le reportage sur la pisciculture. « Figure-toi que pour vendredi, j'ai une dissertation à faire sur la législation des élevages de poissons dans les pays membres de de l'ALENA. Et si je regardais véritablement un porno, comme tu l'insinues, il aurait été fort probable de trouver un paquet de mouchoirs à côté du canapé. » Il doutait énormément de la crédibilité ainsi que du lyrisme de ses propos, mais s'en fichait royalement. Il finit ensuite d'essuyer son assiette propre et attrapa un jus fraise-banane-pêche qu'il se sentait fier de trouver dans un village aussi paumé qu'Arrowsic pour l'amener à la petite brune, enfoncée dans le moelleux du sofa. Avant de s'asseoir, il retira également le cheetos de son tee-shirt. Il l'observa longuement, hésitant à le manger loin du regard d'Elizabeth. Après avoir reconsidéré sa vie, et calculé son taux de désespoir, il se dit finalement qu'il n'était pas tombé si bas et alla le jeter à la poubelle. « T'as l'air tellement absorbée par cette émission. Je suis sûr que si le type venait à te susurrer des mots doux, t'aurais même pas besoin de moi pour t'obtenir ton orgasme. »
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Ven 24 Aoû - 14:15
C'était agréable, finalement, ces quelques phrases lancées au hasard, un peu moqueuses, un peu assassines mais plutôt tendres dans le fond, avant de se déshabiller, et ces quelques unes qu'ils se balanceront ensuite lorsqu'ils chercheront leurs sous-vêtements sous les meubles comme des œufs de Pâques. En y songeant, c'était simple, avec Rudy. Tout était léger, avec des échos de carpe diem. Pas de passé qu'ils pourraient ressasser ensemble, pas de souvenirs sur lesquels s'apitoyer. Pas de futur non plus, rien qui dépassait les vingt-quatre heures à venir. Ils se crachaient joyeusement à la gueule, partagé entre l'envie de pendre l'autre avec le drap de douche et l'indifférence la plus totale, si ce n'est de l'amusement. La rancune qui était pourtant un domaine dans lequel ils excellaient tous les deux, n'était pas de la partie. « Moi ? Moi je suis Elizabeth, la déesse de la modestie, et dans mon temple, il y a plein de mortels dans ton genre, se mettant à genoux et priant la divinité que je suis pour que je leur dégonfle leur ego bien trop gros. » lui lança-t-elle, le dos bien redressé et le menton légèrement relevé, avant de se retourner vers lui avec un gros sourire aussi ridicule que satisfait sur les lèvres.
Elle le regarda quelque peu sceptique lorsqu'il se décida à mâcher ses mots, pour en recracher quelques autres, qui n'étaient finalement pas plus audibles. S'agissant d'une autre personne, elle l'aurait bombardé de questions, noyé sous un flots de paroles et exigé des réponses sans même lui laisser l'occasion d'en placer une. Elle était d'une curiosité folle, qui lui attirait parfois des ennuis, et sans laquelle elle se porterait sans doute bien mieux. Le terrible fait de savoir qu'il se trame peut-être quelque chose, quelque chose qu'on préférerait ignorer, et ne pas être capable de tenir sa langue pour autant, être obligé de creuser jusqu'à atteindre un fond solide. Cependant, elle essayait de faire taire cette partie d'elle en sa compagnie, peu désireuse de devenir – ou en tout cas, de savoir qu'elle n'était que la fille désespérée du mardi soir qui vient se perdre dans ses draps pendant qu'il souffre le martyr de l'absence de l'amour de sa vie. Elle se contenta de lui adresser une petite moue, prenant seulement la peine de répondre à son autre remarque. « Je te remercie, merci de me dire que je ne suis qu'un vieux produit premier prix coincé au fin fond des étages du bas. Mais tu t'insultes par la même occasion en sous entendant que t'as des goûts de chiotte. »
Elle laissa échapper un rire en entendant l'excuse de Rudy, qui semblait pourtant bien convaincu par son explication et qui adoptait un ton qui se voulait sérieux. De toute façon, tout ce qui sortait de sa bouche avait l'air de sonner comme des paroles d'un dieu tout puissant. « Oui, et moi j'ai une dissertation à faire sur l'organisme très particulier des hippocampes. » Elle attrapa ensuite le verre contenant une mixture aux couleurs roses-oranges à l'aide des deux mains, lui lançant par la même occasion un bref mot de remerciement, avant de boire une gorgée, comme une gamine tenant un récipient faisant trois fois sa taille et trois fois son poids. L'étrange impression de régresser d'une dizaine d'années en sa compagnie, et de s'en prendre une vingtaine dans la gueule lorsqu'elle était à proximité d'Ethan. C'était finalement chez Rudy qu'elle découvrait toutes sortes de nourriture ; lui donnant ainsi des allures de dame du Carrefour agitant sous votre nez un cure-dent au bout duquel trônait un petit bout de saucisse. Reposant ensuite le verre sur la table basse, elle posa son menton sur l'épaule de Rudy pendant qu'une main se posa contre son bras, feignant un air d'admiration : « Je le trouve vraiment viril, vraiment séduisant, avec son tablier bleu et sa casquette MarineLand, pas toi ? J'aime bien les hommes comme ça, ils sont passionnés, ils se donnent à fond dans ce qu'ils font, quitte à bannir le rasoir de leur quotidien. » Un sourire peu naturel s'étira sur ses lèvres, elle poursuivit : « Toi, tu rivalises pas avec ton côté propre sur soi, ton shampoing citron-camomille-miel pour donner de l'éclat à tes cheveux, et ton gel douche revitalisant à l'aloe vera pour garder une peau de bébé. »
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Dim 26 Aoû - 2:25
Cela lui avait presque manqué. Le déni pompeux de l'égoïsme d'Elizabeth, qu'elle transpirait par tous les pores de sa peau. Le narcissisme et l'orgueil qui infectaient chacun de leurs mots acerbes mais si amicaux à la fois. Paradoxe verbale. Comme si chez eux, un “non” signifiait “oui”, et que la plus massacrante insulte était un sublimissime compliment. Il fit alors semblant de s'étouffer, toussant gracieusement et avec insistance depuis la cuisine, après que le groupe nominal déesse de la modestie eut été associé à Elizabeth. Il feignit même de défaillir, captant l'attention de son invitée si passionnée par le programme télévisé. Si sa cuisine n'avait pas été si exigüe, il se serait volontiers laissé tomber par terre, simulant une convulsion. Puis, prenant un timbre de voix dramatique et posant le dos de sa main sur son front, il s'exclama d'une voix fluette: « Oh, ma déesse, pardonnez-moi, j'ai pêché. Je me serai bien agenouillé, mais mon égo est tellement lourd, j'ai peur de mourir écrasé par tant de nombrilisme. » Il hésita en retour à cracher gentiment – même si par définition, cracher dans le verre d'une dame n'est pas très gentil - dans son jus de fruit, mais il n'était pas aussi impoli qu'il avait pu lui laisser croire dans le passé.
Alors qu'elle grognait, mimant une moue enfantine face à sa déclaration sur son statut de “premier prix”, il répliqua par une grimace espiègle, une langue tirée de tout son long, avec autant de grâce qu'un gamin de huit ans. Si on les avait trouvés dans un bac à sable, ils se seraient merveilleusement camouflés dans le paysage, et personne ne les aurait soupçonnés de faire tâche dans ce si beau décors qui leur convenait avec tant de merveille. « Mes goûts de chiotte t'arrangent quand même bien quand monsieur Calaan n'est pas dans le coin. » Ils participaient avec grâce à l'élaboration du scénario du prochain épisode de Days of our Lives, avec ces histoires d'amour passionnelles, de tromperies habilement dissimulée, de mari cocu. Il ne manquait plus qu'un enfant illégitime pour clore la saison sur un cliffhanger et s'assurer déjà le budget de la prochaine, qui rivaliserait avec celui des Feux de l'Amour. De quoi faire rougir Hollywood. Oui, ils étaient des perles d'acteurs.
Il pouffa, manquant de recracher son coca sur son tee-shirt déjà occupé par un gâteau d'apéritif, lorsqu'elle répondit à son ton grave par une étude des hippocampes. Il la laissa ensuite s'appuyer sur la partie gauche de sa silhouette, et l'écouta vanter le physique d'Apollon que semblait arborer l'ouvrier interviewé. Il fit une grimace, tourna la tête et lui lança un regard condescendant. Il chercha ensuite l'ironie dans sa réplique suivante, se demandant si son super shampoing bio qui lui coûtait la pochette de dix culottes en coton plaisait vraiment à la gente féminine, ou si elle se payait ouvertement sa tête. « Si ton idéal masculin c'est un type avec cette dégaine, je suis bien heureux de ne pas avoir comme projet d'aller trouver ton père et de lui demander la main de sa fille tu sais. N'empêche, ça pourrait faire un scénario très original. L'infirmière sexy, et le mari pêcheur, nu sous sa salopette. Par contre, ne compte pas sur moi pour essayer. » Peu désireux de regarder les trois derniers quarts d'heure de reportage marin si passionnant pourtant, il soupira ensuite avec insistance. Assumer son statut de loque inerte affalée devant les Drôles de Dames aurait été au final beaucoup plus marrant, bien qu'il n'aurait pas gardé sa dignité très longtemps. D'un autre côté, il n'avait pas de compte à rendre à Elizabeth et se fichait franchement de l'image qu'elle pouvait avoir de lui. Au pire des cas, cette présente visite aurait été la dernière. Et la vie aurait suivit son cours. Il reposa alors sa canette de trente trois centilitres de glucides goût caféine et bascula son visage vers celui de sa charmante invitée, rompant le repos que procuraient les clapotis de la mer sortant de la télévision devenue soudainement dénuée d'intérêts. Il retrouva d'un seul geste le goût de ses lèvres de femme mariée et vint affablement enlacer son corps mince autour de ses bras. La même danse recommençant à nouveau, la course aux caresses au creux de son dos cambré jusqu'à sa chute de reins fébrile. Ses doigts effleurant ses hanches, cherchant délicatement à retirer un pull futile, alors que leur souffle mêlé s'emballait petit à petit.
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Dim 26 Aoû - 14:46
Ses lèvres s'étirèrent face à la théâtralité tellement naturelle de Rudy, digne de la jeune première qui sent ses jambes faillir, prête à s'effondrer sur le lit que forme ses cascades blondes cendrées. Reprenant rapidement ses airs de déesse prétentieuse alors qu'il débitait sa réponse, une moue pincée et lui adressa un regard seulement du coin de l’œil, elle tenta de garder ses lèvres serrées en réprimant le rictus dégueulasse la chatouillait. Elle prit l'air d'hésiter un moment, avant de lui répondre en feignant une suffisance prête à l'étouffer : « Confesse mon brave, et peut-être tu auras ma clémence. Si tu refuses, tu seras foudroyé et condamné aux enfers jusqu'à ce que ton âme dépérisse, jusqu'à ce que ton corps finisse en minable poussière après les pires sévices. » Elle se croyait excellente dans le rôle du tyran diabolique, de l'alter-ego de Satan, mais vue de l'extérieur, elle ne ressemblait qu'à un mélange douteux de Violet Beauregard et Veruca Salt de Charlie et la chocolaterie, venant de coller son chewing gum à la fraise contre l'une de ses molaires et donnant des ordres avec beaucoup de prétention.
Le gros sourire qui lui collait aux lèvres depuis qu'elle avait mis ses pieds dans l'appartement de Rudy s'effaça lorsqu'il lui renvoya la balle dans la face, en oubliant d'y ajouter l'humour qui le caractérisait pourtant si bien. Elle aurait trouvé n'importe quelle réponse digne de ce nom, et digne d'eux, s'il n'avait pas mentionné le fameux Monsieur Calaan. Baissant les yeux, elle hésita un moment, se demandant si elle devait faire comme si de rien n'était et lui clouer le bec, ou si elle devait lui montrer une mine gênée. Elle opta finalement pour un bref haussement d'épaules, qui lui semblait être un bon compromis, ne l'obligeant pas à s'étaler sur la vie trépidante qu'ils menaient en tant que jeunes mariés.
