Assise en tailleur au milieu de ma chambre, je tentais désespérément de rendre son aspect initial à une vieille photographie. Cette même photographie que je cachais précautionneusement sous mon oreiller pendant les cours par peur de l’abîmer. Maintenant, elle était comparable à une feuille de papier brouillon. Je me doutais qu’un jour ou l’autre, ces garces allaient finir par mettre la main dessus. C’était à prévoir. Elles ne pouvaient pas s’empêcher de fouiller dans mes affaires dès que j’avais le dos tourné. C’était plus fort qu’elles. Je m’en foutais pas mal du bordel sans nom qu’elles avaient laissé derrière elles. Non, tout ce qui m’importait, c’était ce morceau de papier glacé que je caressais du bout des doigts, comme pour m’assurer qu’il allait bien. J’appréciais beaucoup ce cliché. Il avait été tiré il y a des années de cela, au moment où mon doudou et moi, on était encore inséparables. C’était tout ce qu’il me restait de mes parents. Ils étaient là, immortalisés par le flash aveuglant de ce bon vieux kodak jetable, souriant à s’en faire péter la mâchoire. L’aura protectrice dont ma mère m’enveloppait y était presque palpable. Je souris faiblement. De fil en aiguille, mes souvenirs me transportèrent jusqu’à mes premiers jours passés au foyer. Je me rappelais m’être installée au fond du jardin, un stylo à la main. Je leur avais ensuite écrit une lettre, choisissant mes mots avec soin. Mes parents avaient peut-être péri dans l’incendie qui avait frappé la demeure familiale, mais je restais persuadée que tant qu’il y aurait quelqu’un pour penser à eux, ils ne s’éteindraient jamais entièrement. C’est bercée par mes illusions que j’avais relié mon courrier à un ballon gonflé à l’hélium. Tous les jours, j’avais guetté une réponse de leur part. J’étais certaine qu’un beau petit matin, j’allais trouver une enveloppe au bord de ma fenêtre, ou une connerie du genre. Bien entendu, cette naïveté dont je faisais preuve m’avait portée à devenir le nouveau sujet de moquerie des gamines de mon âge. Pour elles, le fait que je n’aie toujours fait mon deuil relevait de l’impossible. Pas étonnant, sachant que ce genre de raisonnement sortait tout droit de l’esprit d’adolescentes pseudo rebelles qui avaient été placées parce que l’entente avec leurs parents était devenue impossible. Elles étaient là par choix. Je n’avais pas eu le luxe de choisir.

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