Une belle journée comme il les aime, ensoleillée et pleine de promesses. Pas de coup de fil de Jonah pour lui demander de venir le repêcher à gauche ou à droite (plus généralement devant un bar, dans le caniveau, à l’hôpital ou au poste de police du comté), pas de panne de réveille mais des gazouillis d’oiseaux et le sourire des quelques passants qu’il croise. Il est tôt et Jamie a encore une bonne demi-heure devant lui avant de devoir se pointer à la garderie où il bosse depuis plus d’un an maintenant. S’il se souvient bien de la liste en prime, Ruben et Kaydence, les petits jumeaux turbulents qu’il adore, seront présents aujourd’hui. C’est mal d’avoir des préférences mais c’est humain comme comportement et aux dernières nouvelles, il en était un lui aussi donc…

Les mains enfoncées dans les poches de son blouson de cuir, son casque passé autour de son cou et diffusant une chanson du groupe Green Day qu’il affectionne particulièrement, il déambule dans les rues d’Arrowsic. S’il s’écoutait, il se mettrait probablement à chantonner à voix haute et à exécuter quelques pas de danse totalement ridicules, mais on le connaît dans le coin et il ne peut pas vraiment se le permettre. Il est le Bishop qui s’en est tiré et il doit entretenir sa réputation de premier de la classe.
L’avantage des petites villes dans le genre d’Arrowsic, c’est que pratiquement tout le monde se connaît. Le désavantage c’est que du coup… tout le monde vous connaît. Les vieilles mégères aigries connaissent vos parents, vos employeurs, le prénom de la fille que vous voulez épouser et savent exactement à qui aller parler pour vous porter préjudice. Les gens savent appuyer exactement là où ça fait mal et ne se prive jamais vraiment pour le faire. Surtout quand vos frères ont cambriolés la plupart des maisons du coin et fournissent de la drooogue à leurs bambins complètement attardés et violents…
Jamie essaye donc de contenir son trop plein d’énergie et d’enthousiasme. Du moins il le fera jusqu’au moment où il aura franchi la porte du café où il a ses habitudes. Là, il pourra se libérer d’un peu de sa débordante bonne humeur auprès de Robyn.

Ils se sont rencontrés sur place il y a quelques mois et depuis, Jamie lui est aussi fidèle que possible, ne fréquentant le café qu’aux moments où il sait pouvoir la trouver derrière le comptoir. Il a mis des semaines à la convaincre qu’il n’était pas un pervers et qu’elle pouvait lui filer son emploi du temps en toute tranquillité. Finalement, le temps que la blondinette se décide à le lui filer, Jamie l’avait plus ou moins deviné à force de se pointer. Ce petit jeu parait en tout cas amuser la serveuse autant que lui et ils continuent donc à y jouer depuis ce temps là.

Le grand brun passe la porte de l’établissement qui tinte joyeusement. Il baisse le son du vieux MP3 qu’il se trimballe depuis des années et s’approche du comptoir où se trouve évidemment Robyn. Il lui adresse un sourire chaleureux et cherche à se pencher au-dessus du meuble pour l’étreindre un instant et déposer une bise sur sa joue.

« Comment ça va c’matin ? J’t’apporte le soleil, Miss Sunshine, j’espère que ça me fera manger à l’œil parce que j’ai plus un rond. »
Il le dit sur le ton de la plaisanterie mais espère quand même qu’elle lui offrira un truc. C’est une trop belle journée pour qu’elle refuse de toute manière.
Oui, c’est de l’opportunisme, et alors ? Ca aussi c’est humain comme comportement ! L’humain aime les choses gratuites…

7h30, hôpital d'Arrowsic. Comme tous les matins, je suis debout dans cette pièce, presque collée au lit qui est installé contre le mur. J'attends. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais j'attends. Je sais très bien que s'il y a du nouveau, je serais la première à être avertie, mais il faut quand même que je vienne de moi même pour constater que rien n'a bouger. Ma main caresse du bout des doigts son visage paisible. Il a perdu de ses couleurs, ses cheveux sont plus longs... De quoi le faire râler quand il se réveillera lui qui déteste quand ses cheveux ne sont pas parfaitement coiffés. Je me retourne et attrape une petite éponge toute douce, que j'humidifie sous l'eau du seul évier qu'il y a dans cette chambre. Je retourne auprès de Nate et lui rafraichit un peu le front et les joues. Ca fait six mois maintenant que je viens, que je fais tous les jours le même rituel. Je vais reposer l'éponge et m'asseye doucement sur le lit, liant mes doigts aux siens. Des doigts mous, qui ne se contractent même pas. Je soupire. Mes yeux ne quittent pas son visage. Il faudra bien qu'il se réveille un jour. Il s'est remit de l'accident. Du moins médicalement. Tout ce qu'on attend c'est que son système nerveux et que son cerveau veuillent bien faire une petite réunion en tête à tête et qu'ils décident de le faire revenir parmi moi. Il me manque. L'appartement est bien vide sans lui. J'aimerais qu'il revienne, j'aimerais entendre sa voix et son rire entre nos quatre murs. J'aimerais l'entendre me taquiner quand je jette tout le contenu de mon armoire sur le sol de notre chambre parce que je ne trouve rien à me mettre. « Je reviens demain mon coeur... » soupirais-je avant de me pencher et d'embrasser le front de mon petit ami. Petit ami ou fiancé? J'en sais rien. L'autre jour en rangeant la lessive, j'ai trouvé un petit écrin dans son tiroir à chaussettes. Je l'ai ouvert. Je suis une grande curieuse. Il contenait une bague, un anneau serti de petites pierres blanches. Je l'ai reposé comme s'il m'avait brûlé la peau.

