« You gave me a forever within the numbered days, and I’m grateful. »
Une affaire comme une autre ? •
(2004) Début de ma carrière. Je ne sélectionne pas réellement mes clients. Je prends ce qu'on veut bien me confier. J'ai déjà quelques affaires à mon actif mais jamais de coupables. De présumés coupables. Je ne devrait pas avoir honte de défendre ces personnes. Les avocats ont été créés pour ça, pour tenter de défendre l’être humain malgré ses fautes. J’estime que certaines personnes ont le droit à une seconde chance. D’autres, il est vrai, ne le méritent pas. Mais si je suis amenée à les défendre, je devrais faire mon boulot comme il se doit. Je ne sais pas si je pourrais me regarder en face si je devais défendre un meurtrier ou un violeur, un jour. Au fond, je n'ai pas encore été confronté à ce genre de cas. J’ai pourtant envie de les haïr, mais je devrais me forcer à ne rien montrer. En fait, je n'ai jamais été de l'autre côté de la barrière. Celui du criminel. Il sera donc ma première. Il est coupable. Un homme violent. Un homme qui a frappé sa copine. Je ne sais pas à quoi m’attendre. Je n’a eu qu’un simple résumé. Est-il ce genre de type infâme qu’on imagine souvent dans ces cas-là ? J’ai appris à ne pas me fier aux apparences. Durant mes années de préparation, j'en ai vu des cas. J'en ai vu des violeurs avec des physiques d’anges, et inversement. Cet homme-là, n’a pas la tête de l’emploi. Il a un visage doux, des yeux magnifiques, seulement, sa nervosité balaye toute la délicatesse de son physique. A-il une haine des femmes pour les maltraiter ainsi ? Ou est-ce une stupide faiblesse de sa part ? A force de dialogues coupés par ses multiples crises de nerfs, j’ai réussi à monter une défense pour lui. Malgré sa beauté, ce type est violent. Lever la main sur quelqu’un, sur sa copine qui plus est, reste quelque chose que j’ai du mal à pardonner. Même pour se défendre, se venger, je trouve ça horrible… La violence ne résout rien. Seulement, là, il est mon client. Un client violent qui a battu plusieurs fois sa copine d’à peine dix-huit ans… Mais je le défends lui, et pas elle. Le procès est arrivé vite et finalement, sa peine a été quelque peu réduite. L’amende elle reste conséquente. Tant pis. J’estime qu’il s’en est bien tiré. Il a fait quelque chose de mal et au fond, il sait qu’il doit payer. Ça se sent, il est furieux contre lui-même. Je pense qu’il a réussi à convaincre les jurés sur le fait qu’il ne recommencerait sûrement jamais. J’ai vu dans ses yeux qu’il a compris sa bêtise et j’aurais mis ma main à couper que, même si l’envie de frapper à nouveau le rongeait un jour, il ne le ferait pas.
Sept mois de prison. Et après tout ce temps, je suis allée le chercher à sa sortie. Personne n'est là. C’est alors mon rôle de le raccompagner jusqu’à chez lui. Presque aucun mot échangé, quelques regards puis, une fois devant chez lui, des baisers. Des caresses avides. Un besoin de réconfort charnel. Pas de sentiments, juste un désir profond d’être contre la peau chaude de l’autre. Voiture abandonnée, nous sommes ensuite montés et avons passé un moment intense dans ses draps qui n’avaient plus connu aucune chaleur depuis de longs mois. En repartant de chez lui, je ne regrette rien. Absolument rien. Je suis avocate mais au fond, je reste une femme et malgré ses actes, il m’a plu. Aucune envie de résister sur le moment. Aurais-je dû ? Sûrement.
Et toute une vie qui bascule •
(2005-2006) Plus le temps passe et moins j’ai de temps pour moi. Mes journées ne sont faites que de travail, travail et encore travail, presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Pas de weekend, pas de vacances. Un rythme effréné qui ne me pose aucun problème. Aucun jusqu’à ce que je me sente mal. Je n’ai même pas pris le temps d’aller consulter un médecin, pensant cela passager. Finalement, le médecin est venu me chercher. Un après-midi en pleine plaidoirie, je me suis écroulée. Urgences, analyses. Je m’attends à une grimpe carabinée, période propice à la transmission de cette maladie… Non. Rien de tout ça. A vingt-quatre ans, je suis enceinte. J’ai ri. Pendant de longues minutes. Moi qui n’ai pas eu de rapports sexuels depuis quelques temps maintenant, je suis enceinte ?
