« You gave me a forever within the numbered days, and I’m grateful. »
OTTAWA (CANADA) ; 2003.
Elle pleurait en silence. Ses yeux marrons foncés étaient rougis par les larmes, son petit nez aussi, elle reniflait silencieusement en passant un mouchoir sur son nez. Cachée dans son armoire, les yeux animés d'une lueur de peur et d'angoisse, la petite ne bougeait pas. Elle tremblait légèrement. Elle leva son bras pour ouvrir l'armoire mais grimaça de douleur et étouffa un grognement plaintif. Depuis sa cachette, elle entendait ses parents se disputer violemment. Des bris de verres, des portes qui claquent. Ginger posa les yeux sur son bras, où un énorme bleu commençait de se former. Des bleus, elle en avait partout où personne d'autre qu'elle ne pouvait les voir. Les bras, le ventre, le dos. Ils étaient le résultats des coups de son père, grand, fort, la quarantaine. Les femmes le trouvaient généralement séduisant, plein de charme, de qualités et surtout, très, très riche. Mais pour elle, il n'était qu'un monstre. Le monstre qui l'avait conçu et qui aujourd'hui la battait sans aucune raison, mais qui la couvrait de cadeaux en tout genre devant les voisins, les amis, la famille. À la maison, elle était une moins que rien, dehors elle était son bijou, sa fierté, son futur médecin disait-il, promise à un magnifique avenir.
Sa mère, plus jeune, la trentaine, essayait tant bien que mal de la protéger, à ses risques et périls. Elle aussi y avait droit, aux bleus, aux fractures. « Oh une malheureuse chute dans les escaliers, je suis tellement maladroite. » Et tout le monde y croyait. Le mensonge faisait partie intégrante de la vie des Miller. Il mentait, elles mentaient. Pour faire croire à leur bonheur si parfait et si envié par tous. Ariel souriait le jour, pleurait la nuit, semblait heureuse le jour, et abattue la nuit. Son père lui, le grand Thomas Miller, héritier d'un cabinet extrêmement réputé de New-York, buvait le jour, buvait la nuit, s'enrichissait à chaque minutes et n'avait d'yeux que pour ses voitures. Ginger, il n'en avait jamais voulu. Mais un enfant, une magnifique petite fille, c'est apprécié, dans le milieu. Ça fait « bien », d'être papa. Elle le détestait plus que tout mais faisait semblant de l'aimer, parce qu'elle le devait, pour ne pas se mettre en danger. Elle savait, du haut de ses treize ans, que tout ça finirait mal, un jour. Que soit elle, soit sa mère succomberait aux blessures infliger par leur monstre. Battue depuis des années, elle ne supportait pas la présence d'un homme près d'elle. Elle allait à l'école catholique, avec les sœurs. Elle avait du mal à croire que Dieu veillait vraiment sur elle, car si c'était le cas, pourquoi subissait-elle tout ces coups ? Mais au moins, pendant quelques heures par jour, elle était loin de lui, loin de son tyran. Ginger pensait avoir tout vu, tout vécu. Mais le pire allait bientôt arriver.
NEW-YORK (USA) ; 2008.
Cela fait maintenant un an que la mère de Ginger est décédée. Un an qu'elle vit un véritable cauchemar, seule face à son paternel. Un an qu'elle supporte le deuil, la perte, le chagrin. Et toujours les coups. Et les coups bas. Car il se contente plus de la frapper, il fait aussi tout pour la faire rager, pour la mettre en colère et lui faire toujours plus de mal. Ginger encaisse, sans rien dire. Thomas a décidé de déménager pour New-York après le décès de sa femme, rester à Ottawa lui,étant, soi-disant, « trop pénible, vous savez tous ces souvenirs ici... » Ginger voulait lui cracher à la figure, le frapper, lui faire du mal autant qu'il en avait fait à elle, ainsi qu'à sa femme. Vengeance. La jolie brune de dix-huit ans n'avait plus que ce mot en tête. Elle voulait lui faire payer, le faire tomber pour toutes ses monstruosités.
« Gini ma chérie, viens voir. » Elle retint un haut-le-coeur. Ces mots là sortant de sa bouche la répugnait. Pourtant, elle s'exécuta sans broncher. Son père était en compagnie d'un jeune homme, il devait avoir vingt-deux ou vingt-trois ans. Ginger fronça les sourcils.
« Oui ? » « Ginger, je te présente Nolan Harper. » Harper. Elle ricana intérieurement. Une des familles les plus fortunées de tout New-York.
« Mh mh. Enchantée. Ginger Miller. » fit-elle en tendant la main. Le contact de la main froide du garçon la glaça. Elle ne supportait pas ce contact, cette chair d'homme, cette force. Elle retira bien vite sa main et regarda son père, le questionnant du regard.
« La famille de Nolan ainsi que moi pensons qu'il serait bon pour tout le monde de... comment dire... unir nos familles. » Elle ne cilla pas. Mais son sang se figea à l'intérieur de son corps.