Un scénario très original... Peut-être pas. Sans doute vu et revu en tant que synopsis de film porno ou alors à grandes tendances érotiques, avec un flou appliqué sur toutes les scènes et des musiques pour accompagner les scènes emplies de poésie. Bien que souvent le pécheur-nu n'était pas le mari, mais plutôt un inconnu qui croise le regard de braise de l'infirmière sexy dont les boutons de sa blouse s'apprêtent à éclater au moindre mouvement. La fidélité n'était apparemment pas ce qu'il y avait de plus séduisant à adapter sur grand écran. S'écartant de Rudy, elle commença sa réponse : « Nu sous sa salopette et avec une haleine de chacal. Ça perdrait de son charme sinon, ça serait comme... une forêt noire sans cerise. Mais il faut admettre que... » Ses lèvres se firent alors capturer par les siennes, ses bras se glissèrent de part et d'autre de sa taille, l'obligeant à s'allonger sur son canapé étroit. Ses doigts se faufilèrent sur ses épaules, remontant jusqu'à son cou ; délaissant finalement sa bouche pour approcher ses lippes de son oreille, lui susurrant la fin de ce qu'elle avait commencé : « Mais là dans l'immédiat, Dark Vador et les shampoings solides Lush me vont aussi. » Ses crocs se plantèrent alors gentiment dans son lobe, effleurant par la suite la courbe de sa mâchoire afin de rejoindre ses partenaires. L'enlaçant au niveau de la nuque à l'aide de son bras droit, son coude gauche vint se poser contre le moelleux du sofa où elle s'y enfonça à quelques reprises, manquant de force et faisant sans broncher la faible sous les caresses de Rudy ; finissant cependant par trouver le courage nécessaire de décoller ses lèvres des siennes une fraction de seconde, redresser son buste et attraper la télécommande pour enlever le visage creusé du pécheur de saumon de la télévision. Assise sur ses cuisses et les jambes de chaque côté de ses hanches, elle laissa l'objet lui glisser des mains, en même temps que son corps qui se laissait retomber dans la position précédente, frissonnant du plaisir naissant alors que ses vêtements tombaient un à un. « Tu voudrais pas qu'il te vole la vedette, quand même. » Phalanges aventureuses qui retrouvèrent la peau à laquelle elles avaient accordé tant de caresses, se plaquant contre ses côtes comme si elles désiraient y laisser leur empreinte ; retrouvant leur souplesse pour se hisser vers sa colonne vertébrale où elles papillonnèrent librement, atteignant finalement ses douces omoplates qui ressortaient sous la cambrure de son dos. Terminant son geste en le libérant de son t-shirt de fan de Star Wars, elle enfouit son visage dans le creux de son cou, un de ces endroits douillets où le parfum semblait plus intense, où la peau paraissait plus douce. Effluves qu'elle avait fini par connaître sur le bout des doigts à force de s'y réfugier et qu'elle retrouvait avec un plaisir à peine dissimulé. Et parallèlement au désir qui lui brûlait de plus en plus les reins, il y avait comme un éclair qui vint la gifler en pleine face ; la sensation de se remémorer les dernières parties de jambes en l'air avec Rudy sans vraiment exercer une action quelconque sur sa mémoire, et finalement, l'enchaînement désastreux des évènements qui s'étaient produits, qu'il ignorait complètement, évidemment. Au-delà de l'envie de satisfaire de simples pulsions charnelles, il y avait aussi en Elizabeth l'ultime désir de se prouver à elle-même que ce n'était pas grave, qu'elle n'allait pas bloquer toute sa vie sur une grossesse non désirée, et surtout, que cette dernière était bien le fruit de ces étreintes-là, avec Rudy, et non pas le résultat d'une nuit d'ivresse catastrophique. Se convaincre qu'elle pouvait encore se perdre dans les draps de ce gamin coincé dans un corps d'adulte sans sentir une vague de culpabilité et de honte s'abattre sur elle.
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Lun 27 Aoû - 13:43
Il aurait eut beaucoup de pêchés à confesser. Mais l'heure n'était pas à la religion. A cet instant précis, elle semblait d'ailleurs bien plus à l'apprentissage des techniques de pêches bios, rendus ludiques par la magie de la télévision. Il était de plus hors de question qu'il aille s'agenouiller à ses pieds, après lui avoir tendu son jus de fruit. Il fronça alors les sourcils, avec une once d'air amusé. « Elle abuse pas un peu de son statut divin, d'ailleurs, la déesse de la modestie ? Parce que si madame inflige cette sentence à tous les pauvres pêcheurs mortels, elle ne continuera pas d'être adulée très longtemps avec tous ses fidèles en enfer. » Il sortit pour finir son sourire puéril, ne pouvant s'empêcher de vouloir sans cesse décrocher le dernier mot de leurs joutes verbales, aussi distrayantes que celles du XIIIe siècle. Cependant, la belle damoiselle agitant son mouchoir au vent avait été troqué par l'allégorie de la satisfaction de leur égo respectif, qui représentait chez eux une victoire très suffisante.
Il étira un sourire sur ses lèvres fourrées dans son cou mielleux en écoutant les sages paroles qu'elle prononça au creux de son oreille. Sa bouche parcourut ensuite une ligne droite jusqu'au haut de sa poitrine encore habillée, pendant qu'un de ses bras l'empêchait de tomber sur le corps svelte d'Elizabeth, l'autre faisant tomber un jean. Ses doigts suivirent la longitude de ses jambes qui, une fois débarrassées du surplus de tissus bleu marine, vinrent se replier sur ses hanches. Entre temps, il la sentit se relever légèrement, de sorte à supprimer l'image pervertie du présentateur les espionnant depuis son chalutier. Il sourit de plus belle, délaissant ses baisers sucrés pour répliquer d'une voix aussi douce que la sienne. « C'est que lui, il n'a que ses poissons frais. J'ai l'avantage d'avoir droit à une grande divinité. » Puis il replongea son nez fouineur contre sa peau délectable, son souffle s'intensifiant peu à peu, alors que ses caresses brûlaient au contact de son bassin dénudé, qu'il vint délicatement collé au sien, séparé depuis peu du visage de Dark Vador. Il captura à nouveau ses lèvres, alors que leur étreinte charnelle s'intensifiait sous ses mains doucereuses, sillonnant le dos de sa fine partenaire, et remontant jusqu'aux épaules, les débarrassant d'une bretelle trop habillée. Serrés sur une largeur trop exiguë, ils s'adonnaient à leur vice suave, dans une harmonie parfaite, alors que leurs peaux s'entrechoquaient sereinement au rythme de leur cœur s'affolant face au pêché luxurieux. Alors qu'un caleçon s'apprêtait à quitter son propriétaire, Rudy se décolla de façon soudaine d'Elizabeth. Il ne savait pas s'il agissait à cause d'une brusque prise de responsabilité ou avec, en mémoire, le souvenir du reportage sur les derniers jours de Freddy Mercury, emporté par le SIDA. Il rapprocha son visage de l'exquise brunette, lui murmurant d'attendre, avant qu'il ne s'extirpe du canapé et ne presse le pas jusqu'à la salle de bain. Il avait beaucoup de mal à se remémorer l'emplacement exacte de ses préservatifs, bien évidemment jamais sur lui, et maudissait profondément la race humaine pour avoir légué ce devoir aux hommes. Mais il avait oublié assez de fois avec Elizabeth pour subir une demi-minute de grognements grincheux. Une demi-minute qui s'étira néanmoins. Ses protections masculines semblaient avoir déserté avec grâce. Il jura, pestant contre Lenny qui, à sa connaissance, était la dernière personne à lui avoir demandé de le dépanner en la matière. De toute façon, c'était toujours lui. Toujours sa faute. Il revint donc vers le salon, et passa sa tête dans l'entrebâillement de la porte, se mordant la lèvre inférieure de façon exagérée. « Houston, nous avons un problème. » Il chercha alors un moyen de combler le manque de Durex Love, mais ne trouva rien dans sa petite caboche où les méninges sprintaient plus que lors d'un cent mètres mondial. Rien hormis la prise de risque, option qu'il rechignait à choisir à cause des longs discours de sa mères influencée par MTV et ses programmes débiles Seize ans et jeune maman, Madame Gavennham étant devenue un produit façonnée par une consommation excessive de télévision. De toute façon, s'ils ne prenaient pas une décision rapidement, le plaisir insatiable des préliminaires charnels allaient s'estomper, insatisfait.
Face au regard quelque peu interrogateur et totalement légitime d'Elizabeth, il fit rouler ses yeux, gêné par le ridicule de la scène. Il lança alors un marmonnement tout de même audible, mâchant ses mots comme à son habitude, quand répondre le dérangeait autant qu'aller à la laverie le dimanche soir. « J'ai plus de capote. » Il sous-entendit un “Qu'est-ce qu'on fait ?”, ne contrôlant plus rien à la situation et préférant léguer ce problème qui traînait bien trop longtemps à l'adulte du couple pathétique qu'ils formaient, Elizabeth. Il avait au fond rarement connu un tel problème, si ce n'est jamais, et ne se rappelait franchement plus s'il devait partir faire des croque-monsieurs ou s'étendre à nouveau au-dessus du canapé, comme s'il s'agissait d'un détail aussi futile que le nombre de céréales dans un paquet de Kellogs.
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Lun 27 Aoû - 21:46
Au fond, elle était la petite brune, dont le nom apparaissait dans son répertoire entre celui d'une quelconque Danny et un certain Fernando, celle qui était volontiers étiquetée ''plan cul dégueulasse'' dans son esprit, qu'il retrouvait de temps à autre, et peut-être même qu'il retrouvait seulement lorsque Léa lui disait qu'elle n'était pas libre. Et là, c'était d'autant plus dégradant, se transformant désormais en ''plan cul dégueulasse bouche-trou''. Appellation qui avait de quoi détruire les dernières traces de dignité qui restaient en Elizabeth si jamais Rudy venait à la désigner mot pour mot de la sorte. Et pourtant, sous ses doigts, sous ses baisers, sous les frémissements timides de sa peau lactée qui frôlait la sienne avec une douceur qui aurait presque pu l'étonner, elle avait l'impression d'être précieuse, ne serait-ce qu'un millième de seconde. L'utopie qu'elle aurait pu être heureuse dans d'autres circonstances, qu'elle aurait pu déverser son surplus d'amour et d'affection opprimée sur quelqu'un de son âge, avec de larges sourires et de grands yeux noisettes ; qu'elle aurait pu transformer sa passion aussi dégoulinante que répugnante en une chose noble et vivifiante plutôt qu'une sale épée de Damoclès. La réalité qui s'agrippait vicieusement à elle, se rappelant qu'elle n'était capable que de lui accorder le respect qu'on accorde à tout le monde, ainsi qu'un semblant de complicité, car il le méritait bien, que ce n'était pas un vieux pervers avec la fougue des jeunes de vingt ans, qui n'ont qu'une envie, celle d'évacuer leur frustration lancinante. Il était loin de faire partie de ces hommes qui avaient trébuché quelquefois durant leur misérable existence et qui se prenaient désormais pour un grand martyre de la race humaine. Rudy, c'était le rire clair, les petits soupirs qu'il expirait entre deux baisers, ses cheveux mal coiffés qui venaient lui chatouiller le nombril, et sa douceur qui l'aurait sans doute séduite quelques années plus tôt.
