❝ Never say goodbye
Because saying goodbye means going away and going away means forgetting ❞
J'ai toujours voulu être militaire. Mais était-ce par choix ? Mon père était militaire de métier lui aussi, il a regretté de ne pas avoir de garçon, mais mes bonnes aptitudes en sport et en self-défense l'a poussé à faire de moi – sa seconde fille -, l'héritière de sa vocation. On entrait au service de l'armée depuis trois générations, ça ne pouvait pas s'arrêter avec lui ! Et moi, j'étais si fasciné par ce père absent et avare d'affection que je me suis donnée corps et âme dans la réussite de ses ambitions. Au lycée, je faisais plusieurs clubs sportifs, j'apprenais aussi à tirer. Une fois mes études obligatoires (selon ma mère) terminées, j'ai passé mon service. C'est durant cette période que j'ai rencontré mon ex-mari.
Il s'appelait Chase, et comme mon père il était strict, distant. Beaucoup diront que si j'ai fini par l'épouser, c'était à cause d'un complexe d'Oedipe non résolu. Ils n'auront pas complètement tord. J'avais vingt ans, j'allais partir en mission pour la première fois avec lui, et lorsque de son ton sec il m'a proposé qu'on se marie, j'ai juste balbutié un « oui, si tu veux » très loin de l'image que je renvoyais aux autres. Avec Chase, tout comme avec mon père, j'étais toujours soumise, j'obéissais, sans réfléchir. En somme, c'était ce qu'on attendait de moi. Si on veut survivre à certaines affectations, mieux vaut ne pas trop réfléchir et faire ce qu'on nous dit. Penser, c'est avoir peur, avoir peur, c'est faire des erreurs. Je n'ai jamais commis une telle bêtise, la preuve, j'ai survécu.
Pourtant, les médecins disent que je souffre d'un syndrome post-traumatique des suites de ma dernière affectation en Irak. J'y suis restée jusqu'à la fin, jusqu'en 2011, j'étais des derniers à partir de là-bas. Mais je vais vous dire, je ne souffre pas à cause de la guerre. La guerre, c'est la merde, c'est dangereux, c'est dégoûtant, on n'a pas toujours sa conscience pour soi, on voit des potes mourir, mais ce n'est pas elle qui m'a fait du mal !
C'est Chase.
Je lui ai tiré dessus quand nous sommes tous les deux revenus de la guerre. J'avais d'excellentes raisons de le faire. Nous n'étions pas toujours envoyé dans le même bataillon, ni dans la même zone, alors parfois nous passions des mois sans nous voir. Je croyais qu'il me serait fidèle, après tout, nous étions mariés. Comme quoi, on peut avoir vu des choses affreuses et rester très naïf. Chase m'avait trompé avec une femme d'un village qu'il protégeait avec son escadron. Je l'ai découvert quand un des hommes sous ses ordres me l'a avoué un peu gêné. Un ami, un vrai, car dénoncer son supérieur à la femme de celui-ci, c'est très courageux.
« Lucy... n'y va pas. » Il savait que je n'étais pas dans mon état normal après son aveu. J'avais mis ma veste et j'avais pris mon arme. J'avais vérifié combien de balle il me restait dans le chargeur et j'ai ôté la sécurité. D'un coup de pied de côté, je me débarrassais de mon ami qui tentait de m'arrêter. Encore un acte très courageux. Les femmes sont en minorité dans l'armée, mais la plupart se sont imposées grâce à de grandes capacités physiques et réflexives, j'étais donc tout à fait capable de lui mettre une raclée avant de partir m'occuper de mon cher mari.
Toutefois, il leva les mains en signe d'apaisement et après une seconde d'hésitation, je le laissais sur le sol de mon couloir pour aller accomplir ma vengeance. Chase était chez des voisins pour une partie de poker entre amis. Je suis entrée sans frapper, je l'ai vu et j'ai tiré. Un reste de conscience m'a fait viser sa main et son épaule. Je n'avais touché aucun organe vital. Alors que ses amis me ceinturaient et me prenaient mon arme, j'ai souris, mauvaise. « On n'apprend pas à mordre au chien si on compte le blesser en traître. Pourriture. » De grandes phrases qui prouvent que j'étais loin d'avoir réellement perdu la tête. J'avais tiré en tout état de cause, mon seul aveuglement était celui de la colère. Après plusieurs mois de réflexion, je dirais que je m'y suis mal prise. Une femme moins habituée aux affrontements directs aurait usé d'un poison non mortel mais bien douloureux, ou quelque chose de vicieux. Avec mon arme, il a souffert sur le moment, puis il a demandé le divorce. Quand j'ai reçu les papiers, je me suis dit que j'aurais du viser le cœur, ça m'aurait éviter de payer doublement un avocat : pour lui avoir tiré dessus et pour éviter de perdre tout ce que je possédais.
Finalement, il obtint la maison et la plupart de nos biens acquis après notre mariage. Je fus renvoyée à la vie civile en guise de punition pour avoir fait usage de mon arme. Mais comme mon avocat avait fait valoir que je souffrais d'un syndrome post-traumatique du à mes années de bons et loyaux services, j'ai échappé à la prison. Après tout, mon mari ne m'avait-il pas trompé avec une femme sortie d'on ne sait où pendant que j'évitais des tirs ennemis à une centaine de kilomètres de lui ? La pitié du jury m'a aidé mais j'ai quand même tout perdu.
Presque tout. Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, mon père n'a pas été spécialement contrarié de mon renvoi de l'armée. Ou plutôt s'il l'était, il l'a caché. Il était très en colère contre Chase, considérant l'attitude de mon désormais ex-mari comme une honte pour le corps de l'armée dont il fait parti. Il a même dit devant le jury que j'eus mieux fait de lui téléphoner pour qu'il se charge de tirer lui-même sur Chase. Bien entendu, ses propos ont été sanctionnés, mais ça m'a fait plaisir. Le soutien de ma famille : mes parents, ma sœur, quelques oncles et tantes, voilà ce qui m'a permis de reprendre une vie presque normal. J'ai déménagé pour changer d’environnement, je vois toujours un psy pour « gérer ma violence » et je devrais une fois son feu vert obtenu retrouver la possibilité de posséder une arme. Une femme seule doit pouvoir se défendre, dixit mon père. Je ne sais pas encore ce que je vais faire maintenant que je ne peux plus être militaire. Autre chose. Je finirais peut-être par trouver au fil des rencontres. Pour l'instant, je vis de ma pension d'ex-militaire. Une misère, mais qu'importe. Mes parents m'ont aidé pour acheter une toute petite maison dans un quartier tranquille en se portant caution. Tout est calme ici. Je crois que je vais essayer de devenir quelqu'un d'autre... Pour commencer, je me suis teint les cheveux en blonds. C'est un début. On verra le reste plus tard !