D'un seul trait, Madame Callahan écrivit à la craie blanche la consigne. Cette vieille mégère demandait à ses élèves de parler d'eux, en une petite dizaine de lignes. Sur le tableau noir, elle avait tracé en toutes lettres ce qu'elle venait de leur énoncer à haute voix. Elle ne leur posait que peu de conditions, si ce n'était qu'ils devaient parler de leurs loisirs, de leurs envies de métier pour l'avenir et cela, dans une orthographe et une syntaxe à peu près correcte. Cela avait eu pour effet de faire râler la vingtaine d'enfants qui composaient la classe. Tous sauf un. Une petite main se leva du fond de la salle. Pacey avait une question. Elle avait l'air importante, mais en réalité... « Madame, on est obligés d'écrire? On peut pas plutôt faire un dessin? » Perceval n'était pas un enfant idiot, et il travaillait plutôt bien en classe. Ses questions semblaient absurdes parce qu'il avait un esprit un peu trop imaginatif, selon sa mère. Savoir si elle disait ça pour se rassurer ou parce qu'elle le pensait vraiment était une autre affaire... Devant le refus de sa maitresse, il obtempéra et se mit à composer.
⊰ " Moi, plus tard, j'aimerai être ninja. Non, en fait, je l'ai déjà était. Tous autour de moi ils rêve de devenir astronautes, je le sais. Moi je l'ai été aussi. Pompier, Mafieu, Roi, Gigolo, Vampire, Président, Rockstar, Acteur, Dieu. J'ai déjà fait tout ça. J'ai même était un éléphant une fois. Mais une souris a filé dans ma trompe. Et je suis mort. J'travaille aussi pour les agent secrets. Ouais genre James Bond, mais en mieux. J'ai la batmobile moi. Il me manque plus que Robin.
Vous aimeriez mourir comment vous? Moi, j'aimerai finir bouffé par des castors. Parce que Charlotte, ma soeur, ben elle dit qu'un castor ça peut soulevé une montagne avec sa queue. J'y ai pas trop cru, parce que bon, elle a que cinq ans et qu'elle est un peu petite et un peu bête. Mais je me dis que ça peut être possible en fait.
Oh, vous ramassé les copies. Je m'arrète la alors.
Signer, Pacey Perceval Northam "
Il n'était pas bon en orthographe. Globalement, bien que travailleur, Pacey ne faisait pas partie des têtes de classe. A vrai dire, aux moyens de gros efforts, il parvenait tout juste à atteindre la moyenne.


Elle était là, plus belle que jamais. Comme à son habitude, Pacey s'était assis par terre, à sa gauche, pendant qu'elle jouait du piano. La leçon de piano, de Michael Nyman. Il connaissait les notes par coeur, c'était leur composition favorite, à tous les deux. Elle mettait toute son âme à l'ouvrage, et comme à chaque fois, il était suspendu à ses doigts. Ils semblaient glisser, elle était douée. Tellement douée.
D'un père dentiste et d'une mère employée d'un piano-bar, le jeune garçon de douze ans n'avait jamais manqué de rien. Il n'était pas pourri-gâté, ni un fils à papa ; mais il recevait tellement d'amour que même parfois, il se demandait pourquoi lui, spécialement lui, avait eu la chance de tomber sur des géniteurs pareils. Pourquoi pas un autre ? Pourquoi pas un de ces millions d'orphelins ou d'enfants battus à travers le monde ? C'est pourquoi il en profitait. Non dans le mauvais sens du terme ; il s'employait à ce que chaque seconde passée avec eux soit exceptionnelle. Surtout sa mère, Lilybeth, avec laquelle il entretenait une relation fusionnelle. Il était son bébé, elle était son modèle. Ils lui avaient même donné le privilège d'avoir une petite sœur. Elle avait deux ans de moins que lui, mais il adorait la protéger, la dorloter, s'occuper d'elle... et l'embêter aussi, un peu.
La musique jouée le transportait complètement. Il était perdu dans ses souvenirs et ne se privait pas d'en profiter, pour ne pas changer. A vrai dire, ils avaient prit l'habitude de ces petites pauses "piano", presque quotidiennes, où Pacey ne faisait rien d'autre que d'admirer sa mère et se rappeler au combien il aimait sa vie. Il n'aurait échangé tous ces moments passés avec elle et la musique pour rien au monde. C'était sa leçon de piano.
Si seulement il avait su que cette fois-là, au matin du seize octobre dix-neuf cent quatre-vingt quatorze, c'était la dernière fois qu'il voyait sa mère.