Flattée de voir que son humble mortel reconnaissait la divinité qu'elle était, elle laissa échapper un rire, rapidement étouffé en un râle de plaisir lorsque ses lèvres tièdes coulèrent le long de sa gorge offerte et que ses jambes se serrèrent autour des siennes, la pointe de ses pieds venant caresser ses mollets comme une brise légère. Mais la duperie ne durait jamais longtemps, se rendant malheureusement compte qu'ils formaient là un couple de pacotille foireux. L'éloignement de son corps chaud était synonyme d'une bise frappant de plein fouet, et elle tenta de le rattraper comme une pauvre amoureuse qui se croit en état d'agonie lorsqu'une distance de plus d'un mètre la séparait elle et son cher et tendre. Se décidant finalement à le laisser filer après avoir embrassé sa pommette, elle se retrouva seule dans le salon, seule, elle et ses doutes qui s'échappaient de leur boite de Pandore. Elle tentait de les réprimer, de les enfoncer dans leur cage, mais au fur et à mesure qu'elle essayait de les faire taire, elle perdait davantage pied. Engloutie sous ses remords et ses peurs qui dansaient au rythme de la petite voix criarde qui sifflait malicieusement contre ses tempes que c'était une belle connerie, qu'elle essayait de se perdre entre les bras de Rudy pour se convaincre que l'enfant qu'elle avait porté était bien le sien, alors qu'elle était pourtant intimement persuadée qu'il s'agissait celui d'Ethan. Que son manège ne marchait pas, et que la seule personne qu'elle cherchait à tromper, c'est à dire elle-même, n'y croyait qu'à demi. Et finalement, elle entendit Rudy lui annoncer qu'il y avait un problème, sa petite tête sortant de l'encadrement de la porte avec un air gêné. Se retournant sur le ventre, les bras posés contre l'accoudoir et la tête qui se hissait par dessus ses mains, elle fronça les sourcils, accompagnant son expression par un bruit qui ressemblait à un couinement. Se demandant ce dont il était question, et quel était le problème face auquel ils étaient confrontés.
Son visage perdit son expression petit à petit, sa moue interrogatrice s'effaça en laissant place à des traits totalement neutres. Ses yeux roulaient de haut en bas, alternant la vue de son visage et de ses orteils qui dépassaient, avant de se plisser sous le poids des larmes qui montaient. Sa neutralité disparut aussi vite qu'elle était apparue, la laissant enfiler le masque de la grimace. Elle était partagée entre le rire portant et moqueur face à une situation si ridicule, et les sanglots qui semblaient pourtant jouer les alpinistes dans son larynx, prêt à se jeter du haut de la falaise par ses paupières. S'étant redressée, les jambes repliées contre sa poitrine, elle tanguait entre ces deux extrêmes, passant de l'un à l'autre comme une bipolaire en pleine crise, et essuyant toutes les deux secondes ses joues baignées de larmes salées comme une gosse capricieuse à qui on aurait refusé sa dernière lubie. Croyant qu'elle avait vidé son stock de pleurs inutiles et injustifiés, et sentant qu'elle ne hoquetait plus à la même fréquence, elle adressa un regard honteux et désolé à Rudy, avant de se décider à une prendre une gorgée de son jus de fraise-banane-pêche. Manquant cependant d'avaler de travers alors qu'elle recommença à sangloter. Elle se sentait pitoyable, avec sur ses épaules le mal-être pesant et contre sa cage thoracique le mal-être explosant. Elle tenta alors de marmonner quelques mots pour lui prouver qu'elle possédait encore toute sa tête et avait encore le contrôle de son corps, pour lui montrer qu'elle n'était pas une sale loque qu'il lui faudrait traîner dehors par les pieds, pour tenter de sauver son image de fille sérieuse et forte. « Je suis désolée. » Mais sa voix flanchait lorsqu'il lui fallait articuler plus de deux syllabes, débitant des sons inaudibles à la place, et pourtant, entêtée, elle tenta de nouveau : « Je suis désolée, je sais pas... Je sais pas ce que j'ai. » Elle aspira un grand coup, sa poitrine se soulevant et s'affaissant sur le champ, ses molaires du fond qui claquaient brièvement l'une contre l'autre, alors qu'elle se sentait partir encore une fois.
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Mar 28 Aoû - 23:52
La première chose qui l'avait frappée chez Elizabeth, c'était son cynisme cinglant. Sa langue de vipère qui se déroulait et qui crachait sur la vie. Il l'avait cru misanthrope, et méprisante. Avec ses cours de médecine, et son statut d'interne, il la voyait comme une majeure de promo, qui regardait de son piédestal ses camarades de classes à qui elle ne daignait adresser la parole. Elle était également chez lui cette sorte de vieux sage, qui semble avoir déjà trop vécu, tout vécu, en passant par le mariage et ses aléas. Sa maturité prononcée, et son rôle de bonne femme du haut de ses vingt-quatre ans. Du haut de ses belles années, qu'elle avait plongées dans l'horreur maritale, tout en les entretenant par sa délicate infidélité. Sa force morale face à leurs combats assassins de répliques hautaines. Cette fausse haine dégoulinante qui suintait et qui semblait avoir bâti une carapace abrupte autour de son corps frêle qu'il étreignait cependant avec aisance. Elizabeth représentait l'adulte qu'il n'était pas. Tandis que lui s'adonnait aux conneries juvéniles comme il respirait, elle avait déjà atteint cette plénitude disciplinée. Et pourtant, physiquement, seuls quelques mois les séparaient. Comme si cette différence physique n'était qu'un leurre, une illusion qui voilait le fossé profondément ancré entre leurs deux âmes. Et malgré la vertu de la mesure qu'elle semblait avoir, Rudy la regarda sombrer dans un opéra émotionnel des plus dramatiques.
Il écarquilla les yeux, voyant qu'il ne contrôlait plus rien à la situation. Que tout lui échappait, et que la présence de sa dernière capote dans la poubelle de Lenny et non dans son tiroir à coton-tiges n'était rien face au visage dévasté, bouleversé d'Elizabeth. Il ne savait absolument pas comment agir. C'était comme si l'on demandait à un môme de cinq ans de faire la déclaration d'impôt de son père. Elle était d'autant plus sûrement mieux placée que lui pour mettre un nom sur ce phénomène psychologico-hormonal et lui ne comprenait de son côté rien aux filles. Il ne comprenait rien à leurs problèmes omniprésents. Parce qu'une fille, ça a toujours un problème. Ça râle toujours parce que les trois derniers centimètres de ses cheveux sont trop frisés, parce qu'il y a une tâche de sauce tomate sous sa chaussure, parce qu'elle est obligée de fermer sa ceinture au troisième trou alors qu'elle voudrait la fermer au quatrième pour paraître moins grosse. Mais Elizabeth, elle semblait bien au-dessus de ça. Le problème n'était donc pas un dépôt de dentifrice sur son pull présentement à terre, non. Pour qu'Elle se mette à pleurer de la sorte, c'était quelque chose de grave. Une chose d'établie en elle, contre laquelle elle n'avait pas pu lutter. Alors il sortit de sa transe, lui qui avait les yeux rivés sur elle encore sous le choc de la voir dans un tel état. Il avança doucement et vint s'asseoir à côté d'elle. Il ne savait pas quoi faire avec ses bras, s'il devait les porter délicatement autour de ses épaules de manière réconfortante, s'il devait lui murmurer que tout allait bien se passer, que tout irait à merveille et qu'il n'était pas nécessaire de pleurer pour de tels problèmes insignifiants, alors qu'il pouvait très bien s'agir de la mort de sa tante préférée. Non. Il était juste un petit con inconsistant et négligeable qui avait juste désiré profiter d'elle sans se soucier de faire preuve d'humanité ou non. De toute façon Elizabeth était un plan cul, pas sa meilleure amie, ni sa voisine de droit international à qui il racontait tous ses week-ends arrosés et qu'il écoutait se plaindre de son petit copain accro aux jeux vidéos.
Il posa finalement une main sur son omoplate, signe pacifique traduisant un élan de compassion de sa part. Il hésita à demander d'où provenait cette crise incontrôlée de larmes, et ravala bien vite ses mots. Ce n'était certainement pas ses affaire et il n'allait pas la forcer à parler de choses qui visiblement ne la réjouissaient pas. « Tu veux des pancakes ? Je sais faire les pancakes. » lâcha-t-il timidement. Il avait toujours cru que grignoter pouvait aider n'importe quel être humain à supporter les peines de la vie. Il n'arrivait pas à dire si cette méthode était efficace ou non, mais il continuait à l'appliquer. Quand Helena l'avait quitté, il avait passé trois mois à sauter les trois repas quotidiens et s'était contenté de s'empiffrer de gaufres, de nachos, de chips trempées dans la sauce au poivre, de cheetos, de jus de fruits étranges, de pop-corn sucrés, et de bien d'autres produits de consommation purement américains. Quand il s'ennuyait, quand il se sentait au fond du gouffre parce que son jeu de Xbox commandé sur Amazon trois heures plus tôt n'était toujours pas livré, ou quand il était déprimé de devpoir passer à la laverie parce qu'il n'avait plus de caleçon propre, il mangeait. Et son don inné pour la cuisine l'aidait sensiblement dans sa tâche, si bien qu'il arrivait même parfois à grignoter sainement. « Ça... ça arrive, tu sais. C'est pas grave. » Non, ça n'arrivait pas. Il ne s'apprêtait jamais à froisser ses draps avec une fille jusqu'à ce qu'elle fonde en larmes. C'était beaucoup trop atypique pour lui, comme scène. Et encore plus quand il était question d'Elizabeth. Il lui adressa néanmoins un sourire réconfortant, sûrement beaucoup trop maladroit. C'était tellement plus simple quand il n'avait qu'à se soucier de l'inclinaison de ses coups de reins, sans trop savoir si l'état d'esprit de sa partenaire était au beau fixe ou pensait déjà à la corvée de ménage qui l'attendait quand elle rentrerait chez elle. Il se leva alors, sans se soucier de l'avis positif ou négatif d'Elizabeth, décidé à lui remonter le moral avec de la bonne pâte à pancakes sucrée cuisinée dans de la matière grasse à l'arôme de beurre salé.
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Mer 29 Aoû - 22:55
Elle faisait tâche dans la scène, et elle se sentait minable, comme si elle venait de briser une promesse faite, qu'elle avait manqué de loyauté, qu'elle intégrait ainsi à leur relation un gros intrus, un putain d'intrus qu'ils avaient pourtant banni dès le départ, et qu'ils avaient réussi à garder à l'écart depuis tout ce temps. Plus encore, elle se sentait minable dans sa vaine tentative d'imitation des chutes du Niagara. Parce qu'elle, c'était laid, c'était sale, elle reniflait, elle hoquetait, elle avait les yeux qui prenaient une couleur rougeâtre et les paupières inondées de larmes qu'elle n'arrivait pas à faire partir. Elle essuyait ses pommettes, sa mâchoire, sa bouche avec un revers de main, et s'empressait d'y coller sa paume pour absorber la nouvelle vague d'inondation. Elle alternait main gauche et main droite comme s'il s'agissait là d'une chorégraphie bien organisée, et tentait de faire sécher ses doigts imbibés d'eau en frottant ses mains contre ses cuisses. Parfois, ça se calmait, pour reprendre de plus belle. Et elle se détestait dans ces moments-là. Avoir la sensation d'avoir perdu tout contrôle, d'être une personne coincée dans un corps en plastique dont mécanisme s'était totalement déréglé. En fait, elle avait fini par détester ce qu'elle était devenue, elle s'était prise sa crise d'adolescence dans la dent, pendant que la crise de la quarantaine lui foutait un coup traite dans le dos. C'était le goût ténu qui chatouillait le palais, collait la langue. Les épices du malheur qui frottaient la gorge. Sa vie avait des airs de puzzle représentant les White paintings de Robert Rauschenberg en 10 000 pièces, dont il en manquait 200, et avec l'impératif de le terminer d'ici les deux heures qui suivaient. Des allures d'impossible, et des envies de persévérance en sachant pertinemment que les pièces manquantes n'apparaîtront pas comme par magie. Le goût amer s'atténuait progressivement, on finissait par s'y habituer. Par trouver certains moments supportables alors qu'ils nous avaient blessé au point de nous en couper le souffle quelques mois auparavant. C'était comme entrer dans une pièce et respirer une odeur pestilentielle ; se confronter aux nausées et à l'envie de dégueuler. Essayer de rester en apnée mais se retrouver forcé de reprendre son souffle, les particules d'odeur dégueulasse en profitant pour se glisser jusqu'aux narines. Et avoir envie de vomir son midi encore une fois. Puis finalement, au bout de cinq minutes, quinze minutes, le nez s'y fait. C'était ça finalement, la bulle incestueuse cauchemardesque qui avait réussi à piéger tous leurs sens. Le bonheur ressemblait à une nourriture lointaine aux goûts orientaux.