Je quitte l'hôpital, mon sac à main sur l'épaule et prend la direction des bus. Depuis l'accident, je ne monte plus dans aucune voiture. Les infirmières qui ont l'habitude de me voir me font un sourire ainsi qu'un petit signe de la main. Une fois dans le bus, je sors un peu de paperasse que j'ai pris de la boîte aux lettres en partant. Des factures d'hôpital. Le coma de Nate coûte cher et je ne sais pas comment je vais réussir à payer tout ça. Je range tous les papiers dans mon sac et me rend compte que je suis arrivé à l'arrêt qui m'intéresse. Je passe mes journées à bosser au café. J'ai pas envie de me retrouver seule à l'appartement, du coup je reste ici avec mes gentils clients et puis ça me fait des heures supplémentaires. Qui dit heures supplémentaires, veut dire argent et donc peut-être de quoi rembourser ce qu'on doit à l'hôpital. A peine ai-je passé la porte du café que je me dirige vers l'arrière boutique. J'accroche mes affaires et noue le tablier autour de ma taille. Il est temps d'afficher un sourire et de faire passer la journée. J'ai pris mes petites habitudes depuis que je suis arrivée ici, il y a trois ans. Je connais les habitués du café et je n'ai même plus besoin de leur demander ce qu'ils veulent. Je passe derrière le comptoir et la patronne vient me saluer. Elle est très gentille heureusement. Elle me demande si y a du nouveau à propos de Nate et je baisse les yeux avant de secouer négativement la tête. « Mais c'est pas grave. C'est bien qu'il se repose et qu'il reprenne des forces. Il sera en pleine forme quand ses jolis yeux se rouvriront. » Je fais un sourire et attrape un plateau afin de servir les premiers clients de la journée. Au bout de plusieurs minutes, je suis de nouveau derrière le comptoir. J'entends la sonnette du café retentir et je lève - par habitude - les yeux vers le nouvel arrivant. Je souris. Jamie est un client qui vient toujours aux heures où je travaille. Il se penche, m'embrasse sur la joue et m'annonce qu'il m'apporte du soleil. Je jette un rapide regard dehors et manque d'exploser de rire en voyant qu'il fait gris. Je rigole légèrement à sa remarque. « Je ne sais pas si ma patronne sera d'accord et je suis à sec en ce moment. Mais je vais peut-être faire une exception. » Je lui fais un clin d'oeil et me retourne pour lui préparer ce qu'il prend toujours. « Et un chausson aux pommes et à la cannelle en cadeau. » Je lui souris et prend appui sur mes coudes en le regardant. « Tu as l'air de bonne humeur ce matin dis donc! Quel est ton programme? »

Il est certain de toujours pouvoir compter sur Robyn pour afficher un sourire pour pub de dentifrice et garder son propre moral au beau fixe.
Il a vu ce sourire évoluer depuis leur première rencontre cela dit. Auparavant, elle souriait parce que c’était ce qu’on attendait d’elle, ça faisait parti des attributions du job d’accueillir les clients avec. Et puis il est un jour parvenu à faire apparaître un sourire sincèrement enjoué sur son visage grâce à une blague totalement idiote dont il ne se souvient même plus. La voir se laisser aller à afficher publiquement son bonheur lui met toujours du baume au cœur…
Jamie sait qu’elle ne vit pas des choses faciles et s’étonne de la voir tenir si bien le coup. S’i pendant un moment il a envisagé de jouer les psychologues de bas étage et de l’amener à se confier, il a aujourd’hui renoncé. Il préfère entrer dans son jeu et faire comme si tout allait au mieux dans le meilleur des mondes. La politique de l’autruche fait des dégâts mais hey, bonne nouvelle, vous avez la tête enfouie dans le sable et vous ne les voyez pas !

