« Je vais le quitter… »
Jamie ne dit rien. Il n’y absolument rien à répondre à cette remarque qu’il entend quasiment à chaque fois qu’il tombe sur la femme de son frère. Toujours la même rengaine, toujours le même regard dégouté qu’elle pose sur Jonah et puis les larmes. Il déteste qu’elle pleure, plus parce que voir les gens pleurer le déprime et le fait sentir stupide et inutile que vraiment parce qu’elle compte pour lui et que ça le touche de la voir dans cet état.
Il porte sa bière à ses lèvres et en avale une gorgée à défaut de tenter d’argumenter. Il pourrait commencer d’ailleurs par conseiller à Jena d’arrêter de laisser de l’alcool à disposition de son alcoolique de mari… Mais le jeune homme sait déjà ce qu’elle répliquerait : tu crois que c’est facile de lui refuser quoi que ce soit ? Si ça ne tenait qu’à moi, blablabla.
« Je lui ai dis que j’allais le quitter et il s’est marré, figure-toi ! Il m’a ris à la figure en me disant que je ne le ferai jamais ! …ce salaud…»
Et voilà les larmes. Jamie préfère boire une nouvelle gorgée puis se racle nerveusement la gorge en passant une main dans ses cheveux bruns.
« Je ne sais plus quoi faire… »
« Ouais… C’est facile pour personne. Je sais comment il est… »
« Pour personne ? C’est MOI qui vit avec lui tous les jours ! C’est moi qui empêche les filles de tomber sur lui quand il est complètement ivre ! »
Et maintenant, ils en arrivent au moment où elle s’en prend à lui et où il décide donc de mettre les voiles, ce qu’elle lui reproche. Rien de ce qu’il fait n’est apparemment la réaction appropriée. Rien de ce que fait Jonah n’est assez bon pour elle aussi, et c’est une des raisons qui le pousse à boire, mais mieux vaut éviter de le lui faire remarquer…
« On va réveiller les filles » finit-il simplement par répliquer en reposant sa bière vide sur la petite table de cuisine. « Je dois y aller de toute manière. »
« Dis tout de suite que je t’emmerde ! »
« Non, rien à voir… Je bosse demain, tu sais bien. La soirée a été longue, il se fait tard » se justifie-t-il en étouffant un bâillement derrière sa main.
Elle lui souhaite bon vent et s’occupe de la vaisselle pendant que Jamie met les voiles avec soulagement.

Il enfourche sa moto garée dans l’allée de la petite maisonnette, enfile son casque puis referme son petit blouson de cuir jusqu’en haut pour se prémunir des températures. Une fois équipé, il met le contact et démarre, direct son appartement minable non loin du centre ville.
Jamie est sur place une vingtaine de minutes plus tard et gare son engin dans le hangar à vélos peu utilisé à quelques pas de son immeuble. Son casque passé à son bras, il se dirige d’un pas tranquille vers l’entrée de la petite résidence et son haut portail extérieur.
Il voit une silhouette devant celui-ci mais n’y prête pas plus d’attention que cela. Il porte sa main à ses yeux brûlants de fatigue qu’il frotte distraitement. Ca le réveille assez pour lui permettre de mieux étudier la jeune femme devant l’immeuble qui a l’air agacée et fouille dans son sac, certainement à la recherche de ses clés.
Un beau brin de fille… Un sourire s’accroche aux lèvres du motard qui tiens déjà ses propres clés dans sa main et imagine déjà la pluie de remerciements qui va lui tomber dessus quand il aura ouvert la porte à la brunette.

Sauf que c’est loin d’être une pluie de remerciements qui lui tombe sur la tronche lorsqu’il arrive à hauteur de la jeune femme et se manifeste enfin…

Alors ça…il ne l’avait pas vu venir.
Jamie reste assis sur le trottoir, totalement hébété. Il lui faut un interminable moment pour réaliser qu’il a mal. Un mal de chien. Il veut laisser échapper un juron mais seul un genre de gargouillement passe ses lèvres tandis qu’il porte ses mains à son visage engourdi par le choc.
En réalité, c’est tout son esprit qui est engourdi à l’heure actuelle et il peine à garder pied. Des genre d’insectes voltigent dans son champ de vision et il a beau papillonner des paupière, rien ne semble y faire. Il sent quelque chose de chaud couler sur ses doigts, sur ses lèvres pour dégoutter le long de son menton.
Du sang. Il sait que c’est du sang mais sa présence lui paraît étrange, tout comme la douleur lancinante au beau milieu de son visage. Son cerveau parvient à identifier la source du problème, mais il a du mal à comprendre.