Il lui sembla qu'elle se calmait, retrouvant Rudy à ses côtés avec une main maladroite près de son épaule. Se passant une énième fois la main sur le visage, elle inclina la tête, avant de pouffer face à sa proposition. Ses traits étaient perturbés, ne sachant s'il fallait s'affaisser ou se relever. Elle eut cependant un semblant de sourire sur les lèvres alors que ses paupières relâchaient quelques gouttes. Elle se contenta de le regarder quelques secondes, avant de détourner la tête, les lèvres serrées et les doigts se perdant les uns entre les autres. Elizabeth sentait qu'elle pouvait flancher à tout moment, et à chaque fois qu'elle essayait d'entrouvrir ne serait-ce qu'un peu ses lèvres pour laisser échapper un son, elle n'entendait qu'un gémissement fébrile. Rudy rajouta alors quelques mots, se voulant rassurant. Non, ça n'arrivait pas. Si, c'était grave. S'il s'agissait de la description d'un film, on relirait à deux fois la phrase pour être sûr, avant de se rendre compte, grimaçant, que ce foutu synopsis était tordu, et que celui qui en avait eu l'idée l'était d'autant plus. Elle se contenta de secouer la tête, un peu à droite et à gauche comme de haut en bas. Elle lui suivit du regard lorsqu'il se releva, apparemment décidé à préparer des pancakes, puisqu'il s'en allait casser ses œufs et peser sa farine. Enfilant sa petite culotte et son pull, elle se redressa en tapotant presque machinalement ses joues à l'aide de ses manches. Rejoignant ainsi Rudy dans la cuisine avant de s'adosser sur le frigo aux bras croisés, elle se surprit à le trouver touchant, lui qui versait son lait dans son verre mesureur avec une précision scientifique. « T'embêtes pas, je vais y aller. » souffla-t-elle, avant de se rendre compte que les clapotis qu'ils entendaient tout à l'heure ne provenaient pas uniquement du fond océanique trônant fièrement derrière le pécheur. « En fait si, j'en veux bien. N'en profite pas pour y glisser du GHB et abuser de moi sans capote. » Elle s'empara alors du paquet de farine, lui demandant au passage combien de grammes il fallait, prenait soin de poser son récipient sur la balance avant d'user de la fonction tare. Elle sentait cependant que des larmes s'accumulaient sous ses paupières – inévitablement attendrie, et se rendant compte qu'elle n'avait pas connu ça depuis longtemps - et, lâchant le paquet de la main droite pour chasser les traces humides, elle renversa une centaine de grammes de poudre blanche sur le plan de travail. Elle fixa le petit tas avant de relever la tête vers Rudy, comme une gamine trop curieuse qui vient de casser le précieux vase de grand-mère malgré tous les avertissements.
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Jeu 13 Sep - 11:28
Ce retournement de situation l'avait quelque peu pris au dépourvu. Voir Elizabeth flancher était une scène des plus inattendues. C'était comme la fin de Batman, ou une enquête d'Agatha Christie. Ça n'était pas prévu, et on aurait tout imaginé, sauf ça. Il lui avait collé une étiquette qui venait de s'arracher. Elle venait de perdre la médaille d'or de la figure maternelle cynique et pointilleuse, presque parfaite, hormis un humour à prendre avec précaution. Si bien qu'à cet événement peu habituel, il avait répliqué par une proposition peu habituelle, à savoir partager des pancakes avec Elizabeth Calaan. Dans ces conditions, Baudelaire aurait pu écrire les paroles de Colonel Reyel. Dans la cuisine, il se mit alors à peser scrupuleusement ses ingrédients. Au fond, c'était une des seules choses dans laquelle il excellait, mise à part le narcissisme qui empestait ses entrailles et qui brouillait une bonne partie de ses relations humaines. Il aurait mieux fait de devenir ermite et de sympathiser avec des chênes, sa vie aurait eut un côté beaucoup plus simple. Il saisit donc son fond de farine, versa du lait dans son verre doseur, et s'empara ensuite des œufs, les cassant soigneusement sur le rebord de son saladier fétiche qui avait vu passé bon nombre de pâtes à cupcakes et autres régales pour les papilles. Il ne savait pas d'où il tenait cet intérêt profond pour les plaques de cuissons et les fours de pâtissiers. C'était un peu comme les conneries du samedi soir à une heure du matin, c'était inné, il avait toujours eut ça en lui, ça avait toujours été là. C'était une part de lui. Rudy, le chef cuisinier gay et méprisable comme pas deux.
Elizabeth finit par le rejoindre, ayant enfilé un pull et retrouvé sa petite culotte derrière ses yeux encore imbibés de chaudes larmes. Il ne savait pas gérer ce genre de crise. Il n'avait pas vraiment eut l'occasion d'y assister au cours de sa vie, entre une sœur impassible qui préférait lever un sourcil quand quelque chose la contrariait, et une ex qui partait au quart de tour, en profitant pour insulter chaque être humain, animal et végétal que la Terre puisse porter. Il était beaucoup mieux à s'écarter de la région conflictuelle plutôt que d'y faire face et de tenter tout arrangement diplomatique qui n'aurait au final fait qu'aggraver la zone sensible. Mais son invitée semblait calmée, retrouvant un visage posé, presque doucereux. Elle s'apprêtait à partir, quand elle revit à deux fois ses paroles pour finalement accepter un pancakes ou deux, lui indiquant qu'il était préférable pour lui qu'il ne songe point à égarer quelques pilules dans sa préparation, ce qui le fit spontanément sourire, voyant qu'il retrouvait la vraie Elizabeth. Il la surprit même à vouloir l'aider, alors qu'il la regardait tenir ses derniers grammes de farine entre ses mains frêles, les approchant de la balance, pour finalement lâcher prise. Le paquet fit une petite roulade sur le sol, laissant choir son contenu de part et d'autre de la cuisine. Il ne savait pas s'il devait jurer et foudroyer Elizabeth du regard, ou s'il devait tout simplement hausser les épaules. Il fixa pendant trois longues secondes le tas de dégâts qui venait de heurter son par-terre de linox et se ranima d'un coup. « C'est pas grave, on est pas obligés de faire des pancakes. T'inquiètes pas. » Le problème, c'était qu'il y avait trop de choses pas graves dans cette soirée improvisée. Trop de “pas grave” tue le “pas grave”.
Il soupira, les yeux rivés vers son placard, s'interrogeant sur ce qu'ils allaient bien pouvoir se mettre sous la dent après ce fâcheux accident. Niveau baume réparateur, il lui restait un paquet de cookies, très bon pour les soirées à l'eau de rose qu'il se faisait devant sa télé, comme une nana qui regarderait une comédie avec Hugh Grant dans le main cast, en dévorant un pot de nutella à la petite cuiller. Il s'en empara, laissant sa cuisine en désordre, peu d'humeur à nettoyer, et fit signe à Elizabeth de le suivre dans le salon, également dérangé, où traînaient leurs vêtements. Puis il s'affala sur le canapé, le regard vide perdu sur l'écran noir de sa télévision éteinte, ouvrant machinalement son paquet de gâteaux de la même manière qu'un robot assemblerait une carcasse de voiture. Il attendit que sa compagne l'ait rejoint pour lui tendre les cookies, le visage toujours pensif, se surprenant à songer à des choses qui ne le concernaient pas franchement. Il fronça alors les sourcils, avant d'ouvrir la bouche. « Est-ce que tu regrettes... quand tu viens ici ? » Par cela il supposait quelque chose qui ressemblait à des remords vis à vis de son mari. Ce qui aurait été tout à fait compréhensible. Et puis ce n'était pas comme si le regret était un sentiment qu'il ignorait. Lui même se sentirait affreusement gêné d'infliger cela à Helena – une autre fille aurait été beaucoup plus discutable. Néanmoins, il était conscient de l'étrangeté de sa question. Seulement, dans son esprit, Elizabeth avait vingt quatre ans, et ne s'était donc pas mariée il y a dix ans, mais plutôt quelque chose comme quelques mois, voire une paire d'années, maximum. Il se demandait donc comment en si peu de temps, l'amour qu'elle avait pu porter à son conjoint d'autel avait-il disparu aussi rapidement, comme était-il devenu assez volatil pour qu'elle puisse aller jusqu'à le tromper. Ça l'échappait. Et il connaissait si peu sur les recoins de sa vie – bien qu'il se portait tout de même très bien de ne pas en savoir autant. Elizabeth était pour son cerveau concentré sur les pixels inexistants de son téléviseur, un secret à elle seule.
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Dim 16 Sep - 17:35
La vraie Elizabeth n'était plus là en réalité. Partie, disparue. Envolée, comme un tas de poussière sur lequel on souffle et dans lequel on s'étouffe par la suite. Elle n'était plus qu'une façade, un piètre emboîtement d'apparences surfaites. Comme des poupées russes qu'on ouvre, encore et encore, et qui sont creuses chacune. La première poupée était celle de l'étudiante aux airs hautains bien que profondément attachée aux personnes qu'elle rencontrait et émue par leurs malheurs. Puis il suffisait de gratter un peu pour y découvrir la fille à la répartie cinglante et à l'humour quelquefois dérangeant. C'étaient les deux seules couches qu'elle laissait entrevoir, la majorité se cantonnant à la première, restant bloqué dans la lacune intermédiaire. Rudy lui s'était retrouvé collé contre la deuxième poupée, pris en plein vol comme une mouche qui se heurte violemment au pare-brise d'une voiture roulant sur l'autoroute. Sans chercher à trouver une faille, sans vouloir briser les couches, et tombant d'un coup dans un défaut de construction, petit trou le rapprochant de la troisième poupée.
Elle avait encore ses yeux rougis et ses lèvres pincées lorsqu'elle lâcha le paquet de farine. Alternant pendant quelques instants entre le regard de Rudy et la poudre blanche éparpillée un peu partout sous leurs pieds. Le sentiment de n'être décidément bonne à rien ; pas même foutue de renverser quelques grammes proprement dans un récipient. Elle esquissa une légère moue, les yeux rivés sur ses orteils entachés lorsqu'il lui dit que ce n'était pas grave. Qu'elle n'avait pas à s'inquiéter, avec sa voix douce, se voulant réconfortante. Elle avait oublié quelle sensation ça faisait, de faire des choses pas graves, et d'avoir quelqu'un pour vous le rappeler. Tellement enfermée dans sa solitude morbide que ses réussites lui étaient accordées à elle seule, n'ayant pas de personnes avec qui elle pouvait le partager. Ou du moins, personne avec qui elle voulait réellement le partager. Le goût des petites réussites finissaient par perdre le saveur au bout d'un moment ; seul celui des gourdes, des échecs, des catastrophes réussissait à exciter ses papilles anesthésiées. Doublement marquée, puisqu'elle se montrait terriblement perfectionniste et dure avec elle-même, et puisque son frère était finalement une copie de sa propre personne, version masculine, version plus tranchante. Elle s'accroupit alors, relevant cependant la tête, à la recherche d'un petit balai et d'une éventuelle pelle ramasse-déchets, cachés derrière la poubelle. A peine avait-elle commencé à balayer le désordre en poudre qu'il lui fit signe de le suivre. Son côté maniaque la fit hésiter un moment, se demandant si elle pouvait se permettre de laisser sa cuisine dans cet état ou s'il fallait qu'elle redonne à son carrelage un semblant d'éclat. Elle finit par s'adonner à un compromis ; jetant la première pelée dans la poubelle avant de s'en aller rejoindre Rudy qui lui tendit un cookie dès lorsqu'elle entra dans son champ de vision. Il mâchait mécaniquement le biscuit les yeux dans le vague, visiblement embêté par cette situation qui était clairement hors-contrat.