« Pomme cannelle ! Exactement le mélange qu’il me fallait » sourit-il en frottant ses mains l’une contre l’autre avant d’examiner la pâtisserie de plus près. Il relève les yeux vers Robyn un instant, lorsqu’elle aborde le sujet de sa bonne humeur. « Hm… je vais commencer par engloutir ce chausson et le faire passer avec ce petit quelque chose de brun, chaud et liquide et ensuite ma foi, je changerai des couches pleines de liquide brun et chaud. »
Amis du bon goût : bonjour !
Jamie lève sa tasse de chocolat chaud en direction de la jeune femme, comme pour porter un toast, et avale une gorgée brûlante. Après une grimace, il la repose et imite son interlocutrice en s’appuyant sur le comptoir qui les sépare, bras croisés.
« Aujourd’hui, j’ai prévu un atelier pâte à sel, si tu veux tout savoir. Je te ferai un petit cadeau moi aussi. Je fais de merveilleux colombins ! Libre à toi d’en faire ensuite ce que tu voudras: nid d’oiseaux, escargot, pénis » énumère-t-il le plus naturellement du monde, veillant tout de même à parler un ton plus bas pour ne pas choquer d’éventuels clients.
Les gens sont si facilement outrés de nos jours… C’est pour cette raison, entre autres, qu’il préfère de loin, la compagnie des enfants à celle des adultes, bien trop soucieux des apparences à son goût.
« Hey tu devrais passer nous voir un jour ! » reprend-t-il avant de mordre dans son chausson « Tu pourrais venir cuisiner un peu avec les mômes ou expliquer aux filles comment on fait pour devenir une princesse… Tu veux bien me mettre un peu de crème ? » enchaine Jamie sans transition, en faisant glisser sa tasse fumante vers la blonde, arborant son air le plus parfaitement innocent. « Et toi ton programme ? »

Little miss sunshine. Le surnom que Jamie m'a presque tout de suite donné depuis qu'il est venu dans notre café. Quand on s'est "rencontré" j'étais heureuse et amoureuse. Mais surtout... J'avais Nate. Maintenant c'est différent. Je suis seule, je fais des allers retours entre le café, mon lit et l'hôpital. Je ne suis plus vraiment little miss sunshine mais le surnom est resté. Et puis il faut dire que les seules fois où Jamie me voit c'est quand je suis au café et au café je suis toujours souriante. En même temps comment ne pas être souriante? J'aime bien mon job. Certes, ce sont surtout des petits vieux qui viennent ici, mais ils sont gentils et contrairement aux ouvriers du matin, ils ne sont pas de gros pervers. Combien de fois je me suis retrouvée avec une main aux fesses à cause d'un homme sali de cambouis? Je ne compte plus. Ca énerve Nate d'ailleurs de savoir que des hommes comme ça traitent les serveuses de cette manière. Je préfère largement le petit papy qui me raconte la vie de son chien. Et puis, il y a les clients comme Jamie, qui me font encore plus plaisir de voir. A peine il entre dans le café, que je suis déjà en train de lui préparer son chocolat chaud et de lui sortir un chausson aux pommes fraichement fait. En général c'est moi qui m'en occupe. Je suis la chef pâtisseries ici mais ces derniers temps, le coeur y est moins. Je demande à Jamie ce qui le rend d'aussi bonne humeur et très rapidement je me rends compte que j'aurais peut-être dû m'abstenir. Je grimace en entendant sa douce métaphore à propos de changer les couches de ses petits protégés. Je lui fait un sourire quand il lève sa tasse comme pour porter un toast. Allez Robyn, soit un peu plus convaincante. Il enchaine en me parlant d'un atelier pâte à sel. Je trouve que c'est assez adorable comme il parle de son boulot parce que même s'il met beaucoup d'ironie dedans, on sent que c'est un truc qu'il aime faire. Mais une fois de plus, la chute de son explication est de "mauvais" goût. Cependant, il arrive à m'arracher un rire. Je secoue la tête amusée. Un pénis. Pourquoi pas. Jamie est toujours celui qui parle le plus. Déjà parce que tout en l'écoutant, je sers des clients qui viennent au comptoir pour leur café à l'emporté, mais aussi parce qu'il a la discussion facile. Il me propose de venir un jour et comme je ne sais pas s'il est sérieux ou pas je lui montre toutes mes dents. « Apprendre à des gamins à faire des chaussons aux pommes pourraient être une bonne idée! Tu as de la chance, j'ai de la patience! » Faux. Je déteste les files d'attente au supermarché ou au cinéma, je déteste attendre un colis de vêtements commandés sur internet et par-dessus tout; je déteste attendre que mon petit ami se réveille. Mais j'adore les enfants, donc ça pourrait être marrant. Je lui prends la tasse et lui verse une lampée de crème comme il me l'a demandé. Je repose la tasse devant son nez et sors un croissant au jambon pour Monsieur Calloway qui ne va pas tarder à arriver. Je sors un gobelet en carton et verse un café noir dedans tout en répondant à la question de mon ami. « Mon programme? Oh et bien... D'ici trente minutes les pervers du chantier vont arriver, ensuite il faudra préparer les sandwiches et les salades pour l'heure du dîner, après il faudra que je remette mon tablier pour servir les gens... Vers quatorze heures il y aura des macarons à faire et le reste de la journée à servir. » Et peut-être que ce soir je retournerais à l'hôpital on verra. « Oh! Demain soir on fait une scène ouverte. Tu devrais venir, ça serait sympa! T'es musicien? Tu chantes? » demandais-je en me retenant de rire.