« Mh.. comment ça ? » « Et bien.. vous pourriez faire plus ample connaissance.. et nous pourrions envisager d'ici quelques mois.. disons maximum un an.. de fêter vos fiançailles. Nolan est un garçon charmant et plein de qualités, et c'est un Harper ne l'oublions pas. » « Surtout pas. » Son ironie était sortie sur un ton glacial, marqué de dégoût et de répugnance. Elle voulait s'échapper de là, sortir, courir, vomir, sentir éclater ses poumons et son cœur dans sa poitrine. Elle ne voulait plus. Elle ne voulait plus vivre, ne plus avoir peur, ne plus avoir mal. Mais elle ne bougea pas. Pétrifiée par la peur, par cette épée de Damoclès au dessus de sa tête. Son père ne lui ferait pas de cadeau si elle se rebellait. Elle ne pouvait rien contre lui. Rien.
« Ne t'approche pas de moi ! » fit-elle en s'éloignant vers sa chambre. Ginger marchait vite, elle ne voulait pas lui parler, ne voulait pas voir son visage.
« Ginger attends. S'il te plait. » Sa voix douce la rassura quelque peu, elle jeta un coup d'oeil derrière elle puis s'arrêta brusquement.
« Ecoute-moi bien Harper. Ok on fait semblant, ok on fait tout ce que mon père veut qu'on fasse, mais ça c'est seulement pour lui faire plaisir, et seulement pour faire « bien ». Ne me touche pas, n'essaie pas de m'embrasser, ne me dis pas de mots tendres. » Le garçon semblait surpris, il acquiesça doucement.
« Bien. » Elle avait prit son ton le plus autoritaire. Jamais elle n'accepterait qu'il la touche. Jamais.
« Je suis désolée que tu ais à faire ça. Mais tu sais, je suis sûr que tu n'es pas obligée de faire semblant. Enfin je veux dire.. il y a surement un tas d'hommes qui te courent après.. » Ginger ricana et prit son ton le plus hautain.
« Tu ne connais pas Thomas Miller alors ne parle pas de ce que tu ne sais pas. » Le jeune homme semblait de plus en plus surprit. Elle qui semblait adorer son père face aux caméras, face aux journalistes, était une toute autre personne en réalité. Nolan comprit. Elle était blessée. Meurtrie. Abattue. Juste.. Détruite.
« Laisse moi t'aider. » Ginger releva les yeux, surprise. Sa bouche s'entrouvrit et se referma. Elle ne savait pas quoi dire.
« Il semble évident que tu as de sérieux soucis avec ton père.. alors laisse moi t'aider. Laisse moi être un ami. Juste un ami. »ARROWSIC (USA) ; 2013.Ginger est arrivée dans le Maine en 2011. Deux ans qu'elle vit, qu'elle revit au rythme de ce petit village typique. Elle s'appelle désormais Ariel. Ariel Mills-Ferguson. Au revoir Ginger. Au revoir New-York, au revoir papa. Tout cela avait été possible grâce à la précieuse aide de Nolan. Il était devenu peu à peu, son fiancé en extérieur, son meilleur ami en privé. Elle avait appris à lui accorder sa confiance, et elle ne le regrettait pour rien au monde. Nolan lui avait proposé de l'aide. Elle avait accepté. Et à partir de ce moment là, ils avaient élaboré un plan, qui fut long mais qui a fini par payer. Les deux amis avaient fait tout comme leur famille leur disait de faire. Fiançailles et mariage en grande pompe, comme dans un conte de fée. Tout cela allait parfaitement dans le sens de leur famille, mais tout à fait au contraire du leur, mais peu importe. Ils profitaient de la situation. Puis vint l'heure de la lune de Miel. C'est pendant cette semaine là que tout changea. Direction les Bahamas. Ils avaient tout préparés, tous les deux, pour libérer enfin la jeune femme de cet enfer. Ils simulèrent un accident de voiture, pendant leur voyage. Ginger simula sa mort. Et partie loin. Ginger Miller était morte, tandis qu'Ariel Mills-Ferguson naissait. Ou plutôt renaissait. Nolan continua sa vie, tranquillement, mais ils étaient liés à jamais. Liés par ce secret si intense, qui ne les sépareraient jamais. Ariel demanda à son meilleur ami de garder ses distances, pour ne pas éveiller les soupçons. Ce qu'il fit. Ils avaient toujours un contact, évidemment, par internet. Il s'était chargé de tout, d'un bout à l'autre. De la création de son nouveau compte à son nouveau permis en passant par sa nouvelle identité au sein de toutes les administrations. Et Ariel peut enfin vivre sa vie.
En deux ans, beaucoup de choses ont changé. Nolan est comme son frère, ce frère qui aurait pu la protéger et qu'elle n'avait jamais eu, avant lui. À Arrowsic, dans cette petite ville, elle avait pu se reconstruire, oublier son père, oublier sa vie. Elle se consacre maintenant pleinement à sa passion de toujours, la photographie. Par contre sa peur des hommes n'a pas disparu. Elle les craint toujours autant, même si elle essaie de faire des efforts. Ce n'est donc pas un homme qui partage sa vie, mais bien une femme. Une femme parfaite, terriblement belle et qui la comble de bonheur. Sa revanche, elle l'a prise.Thomas Miller n'est plus qu'un mauvais souvenir. Et elle compte bien profiter à fond, maintenant qu'elle a retrouvé le sourire, après plus d'un an à se reconstruire et essayer d'oublier. Même si au fond d'elle, une partie sera toujours cette fille détruite et blessée, à vie.