Elle s'installa alors à ses côtés, retrouvant les positions dans lesquelles ils étaient auparavant. Mêmes silhouettes avachies et s'enfonçant dans le canapé, ayant perdue toute leur tension sexuelle, croquant bruyamment leur biscuit, sans le moindre mot. Comme une impression d'être de trop. Situation peu confortable dont elle aurait aimé se dérober, si seulement l'averse battant de plein fouet contre les vitres daignait se calmer. Puis il se décida à briser ce silence, presque timidement, abordant un sujet qui leur était jusque là inconnu. C'était peut-être la première fois qu'il lui posait une question de ce genre là, personnelle, n'impliquant pas la personne imbue d'elle-même qu'il était, et, à la surprise de tous, avec un ton posé. Apparemment prêts à discuter, comme le font les gens normalement constitués. C'est à dire parler pour dire quelque chose, premièrement, et si possible sans essayer de percer les tympans de son interlocuteur.
Elle n'en resta pas néanmoins éberluée, le fixant les sourcils froncés avant de détourner la tête vers la télévision. Il fallait comprendre, est-ce qu'elle regrettait de tromper son mari avec lui ? La réponse serait logiquement non. Logiquement non car elle ne trahissait la confiance de personne finalement, en se rendant chez Rudy ; et surtout pas celle son prétendu mari avec qui elle entretenait une prétendue relation tendue et battant fortement de l'aile. Pas d'amant un peu volage qui attendait à la maison, pour se rendre compte que sa bien aimée à qui il avait promis ciel et terre n'était pas moins infidèle que lui. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir cette sensation de fausseté, avec l'arrière goût de la culpabilité. Ténue, faible, comme la douce amertume laissée par un café bien corsé. Elle s'était lancée dans des réflexions à n'en plus finir au moment où il lui avait posé sa question ; alors qu'en vérité, la réponse, elle l'avait. Parce qu'il n'y avait qu'une réponse possible, une réponse qu'elle pouvait lui donner, aussi vraie ou mensongère soit-elle. Ses grands débats intérieurs n'avaient pas lieu d'être et étaient complètement inutiles, car il n'était plus question d'être honnête depuis longtemps. Le seul but était de donner une histoire cohérente pour cacher la monstruosité qui était tapie sous le couple perturbant qu'Ethan et elle formaient. « Non, non, pas vraiment. »
Elle faillit lui retourner sa question, avant de se rendre compte qu'elle était ridicule dans ce sens-là. Tout le monde n'avait pas le chaos qu'elle avait en tant que quotidien. Certains se contentaient de vivre, et ça leur suffisaient. Mais surtout, s'il regrettait d'être là – sous entendu, il regrettait de tromper sa douce et gentille et adorable copine avec une vieille aigrie maladroite et incapable aux réactions excessives, alors il ne serait pas là. Car une fois de plus, il existait certaines personnes qui se contentaient de la simplicité. Se complaisant dans leur train-train habituel ponctué de joies aléatoires. Et pourtant, elle ne désirait que ça : se sortir de la mélasse hasardeuse dans laquelle elle s'enfonçait à contre gré toujours un peu plus. Pour toucher ne serait-ce que du bout des doigts la simplicité rayonnante et merveilleuse qui se dressait devant elle, et qui demeurait inaccessible. Elle n'aspirait qu'à devenir une trentenaire lassée par des duplicata de journées et qui ne voulait pas briser sa confortable routine pour autant. Elle ne voulait que ça, l'aimer de façon modérée, jouir des plaisirs futiles, et ne plus être la victime de cette passion dévorante. Arrêter d'orienter sa vie, ses envies, l'intégralité de sa personne par cet unique sentiment destructeur. Peu désireuse cependant d'étaler ses états d'âme en long et en large – bien que cela serait la suite logique de l'épisode à l'eau de rose qu'ils semblaient jouer actuellement. La crise de larmes suivies d'explications douteuses et douloureuses sur fond musical de violons et violoncelles, pour porter l'émotion du spectateur au point culminant. « Tu regrettes, toi ? De t'être embarqué là-dedans ? » lui demanda-t-elle, reportant son attention sur lui. Puis en haussant les épaules, elle ajouta « Je peux comprendre que ça puisse te déranger. »
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Mar 18 Sep - 14:19
C'était étrange, comment cette bouffée de sincérité se consumait peu à peu entre eux. Un cierge prônant l'honnêteté, épicée d'un soupçon d'humilité. Parce que cela ne leur ressemblait pas. Ils s'inventaient juste des titres imaginaires pour mieux se pavaner devant l'autre. Il n'y avait pas de réalité à leur spirale extra-conjugale. Seulement une peinture superficielle qui illustrait leurs charnels ébats. Et pourtant Elizabeth venait de soudainement faire acte de faiblesse, de s'effondrer devant lui, alors qu'entre eux, elle avait toujours gagné leurs vicieux combats de coqs. Et comme pour prouver son fair-play, il n'avait préféré rien dire, rien demander, parce que même si cette “sincérité” n'était pas complète sans les raisons de ces pleurs qui avaient semblé trop durs à stopper, c'était mieux ainsi, sans cet pseudo-intérêt pour l'autre.
Pourtant il ne voulut pas se contenter de ce silence de mort. Elle venait de le rejoindre sur le canapé, acceptant ses maigres cookies, mâchant avec gêne et incertitude. Ils n'étaient pas vraiment fait pour ça. Pour se taire et regarder l'autre manger un biscuit aux pépites de chocolat sans s'insulter de gros tas qui passerait sa vie à gloutonner. Il y avait cette sorte de respect pour l'autre qui s'était introduit. Et il lui semblait que c'était par respect qu'il avait posé un question un peu trop personnelle, arrachant le cadenas scellant la vie privée d'Elizabeth, et ses pensées les plus profondes, enfoncées en son fort intérieur, s'interrogeant si l'objet de cette dite question était au final la cause de cette crise de larmes incontrôlée. Il espérait simplement que non, sans trop savoir exactement pourquoi. Et il ne savait pas s'il devait être heureux ou non de sa réponse. Son égo fut forcément satisfait. Mais au fond, est-ce que cela était suffisant. Au moins, elle était pleinement consciente de ce qu'elle faisait auprès de son mari, et n'avait aucune gêne à vivre avec un amant – quand ce mot sonna dans sa tête il se sentit d'autant plus flatté, mais préféra ne rien laisser paraître. Non, c'était juste le plan cul de la fac, avachie sur son canapé, remplaçant les cheetos par des petits gâteaux un peu plus sucrés et à l'apparence moins dégueulasse. Alors il plongea lentement sa main dans son paquet de cookies et croqua gentiment sans commenter sa réplique qui était devenu une parole de conversation d'un couple en train de s'avouer leurs plus graves erreurs tapies au fond d'eux. Au moins, c'était calme. Le dénouement serait alors soit le départ émouvant sur un fond de notes mineures, soit un réconciliation sur l'oreiller, affable et romantique.
Elle lui retourna ensuite la question. Est-ce qu'il regrettait ? Il avait peut-être juste trouvé un moyen de se sentir désiré, après le départ d'Helena. Au fond Elizabeth ne constituait pas une intérêt particulier, mis à part assouvir les souhaits du grand Rudy, à qui plus personne ne portait d'attention. Il n'y avait plus un quidam pour vanter ses caresses bien placées et son corps bien bâti, plus une demoiselle pour l'appeler, ou lui susurrer les compliments les plus délicieux au réveil. Toute la considération qu'on avait eu pour lui avait disparu dans un avion pour l'Australie, et le seul intérêt qu'on lui portait, les seules questions qu'on lui posait concernaient la provenance de ses abominables cernes, creusées au-dessous de ses yeux, après des heures à attendre, assis sur son canapé, qu'une brunette vienne frapper à sa porte. Elizabeth était cette fille, qui se pointait chez lui à l'improviste, qui simulait le désirer le temps d'une soirée, quand elle ne faisait pas que le remettre plus ou moins gentiment à sa place de gamin pourri gâté. Par conséquent il ne regrettait pas s'adonner à ce jeu avec elle. Mais les remords allaient peut-être finalement arriver, peu à peu. Se demandant si maintenant qu'Helena était rentrée, il n'avait pas mieux à faire que traîner le mardi soir avec la femme d'un autre. Il mâcha sa bouchée calmement avant de prendre la parole, rompant le suspens, certes peu palpable. « Je regrette pas. Officiellement je ne trompe personne de toute façon. Mais c'est pas ça, c'est pas toi qui... »
Il ne savait pas si au final il devait vraiment être sincère avec Elizabeth. Lui parler du trou béant qui transperçait sa poitrine, et de ses faiblesses les plus à vif. Lui avouer qu'il voyait une fin imminente à cette mascarade déguisée. Cette fin qui allait probablement se compter en jours. En semaines au mieux. Pour l'instant il était juste en train de jouer involontairement le monsieur malheureux en mal d'amour. Il se racla alors la gorge, chassant cette voix qui commençait à se faire timide et faible et finit sa phrase. « ... c'est pas toi qui aime les Drôles de Dames ? Ils font des rediffusions toute la soirée. Et franchement, j'ai pas envie de me retaper les pêcheurs de saumons et leurs gros bides à bière. J'ai des images horribles dans ma tête où je te vois en train de te faire prendre par un Obelix habillé en Capitaine Haddock, et c'est pas joli. » — ou l'art de reprendre en main la situation.
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Dim 14 Oct - 17:37
Dans le fond, ils n'étaient pas si différents que ça, même s'ils essayaient constamment de se prouver le contraire, ne loupant jamais une occasion de dénigrer l'autre et de lui prouver par un raisonnement digne d'une démonstration mathématique qu'il était, en toute logique, moins ceci, moins cela. Que Elizabeth était supérieure à Rudy pour toutes qualités appartenant à l'ensemble des qualités humaines – et lui s'évertuait à proposer un contre-exemple pour lui prouver qu'elle s'était royalement plantée dans le déroulement de la démonstration. En vérité, ils n'étaient que deux gamins amoureux, profondément handicapés par leur sentiment, et incapables de pénétrer dans le monde très fermé des ''gens en couple''. La notion de couple semblait être bien loin, comme un but lointain qu'on aimerait effleurer, mais qui nous échappe toujours, même lorsqu'il semble être accessible. Pour des raisons différentes certes, avec des détails différents, certes. Mais fondamentalement, ils étaient sensiblement les mêmes. Loups solitaires qui s'étaient retrouvés par hasard pour épancher leur isolement, pour se berner un peu soi-même. Se dire qu'il y a quelqu'un qui nous apprécie, sans poser de grandes questions existentielles, sans remettre en cause toute une morale ancrée depuis des années déjà, sans remuer les piliers de la société actuelle. Sans demander à ce qu'on change du tout au tout, à ce qu'on fasse des concessions qui n'en sont plus, à ce qu'on soit quelqu'un d'autre. Et pourtant, il y avait bien une chose qui les distinguait : Rudy ne se battait pas pour une cause perdue – dans la mesure où il se bat réellement pour sauver ce qu'il reste de sa relation avec Helena. S'il parvenait à réaliser quelques concessions plus ou moins modérées, s'il arrivait à extirper de sa bouche quelques maigres excuses bien que sincères, quelques paroles mielleuses exprimant le fond de sa pensée, alors peut-être aura-t-il le privilège d'entrer dans cette sphère du Couple. Peut-être qu'il grandira même grâce à son amour réciproque et vécu, qu'il deviendra quelqu'un de responsable et perdra ses horribles défauts au fur et à mesure.