Jamie imagine d’ici ses gamins faire des chaussons aux pommes et l’idée le fait sourire. Il ne savent déjà pas empiler trois cubes pour la plupart, alors se lancer dans de la pâtisserie… il a des doutes ! Avec les plus grands, à la limite, et en les encadrant de près, il pourrait parvenir à leur faire réaliser une compote mangeable. Cela dit, il se gardera bien de faire une remarque à ce sujet à Robyn. Qu’elle savoure donc son innocence et continue de le toucher par sa naïveté !
Sans se dépeindre de son sourire en coin amusé, il la regarde travailler, s’écartant un peu pour laisser un minimum de place aux autres clients du café qui voudraient éventuellement se faire servir. Il trempe ses lèvres dans son chocolat crème pendant que la blonde lui fait un rapide topo de ce à quoi ressemblera sa journée. Il a conscience d’en avoir jusque sur le nez et étend le bras pour attraper une serviette et remédier au problème.
Son pauvre petit nez qui, deux semaines plus tôt, subissait un assaut des plus violent devant son portail d’immeuble. L’anecdote avait d’ailleurs bien fait rire Robyn à l’époque où il lui avait contée sa mésaventure. Aujourd’hui, les bleus se sont résorbés mais une petite coupure continue d’ornée son arrête. Une petite coupure qui lui donne un petit côté dangereux très appréciable… et lui permet chaque fois qu’il la voit de repenser à Skylar, sa charmante (physiquement en tout cas) voisine de pallier.

Mais Jamie s’égard. Il sursaute presque lorsqu’il réalise que la serveuse attend une réponse de sa part à sa dernière question.
« Ouais, bien sûr ! Je chante tous les jours au boulot et je sais comment on utilise une gratte mais ça reste… Disons que c’est pas parce que je pratique que je suis forcément très bon. Et puis je suis pas certains que vos clients aient envie d’entendre l’histoire du petit escargot » ricane-t-il avant de dépioter un peu plus son chausson aux pommes « Mais ça pourrait effectivement être sympa. »
Une fois encore, ses pensées vagabondes très rapidement du côté de Skylar qui ne quitte plus vraiment son esprit depuis leur rencontre. Est-ce que ce genre de soirée lui plairait à elle ? Est-ce qu’elle accepterait de sortir avec lui ? Une scène ouverte, ça n’engage pas à grand chose, si ? Peut-être qu’il devrait tenter sa chance…
Sauf que Robyn lui propose peut-être ça en espérant le voir venir seul et ainsi avoir quelqu’un à qui parler pendant ses pauses. Encore qu’il doute être son seul ami.
« J’essaierai de passer » conclut-il dans un sourire, chassant ses questions en réalisant que se prendre la tête pour ça ne vaut pas le coup en fin de compte. « J’apporterai ma bombe au poivre pour écarter les pervers ! J’promets pas d’en venir à bout, j’ai appris à me battre avec un aveugle manchot… Un type sympa hein mais limité intellectuellement si j’puis dire. »

Il termine son chausson quelques temps après cette réplique, pendant que Robyn termine de servir Monsieur Calloway qui tient à prendre de ses nouvelles et s’en va en adressant un signe de tête à Jamie qui lui souhaite une bonne journée.
« Et sinon…tu m’invites parce que je suis un client ou parce que tu commences à avoir du mal à te passer de mon adorable compagnie ? » la relance-t-il dans un haussement de sourcils supposément ravageur.

