Je m'étais levée encore à la bourre. Il faut dire que mes insomnies se faisaient de plus en plus régulières et mes balades nocturnes avec. J'avais peut-être un peu trop bu la veille, mais dans ce trou perdu, il n'y a que ça à faire. Quand mon réveil avait sonné, je n'avais alors pas réalisé qu'il n'en était pas à sa première sonnerie. Je traînais donc les pieds, comme d'hab, et me cognais à plusieurs reprises dans le bordel de ma chambre, comme chaque matin. Le pire, c'est que je m'y retrouve là-dedans, même si cela met ma mère dans tous ses états. En même temps, je n'ai pas eu mon dernier semestre à cause de mon manque de rigueur, du coup, elle s'inquiète pour celui-ci, qui est le plus important pour que j'puisse aller en deuxième année. Je me suis habillée à l'arrache et je suis sortie sans rien engloutir : je me sentais nauséeuse, restes de la veille, sans doute. J'ai réalisé que j'étais en retard lorsque je dus courir derrière mon bus. Le chauffeur me connaissait à force, et avait déjà dû bien attendre 2 minutes pour voir si j'arrivais.

Le bus était si désert que je vérifiais la date du jour, et si on était dimanche et que j'allais consciencieusement en cours, bête que je suis ? Vendredi, rien de plus normal. Je m'assis confortablement sur un siège en plastoc, au fond, et mis mes écouteurs au volume maximum, histoire d'être tranquille si d'autres personnes arrivaient pour parler de leurs inintéressantes petites vies banales. On s'en fout que tu aies vu John hier soir, et ta pote aussi je pense. Ohlala, vous vous êtes embrassés ? Incroyable ! Pourquoi les gens sont obligés de s'asseoir au plus proche de moi alors qu'il y a largement la place dans le bus ? Petit sourire moqueur, j'oublie vite ces deux gamines devant les Montagnes Blanches, sans doute mon paysage préféré. Si j'avais eu un talent de dessinatrice, j'en aurais fait, des croquis de cette route.

Et voilà la petite université, le Arrowsic College, où j'étudie depuis quelques mois. Elle semble très chaleureuse, avec ses poutres apparentes en bois. Peut-être qu'elle l'est, puisque là-bas tout le monde se connait. Pas du tout ce que j'aime, je préférerais être dans une grande université où on garde une part de mystère et peut rencontrer plein de gens de divers coins du monde. Mais comme je ne voulais pas laisser ma mère seule, et aussi par souci économique, je suis allée dans l'université la plus proche de chez elle, où la plupart des études des habitants d'Arrowsic se terminent. Ils ont tous un objectif précis dans la vie : avocats, professeurs, traducteurs et j'en passe. Pas moi. Je sais pas ce que je fous ici, quand je vois tous ces gens. J'me sens pas chez moi. J'me sens chez moi nulle part, en fait. Je voudrais vivre de la musique, mais ici c'est impossible : on ne devient célèbre que par le piston maintenant, moi j'connais aucun musicos qui pourrait me faire grimper les échelons, et personne n'a l'air d'apprécier la bonne musique par ici.

L'amphithéâtre était déjà quasiment plein quand je suis arrivée pour le cours de littérature. Il restait quelques places dans les premiers rangs, je choisis la plus proche, pour pouvoir écouter le cours sans être déconcentrée. Il y avait un infernal boucan, et il fallait que mes oreilles tiennent le coup toute la journée. C'était la seule chose à laquelle je ne m'habituais pas : ce bruit immense, ce manque de respect qu'ont les gens au fond de l'amphithéâtre à bavarder. Qu'est-ce qu'ils font là, eux ? Encore des paumés comme moi, sauf que moi j'essaye de réussir même si j'ai pas d'avenir.