« à la conquête de l'impossible »

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« Si tu veux pouvoir supporter la vie, sois prêt à accepter la mort ! »

Je me réveille à poltron minet avec cette citation lourde de sens en tête. On dirait que cette phrase fut écrite pour moi ; Freud, aussi brillant psychanalyste tu sois, je te hais pour ces mots. Je me décide à ouvrir les yeux, fais battre deux trois fois mes cils pour m’accoutumer à la lumière du jour qui filtre par les rideaux, puis je rassemble tout mon courage pour me glisser hors de ma couette. Avec volonté je chasse les fantômes de mon passé, puis me voilà debout. Je force mon visage à former un sourire séducteur, je tire d’un coup sec les longs tissus rouges accrochés à ma fenêtre et je contemple le monde. Jour, me voici ! Midi moins dix, je crois que j’ai un peu forcé sur l’alcool hier. Tant pis. En l’espace d’une heure à peine, je fais ma toilette, range la vaisselle de la veille, étends le linge que j’avais mis à tourner avant de m’endormir et fais un peu de rangement. Sexiste, je me dis qu’il manque une femme dans ma vie. Oh. Priya. Maudit bout de femme que celle là ; trop intelligente pour ignorer son charme, trop sûre d’elle pour se laisser malmener. Je ne sais pas de quel syndrome je suis atteint, mais ce qui me résiste m’attraie. Priya me résiste… énormément. Depuis ce jour où je l’ai rencontrée à l’hôpital, je croie que je n’ai pas eu l’ombre d’une chance. Certes, on peut dire que cette rencontre fut pour le moins… explosive. Renverser du café, ça peut arriver, mais jeter consciemment le reste du gobelet sur ma belle chemise blanche, c’est de la pure arrogance ! Ca m’a plu ; j’ai pas d’autre explication à offrir. Certes, nous sommes ensuite repartis sur des bonnes bases, et j’ai réussi à décrocher son amitié. Et il faudrait que je m’en contente ? Manquerait plus que ça, que j’abandonne à la première difficulté. La vie m’a joué bien des tours, mais désormais j’ai décidé de jouer avec elle.

C’est décidé. Je viens de me trouver une occupation pour le restant de la journée, et au diable les projets mûrement réfléchis et les plans sensés. Mon idée n’est même pas aboutie que j’ai déjà enfilé manteau et chaussures ; on me dit impulsif, et je vois mal comment je pourrais donner tort aux gens qui le prétendent. J’emmerde la concurrence, et j’emmerde tous les facteurs qui pourraient faire qu’elle ne soit pas chez elle ; me voilà parti pour Priya. Je claque la porte de mon appartement, dévale les escaliers deux par deux et me rue jusqu’à ma voiture. Je mets le contact, boucle ma ceinture, embraye, fais marche arrière et fais bondir le véhicule en avant. J’ai pas de temps à perdre. Arrowsic n’est pas bien grand, aussi serais-je très vite chez elle. J’espère qu’elle sera seule. A défaut, j’espère d’abord qu’elle sera là. En fait, j’espère tout un tas de choses, mais je ne pense pas que Marylin Monroe m’offrira des vacances pour Malibu à deux avant un bon bout de temps, puisqu’elle est… morte. Bref, je me raccroche à la réalité. Il est une heure passée, on est en plein week-end, je ne vois pas pourquoi Priya ne serait pas chez elle. Ca fait un moment qu’on ne s’est pas vus, et j’espère secrètement que je lui ai manqué. Ca tiendrait du miracle, mais je suis pas à un rêve près. Comme dirait je sais plus qui, « la vie est un rêve, mais rêver n’est pas vivre. ». Je remarque qu’il fait plutôt pour un jour d’hiver. Il n’y a pas foule dehors, comme toujours. J’aime cette ville pour son calme, mais si parfois je rêve d’ambiance. Je pense soudain que j’avais un cours d’histoire à préparer pour lundi, mais j’improviserais bien quelque chose. De toute manière, c’est pas comme si mes élèves allaient se plaindre de ne pas devoir travailler.

Me voilà arrivé. Mon cœur bat, je suis impatient. Que va-t-elle dire ? Que pensera-t-elle de ma venue improvisée ? J’ai envie de gagner des points dans le jeu de l’amour, mais avec elle, c’est plus qu’ardu. Tout à coup, j’hésite. J’ai peur, je stresse. Reprends-toi mon vieux, t’es plus puceau ! J’ai honte de moi ; ça ne me ressemble pas de perdre confiance. Je peins un sourire radieux sur mon visage car après tout, une belle journée s’annonce. Je me fait jurer de faire succomber cette femme, puis j’avance, et je sonne. Un, deux, trois… les secondes défilent, et j’oscille entre joie et déception.
Pitié, ouvre.

