Nous vivons tous un jour ou l’autre un évènement particulier, cet évènement qui donne un sens à notre vie.

▲▼▲▼ Le bar dans lequel je venais de rentrer était bondé. Je me frayais un chemin jusqu'au comptoir avant de m'asseoir sur un tabouret. -Je vous sers quoi ? Me demanda la serveuse d'un ton hargneux. -Une bière s'il vous plait. Elle m'en tendit une au bout d'un quart d'heure avant de retourner vaquer à ses occupations. Je bus une large rasade avant de sortir mon téléphone de ma poche. Naom, mon frère jumeau, m'appelait. Je ne savais pas si je devais répondre ou pas. Nous nous confiions toujours tout, un lien extrêmement fort et indescriptible nous unissait. Le premier souvenir que j'ai de mon enfance son visage, son sourire. Nous ne pouvions pas vivre l'un sans l'autre, nous nous étions promis de rester éternellement ensemble, mais je n'avais pas envie de l'ennuyer avec les fantômes d'un passé que je n'avais toujours pas réussi à occulter. Finalement, je laissais le portable sonner. Quelques minutes plus tard le numéro d'Ambre s'affichait tandis que mon portable se remettait à sonner de plus belle. Je me demandais pourquoi je n'avais pas encore effacé son numéro. Nous avions rompu il y a un an. J'avais quitté le Texas maintenant, et mon ancienne vie devait rester derrière moi. J'étais à Arrowsic désormais, pour soutenir Jona : ma demi-sœur. Quelques heures (et quelques boissons) plus tard la serveuse revint se planter devant moi. Elle était plutôt jolie avec son petit nez en trompette et ses cheveux qui virevoltaient partout. Elle me sourit avant de s'asseoir sur un tabouret à côté de moi. -T'as l'air d'un type qui a besoin de parler, me lança-t-elle doucement. -Non. -J'en vois des dizaines de comme toi défiler tous les jours. -Comme moi ? -Le regard vague et perdu qui essaye de ce soûler avec de la bière à 4°. -Votre métier c'est serveuse pas psychologue que je sache. Elle me lança un regard noir, lourd de sens, avant de se lever pour retourner travailler, m'ignorant royalement par la même occasion.

▲▼▲▼ Après cela, je reviens régulièrement au bar, pas tellement pour boire, surtout pour la voir. C'est ainsi qu'arriva presque naturellement le jour où nous sortîmes ensemble. C'était un mercredi neigeux de novembre. Comme tous les mercredis, j'étais venu faire un tour là ou elle travaillait. J'avais la tête appuyée contre la vitre givrée tous en l'observant servir des boissons et prendre des commandes. Le soleil perçait difficilement à travers les nuages qui hantaient le ciel laissant tomber toujours et encore la même neige. Finalement, aux alentours de deux heures du matin, j'étais toujours à ma place et elle venait de finir son service. J'allais partir lorsqu'elle s'approcha de moi. -On va ailleurs ? Je hochais la tête avant de la prendre par le bras. Nous déambulâmes quelque temps dans les rues avant d'entrer dans un fast-food. -Alors, qui es-tu, me demanda-t-elle en posant notre commande sur la table avant de s'asseoir. -Aloyan. -T'es pas très bavard tu sais ? -Et toi ? C'est quoi ton nom ? Son visage s'illumina d'un sourire radieux. -Loup. En fait pour être plus précise je m'appelle Loup-Rose Amarante Osgood. Mais tout le monde m'appelle Loup. Elle mordit alors avec conviction dans un hamburger. -Merci pour le repas, ajouta-t-elle la bouche à moitié pleine. -Pas de quoi. Et je l'imitais. Cela faisait une éternité que je n'avais pas mangée dans un endroit du genre. Avec mon ex, Ambre, il était or de question de s'attarder dans un fast-food. -Aloy ? Houhou ? Aloy ? Je clignais plusieurs fois des yeux avant de revenir dans le monde réel. -Ça va ? -Oui, merci. -À quoi tu pensais ? -À rien de spéciale. -Ça fait cinq minutes que tu regardes dans le vide et tu ne pensais à rien ? Tu te fiches de moi ou quoi ? -Je pensais à mon ex, Lily. -Donc tu as rendez-vous avec une charmante jeune fille et tu penses à ton ex. T'es vraiment trop stupide ! Elle se levait alors bruyamment avant de sortir en trombe.