Je ne sais pas quel âge a Jamie... A vu de nez je lui donnerait peut-être la trentaine mais plus. C'est sûrement sa barbe de plusieurs jours qui le vieilli un peu. Mais tout ce que je sais c'est qu'il est sûrement plus âgé que moi. On a jamais parlé de ça et c'est sur qu'à ses yeux je dois peut-être être une gamine toute innocente. Personne ne me donne mes vingt cinq ans. En général on me dit que je suis à peine majeure. C'est un avantage mais des fois j'en ai marre qu'on me demande ma carte quand je vais boire un verre au bar avec une copine. Je n'ai pas son expérience et peut-être que j'ai l'air un peu bête à croire que faire des pâtisseries avec des enfants est quelque chose qui pourrait être amusant. Je me rends compte après avoir parlé que c'était un peu stupide de dire ça. Mais bon, ces temps je n'ai pas toute ma tête... Je suis tellement en train de courir dans tous les sens que j'oublie pleins de trucs.

Par contre, ce que je n'ai pas oublié c'est de parler de la scène ouverte qui est organisée ici demain soir. Je serais de garde bien sur avec mon petit tablier mais j'espère quand même trouver deux minutes pour aller sur la petite scène avec une guitare et pourquoi pas changer une chanson. J'aime bien de temps en temps mais de là à dire que je suis douée; non. Je me demande si j'aurais la chance d'y voire Jamie où s'il a peut-être quelque chose de prévu. J'en sais rien. J'explose de rire en l'entendant parler de la chanson de l'escargot. Ils chantent toujours ça à l'école? Mon Dieu. Il serait temps d'évoluer un peu non? Je tends un café à un homme qui vient de se pointer à côté de Jamie et lui lance un regard entendu. « Allez essaie de venir. Tu me verras peut-être pousser la chansonnette! Tu ne voudrais pas louper ça non? » dis-je avec un regard malicieux. Je le taquine. Après tout c'est pas dit que je me lance. Il me dit finalement qu'il essayerait de passer et je serre le poing en faisant une petite moue victorieuse. Finalement Jamie me parle de bombe au poivre et de pervers. Je secoue la tête amusée. Il passe vraiment du coq à l'âne sans passer par la poule! Mais finalement, il ressort son petit ironique en me demandant si je lui propose ça en tant que rancard et que j'ai envie de passer du temps avec lui ou simplement parce qu'il est un client. J'hausse simplement les épaules. « J'essayais juste de te sortir de chez toi et de ta classe. T'as pas une jolie fille à proposer pour t'accompagner? » demandais-je tout en passant un coup de chiffon sur le comptoir pour enlever les coulures collantes.

« Hin…c’est donc un élan de pitié » fait-il mine de se vexer lorsqu’elle répond à sa dernière question.
En réalité, il n’est pas vraiment déçu. Comment pourrait-il être déçu alors qu’il connaît plus ou moins la situation de la jeune femme et sait qu’elle n’est plus sur le marché depuis un moment. Mais même sans ça, il a conscience que la proposition part d’une bonne intention et en plus, il pourrait effectivement prendre du bon temps à une soirée de ce genre.
Il envisage durant un instant d’inviter son frère ainé et sa famille à le rejoindre mais renonce rapidement à cette idée. Même s’il aime ses nièces de tout son cœur, il n’a pas envie de jouer les baby-sitters ou de devoir assister à une énième scène de ménage entre Jonah et sa femme qui passe son temps à essayer de le prendre à partie.
Non, il n’a pas envie de passer ce genre de soirée et surtout pas envie que Robyn soit témoin de ce genre de trucs. Surtout que la blondinette a déjà croisé son frangin ivre des tas de fois puisque c’est là qu’il l’amène toujours soigner sa gueule de bois. Ce serait trop gênant. Pour tout le monde.

Du coup, son choix recommence à se porter sur Skylar, sa voisine pleine de violence. Plein de violence mais vraiment très jolie, c’est certain… Elle collerait parfaitement à la description que Robyn vient de lui faire de l’accompagnatrice à joindre pour lui proposer de passer au café.
« Y a bien une fille à qui je pourrai demander, mais ça m’obligerait à ressortir mon vieux manuel poussiéreux de drague de mes cartons… »
Il affiche un sourire un peu forcé qu’il préfère finalement faire disparaître derrière un peu de crème et de chocolat chaud.
Parler de Skylar à la serveuse le démange et en même temps, il ne sait pas s’il peut vraiment se le permettre. Après tout, même s’il a l’impression d’avoir dépassé le stade client avec elle depuis quelques semaines, Jamie se demande s’il ne s’agit pas justement que d’une impression. Robyn est une fille altruiste et elle s’intéresse à la vie de tous ceux qui s’approchent de son comptoir, ou presque. Peut-être que tout ça ne veut donc rien dire de spécial pour elle… Peut-être qu’il n’est qu’un client comme un autre, un peu plus collant sans doute.
Il se doute qu’elle l’apprécie un minimum, mais possiblement pas au point de l’écouter parler de ses problèmes de drague. Expliquer pourquoi son nez est violet c’est une chose, mais lui expliquer qu’il veut revoir la fille qui le lui a pratiquement cassé mais ne sait pas vraiment comment s’y prendre en est une autre.
« Enfin de toute manière, c’est même pas certain que je puisse venir alors… »

