❝ And if you're still bleeding, you're the lucky ones. 'Cause most of our feelings, they are dead and they are gone. ❞
Underco
La pulsation des basses qui résonnait dans ses tympans. La chaleur des corps qui s'entremêlaient à la sienne. L'alcool qui remontait peu à peu le cours de ses veines. De l'extérieur, on ne voyait qu'un pauvre mec titubant au milieu d'une piste de danse, ouais, peut-être ; mais James, lui, se sentait plus vivant que jamais. Ce soir-là, c'était tout ce qui comptait.
Fendant la foule sans même remarquer les danseurs qu'il bousculait, son regard fiévreux glissait dans la mer de visage, s'arrêtant parfois sur un rire, un soupire. Ils étaient beaux, les gens qu'il voyait. Il n'en connaissait aucun, mais il les aimait tous. C'était le super-pouvoir que lui donnait l'alcool : recouvrir, rien qu'une nuit, l'humanité entière d'un amour sans conditions. Ca ne changeait pas grand chose, au fond : dans quelques heures, le soleil se lèverait sur un monde toujours aussi terne.
Son regard se posa enfin sur le visage qu'il cherchait : Chris. Celui-ci se tortillait sur la piste de danse, tentant de faire la court à une jolie rousse manifestement peu sensible à ses charmes. Une chose était sûre : si James était déjà bien bourré, Chris, lui, était totalement arraché. Les rejoignant joyeusement, Bruckley posa sa main sur l'épaule de la jeune femme et pointa son ami du doigt. « Tu sais mademoiselle, je serai toi, je coucherai avec lui. » Insensible à l'expression offusquée qu'elle lui lança, il continua : « C'est bientôt une SUPER star. Il vient de signer pour jouer dans le prochain film de David Fincher. Tu connais ? » Là, le regard de la belle se transforma. Mystérieusement. « C'est moi qui lui ait décroché une place pour le casting, et je peux te dire que c'était pas du gâteau. » Il était fier comme un coq, James. Fier d'avoir réussi à mener son poulain aussi haut. Fier que la carrière qu'il s'était improvisé donne quelque chose. Fier de son meilleur pote, tout simplement. Ils allaient bientôt mener la grande vie, il en était persuadé, et ils l'avaient amplement mérité. C'était pour ça, cette soirée. Il fallait qu'elle soit mémorable.
La jolie rousse, brillant d'un intérêt soudain, demanda de quel film il s'agissait. « Oh, c'est une nana et sa fille qui restent bloquées dans une pièce de sûre... Ooooh, naaaan... » Il s'était arrêté soudainement en voyant Chris se mettre à vomir, s'octroyant quelques regards écœurés de la part des autres danseurs. Après un blanc, James se tourna à nouveau vers la rouquine. « Bon, tu veux coucher avec ou pas ? Non parce qu'il va falloir que je le ramène chez lui là » Un rire un peu idiot le secoua en réalisant que, non, son copain ne s'enverrait pas en l'air ce soir. On ne pouvait pas dire qu'il n'avait pas essayé de lui arranger le coup. Il attrapa alors son bras et le tira hors de la foule.
Il ne sut pas exactement ce qui l'avait réveillé : le mal de crâne qui lui vrillait les tempes, peut-être, ou l'odeur aigre de vomi qui flottait dans l'air. Toujours est-il que le soleil se levait à peine quand il ouvrit les yeux. Il reconnut aussitôt la chambre de son meilleur ami, parée de son désordre habituel. C'était peut-être quelque chose qui en agaçait plus d'un, mais pour James, c'était d'une familiarité étrangement réconfortante. Se redressant dans le clic-clac, il essaya de braver l'épais brouillard de son esprit pour reconstituer le fil des événements. Le contrat avec Fincher. La boite de nuit. L'alcool. La sage décision de rester dormir chez Chris pour ne pas avoir à reprendre la voiture. Oui, il se rappelait.
Son regard se posa sur Chris, allongé à côté de lui, et son visage se figea. Chris était pâle, affreusement pâle ; du vomi perlait sur ses lèvres. James sentit une angoisse sourde s'insinuer dans sa poitrine. Non, il devait mal voir. Il voyait forcément mal, parce ce qu'il croyait voir n'avait pas le moindre sens. Ouais, il fallait qu'il regarde mieux pour que son stupide cerveau lui accorde son erreur. Pourtant, il fut incapable de bouger, se bornant à regarder son meilleur pote sans oser ciller. D'un moment à l'autre, il verrait son ventre se soulever en respirant, ou Chris se retourner en grognant, et il se sentirait bien con d'avoir pu imaginer un truc pareil. Seulement, ce moment tardait affreusement à venir. « Chris... Eh, réveille-toi, mon vieux... » Tremblant de tout son corps, James tendit enfin une main vers son ami pour secouer son bras. Un sentiment d'horreur le terrassa en sentant la peau froide de Chris sous ses doigts. Il eut l'impression de sentir son cœur basculer dans l'abîme. « Non-non-non-non... » Ses poumons cherchèrent vainement à happer l'air tandis que ses larmes glissèrent sur les draps. Mais aucune de ses supplications de ramena jamais Chris.
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