« Oui mademoiselle Wellington, enceinte, de presque six mois. » Le choc de la nouvelle m’a fait rire deux fois plus. Cependant devant l’air sérieux des médecins, je suis tombée des nues.
« mais… j’avais aucun symptôme et… » Les larmes ont remplacé les rires. Je suis perdue. Un bébé ? Moi ? Alors que je suis totalement surchargée de travail ? Impossible à gérer. Je n’arrive plus à arrêter de pleurer. Mon cerveau semble n’avoir aucune énergie et je suis tout bonnement incapable de réfléchir à l’identité du père. Que faire ? Le garder ou le faire adopter ? Comment, après l’avoir vu à l’échographie, après avoir entendu son petit cœur battre, j’aurais pu l’abandonner ? Hors de question.
« C’est un petit garçon. » De nouveau les larmes. De joie cette fois-ci. D’après les médecins, j’ai fait ce qu’on appelle un déni de grossesse. Je n’ai pas du tout imaginé que j’étais enceinte et, à part ce coup de fatigue, rien n’aurait pu me faire savoir que j’attendais un enfant. J’aurais pu aller à terme et apprendre que j’étais enceinte le jour de la naissance. Une fois consciente de ma grossesse, mon ventre a grossi, de manière surprenante. J'ai donc tout d'une femme enceinte. Je suis passée directement au sixième mois... Même si la venue de ce bébé non programmé a tout chamboulé, j’ai voulu assumer mes actes. Ce petit garçon est ma chair, mon sang. Il ne doit aller dans aucun autres bras que les miens… Après le choc de la nouvelle, j’ai pu réfléchir au calme dans une chambre. Un psychologue est venu à ma rencontre pour faire le point et tous les évènements passés de ma vie me sont revenus petit à petit en tête. Mon petit garçon est issu d’un moment d’égarement entre une avocate et son client. Ce beau mec aux yeux magnifiques qui n’aurait peut-être jamais dû me faire succomber. Seulement, il est trop tard pour regretter, trop tard pour s’en vouloir. Trois mois plus tard, ce petit est né. Sans papa. Je n’ai pas voulu le recontacter. Pourquoi ? Par faiblesse, par peur. Mais ne serais-je pas un jour obligée de le faire ?
Le dur retour à la réalité •
(2011) C’est l’été, il fait beau et Joyce et moi sommes partis tous les deux dans les Hamptons pour profiter et se détendre. Il a, à présent, cinq ans. Ce petit bonhomme est mon bonheur à lui tout seul. Malheureusement, je le sens de plus en plus soucieux. J’espère que ces vacances vont le détendre mais je me trompe.
« Pourquoi Jake est pu là… » Mes lèvres se pincent. Il est tard. Pourquoi attend-il le moment du coucher pour me poser des questions ? Il fait toujours ça… Tendrement, je passe ma main dans ses cheveux et embrasse sa joue. Jake était mon petit ami et donc, la présence paternelle de Joyce. Nous sommes restés ensemble pendant plus d’un an et Joyce l’adorait. Seulement, Jake a été muté en Chine. Nous l’avons expliqué à Joyce, longuement mais il n’a pas compris. Il aurait voulu que Jake ne parte pas, qu’il abandonne tout pour rester avec nous. Mais avec ses yeux de petit garçon, il n’a pas pu comprendre l’importance que ça avait pour Jake. Et au fond, nous n’étions sûrement pas assez amoureux pour nous priver pour l’autre. Mais comment expliquer ça à un petit garçon ? Il s’était tellement attaché à lui.