Il sent sa bonne humeur lui échapper lentement mais sûrement. C’est trop tôt et la journée était trop plein de belles promesses pour qu’il la laisse s’envoler comme ça.
« Sauf si tu m’suppliais. Là évidemment, si tu commençais à t’agenouiller devant moi en tirant sur mon pantalon avec les larmes aux yeux, j’aurai pas d’autre choix que de promettre de venir ! Et je tiens toujours mes promesses… »
Non, ça ne prend pas vraiment, il continue de se sentir un peu contrarié.
« Tu vas vraiment chanter ou c’est juste une perfide manœuvre pour me convaincre de venir ? Je savais pas que tu chantais » enchaine-t-il finalement en retrouvant un peu son sérieux.

Je rigole en entendant la remarque de Jamie par rapport à un éventuel élan de pitié. Je secoue la tête négativement pour lui dire que non, ça n'a rien avoir. C'était histoire que j'aie quelqu'un avec qui parler aussi pendant mes pauses ou quand je serais derrière le comptoir. Je ne suis pas quelqu'un de très très sociable. Ca fait trois ans que je suis arrivée ici et à part deux ou trois amis, je ne connais personne. Et avec Nate à l'hôpital... Jamie est plus ou moins au courant de ma situation amoureuse, bien sur, il a la délicatesse de pas en parler pour éviter que je me transforme en fontaine humaine devant lui mais il sait que les blagues et les fausses avances ne sont pas prises pour de vraies. On s'est toujours taquiné et même si la première fois qu'il m'a dragué, il était pas au courant pour Nathaniel, je sais que maintenant il le fait seulement pour me faire rire et sourire. C'est quelque chose que j'apprécie chez lui. Il a pleins de problèmes dans sa vie privée, surtout avec son frère et c'est le premier a vouloir donner le sourire aux autres.

Je vois que ma proposition lui trotte dans la tête, il est sûrement en train de faire le tour de toutes les filles qu'il connait pour savoir s'il pourrait en inviter une. Je souris tout en rangeant les tasses et autres services sales dans le lave vaisselle qu'il y a sous le comptoir. Il me parle de sortir un vieux livre de drague et je lève les yeux au ciel. « Comme si t'en avais besoin! » Jamie est un jeune homme plein de charme et surtout d'humour. Si mon coeur n'était pas déjà pris, j'aurais très facilement pu tomber sous son charme. Je ne me fais pas de soucis pour lui pour trouver une dulcinée à emmener au bal. Enfin à la soirée scène ouverte du café. Il finit par me dire que ce n'est pas sûr qu'il puisse venir de toute manière. Bon, il ne me laisse pas le choix. Je m'accoude en face de lui, mes mains jointes et lui fait mon fameux regard de chien battu que personne ne peut résister. Cette petite moue marche à chaque fois. Je bats des cils pour l'amadouer. Je finis par sourire de toute mes dents et par le redresser en voyant qu'il cogite quand même à l'idée de venir. Il me demande si comptais vraiment chanter ou si je disais ça pour l'amadouer. Un peu des deux. « Hum je crois qu'à la base c'était une technique de persuasion mais vu que mes yeux de chiens battus ont l'air de marcher, je pense que je peux t'avouer que je compte vraiment chanter si j'arriver à poser mon tablier deux minutes. » J'hausse les épaules en l'entendant dire qu'il ne savait pas vraiment que je chantais. A vrai dire à part à la maison je chante pas vraiment. C'est loin d'être un passe temps ou quoi mais quand je chantonnais à la maison, Nate avait l'habitude de me dire que j'avais une jolie voix. « Je m'en sors très bien sous la douche ou en passant l'aspirateur! » dis-je en rigolant tout en sortant un plateau. « Allez. Je sais que tu meurs d'envie de venir! Il faut que tu te lâches un peu. Et puis y aura pleins de jolies filles! Ton charme naturel opérera tout seul! »