Mais la vie continuait. Malgré l'absence, la vie suivait son cours. Fynn, Pacey et Charlie durent de serrer les coudes plus que jamais. Le père essayant tant bien que mal de palier le manque. Les débuts furent difficiles pour lui, le premier diner de famille, qui se déroulait selon le bon vouloir de feu - leur mère le vendredi à dix-neuf heures fut un désastre. Il avait voulu bien faire, mais la cuisine n'était pas son fort. Lorsqu'ils s'aperçurent que le poulet n'était en réalité pas cuit, ils échangèrent chacun un regard avant de rire aux éclats. Il n'y avait plus qu'eux maintenant, ils devaient faire avec.
Perceval et Charlotte devinrent plus proches que jamais. Leur père ne voulant plus évoquer le sujet maternel, cela étant trop difficile pour lui. Il essayait d'être fort pour eux, pour avancer malgré tout, il faisaient de gros efforts, mais à chaque fois qu'ils prononçaient le nom de leur mère, ils voyaient bien que cela détruisait leur père. Alors, ils arrêtèrent de la mentionner en sa présence, et se rendirent désormais seuls au cimetière lors de leurs visites hebdomadaires.
Aujourd'hui, c'était Noël. Aujourd'hui, cela faisait deux mois que Lilybeth était morte. La main serrant celle de Charlotte, Pacey bravait le vent et la neige se dirigeant à travers le parc. Il fallait traverser le petit parc afin d'atteindre le cimetière, et, en ce 25 décembre, il était complètement vide. Deux gamins seuls au milieu de la neige. C'était une scène digne d'un film ; mais ces deux là pensaient à tout autre chose. A douze et dix ans, il n'y a rien de pire que de perdre une maman. Et, arrivés devant la stèle, le petit garçon s'effondra, ses jambes pliées sous le poids de son corps. Il avait l'air de joncher au sol, les yeux perlés de larmes, lorsque sa soeur posa une main sur son épaule avant de l'entourer de ses petits bras. Il était le grand frère, c'était son boulot de la consoler, mais là, c'était l'inverse. Il aurait du être fort pour elle, mais c'était elle qui avait fait tout le boulot. Elle avait réussi à surmonter ça pour lui, pour eux. Et elle s'occupa de lui des jours durant alors que les rôles auraient du être inversés. Elle était géniale, il l'aimait tellement et lui en sera éternellement reconnaissant.


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Subject: what's up charlie?
Holà Charlie, j'espère que le soleil se montre plus courtois à Providence qu'il ne l'est à Arrowsic, je te jure, c'est déprimant ici. Et Brown? Et les cours? Cela fait un moment que tu ne t'es pas plaint de ta voisine de chambre et de ta tonne de paperasse à faire pour les cours... ça me manque moi ! Tes petits ennuis pimentent un peu mon quotidien de villageois d'un petit trou paumé.
Tu te souviens de la nana dont je t'ai parlé au téléphone l'autre jour? Et bien elle a enfin accepté de m'accorder un rdv hier soir. Bordel ce que j'en suis fan de cette nana, elle est adorable, gentille et si jolie. J'ai fini par l'avoir, à l'usure, eh eh! Il faudra que je t'explique tout en détails, tu vas adorer!
Donne des nouvelles sister, j'te bise.

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Subject: RE:what's up charlie?
Bro, il faut que je te parle... Je suis à l'aéroport là, mon avion décolle d'ici deux heures et atterrit à 17:43pm, tu viendrais me chercher?

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Subject: RE:what's up charlie?
Bien sûr babe, je viens te chercher. Mais pourquoi tu ne réponds pas quand j'essaie de t'appeler, ça m'inquiète...