▲▼▲▼ Durant un mois entier, elle ne m'adressa plus la parole. Et puis le temps a fait son office et au bout de ce laps de temps, elle a accepté d'aller au cinéma avec moi à condition que je lui parle de moi. Je ne connaissais que son nom et sa profession, mais cela me suffisait amplement. Mais elle... Elle connaissait tous les détails de ma vie. Elle avait réussi à force de persévérance à me sortir les vers du nez. Le vingt-huit décembre au soir, je suis allé la chercher chez elle. Elle m'attendant devant la porte, les joues rougis par le froid. Elle passa son bras sous le miens et nous prîmes la direction du cinéma. –Aloy ? –Oui ? –Tu me parle de toi ? -Qu'est ce que tu veux savoir ? -Tu as de la famille? –Patrick, mon géniteur, une demi-sœur et Naom, mon frère jumeau. –Et ta mère? Un souffle glacé me gela de l'intérieur. Je stoppais net ma marche, tentant vainement de cacher des souvenirs que j'avais longtemps enfouis. –Morte. –Quand ça ? –J'avais dix ans. –Elle te manque? –T'as déjà demandé à un aveugle s'il voulait voir ? –Non. –Et bien c'est la même chose. –Ce que tu peux être susceptible! J'inspirais profondément. –Patrick a quitté ma mère alors qu'on avait que trois ans, après ça j'ai arrêté de le considérer comme mon père. Mais maman est morte il y a onze ans et Naom et moi, on a été obligé d'aller vivre chez lui. –Naom ? –Mon frère. –Et ? –Rien. –T'as commencé ! Tu ne peux pas t'arrêter comme ça ! –Après la mort de maman j'ai arrêté de parler. Pendant presque un an, je suis resté muet comme une carpe... Sauf de temps en temps avec Naom. Sa mort m'a énormément blessé, je me sentais... Vide. Avec le temps, la douleur s'est atténuée et j'ai recommencé à sourire, à rire, je suis redevenue la personne extravertie que j'étais avant... Mais j'ai bien senti que les choses ne seraient plus jamais pareilles. Je pense que ça aurait été pire si Naom n'avait pas été là. Y a des gens qui cherchent leur âme sœur pendant des années, moi, j'ai eu la chance de la rencontrer dès ma naissance. C'est la première chose dont je me souviens. Le sourire de Naom. Elle me prit alors tendrement dans ses bras.

▲▼▲▼ -Naom ? Naom ? Naaaooom ? T'es où ? U.C

▲▼▲▼-C'est qui Ambre ? C'était samedi matin. Je venais juste de me réveiller et Loup dardait un regard mauvais sur mon téléphone. J'ébouriffais mes cheveux avant de l'attraper. C'était un message de Ambre. Ambre. Une vague de souvenir m'envahis soudaine, cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas pensé elle, grâce à Loup, j'avais réussi à la faire sortir de ma vie. Et voilà qu'elle revenait me harceler. Je me remémorais notre dernière rencontre. J'étais assis sur le rebord de la fenêtre, le regard fixé sur le paysage d'un blanc neigeux, sentant sur moi les grands yeux bleus voilés de larmes d'Ambre qui me scrutaient. Elle se leva finalement du canapé pour faire quelques pas vers moi et poser une main sur mon épaule. –Aloy... je suis désolée. J'étais... détruit. Durant l'espace de quelques instants, je fermais les yeux. Je tentais de me remémorer mon enfance. Je me dégageais d'un mouvement sec avant de prendre ma tête dans ma main tout en faisant les cent pas. –Comment t'as pu faire ça Ambre ? Comment t'as pu me tromper ! Je lançais soudain, presque dans un chuchotement. –Je... je n'ai pas fait exprès ! –Ah bon ? Tu n'as pas fait exprès de coucher avec quelqu'un d'autre, un de mes amis qui plus est. Elle hésita quelques instants de fondre en larmes. Je soupirais avant de ramasser mon sac par terre et de sortir en claquant la porte. Elle me rattrapa quelques pâtés de maisons plus tard en courant. –Aloy ! Aloy ! –Quoi encore ? –Je t'aime. –Visiblement pas assez. –Et... Je poussais un juron avant de donner un coup de pied dans un caillou qui s'éleva dans les airs avant d'atterrir dans le terrain vague de l'autre côté de la route. –Je... J'ai voulu me faire avorter, mais... Je n'ai pas les moyens. -Je te paierais l'avortement. –Aloy ! –Mais oubli que j'existe. Et puis j'ai fait volte face et je suis partit sans me retourner. Quelque chose s'est brisée en moi ce jour-là. –Aloyan ? –Ou... Oui ? –C'est qui Ambre ? Ambre était mon premier amour, ma première fois, mon premier baiser, mon premier tout en fait. Je fixais le message sur le téléphone. Je t'aime. Je regardais alors Loup. –Une vieille connaissance, lançais-je. Personne d'important. Je regardais fixement le message : « Je suis à Arrowic »