Jamie ne peut s’empêcher de sourire en imaginait son interlocutrice en train de jouer les Madame Doubtfire, un tuyau d’aspirateur entre les mains. Il la voit faire des cabrioles sur son lit avec un plumeau et son cœur s’étreint un instant d’envie. Juste un instant puisqu’il se souvient très vite que Nathaniel n’est pas là pour profiter de ce genre de vision lui, et qu’il n’y a aucune chance qu’il surprenne la blonde en plein représentation privée pour des moutons de poussières…
Maintenant, sa vision est gâchée et il ne parvient plus qu’à voir Robyn pelotonnée dans un fauteuil en train de pleurer sur de vieilles photos d’elle et son amant.
Il essaye malgré tout de maintenir son sourire sur ses lèvres et de faire bonne figure. Il tente de se faciliter la tâche en observant le ciel mais note alors la couleur grisâtre du ciel qu’il estimait bien plus lumineux avant de passer la porte du café.
« Bon, si tu utilises la flatterie, je ne vais pas avoir le choix, petite perfide ! C’est d’accord, je serai là demain soir » acquiesce-t-il en luttant avec ardeur contre l’ennemi déprime qui tente de l’atteindre.

Une petite gorgée de chocolat tiède et un peu de chausson plus tard, il se sent un peu mieux. Assez pour pouvoir sourire avec ce petit air espiègle qui, il le sait, plait à la gente féminine. Car effectivement, il n’a jamais eu besoin d’un manuel de drague.
En revanche, un manuel sur la meilleure manière d’éviter que votre famille foute en l’air toutes vos relations sans exception ne serait pas du luxe dans sa collection…
« Défi relevé, Miss Sunshine ! Je prendrai la relève s’il le faut derrière ce comptoir, je ruinerai ma réputation en portant ce tablier ridicule, mais tu auras droit à ton quart d’heure de gloire ! Je le jure par ma montre et mon billet » déclame théâtralement Jamie en levant sa tasse comme s’il s’agissait du graal.
Evidemment, il s’attire le regard de quelques curieux et pouffe derrière sa main avant de formuler des excuses et de les inviter à poursuivre leur petit déjeuner.
« Promis, j’essaierai de pas en faire trop demain. Je te soutiendrai dans la dignité. »
Mensonge. Mensonge éhonté. Il envisage déjà de fabriquer des pancartes de soutien totalement nulles à agiter en criant comme une fangirl en chaleur quand elle montra sur la scène… Mais inutile de la paniquer dès à présent.
« Au fait, ça n’a rien à voir mais…puisque je vais presque te rendre service en venant demain… j’aurai un service à te demander. Ma nièce va fêter ses quatre ans dans moins d’un mois et je me demandais si tu pourrais te charger de concocter quelques pâtisseries pour les gosses et un gâteau. On pourrait faire ça chez ma belle-sœur ou chez moi, j’ai un four qui marche de temps en temps. J’ai promis de me charger de tout ça mais je suis loin d’être un cordon bleu alors… Si tu trouves ça un peu déplacé, dis-le, y a pas de malaise, je me débrouillerai, c’est juste que l’idée vient de me traverser et qu’on parlait de cuisiner pour des gosses tout à l’heure alors voilà » s’empresse-t-il de se justifier.
C’est tout lui ça. Il a peur de ne pas être assez proche de Robyn pour pouvoir se permettre de lui parler de sa voisine de pallier sexy, mais il lui propose directement de venir cuisiner pour sa famille… Le tout après qu’elle ait croisé son frère totalement ivre et qu’il l’ait vu pleurer les rares fois où ils ont évoqués Nate.
Lire un manuel sur la manière de gérer les relations amicales ne lui ferait pas de mal non plus, assurément.
« Je fournirai les ingrédients évidemment, tu n’auras pas un centime à débourser et tu es invité à la petite sauterie. Ca sera sûrement moins excitant qu’une scène ouverte mais on n’sait jamais... »

Je me rappellerais toujours du jour où j'ai fait comprendre à Jamie que j'étais pas vraiment disponible et qu'il a fait un gag à propos d'un petit ami trop possessif et que j'ai fondu en larmes en lui disant qu'il n'était pas possessif mais qu'il était dans le coma. C'est vrai que c'était pas très fin de sa part, mais il ne pouvait pas savoir et comme c'était au tout début du coma de Nate, j'étais très à fleur de peau dès que j'en parlais. Il avait fait une tête d'enterrement et depuis il n'avait plus vraiment abordé le sujet. Même si je gère beaucoup mieux mes émotions à ce niveau là, je préfère ne pas trop y penser pendant les heures de boulot. J'y pense déjà assez quand je me rends à l'hôpital ou que je suis seule à la maison.