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Subject: RE:what's up charlie?
Mon portable a qq soucis, il capte pas le réseau cet abruti, je suis dans un cyber là mais je vais décoller pour enregistrer mes bagages, c'est l'heure. Je t'expliquerai tout en arrivant, promis.
A tout à l'heure, je t'aime.
PS: je suis heureuse pour toi, c'est une grande nouvelle.


« Je... j'ai bien réfléchi. Et je pense qu'il vaut mieux qu'on arrête là... » Elyana était rentrée dans l'appartement du jeune homme à peine quelques secondes auparavant, et elle n'avait même pas pris la peine d'enlever son manteau. Elle avait les yeux rouges, rouges de douleur, mais ne pleurait plus. Elle avait décidé de prendre un air sûr d'elle, un air auquel il ne pourrait pas faire face. Elle avait prit sa décision ; c'était la meilleure chose à faire. Elle n'avait pas le droit de lui faire ça. Pas le droit de lui imposer un tel fardeau. « De... de quoi tu parles ? » Il avait perdu le sourire qu'il avait arboré en la voyant débarquer chez lui. Bien sûr, il se doutait de ce qu'elle entendait par là, mais il ne voulait pas y croire. C'était impossible. Elle ne pouvait pas tirer un trait du jour au lendemain sur trois ans de vie commune et trois mois de fiançailles. Non. Il y a quelques jours, elle voulait scander au monde qu'elle était folle amoureuse, et aujourd'hui... Non, c'était une erreur, il perdait la tête. « De toi et moi. Nous... Je crois que je ne t'aime plus. Je ne veux pas jouer un rôle. Je préfère qu'on arrête tout. » Et pourtant, tout devint clair pour Pacey avec ceci, et la bague que la jeune femme tenait dans sa main. Sa bague de fiançailles, la bague de sa mère, elle lui la rendait. Il ne pouvait ôter ses yeux de l'objet, fronçant les sourcils comme pour se réveiller du cauchemar qui prenait forme. « Tu plaisantes ? Dis moi que tu rigoles. » Ils s'étaient rencontrés des années auparavant, à son arrivée en ville. Elle venait voir un ami qui habitait dans l'immeuble, l’ascenseur était resté bloqué. Une blague, deux mois d'amitié, un diner au restaurant, un baiser volé, quelques coupes de champagne et cinq ans plus tard, nous y voilà. « Je me demande même si je t'ai aimé un jour. » Elle mentait. Et mal en plus. Mais le jeune homme ne s'en rendait pas compte, trop absorbé par ce qui se passait. Tant mieux se disait-elle, tant mieux. Son coeur était déchiré, non seulement de le voir dans un état pareil, mais aussi parce qu'elle ne voulait pas que tout s'arrête entre eux. Elle l'aimait, à un point auquel elle n'avait jamais penser chérir quelqu'un ; mais son choix était fait. Cela faisait deux jours que son médecin lui avait annoncé la nouvelle. Deux jours qu'elle retournait leur conversation dans sa tête. Elle ne pouvait imposer à l'homme qu'elle aimait de la voir souffrir jour après jour, une attente sûrement vaine d'un coeur en bonne santé, quelques années de bonheur et toute une vie de deuil. Elle ne le pouvait pas, elle ne le voulait pas. « S'il te plait, tais toi... » Qui avait dit que les hommes n'avaient pas de coeur ? Si c'est vrai, Pacey n'était alors pas un homme. Ses sourcils ne défronçaient pas, et les larmes perlaient sur son visage. « J'ai embrassé quelqu'un d'autre l'autre jour, et je n'ai rien ressenti. Pas de culpabilité, pas de tristesse. Rien. » Mentir. Mentir était la seule chose qu'il lui restait à faire. Lui lister tout un tas de choses fausses, afin qu'il la déteste. Si il lui en voulait, il aurait moins de mal à l'oublier, à passer à autre chose, à refaire sa vie. Elle n'en avait pas envie, mais il le fallait. « Arrête ça. Arrête ça de suite ! » Il avait prononcé ça calmement, avant de se diriger vers la fenêtre, perdant son regard sur la rue qui s'offrait à ses yeux. « J'ai même songé à coucher avec pour... » Sans bouger, il la coupa net. Il ne pouvait pas entendre un mot de plus. Pas encore un aveu, ça l'enterrerait. « Tais toi ! Et sors. Je t'en prie, sors, sinon je vais faire une connerie. » Elyana retint ses larmes et s'approcha de lui, posant une main sur son épaule. Bon dieu ce que cette conversation la tuait à petit feu. « T'as compris ? Casse toi !! » Elle se retourna, déposa la bague sur la table de l'entrée, et sans un mot de plus, quitta l'appartement d'un homme en pleurs qu'elle n'oubliera sûrement jamais...