Elle se retourna, le sourcil gauche arqué, et étouffant un rire dans sa mâchoire. Se demandant si c'était finalement l'image de Rudy devant les Drôles de Dames qui l'amusait le plus, ou si c'était cette comparaison dégueulasse bien que décelant une part de vraie, entre le marin pécheur et Obelix. Et elle s'en voulut d'avoir eu la maladresse de se projeter cette image dans la tête, partageant désormais le dégoût que la scène où elle se faisait prendre par un Obélix habillé en Capitaine Haddock pouvait inspirer à Rudy. « S'il-te-plaît, pas de comparaisons foireuses de ce genre-là, parce que je suis vraiment en train de visualiser un truc dégueulasse... Et non, non, c'est pas moi la fille qui est restée coincée dans les années 80 avec ses Drôles de Dames. Ça a l'air d'être ton cas, par contre. »
Doudoudoum. Sonnerie peu musicale qui retentit, suivi de très près par une autre sonnerie toujours aussi peu musicale. Deux sons en canon créant une malheureuse discordance, annonciateur de nouvelles peu joyeuses. Elle se redressa cependant, avant de s'affaler de long en large sur Rudy qui mâchait bruyamment ses cookies, prit tout son temps et surtout, le soin de bien mettre tout son poids sur sa frêle silhouette, pour finir par attraper son sac qui était posé au pied du canapé. Elle n'aurait pas dû lire ce sms maintenant. Elle pensait qu'avec Rudy, elle ne risquait rien : pas de disputes aux allures de crise de jalousie, pas d'explications foireuses à fournir, d'arguments fallacieux à présenter. Elle pensait que Rudy, c'était une bulle dans laquelle elle pénétrait sans danger. Elle pensait que le fond, c'était Ethan. C'était lui, la source de ses problèmes, de ses malheurs. C'était uniquement lui, qui arrivait à la rendre si misérable ; et lorsqu'elle avait appris pour sa malheureuse grossesse, c'était à lui qu'elle avait pensé, pas à Rudy. L'idée de le lui annoncer ne lui avait même pas effleuré l'esprit. Pourquoi, après tout ? Pour lui dire qu'il n'avait pas à s'inquiéter, que si jamais il avait eu des doutes quant à sa capacité à avoir des enfants, et bien, c'est désormais clair et net, il est fertile. Pour lui dire félicitations, nos beaux gamètes ont fusionné, et la cellule oeuf à peine viable est désormais morte et enterrée ? Non, parce que ce n'était pas ses affaires, qu'ils n'étaient pas un couple, que la décision d'avorter ou non ne le concernait pas. Elle avait pris rendez-vous ailleurs, en dehors de ce trou paumé qu'était Arrowsic, passé le week-end dans un hôtel à pleurer avant et après, non pas la perte de son potentiel futur enfant, mais pleurer comme une pauvre imbécile qui venait de se prendre la beauté du destin dans la gueule, et qui ne savait pas quoi faire, même en ayant déjà tout fait. Mais à Arrowsic, il y avait deux choses : le Destin et sa terrible fatalité d'un côté, puis RHI de l'autre. Une petite salope mal baisée qui ne sait pas comment refouler sa frustration, si ce n'est en crachant son venin sur tous les autres. Jouissance virtuelle que de savoir que ces gens sans problèmes ne sont qu'en fait, des plaies ouvertes infectées. Si Elizabeth continuait à recevoir ses odieux messages sur son téléphone – avec son putain d'air de suffisance qui transparaissait à travers son écriture, c'était pour une seule et unique raison : vérifier que son terrible secret en était encore un. Elle ne lisait rien, si ce n'était les paragraphes où son nom ou celui de son frère apparaissait. Se foutant éperdument des petits secrets que les autres avaient à cacher ; puisqu'elle était tout particulièrement mal placée pour faire ne serait-ce qu'une remarque. En temps normal, elle se serait jetée dessus, pour constater que la discrétion dont Ethan et elle faisait preuve payait, en fin de compte. Elle préféra cependant se contenir avec Rudy à ses côtés, bien que paniquée à chaque fois qu'un nouvel article était posté sur le blog.
Spoiler:
après trente six mille ans de retard... J'espère que ça ira quand même, hein.
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Sam 3 Nov - 16:16
Il se sentait mal à l'aise, là, dans son salon. Le cul posé sur un canapé troué où des cendres ayant appartenu à Lenny tentaient de s'échapper d'entre les coussins et où des miettes de gâteaux en tout genre, qu'ils soient salés ou sucrés, gisaient, las de trouver le chemin jusqu'au sac poubelle. Les pieds délicatement posés sur une table basse où se mêlaient bouquins de droit, dissertations à peine commencées, cadavres de bières et emballages de sucreries. Le tout, sagement en caleçon, incapable d'avoir un quelconque rapport sexuel avec ce qui techniquement ne lui servait qu'à ça, à savoir Elizabeth Calaan. Une bonne copine, en somme, qui certes ne se prononçait pas sur l'incident fâcheux qui venait de se dérouler mais qui ne devait pas en penser moins. Il y avait toujours ça entre eux. Quand ils ne s'hurlaient pas à la gueule, ils pensaient, au fond d'eux, sans pourtant prononcer un mot. Et bien qu'ils étaient plus que difficile de deviner le fond de ces pensées, elles étaient discernables. On les sentait, on les entendait, sans pouvoir les saisir pour autant, ou encore les comprendre.
Rudy fit une petite moue quand elle lui annonça qu'elle n'était cette accro aux Drôles de Dames. A vrai dire il s'en foutait bien. Quoi qu'il la prenait parfois pour cette fille de la vieille école, ayant alors tout à fait le droit de la soupçonner de regarder ces programmes vintages. Et il n'avait pas franchement envie de rester planté là, à la regarder dans les yeux - ou pas d'ailleurs, il évitait plutôt, fixant sa télé, le regard vide. « C'est que je suis nostalgique de cette époque où je n'ai nullement vécu. » Il dut alors remercier son téléphone. Elizabeth en profita pour s'allonger sur lui, de façon assez explicite pour partir en quête de son propre portable, lui aussi ayant retentit au fin fond de son sac posé à l'opposé du sofa. Rudy se racla la gorge, entre deux bouchées de cookies, la paquet étant toujours à moitié rempli entre ses mains, allègrement dégusté. Quand Elizabeth retourna gentiment se rasseoir convenablement il put saisir le sien, en train de choir sur sa table basse dégueulasse au possible. Généralement, quand deux sonneries retentissaient à l'unissons, il s'agit soit d'une pub de l'opérateur en question - un point commun en plus pour eux, youpi -, soit d'une nouvelle annoncée par un ami commun dans un sms groupé si impersonnel que ça en devenait désagréable, soit de la déferlante tornade, grappilleuse de potins salaces et répugnants, aussi nommée Rumour Has It. Il priait pour la première option, de tout son être. Mais le destin n'était pas franchement d'accord avec ses désirs les plus profondément enfouis. Le titre d'un blog répugnant aux mots accablants figurait effectivement en titre du dit message reçu. Rudy se rendit rapidement compte qu'il n'avait pas consulté ce site radieux depuis un bout de temps. Bout de temps qui avait permis à Madame Commère de répandre son venin sur lui. Sur lui et Elizabeth. Mais surtout, sur lui, Elizabeth, et un embryon procrée par nul autre que lui-même.
Silence de mort.
Rudy savait pertinemment que sa voisine avait la même information sous les yeux. Information qu'elle n'avait pas franchement besoin d'apprendre par un message inattendu. Il continua néanmoins de manger ses cookies, d'une façon qui semblait si bruyante dans cette atmosphère plombée. Apogée d'une tension palpable sur leurs deux visages. Quand il eut fini, au bout d'environ cinq minutes qui passèrent aussi longtemps que la durée d'une grand prix, lassé par ses gâteaux fades et trop amer à digérer en même temps que cette nouvelle, il tourna la tête vers Elizabeth. Aucun son ne voulait sortir de sa bouche. Aucune pensée ne se fixait durablement dans son esprit, vis à vis du fait qu'il eut été papa pendant quelques semaines, peut-être quelques mois. Il n'en savait rien. Il ne savait rien du tout. Elle ne l'avait jamais mentionné, jamais avoué. Et d'un côté, être gardé dans ce silence ne le dérangeait nullement. Au fond, s'il n'avait jamais appris cette grossesse, il aurait vécu paisiblement, continuant sa vie sereine et à l'abris de telles conséquences, n'imaginant même pas que ce genre d'incident fut un jour possible. Il aurait continué son existence naïve et candide. Il tenta d'ouvrir la bouche. Ses cordes vocales étant toujours sciées, incapables de s'exécuter, il resta les lèvres entre-ouvertes, cherchant l'énergie nécessaire pour donner un coup de pieds au cul de sa foutue pomme d'Adam qui résonnait au moindre mot. Ce fut donc grâce aux sucres lents et aux lipides de ses cookies qu'il put brûler quelques calories et enfin parler. Après ces longues minutes de mutisme, on aurait pu titrer les unes des grands quotidiens de la sorte; "Rudy Gavennham se révèle enfin". Comme s'il s'agissait d'un condamné à mort sauvé de justesse par la grande justice américaine, toujours là pour écarter les suspect accusés à tort dans ces affaires fédérales où toute l'Amérique est penchée avec passion, transportée par ce récit qui rythme la vie de sa ménagère lambda, la sortant de son quotidien morne. Ainsi il se prononça enfin sur la question. « Ca… ça fait combien de temps que… tu l'as ? » Cette chose implicitement évoquée étant alors le truc jamais sorti de l'utérus de madame Callan.
Il ne savait absolument pas quelles paroles étaient préférables dans un tel contexte. Il venait d'apprendre sa paternité en même temps que le deuil de ce dit foetus. En quelques secondes, il avait donné et la vie et la mort. Sans rien choisir. Parce que c'était la fatalité. Un jeu vicieux du destin, imparable. Néanmoins, il n'en voulait pas franchement à Elizabeth. S'il était fâché contre elle - bien que fâché soit un bel euphémisme - c'était seulement parce qu'elle ne lui avait rien dit. Ou plutôt parce qu'elle n'avait pas réussi à le cacher des yeux omniscients de RHI. Parce qu'elle n'avait pas préserver sa conscience. Mais qu'elle ait avorté, il en était plutôt heureux. Même s'il s'agissait d'un acte qui pouvait semblait odieux et égoïste, il ne voyait absolument pas Elizabeth s'occuper d'un môme, et lui encore moins. Il avait vingt trois ans. Elle vingt quatre. Mais dans sa foutue tête, il en avait peut-être quinze, seize tout au plus. Et il alla s'imaginer dans la peau de ces nanas sur MTV, mamans à seize printemps, livrant tous leur temps à un bébé souvent non désiré. Rudy en eut un frisson - non seulement parce qu'il se sentait vraiment inconfortable dans un jean taille 48 agrandi par un élastique cousu par sa mère et avec des seins ne cessant de gonfler, mais surtout parce que l'idée d'un couple rangé, casé, souriant au possible sur une photo où le ventre maternel ressortait du cadre le répugnait. Au final, c'était mettre à jour son jeu du papa et de la maman, quittant la version lite pour la version complète, avec pleurs réalistes et couches 3D.