J'use un peu de mon minois pour faire craquer Jamie. J'ai vraiment envie de le voir ici et ça pourrait vraiment être sympa. Faut qu'il voit autre chose que son alcoolique de frère et ses élèves. Je l'ai jamais vraiment s'amuser et je suis sûr que ça doit être marrant à voir. Peut-être que je me lâcherais moi aussi un peu un verra. Je rigole en l'entendant dire qu'il prendrait même la relève derrière le comptoir pour que je puisse monter sur scène. « Je suis sûre que le tablier rose te va à ravir! » dis-je en prenant exprès une fois de faux homosexuel. « Si je monte sur scène, soit tu m'accompagnes, soit tu tentes ta chance après moi hein! » l'avertissais-je en le pointant du doigts. Puis finalement je me résigne. « En fait non... Ca va être très dur de faire mieux en passant après quelqu'un d'aussi talentueuse que moi! » Je finis par rigoler de ma propre bêtise et continue à ranger des verres propres. Quand on dit qu'une femme peut faire plusieurs choses en même temps...

Jamie prends un air sérieux et je fronce les sourcils. Quoi? Qu'est-ce qu'il va me demander? Je m'appuie sur le comptoir et le regarde étonnée. Moi? Il est sûr? Je veux dire, c'est moi qui m'occupe des pâtisseries du café et les gens ont l'air d'apprécier mais de là à me proposer un goûter d'anniversaire. Mais sans le vouloir, je suis déjà en train d'imaginer les pâtisseries et surtout le gâteau que je pourrais faire. Je fais mine de réfléchir en me mordillant la lèvre inférieure. Je vois déjà un gâteau monté en pâte à sucre blanc avec des papillons roses, de la génoise rose, une ganache aux framboises. Un vrai truc de princesse pour sa nièce. Je baisse les yeux vers Jamie et lui sourit. « Ca me ferait très plaisir! En plus j'ai déjà pleins d'idées! Et puis t'inquiète pas pour les ingrédients, je prendrais tout d'ici. » De quoi me changer les idées! Je baisse les yeux sur la petite assiette vide de Jamie ainsi que sa tasse presque à bouts aussi. « Tu veux autre chose? »

Un sourire sincèrement ravi étire ses lèvres alors qu’elle répond de manière positive à sa requête. En plus, elle s’engage à fournir les ingrédients elle-même, ce qui arrange ses finances et lui permettra d’acheter un cadeau un peu plus classe à sa nièce qu’il ne peut gâter que trop rarement à son goût.
« Marché conclu alors ! T'es un amour »
Il se sent soulagé d’un poids et, de nouveau, le soleil semble briller haut et fort sur la ville d’Arrowsic. C’est faux évidemment et le ciel est encombré de nuages grisâtres et quelque peu menaçants, mais peu importe. De toute façon, le soleil de ce début de journée est représenté par Robyn.
« Tu veux autre chose? »
« Non, je vais m’abstenir. Faut que je surveille un peu ma ligne… J’vais peut-être même me mettre au jogging avec un ami ! Je suis pas certain que ça se combine très bien avec mes passages ici pour dévorer tes pâtisseries mais bon » réfléchit-il à haute voix avant d’hausser négligemment une épaule. « De toute façon, si je m’attarde plus longtemps, je vais finir par être en retard. Les filles comptent sur moi pour descendre le matériel tous les matins. C’est mon grand moment de virilité de la journée, avant de me transformer en arbre pour enfants ! Je peux pas me permettre de le louper, j’espère que tu comprends »
Sur ces mots, il termine sa tasse de chocolat et son chausson en vitesse, avant de s’éclipser dans les toilettes.

Lorsqu’il revient, Robyn termine de s’occuper d’un client et il patiente sur le côté, décidé à lui dire au revoir dans les règles de l’art. La jeune femme lui adresse quelques sourires tout en prenant en charge le grand type en costume qui paraît pressé, puis elle est de nouveau toute à lui.
« Si ça te va et si y a besoin, pour demain soir : je rentre du boulot, je prends ma douche vite fait et puis j’te rejoins directement ici pour aider à installer la salle ou...faire n'importe quoi d'autre » lui propose-t-il avant de se pencher de nouveau par-dessus le comptoir pour l’étreindre un instant.

Il est alors pris de l’envie difficilement répressible de la garder contre lui un moment, de la rassurer sur l’état de Nate. Il a envie de lui assurer que tout va s’arranger très bientôt, qu’elle fait bien d’y croire et qu’il admire son courage. Mais Jamie ne dit rien et s’écarte pour simplement lui adresser un petit sourire qui, il l’espère, en dira assez long sur ce qu’il pense d’elle et ce qu’il lui souhaite.
« Prends soin de toi jusque là, Little Miss Sunshine » glisse-t-il simplement avant de s’éloigner.

Evidemment, il exécute quelques petits pas de danses devant la porte pour la faire rire et exécute une courbette finale avant de filer en faisant tinter la clochette du café. Replaçant son casque sur ses oreilles, il s’éloigne en sifflotant, bien décidé à profiter de cette belle journée.