« Bébé… Le travail de Jake est très important… et… » Je soupire alors que des larmes envahissent ses petits yeux. Doucement, je m’allonge contre lui et le serre. Comment un métier peut-il être plus important qu’une famille ? Je n’en sais rien. J’adore mon métier. Mais à choisir, je n’ai aucune hésitation, je serais capable de tout abandonner pour mon fils. Il n’y a que son bonheur qui compte. Jake aurait été son papa, il serait resté, j’imagine. Mais je ne peux en aucun cas dire à mon fils qu’il ne nous aimait pas assez pour ne pas partir.
« il… où mon papa…? » Son vrai papa… Je n’en sais rien. Absolument rien. Je n’ai jamais cherché à le revoir. Peut-être est-il encore sur New-York. J’ai toujours son adresse. Dois-je vraiment aller le trouver ? En aurais-je seulement le courage ?
« papa… il… chéri… je ne sais pas où est papa… » J’ai honte et mal. Tellement mal pour lui. Il mérite d’être heureux. Il mérite d’avoir un papa aimant… Peut-être pas son géniteur mais quelqu’un qui l’aimerait tout comme… Si seulement je savais où est son père…
Arrowsic, un nouveau départ ? •
(2012) Après de multiples recherches, je l’ai trouvé. Je sais où le papa de mon garçon habite. Il m’a fallu de longs mois pour me décider mais finalement, nous avons tous les deux déménagé pour Arrowsic. Je n’ai pas dit à Joyce pourquoi nous partions. J’ai prétexté le travail. Un besoin d’aller au calme. Personne à part ma mère ne sait que je pars pour retrouver le papa de mon fils. Mettre ma carrière entre parenthèse serait un sacrilège pour les hommes Wellington. Seulement, je veux le bonheur de mon fils et donc essayer, à tout prix, de retrouver son papa. J’ai eu un poste là-bas sans trop de souci et nous voilà arrivés dans cette petite ville plutôt jolie. J’espère que je vais m’y plaire. Encore faut-il que la rencontre et les explications avec le papa se passent bien. Je ne rêve pas, je sais qu’il ne sautera pas de joie. J’imagine même plutôt l’inverse, mais je veux lui en parler. Pour Joyce. Et si rien ne marche, s’il rejette son fils, nous repartirons sur New-York… Et je m’efforcerai, au mieux, de consoler mon bébé. J’ai tellement peur qu’il souffre encore plus qu’à l’instant. C’est si dur de voir son enfant réclamer son papa presque tous les soirs et ne pouvoir l’aider. J’espère et prie souvent ce Dieu, en qui je ne crois pas, pour qu’il donne du bonheur à mon fils. Le bonheur de rencontrer son papa et surtout, d’être aimé par celui-ci… Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre pour lui parler… J’espère juste qu’il ne se braquera pas de suite… Au fond, j’ai peur de sa réaction. Il a vécu toutes ces années sans connaitre l’existence de son fils. Puis, imaginer un rejet me déchire. Qu’il me haïsse, qu’il me crache dessus, je m’en fiche. Je veux juste qu'il aime son fils...
Arrowsic, la confrontation •
(2013) J’ai eu réellement peur. Blake est tellement imprévisible que l’idée qu’il rejette mon fils ne m’a pas quittée. Pourtant il a su se montrer ouvert et leur rencontre a été inoubliable pour mon fils et moi. C’était pourtant mal parti, l’annonce de la naissance de Joyce et de mon mensonge pendant six longues années l’ont fait sortir de ses gonds. Quoi de plus normal au fond. J’espère juste que mes conneries ne gâcheront pas la relation qu’ils pourraient développer tous les deux. Mais suis-je capable de côtoyer Blake sans que les conflits ressurgissent ? La question aura sûrement sa réponse plus tard. Pour l’instant je veux que mon fils soit heureux et qu’il puisse voir son père le plus souvent possible. Je dois juste mettre de côté mon orgueil déplacé. Blake est le père de Joyce. Il ne me doit rien. Il vit sa vie. Par conséquent, je n’ai aucun jugement à faire sur ce qu’il fait lorsqu’il n’est pas avec Joyce. Après tout, s’il est irréprochable avec lui, qu’ai-je à dire ? Rien. Il peut faire ce qu’il veut de son temps libre. Pourtant, quelque chose me chiffonne. Mais je dois me contrôler. Pour Joyce.