La musique Jazzy envahissait la pièce. La lumière était tamisée et rougeoyante. C'était la dernière scène qu'il devrait jamais tourner. Merci mon dieu. Il retira sa chemise et dévoila son corps lustré. Il n'était que sueur et muscles. La femme se mît en position de prière mais elle n'était pas là pour implorer Dieu. Bien au contraire. Il se concentra, exagèrant ses mouvements de bassin, la poigne de sa main et les sons franchissant ses lèvres. Alors qu'en réalité ça ne lui faisait rien. Absolument rien. Elle ne lui plaisait pas. Il la trouvait vulgaire. Mais il n'était pas mieux au fond. Loin s'en faut. La salle était envahie de gémissements à présent, des bruits simulés de satisfaction et de contentement, de claquements et d'entrechocs entre des corps huilés. Il grogna et feignit le summum du plaisir. « Et... COUPEZ ! On la garde. » Il abandonna alors le corps de la jeune femme et se dirigea déjà vers sa loge, nu comme un ver, une simple serviette entourant sa taille. Ca y'est, il avait pris sa démission. Il s'agissait là de son tout dernier contrat. Les caméras ne l'auraient plus jamais dans leurs objectifs. Du moins pas celles de l'univers du X. Acteur porno.. qui aurait cru qu'il se retrouverait là-dedans ? Certainement pas ses parents. Il était bien élevé. Il connaissait les bonnes manières et les règles de bonne conduite. Il savait à quel point il était mal vu de pratiquer ce métier. Mais au fond, il avait toujours fait en sorte qu'on ne l'apprenne jamais. Et aujourd'hui, avec l'argent amassé ces sept dernières années, il allait pouvoir accomplir son rêve et vivre de sa vraie passion : la cuisine. Il espérait voyager aussi, quitter son Espagne adorée pour un pays autre. Peut-être la France, ou même plus loin ? Il parlait plutôt bien l'anglais, ça devrait lui servir. Pourquoi pas les Etats-Unis même ? Il avait appris que s'y trouvait, son frère... non son jumeau. Il avait encore du mal à réaliser qu'il n'était pas le seul "lui" sur cette Terre en quelques sortes. Un specimen qui avait exactement le même ADN que lui vaquait à ses propres occupations quelque part ailleurs sur cette planète... la nature était tout simplement folle.

Il avait su très tôt qu'il avait été adopté. Il avait apparemment seulement quelques mois quand ses parents l'avaient récupéré et l'avait emmené en Europe, loin de ses parents génétiques qui apparemment ne désiraient pas plus d'un enfant. Pourquoi lui et pas l'autre ? Les raisons ne sont jamais nettes. Mais au fond, il s'en fichait un peu. Il n'était pas malheureux et ne l'avait jamais été au sein de sa petite famille. Ses parents adoptifs ne lui avaient jamais réellement caché d'où il venait et lorsqu'il s'était mis à poser des questions, ils y répondirent aussi sincèrement que possible. Mais à l'âge de 25 ans, Manuel voulût en savoir plus encore et fît des recherches, découvrant la richesse vertigineuse et le succès de ses parents. Il trouva même dans un annuaire l'adresse de son jumeau, Braxton. Mais il n'osa jamais l'appeler. Il n'osa jamais lui rendre visite. Jusqu'alors, ses trente deux ans. Il arrivait à un tournant de sa vie. L'industrie du X lui fermait ses portes et la vraie vie lui ouvrait les bras. Alors peut-être qu'il pourrait enfin essayer de connaître cet étranger avec qui pourtant il avait tant partagé pendant 9 mois.

Rentrant chez lui après avoir lavé son corps de tout ce sexe factice, il se posa dans son canapé, avec une bière dans une main, son téléphone dans l'autre et un répertoire ouvert sur ses cuisses. Il composa le numéro de Sawyer Braxton Shepard. Et il attendît. Il attendît que les tonalités résonnent à son oreille jusqu'à tomber sur la messagerie. Manuel raccrocha rapidement et soupira. Peut-être qu'aujourd'hui n'était pas le bon jour. Peut-être devrait-il réessayer le lendemain. Il le fît mais ne parvînt jamais à entendre la voix de son alter ego autrement que par le biais de cette messagerie répétitive. « Bonsoir, c'est Sawyer Shepard. Je ne suis pas disponible mais laissez un message et je vous rappellerai. » Rien d'autre. Et comme si au final il était condamné à ne jamais lui parler de vive voix, un jour le numéro ne fût plus attribué. Sans comprendre, Manuel rappella l'instant d'après mais il tombait toujours sur le même message. Fronçant les sourcils il raccrocha. Quelque chose clochait. Ou bien son frère avait changé de numéro et dans ce cas là, il n'y avait rien d'inquiétant. Ou bien quelque chose lui était arrivé et la ligne avait été coupé puisque devenue inutile. Il n'osa pas trop chercher plus loin pourtant. Quelque chose l'en empêchait. Apprendre une mauvaise nouvelle même concernant quelqu'un qu'il ne connaît pas ne l'intéressait pas plus que ça.

Pourtant, des semaines plus tard il finît par prendre son courage à deux mains. Il acheta un billet d'avion et décolla en direction du Maine. S'installant dans un petit hôtel il commença ses recherches. Prenant des renseignements un peu partout où il le pouvait, il en vînt même à retrouver la trace de la maison familiale. Celle où vivaient ses géniteurs. Il y passa un jour, regardant la devanture, mais il n'alla jamais sonner. Etrangement, eux, il ne tenait pas à les connaître. Ca lui importait à peine. Il voulait juste rencontrer son frère.
Durant sa quête, il trouva par hasard un bâtiment à la vente. S'empressant de prendre les coordonnées de l'agence immobilière qui s'en occupait, il le visita. L'espace était parfait. Avec quelques travaux il pourrait le transformer en restaurant, son restaurant. Et son rêve se réaliserait. Mais rien encore n'était sûr. Il fallait qu'il décide de s'installer à Arrowsic, une ville qu'il découvrait à peine. Et c'est au détour d'un kiosque à journaux qu'il découvrît la nouvelle. Le président-directeur général d'une compagnie de publicité du nom de Shepard avait trouvé la mort dans un accident de voiture violent. Quelles étaient les chances pour qu'il lise ce journal, ce jour là ? Elles étaient minces. Infimes. Mais pourtant réelles puisqu'aujourd'hui il savait où le trouver. Au cimetière de la commune.

Alors un matin, il prît un bouquet de lys blanc et il se dirigea vers le jardin des morts de la ville. Il chercha un moment le nom de son frère sur les pierres tombales. Et quand il y parvînt, son frère n'était pas seul.