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Dim 4 Nov - 17:21
Elle aurait dû se douter qu'il n'était qu'une petite commère avide de ragots. Parce qu'elle l'aurait sans doute été elle aussi, si elle n'avait pas attrapé cette infection au vol. Elle aurait pu gentiment se moquer des pauvres victimes sur lesquelles on dit du mal, elle aurait pu s'intéresser à leur miteuse vie déployée sur la toile aux yeux de tous, et déblatérer sur leur triste sort, pour oublier à quel point sa propre vie était d'une banalité affligeante. Elle aurait pu se montrer mauvaise avec sa langue de vipère, car elle avait la curiosité et le cynisme adéquats. Mais la tournure des choses l'avait transformée, elle n'était plus qu'Elizabeth, ni plus ni moins la fille un peu effacée. Alors que la vérité était tout autre, elle n'était rien de ça lorsqu'on prenait la peine de gratter un peu cette surface lisse et satinée. C'était donc calmement, avec un visage indifférent, qu'elle se rendit sur le blog de RHI, pour lire rapidement les dernières insanités qu'elle avait pu dégoter dans ce village. La semaine dernière, elle avait eu droit à la révélation de la liaison que Rudy et elle entretenait : les douces prières nocturnes pour qu'Ethan ne soit pas du genre à consulter les nouvelles de cette commère, ni n'écoute les éventuels on-dit des infirmières trop bavardes. Cette semaine, c'était un cran au dessus. C'était ce qu'elle s'avouait à demi-mot seulement, c'était ce qu'elle avait étouffé avant même que ce ne soit viable. Et sa gorge se noua soudainement, comme une poigne de fer qui serrant son larynx, tant et si bien que toute respiration devenait impossible. Elle semblait se tasser sur elle-même, s'enfoncer dans le moelleux du canapé, et s'émietter pour ressembler aux restes de gâteaux en tout genre qui traînaient dans les replis. Les mains tremblotantes, la respiration saccadée, et elle demeurait immobile, comme une victime de Méduse, à relire encore et encore ces trois petites lignes. Comme si elle allait se rendre compte que ces phrases avaient un autre sens, à des kilomètres de ce qu'elle avait compris premièrement. Cette nécessité absolue que ce soit autre chose, il fallait que ce soit autre chose.
Elle eut l'impression de se prendre un coup d'épée dans l'abdomen par derrière alors qu'elle tentait de mener une lutte sans merci avec un adversaire au devant, lorsque Rudy se décida à prononcer quelques mots. Elle ne l'avait plus, de toute façon. Et c'était mieux ainsi, et ils devraient en rester là. Ne pas essayer d'éclaircir les zones d'ombres, car elles étaient réconfortantes, ces zones d'ombres. Incohérences et mensonges s'y logeaient sans rien craindre. Sa conscience s'y abritait aussi, se bercer de la belle vérité qu'il s'agissait de la progéniture de Rudy, et qu'elle ne s'était pas souillée davantage dans les bras de son frère. L'obscurité sécurisante qu'elle voulait à tout prix préserver. Elle n'osa même pas le regarder dans les yeux, préférant se concentrer sur cette petite boite à images animées, tandis qu'elle essayait de rassembler ses forces pour pouvoir lui réciter les explications qu'il attendait. Elle le sentait pourtant, dans sa voix. Cette intonation chevrotante, et cette question qu'on se sent obligé de poser. Combien de temps ? Ils n'avaient donc que ça à la bouche. Combien de temps, et puis, qui ? Mais à quoi ça les avançait finalement, que de savoir qu'elle cohabitait étroitement avec un machin visqueux depuis tel nombre de semaines, et à qui il appartenait ? Car ils n'en voulaient pas. Qu'elle leur répondre trois semaines ou trois mois, ce serait toujours la même chose : elle n'en voulait pas, et tout interlocuteur se tenant devant elle non plus. « Je... Je l'ai plus. » Elle planta violemment ses canines dans sa lèvre inférieure pour retenir les sanglots qui grimpaient dans sa gorge. Prenant le temps entre chaque parole pour mieux les étouffer. « C'était pas le tien de toute façon. » C'était finalement ce qu'il y avait de plus plausible, comme excuse. Dire à l'un qu'il s'agissait de l'enfant de l'autre, et dire à l'autre qu'il s'agissait de l'enfant de l'un. Et dans sa tête, tout semblait être parfait. D'une logique implacable.
Enfin, elle se décida à tourner la tête, pour apercevoir alors son visage paniqué et sa pâleur. C'était donc comme ça, que réagissaient tous les hommes à l'annonce d'une grossesse ? Ou était-ce seulement les hommes qui avaient le malheur d'entendre cette nouvelle sortir de la bouche d'Elizabeth ? Mais elle comprenait. Il était jeune, il était tête-en-l'air, et il ne voulait surtout pas de mouflet, et la vérité était qu'elle partageait entièrement cette avis-là. Bien loin de ces filles qui sentent en elle le besoin viscéral de donner la vie, et de se noyer dans le cruel dilemme que posait le choix de la couleur de la chambre : plutôt vert ou jaune, et si on tendait vers le jaune, fallait-il la nuance cheesecake ou poussin ? Le bonheur des vêtements taille 1 mois qui ressemblaient étroitement à des gants, et les cris en pleine nuit pour vous rappeler qu'être mère, était véritablement un cadeau du ciel. Elle n'en voulait pas plus que Rudy le désirait. Elle aurait dû être capable de garder son calme, car il s'agissait de Rudy, seulement Rudy. Elle ne pleurait pas devant Rudy, elle ne se laissait pas écraser par ses sous-entendus à peine volontaires et son cynisme de mauvais goût. Elle ne se laissait pas faire par ses regards terrorisés et sa colère de gosse pourri-gâté. Ce n'était pas Ethan. Et pourtant elle se sentait faiblir, retomber dans l'état de pleurnicharde à qui on donnerait volontiers trois claques dans la figure pour qu'elle ravale son excès de larmes. Elle essaya de se retenir, ressemblant en l'espace d'une minute à une bouilloire qui contenait de l'eau frémissante à deux doigts d'être bouillonnante.
Ses cordes vocales retrouvant petit à petit leur fonction première, elle rajouta : « C'était pas le tien. Au niveau des dates, ça concorde pas. » Elle avait l'impression de parler d'un produit, d'un projet à venir, un rendez-vous à prendre, mais absolument pas d'un humain. Mais ce n'était pas ce qui l'importait le plus, finalement. Ce qui la torturait dans ce mensonge pourtant bien rodé, c'était ce que cela sous entendait : le devoir conjugal. Entraînant ainsi tout ce qu'elle essayait d'enterrer à main nues. Se servir de ses pires hontes pour mieux les protéger. « T'es pas obligé de croire à la lettre tout ce que cette vieille-pie dit. J'ai cru lire il y a pas très longtemps que t'étais gay ? Je pense être assez bien placée pour dire que non, c'est pas le cas... ou alors si, enfin ça se trouve t'es tout aussi attiré par les mecs, et c'est bien, c'est bien hein, ça te fait deux fois plus de chances de trouver quelqu'un. »
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Mar 6 Nov - 2:07
Il n'arrivait absolument pas à savoir qui, de Elizabeth et RHI, il se devait de croire. La première admettait cependant une affirmation un peu plus intéressante. « C'était pas le tien de toute façon. » Il en était presque trop enthousiaste. Pas le sien. En une phrase, ses maux semblaient s'en être allés, ayant tracé un chemin plus propice, ayant déniché une situation qui leur conviendrait un peu mieux, comme un bon gros deuil, une bonne et tragique rupture, aussi fatale qu'un morceau de verre pourrissant sous une peau infectée. Un cas à des millier d'années lumière d'un foetus potentiellement déclenché par des coups de reins trop insistants. Elizabeth était donc un moyen sûr d'effacer toute culpabilité, toute frayeur, toute peur. Et au fond, bien au fond de lui, un mauvais pressentiment le hantait face à ces paroles trop précipitées. Comme si une part d'illusion les possédait. Comme si une fausse vérité se montrait trop pesante, au milieu de cette échappatoire de paix avec lui-même. Il se sentait d'ailleurs bien égoïste à se soulager, alors qu'Elizabeth ne se trouvait très certainement pas dans la même harmonie interne. Non. Mais après tout, s'il ne s'agissait pas du sien, cette progéniture alors annihilée aurait très certainement dû appartenir au dit mari. Et dans ce cas, le malheur aurait été apaisé. Après tout, c'était ça la vie de couple. Se marier, faire des gosses, et leur parler du Père Noël. C'était naïf, et il ne s'en rendait pas compte. Il n'avait pas conscience que ses pensées s'attardaient sur un cliché bien loin de la réalité. Pauvre Rudy. Innocent Rudy. Qui n'avait alors pour seul objectif que de retarder au plus tard possible cette entrée dans la vie parentale. Cette porte qu'il franchirait pour un univers bien trop différent de l'image qu'il avait de la paternité et de ses joies. Mais il avait raison de l'idéaliser, plutôt que de la rejeter foncièrement, bien qu'il revendiquait son non-désir d'être papa, dans le cas présent.
Au fond de son ventre naquit cependant cette boule étouffante. Poids qui le clouait au canapé, incapable de bouger. RHI était une commère qui crachait des mensonges comme elle respirait. Mais tous ses récits sur la vie palpitante d'Arrowsic ne s'étaient pas entièrement montrés faux. Elle avait bien révélé la liaison, plutôt véritable, et il était assez bien placé pour le savoir, d'Elizabeth et lui-même. Et ses histoires excessives s'étaient souvent basées sur une once d'exactitude, rendues erronées à force de trop les dénaturer, de trop les déformer. Il avait donc peur que cette déclaration soit plus authentique que les mots frêles de sa voisine de canapé. Ce fut donc quand elle ajouta un détail venant appuyer son affirmation qu'il se rangea de son côté. « Au niveau des dates, ça concorde pas. » Intérieurement, il sentit son estomac soupirer de soulagement, laissant fondre son énorme boule, volatilisée au milieu de ses entrailles. Apaisement sauveur qui le tirait de ses visions abominables. Il ne voulait pas questionner Elizabeth sur les modalités de cette constatation, jugeant qu'il avait eu assez de cours d'éducation sexuelle pour se faire sa propre idée du processus de procréation et de la fécondation de l'ovule femelle (quoi que préciser le genre était peu utile). Pourtant, il ne se considérait pas comme allant mieux. La frayeur qui l'avait traversé durant les dernières dix minutes avait été bien trop intense, et son coeur s'emballait toujours, sous sa poitrine qui respirait d'un souffle court, mais trop discret pour être perceptible.
« T'es pas obligé de croire à la lettre tout ce que cette vieille-pie dit. J'ai cru lire il y a pas très longtemps que t'étais gay ? Je pense être assez bien placée pour dire que non, c'est pas le cas... ou alors si, enfin ça se trouve t'es tout aussi attiré par les mecs, et c'est bien, c'est bien hein, ça te fait deux fois plus de chances de trouver quelqu'un. » Cette réplique traduisit alors tout son raisonnement. Quand il commença à se présenter comme travaillant dans la super boutique de lingerie de l'avenue centrale, on le soupçonnait d'avoir des tendances trop efféminées. Soupçon qui, entre les mains de RHI, se transformèrent en une réalité convaincante, déclarée avec éloquence sur un journal virtuel contant les aventures sexuelles de tous ses voisins, dans un rayon de dix kilomètres à la ronde. « T'as raisons. C'est… c'est con. » De son point de vue, cette mystérieuse nana aux mots tapés avec venin cherchait simplement à troubler ce couple de médecins en faisant porter le chapeau à Rudy.