Breathe in, breathe out.
J’ai des violents flashbacks ; du dédain, de la colère, des sourires, de la déception, de l’espoir, des rêves. Je la convoite tant que je finis par me persuader que j’éprouve quelque chose de fort pour elle, je l’admets. Insaisissable, inatteignable, une vraie anguille que ce bout de femme. Plus elle dit non, plus je plonge profondément dans le tumulte du refus pour la ramener sur la plage de mes conquêtes. Ouragan, mon cœur est ouragan. Tant bien que mal, je tente de faire le vide, mais dans mon champ il n’y a plus que cette porte, cette maudite porte de bois qui refuse de s’ouvrir pour me laisser voir Priya. Elle est là, je le sais, j’ignore comment mais mon intuition me souffle qu’elle est tout près. Viiiiiite ! Je ne tiens plus en place, une seconde de plus et je pars. Une seconde de plus et j’abandonne.
Mais le Seigneur est clément avec moi aujourd’hui, et le miracle est. « Tout ça pour aller chercher du lait, Anton ? A croire que tu es allé traire une vache de tes propres mains. » C’est elle ! Un sourire fend mon visage inquiet ; j’exulte, je jubile. Trop heureux pour m’inquiéter de mon émotivité, je danse d’un pied sur l’autre. J’entends des pas, des soupirs, elle parle de nouveau, s’approche ; mon dieu, depuis quand les secondes sont elles aussi longues ?! « Bon sang Anton, ça t'aurait tué de prendre tes clés avec toi... Oh... tu n'es pas... tu... » On se dévisage, elle surprise, moi plus souriant que jamais. Je détaille chacun de ses traits : elle est comme dans mes souvenirs. Ses sourcils se froncent d’embarras, j’en rirais presque. Un de ses bras entoure un pot de glace, et au bout de l’autre se dissimule une cuillère généreusement remplie qu’elle fourre d’ailleurs dans sa bouche en ouvrant ses délicieuses lèvres. Comique, de la voir déstabilisée par ma présence. « James ? » Ah, oui, il faut parler. J’en ai oublié de dire bonjour. « Qui d’autre ? » je balance dans un sourire séducteur. On reste là encore un moment, j’attends qu’elle reprenne ses esprits. J’avoue que je ne sais trop quoi dire ; maintenant que mon espoir du jour se réalise, je prends conscience que je n’avais pas prévu la suite. De toute façon, je n’avais rien prévu du tout, et là, l’adrénaline passée, je suis un peu à court d’inspiration. « Désolée, je pensais que tu étais mon colocataire. »Ah, Anton. Le visage de Priya se détend, et avec les règles d’usage semblent lui revenir : « Tu veux entrer ? » . A vrai dire, je n'attends que ça; elle devrait le deviner à mon insistant sourire, et je me vois mal lui dire hey ca va ? oui? tant mieux! Bon, a+" Franchement, non.

Bref, puisque si gentiment convié, je hoche la tête et j'entre chez Priya. C'est la première fois que je pénètre chez elle. J'ai l'impression d'entrer dans son intimité, et rien que ça me rend satisfait. Au moins, je ne suis pas venu pour rien. Pas à pas, j'observe chaque détail et je suis mon hôte. Elle me tend la glace, un sourire aux lèvres, mais cette-fois ci je secoue la tête. «Non merci » dis-je, « j'ai trop froid pour ça» Je lui rend son sourire tout en me frottant les mains l'une contre l'autre. Je l'observe boiter et j'ai de la peine pour elle; mes traits se tirent en une moue pensive, et je la suis dans son salon. Priya me propose du café, mais j'attends qu'elle se tourne vers moi et je lance « je suis venu aux nouvelles... alors, comment ça va ? » Je donne un coup de menton en direction de sa blessure. Fichu coup du sort; comme dirait l'autre, c'est la faute à pas d'chance. J'attends qu'elle m'invite à m'asseoir avant de le faire, et j'enfonce mes mains dans mes poches. Mon calme est désormais de retour, et je sais que mon aisance avec les femmes l'est aussi. Tant mieux, autrement la rencontre se serait avérée d'autant plus difficile.