Il y a un instant, Jamie se tenait devant son hall d’immeuble, prêt à jouer els justicier et maintenant il est par terre et la grande brunette lui lance une réplique qu’il ne comprend pas vraiment, le tout avec une agressivité qui lui paraît bien inutile.
Il tente de le lui signaler mais une fois encore, sa bouche ne suit pas et il se contente de marmonner une autre parole peu compréhensible. Il veut prendre une inspiration par le nez, histoire d’oxygéner un peu son cerveau embrumé, mais c’est une idée lamentable. Son nez est bouché par le sang qui s’échappe de son nez aussi bien vers l’extérieur qu’à l’intérieur de sa gorge nouée.
Jamie déglutit, crache un mélange de salive et de sang entre ses jambes et pousse un petit grognement plaintif avant de grimacer de douleur.

« Vous m’avez péter le nez » accuse-t-il en gardant pour tant un ton parfaitement neutre.
La fille n’a pas l’air de bien saisir et il croit l’entendre s’énerver encore un peu après lui. Soi disant que ça serait sa faute. Jamie lâche son nez et appose ses paumes maculées de son propre sang sur le bitume en essayant de se ressaisir. Il secoue un peu la tête pour se tirer de l’état de léthargie vers lequel il se sent plonger, ouvre et referme la bouche comme pour débloquer sa mâchoire, mais il peine toujours autant.
« La vache, j’vois plus rien » marmonne Jamie en recommençant à battre des cils dans l’espoir d’y voir plus clair, en vain.

Il essaie de rire lorsqu’elle blague sur sa vue mais son ébauche se termine en grimace de souffrance. Il abandonne l’idée d’arborer la moindre expression jusqu’à nouvel ordre et se contente de planter ses yeux verts dans ceux de la jeune femme qui le questionne.
Ses clés ? Qu’est-ce qu’il en sait de l’endroit où se trouvent ses clés ? Il a d’autres préoccupations pour le moment au cas où elle ne le verrait pas…encore que…c’est pas vraiment ça le souci. En réalité, il a un peu de mal à enchainer la moindre pensée cohérente et évolue dans un brouillard épais depuis quelques instants. Son cerveau est engourdi, vide.
Jamie fournit pourtant un gros effort pour se concentrer assez et répondre à la jeune femme.
« J’les avais en mains alors… elles sont quelque part par terre… mon casque aussi » en déduit-il en commençant à observer les alentours.
Mais tourner la tête réveille la douleur et lui redonne la nausée. Il laisse donc la brunette se charger de retrouver le précieux sésame sur le trottoir et porte de nouveau ses mains à sn nez qu’il sent déjà enflé. Il va être beau tien…
Il espère que son nez n’est pas trop de travers et qu’il ne jouera pas les Boogey Man demain à la garderie où il travaille. Cela dit, il a déjà eu le nez cassé, il sait comment ça se passe… Il sait que des bleus vont apparaître sur son visage et encercler ses yeux de cocker et passer par toute une palette de couleurs.

Sans vraiment réfléchir à ce qu’il fait, tiquant d’agacement, Jamie entreprend de se mettre debout, bien décidé à aller voir ce qu’il est advenu de son nez dans le premier miroir qu’il croisera. La tâche s’annonce plus ardue qu’il ne l’avait pensé. Il devait ressembler à Ethan comme ça, le môme qui apprenait à marcher à la garderie et finissait toujours immanquablement par se vautrer tête la première…
Heureusement, il ne va pas jusque là puisque son accompagnatrice (et accessoirement responsable de son état déplorable) lui tend le bras juste à temps pour l’aider à se relever. Jonah l’aurait repoussée très probablement, lui, il accepte cette aide plus que bienvenue avec un certain soulagement.
Pendant qu’il s’appuie à moitié sur elle, il repère un point brillant un peu plus loin.
« ‘sont là les clés » soupire-t-il en désignant vaguement la direction où chercher.
La brune s’assure qu’il se tient à la grille pour aller les récupérer puis ouvre enfin l’entrée en le récupérant. Il lui indique où est son appartement et ils s’y dirigent. Elle utilise son trousseau pour ouvrir la porte de son appartement minable et elle le guide vers le canapé du salon qui lui sert aussi de lit. Et de bureau. Et généralement il y mange aussi.

Il s’apprête à s’excuser pour le désordre mais elle le coupe pour lui demander où se trouve sa trousse de secours s’il en a une.
« Salle de bain. Au-dessus du chiotte. »
Il la suit du regard tandis qu’elle s’éloigne et, malgré la douleur, il s’autorise un sourire lorsque ses yeux se posent sur le postérieur de la jeune femme… Belle pièce.
Il finit par rejeter la tête en arrière en poussant un grommèlement agacé et ferme les yeux en portant ses mains à son nez. Il sait ce qu’il est censé faire : appuyer pour stopper l’hémorragie. Il sait que ça va faire mal…
S’il y a bien une chose qu’il déteste, c’est avoir mal. Comme tout le monde, direz-vous.