« Tiens ton caf' Bro. » Une petite tasse grise et verte était apparue sur la table, sortant Pacey de ses songes. A vrai dire, il ne pensait à rien de bien précis, son esprit divaguait seulement d'une chose à l'autre, sans retenir ce sur quoi il s'arrêtait. Il afficha un sourire rapide à sa soeur, avant de plonger ses yeux sur le café alors qu'il le prenait en main. « Arrête de tirer une tronche de six pieds de long comme ça, on dirait que ton chien vient de se faire écraser. » Il venait de porter la tasse à ses lèvres. Charlotte le fixait avec une petite mine. Elle semblait épuisée mais voulait tout de même garder un petit point d'humour sur tout ce qu'il se passait en ce moment dans leurs vies. Mais plutôt que d'aller dans son sens, ce qui aurait été tout à fait légitime, Pacey voulu continuer cet amusement. « C'est toi qui a un clebs, pas moi je te rappelle! » Il voulait la taquiner sur ce qu'elle disait. Après tout, elle lui cherchait des noises, pourquoi ne pouvait-il donc pas se défendre? Il lui lança un petit regard satisfait, et retourna à son expresso. Mais elle n'avait pas dit son dernier mot ; c'était mal connaître la jeune Northam. « Tête de piaf, t'es pas beau quand tu fais ton boudin comme ça. » Elle semblait donc abandonner. Cela ravit Pacey quelques secondes; tout du moins jusqu'à ce qu'elle enchaina. « Allez hop, ça suffit, ce soir on sort, je t'emmène. » Elle ne lui laisserait donc pas le choix. Il connaissait sa jeune soeur, lorsqu'elle avait une idée en tête, il était impossible de la lui déloger. Il semblait battu, donc. Il fit une énième tentative, dans un dernier espoir. « Et ta môme, t'en fais quoi? » Il priait pour qu'elle se rende compte, qu'en effet, elle ne pouvait abandonner sa fille de quatre ans toute une soirée pour aller boire à s'en perdre l'esprit dans une boite de nuit pleine d'adolescents. « T'inquiètes pas pour la princesse, elle sera ravie de passer une soirée avec sa baby sitter, elle l'adore. » Elle affichait ce grand sourire ravi, cet immense sourire qui dévoilait toutes ses dents et qui ne lui appartenait qu'à elle. Il adorait ce sourire. Mais elle ne l'aurait pas avec lui-là, il ne se laisserait pas avoir une fois de plus par ses minauderies. « Laisse moi m'en occuper et sors toi, tu feras des économies comme ça. » Perceval ne savait même pas pourquoi il avait prononcé ces mots. Il savait bien que sa soeur ne lui autoriserait pas ce droit ce soir, bien qu'elle adorait lui laisser la petite, elle n'était pas dupe. « Tatata, tais toi, je te demande pas ton avis. On sort, un point c'est tout. » Elle voulait vraiment mettre un terme à ses tentatives d'esquive. Elle désirait vraiment prendre soin de lui, vu son état actuel. Il vivait trop mal sa rupture, bien que cela se soit passé il y a bien des semaines déjà. Pacey était bien sensible; et encore une fois, c'était elle qui s'occupait de lui, comme elle l'avait fait lors de l'épisode malheureux de la perte de leur mère. A chaque fois, il se demandait si finalement, ce n'était pas elle l'aînée. « Tu prends de plus en plus le pouvoir dans notre relation toi, j'aime pas trop ça... » Charlie ne lui laissa même pas le temps de finir sa phrase. « Tu vas voir, on va bien s'amuser ! » lança-t-elle accompagné d'un clin d'oeil amusé et de son sourire, pour clore la conversation.