S'étant lui même persuadé de son innocence dans cette avortement auto-décidé par Elizabeth, il réussit à se lever, se sentant alors plus léger. Toujours sous le choc de la surprise de mauvais-gout que lui avait fait gossip girl made in Arrowsic, ses mains tremblotaient alors qu'il saisissait la vaisselle sale de leur gouter aux jus de fruits exotiques et autres sucreries fraîchement dégusté. Réunissant toute sa concentration pour mettre un pied devant l'autre, il atteint la cuisine et fourra le contenu de ses mains dans un coin du plan de travail, déposant les deux verres dans l'évier, pour donner plus de facilité à son cerveau lors su prochain tri de déchet traînant dans sa cuisine. De retour dans le salon, il s'arrêta dans l'encadrement de la porte, s'appuyant sur le mur, face à sa table et basse à son canapé où Elizabeth se tenait toujours, sceptique. Il se frotta les yeux. Une fois sortie de leur état engourdi, il scruta sa montre. Il était techniquement dix heures moins le quart, une heure peu tardive, même pour un soir de semaine. Mais il avait de toute façon l'esprit trop embrumé, trop bousculé pour veiller jusqu'à pas d'heure. Ce qui l'aurait au final remis proprement sur pieds ressemblait plus à un joint roulé avec Lenny plutôt qu'à un sommeil profond aux côtés d'Elizabeth. « Tu… comptes dormir ici ? » Il le savait, le choix de ces mots suggérait plutôt un "T'es sûre de pas vouloir partir maintenant que tu nous a foutus dans un embarras mutuel un peu trop présent qui nous empêche d'avoir une discussion normale d'étudiant à défaut de ne pas pouvoir baiser ?" Mais il se retient, principalement parce qu'il ne voulait pas qu'elle s'en aille. Il ne voulait pas la voir ranger ses affaires, se rhabiller, et passer la porte, le laissant seul à se morfondre sous sa couette. Si elle partait, il allait vouloir se distraire en lisant un livre sur lequel il était depuis les vacances d'été, ou alors il tenterait de regarder un film bien drôle à la Ben Stiller, ou Will Ferrell. Même les Drôle de Dames ne le faisait plus rire à ce stade-là. Il était redevenu cet être cynique, errant entre scepticisme et torpeur. Et ses meilleurs amis étant en train de fricoter à l'autre bout du village, Elizabeth était sa seule compagnie désirable. Et dans son regard fatigué, il lui quémandait un simple "oui".
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Dim 11 Nov - 19:34
Elle aurait aimé être une de ces filles larmoyantes qui n'arrivent pas à prononcer le mot « avortement » tant la chose leur semblait horrible. Une de ces filles horrifiées par l'idée qu'une femme puisse prendre une telle décision, pensant que l'instinct maternel allait de paire avec la présence d'un utérus. Une de ces filles terrifiées par la présence d'un corps étranger dans leur propre corps, mais qui ne peuvent pas se résigner à abandonner cet étranger non plus. Ces filles tiraillées par leur bon-sens et leurs sentiments. Elizabeth, elle, n'était rien de ça. Elle s'était présentée à l'hôpital avec la peur au ventre, une peur si forte, si puissante qu'elle aurait sans doute pu ôter la vie au fœtus qui ne cherchait qu'à exister. Ce n'était pas la peur de perdre quelque chose, c'était la simple peur d'avoir fait quelque chose, et l'impatience insoutenable de s'en débarrasser le plus vite possible. Et elle avait fondu en larmes après, et on lui avait dit avec une voix conciliante que tout allait se remettre dans l'ordre, qu'il était normal de pleurer après la concrétisation d'un choix aussi colossal que celui-ci. Qu'il ne fallait pas avoir de remord, qu'elle était jeune, qu'elle avait encore une bonne dizaine d'années devant elle pour prendre la décision de devenir mère. Que l'avortement n'était pas un crime, qu'elle n'avait pas à se sentir coupable. Tous ces beaux discours qu'on distribue gentiment comme un prospectus à la sortie d'une bouche de métro. Et elles ne savaient rien, rien. Absolument rien. Ce n'était pas la culpabilité qui lui arrachait les larmes, c'était le soulagement intense que cela lui procurait. L'impression de retrouver le contrôle de son corps après des semaines de prise en otage. C'était sa voix interne qui lui disait qu'il suffisait simplement d'oublier ce malheureux évènement, qu'il était plus sûr de se réfugier dans la conviction qu'il s'agissait de celui de Rudy, et voilà. Ce sont des choses qui arrivent, il n'y avait pas de quoi en faire tout un plat, tous les évènements qui lui tombaient dessus n'étaient pas tous obligatoirement liés à son frère. C'était celui de Rudy, c'était celui de Rudy, mais de toute façon il n'existe plus.
Elle avait passé des journées entières, des semaines entières à se répéter qu'il s'agissait de celui de Rudy, pour aujourd'hui nier sa paternité. Mais c'était mieux ainsi. Il valait mieux lui dire ce qu'il voulait entendre, le rassurer avec de beaux mensonges comme elle essayait de le faire depuis trop longtemps déjà. Il n'avait pas envie d'être père, et elle encore moins d'être mère. Ils étaient au moins d'accord sur une chose, et embarrasser l'un avec des histoires de couches et de légitimité sortie d'on ne sait où était strictement inutile. Et il lui en voudrait sans doute, d'être fertile, d'être tombée enceinte ''comme ça'', et d'avoir avorté ''comme ça'' aussi. Alors il n'avait pas besoin de savoir. L'exemple de l'orientation de Rudy suggérée par RHI semblait faire son effet, ce qui rassura quelque peu Elizabeth, peu désireuse de voir ce dernier mettre son nez dans ses affaires. « Oui, c'est con... T'es autant père qu'attiré par les hommes. » rajouta-t-elle, en essayant de dédramatiser les choses.
Sans broncher, elle le regarda se lever, attraper maladroitement les verres, et disparaître de son champ de vision, tandis qu'elle reporta son attention sur le poste de télévision. Ils ne savaient pas faire grand chose, à part défaire les draps une énième fois. Incapables de tenir une conversation comme deux individus normalement constitués, et maintenir un niveau sonore raisonnable. Ils ne savaient pas se comporter comme des individus de leur tranche d'âge, lorsqu'ils étaient ensembles. Et là, dans ce vide terrifiant que l'absence de préservatif avait laissé, dans ce silence odieux que le semblant de conversation apportée par RHI avait laissé, ils restaient comme deux bons imbéciles. Maladroits avec leurs mains, avec leurs bras ballants, avec leurs mots. Ils ne savaient pas parler, ils ne savaient pas user l'art des mots. Les alignant grossièrement les uns après les autres, sans douceur, sans parcimonie. Sa voix raisonna derrière elle, et sans le regarder, elle s'apprêta à renfiler ses affaires, et disparaître de sa vue. Réaction qui serait évidemment légitime, car ils n'avaient pas de raison de rester ensemble maintenant que Lenny avait chouré la boîte de capotes pour aller fricoter avec Quinn. Et elle commença en effet à se redresser un peu, pour bientôt poser ses deux pieds à terre, et essayer d'attraper toutes ses affaires. « Non, ça va aller, ne t'inquiète pas, je vais m'en aller. Juste... donne moi le temps de retrouver une tenue décente pour rentrer chez moi, je suis pas sûre que la culotte soit le plus approprié. » Mais en se retournant, elle réalisa bientôt que ce n'était pas ce qu'il voulait. Ce regard-là, elle avait fini par le comprendre. Et c'était ce qu'il y avait de plus cruel dans leur relation, à son sens : ils se comprenaient. Ils pouvaient tenter de se berner, se dire qu'ils n'étaient là que pour combler l'horrible frustration qui était la leur. Poser des étiquettes toutes moins poétiques les unes que les autres, redoubler d'adjectif peu glorieux pour qualifier la relation qu'ils entretenaient, et la vérité était qu'ils s'étaient attachés l'un à l'autre. Ne serait-ce qu'un peu. Qu'à force d'étreintes charnelles et de prise de bec joyeuses et gaies, ils avaient fini par trouver un peu plus que le nirvana de leurs sens. Et aux yeux d'Elizabeth, c'était l'ultime trahison qu'elle pouvait faire à Ethan. Elle lui reprochait ses incartades qui ne cessaient de se multiplier, mais elle, dans l'ombre de tout, faisait bien pire. « Je peux rester. » Elle accompagna son affirmation par un bref haussement d'épaule, comme pour lui dire qu'elle s'en moquait. Qu'elle n'était pas à ça près, qu'elle pouvait rester s'il le désirait. Pour tromper leur solitude commune, et se donner l'impression qu'on n'est pas si démuni que ça. Elle pouvait rester, pour lui. « Je peux rester et on peut cracher sur la gueule de qui tu veux, au lieu de lire des insanités à notre sujet. Ou sinon on peut regarder les Drôles de Dames comme un couple de 70 ans nostalgique et en pleine crise, qui voudra retrouver la force de leur 20 ans en dansant le tango, pour se rendre compte que l'arthrose, ça ne pardonne pas. »
Sujet: Re: Conversation autour d'un thé au jasmin et de petits sablés. (Eli) Mar 11 Déc - 14:47
Il essayait de refaire le raisonnement qui l’avait mené à implorer Elizabeth de rester. Ce raisonnement qui avait trahi une de ses faiblesses. Celle de s’être peut-être trop attaché à elle, en dépit de la morale conjugale dont elle était censée faire preuve. Et il n’avait pas réussi à la cacher, cette foutue faiblesse, car bien évidemment, ils avaient appris à se comprendre. Et Elizabeth reposa ainsi ses affaires. Il soupira. Ce qu’ils faisaient n’était pas sein. Falsifier un couple n’était pas correct. Et bien au-dessus de cet éthique, de la fidélité, pire encore il y avait ce qu’ils étaient en train de faire. Ils se voyaient, simplement, parce qu’ils s’étaient attachés à l’autre. Crier à l’amitié était d’autant plus inutile. Il n’aimait pas Elizabeth. Il ne lui trouvait pas de qualité en correspondance avec son propre caractère, de qualités assez fine pour nouer une réelle complicité et aller boire un verre avec elle en parlant cours de faculté et horreurs administratives. Ou encore partir se prendre en photo à la plage sur un air de Boney M, à se trémousser comme des gamins à une boom et à sa jeter délibérément dans l’eau, parce que c’est super drôle. Il faisait ça quand l’été pointait son nez et qu’il se retrouvait avec ses amis. Particule à laquelle Elizabeth n’était pas intégrée. Pire que tout, il ressentait cette attirance malsaine et perverse pour les insanités qu’ils se crachaient, pour les caresses qu’ils se donnaient. Et aujourd’hui, ils avaient dépassé cette limite bien au-delà des attentes, pour discuter calmement. Qu’il s’agisse d’une maturité naissante ou d’un sentiment plus profond, les faits étaient là, et il ne pouvait lutter contre cela. C’est donc avec cet état d’esprit bien trop perturbant qu’il sourit en entendant sa réplique, allant s’asseoir à côté d’elle, attrapant au passage un tee-shirt, histoire d’être présentable devant une demoiselle. Il avait de lui dire qu’elle n’était pas obligée, qu’elle pouvait rester. Qu’il pouvait parfaitement appeler Fernando, ou un autre nom fraternel de son répertoire. Qu’il pouvait continuer à se morfondre sur ses cheetos tout seul, comme il savait si bien le faire. Qu’il était capable de ne pas jouer au gros bébé innocent et assez égoïste pour lui faire subir ses complaintes niaises au sujet de sa vie sentimentale plate et incohérente. Qu’il lui restait un point d’honneur pour ne pas avouer sa peur du noir, après cette discussion troublante. Mais il n’y arriva pas. Et il préféra s’enfoncer dans le coussin de son canapé, attendrit par le geste d’Elizabeth, par sa décision de rester plutôt que de fuir chez elle, chose qu’il aurait au final respecté sans se l’avouer.
« Merci. » C’était si rare, de se remercier, entre eux. Quand il claquait la porte de chez elle, il ne lui lançait point de “merci” pour lui avoir retiré sa culotte, et elle ne le gratifiait pas pour l’avoir laissée froisser ses draps. Comme si cela relevait des normes instaurées entre eux, et que la normalité de la chose de réclamait pas de “merci” à la clé. Mais la hiérarchie de leur éthos venant d’être troublée, il n’y avait plus de lois dans leurs rapports. C’était l’anarchie totale. Si totale même qu’elle était en train d’accepter de regarder Les Drôles de Dames avec lui. Mais peu désireux de finir la saison 5 qui n’était pas aussi surprenante et riche en rebondissements que les précédentes, il zappa indéfiniment sur le peu de chaînes non câblées qu’il possédait avant de s’abrutir devant une émission de télé-réalité assez stupide.