Lorsqu’il rouvre les yeux, la brune est revenue avec le matériel et elle s’installe à ses côtés. Les poings serrés sur le tissu de son jean, il serre les dents et aspire l’air au travers en grimaçant chaque fois qu’elle le touche. Apparemment, ça finit par l’agacer et elle ne se gêne pas pour le lui faire savoir.
« J’ai mal » croit-il bon de lui signaler, en essayant de ne pas montrer trop d’agressivité.
Manquerait plus qu’elle se gêne sur son nez…

Elle finit par laisser tomber ses remarques et s’occupe de gérer la coupure sur l’arrête de son nez. Il l’interrompt une fois ou deux pour cracher dans son cendrier de salle de bain et s’enfonce finalement deux coton dans les narines pour contrôler le saignement intempestif.
« Vous être infirbière ? » finit-il par demander d’une voix de nez, essayant de capter son regard pendant qu’elle est à l’œuvre « Ou juste habituée à casser des nez ? »

Il sent bien qu’il n’a pas trop intérêt à faire le malin. Il a développé un véritable don avec le temps et l’expérience, à force de vivre avec ses frères ainés. Jamie doit pourtant serrer les dents pour s’empêcher de lui répondre quoi que ce soit qui puisse l’agacer. Après tout, elle a son nez entre ses mains et elle n’a pas hésité à le malmener une première fois alors… mieux vaut faire preuve de prudence.
Ses efforts sont cela dit rapidement récompensés puisque la belle brune – qu’il a eu l’occasion de mater allègrement et en toute impunité pendant qu’elle s’occupait de remettre de l’ordre dans son visage – se met elle-même à le questionner à son tour.
Evidemment, il se doute qu’elle plaisante plus ou moins. Personne ne confesserait ce genre de trucs. C’est juste une manière de lui faire comprendre qu’elle veut garder ses secrets, ne compte pas faire de lui son meilleur ami pour la vie et qu’elle n’a pas envie qu’il joue les petits curieux. Ce qu’il avait du coup compris dès sa première remarque…
Jamie se contente donc d’hausser une épaule pour toute réponse, l’air de dire que très franchement, ça lui serait bien égal que ce soit la pure vérité. Manque de chance, il accompagne son geste d’une petite moue qui réveille la douleur de son nez abîmé. Il retient un énième petit couinement de souffrance (il est assez passé pour un trou du cul douillet comme ça) et soutient le regard de la brune.

Pas longtemps cela dit puisque, sans prévenir, elle se redresse tout à coup avec le reste de la trousse à pharmacie. Il aperçoit cependant un discret sourire au coin de ses lèvres et ne peut s’empêcher de l’imiter… Ce qui l’élance de nouveau, évidemment.
Pendant que son infirmière de fortune et bourreau retourne dans la salle de bain, il farfouille dans ses poches en espérant trouver son kit de roulage et constate avec soulagement qu’il lui reste de quoi s’anesthésier un peu les neurones ce soir.
Il range son étui en ferraille au moment où la fille réapparait. Il s’apprête à engager la conversation mais elle lui passe devant sans un mot et dirige ses pas vers l’entrée du minuscule appartement insalubre dans lequel il vit depuis quelques semaines.
« Ok… » chuchote-il en fixant la porte laissée ouverte par la jeune femme et qui laisse entrer un peu d’eau dans son entrée.
Jamie ignore si elle compte revenir ou pas et reste planté comme un imbécile durant près d’une minute sur le sofa. Il semblerait donc qu’elle ne compte pas revenir. Finalement donc, il se redresse et se dirige vers la salle de bain à son tour pour utiliser un gant de toilette afin de nettoyer son visage où le sang commence à sécher et irriter sa peau. Il en profiter pour observer les dégâts et tique d’agacement à plusieurs reprises.
Impossible de draguer la brunette avec une tronche pareille… Génial.

Finalement, il retourne dans le salon qui lui sert de chambre et de tout un tas de trucs encore, et s’approche de la porte d’entrée. Doit-il la fermer ou non ? S’il le fait, la fille ne reviendra probablement pas. D’un autre côté, ça n’était peut-être pas dans ses plans et elle estime peut-être avoir largement remboursé sa dette. En même temps, la flotte commence à se sentir chez elle et à investir les lieux alors…
Sans vraiment réfléchir à ce qu’il fait, Jamie attrape le parapluie qui traine dans son cartons de chaussure près de l’entrée et referme la porte de son appartement en se postant devant celui-ci. Il cherche la fille du regard et finit par la repérer à quelques pas de là, trempée jusqu’aux os.
Il court à sa rencontre (chaque pas semble raisonner dans son nez et le fait souffrir) et s’arrête à quelques pas d’elle. On n’est jamais trop prudent…
« Qu’est-ce que vous faites ? » lui cri-t-il pour qu’elle l’entende malgré les trompes d’eau qui se déversent sur eux.
Elle a l'air de chercher quelque chose mais il n'en est pas certain.