L’obscurité de la nuit plongeait Arrowsic dans une ambiance calme et sinistre. Tout le monde dormait bien tranquillement, à cette heure-là. Le moindre bruit pouvait vous faire sursauter. Je marchais dans les ténèbres, sans savoir où je me dirigeais. J’avais besoin de marcher, où je le souhaitais, sans réfléchir. Mon corps se raidit. Il faisait horriblement froid dehors. Mais je continuais à marcher, le souffle coupé. Je ne savais même plus ce que je faisais. J’errais dans cette ville qui n’était pas la mienne, en attendant. En attendant que le temps passe. Je n’avais que ça à faire. Attendre. Et c’était insupportable. Je n’en pouvais plus. Je me renfermais dans un océan de morosité et de lassitude. J’attendais, oui. Mais quoi exactement ? Qu’est-ce que j’attendais au juste ? Je ne le saurais sans doute jamais. Ma vie n’avait aucun sens. J’haussais les épaules, et soupirais. Marcher. Continuer. Avancer. C’était tout ce que je pouvais faire pour le moment, tête baissée. Mais plus je marchais, plus j’avais l’impression de m’enfoncer dans la terre, pas à pas. Alors était-ce le sens de ma vie ? Marcher, et m’enfoncer, jusqu’à tomber sous terre ? M’engouffrer dans le vide, pour le restant de mes jours. Telle était ma destinée.

La lune brillait au loin dans le ciel. Je pouvais l’apercevoir maintenant, dans ce néant. Je regardais autour de moi, hasardeux. L’odeur humide des feuilles frottaient mes narines. L’odeur de la mer me titillait au loin. Et je pouvais parfaitement distinguer le bruit des vagues claquant sur les roches. « Mais t'es complètement taré. » Une silhouette que je connaissais bien se dressa devant moi. A vrai dire, je ne l’avais même pas vu, j’étais trop absorbé dans mes pensées. La réalité me revenait en pleine face. La triste réalité. Je regardais Alekseï, sans rien dire. Que pouvait-elle bien faire ici ? Visiblement, elle était seule, elle aussi. Je m’assis à côté d’elle, allumant une cigarette au passage. « C’est toi qui est tarée, oui ! Qu’est-ce que tu fais au bord des falaises ? Tu veux te suicider, c’est ça ? » lui demandais-je, d’une voix négligée. Mes jambes flottaient dans le vide. A tout moment je pouvais tomber, pour toujours. Je crois que ça aurait arrangé tout le monde. Que je tombe. C’était ce que tout le monde attendait. J’aspirais la fumée, avant de poser mon regard sur Alekseï. Elle avait un charme qui me rendait fou. Elle dégageait quelque chose de spécial. « Tu fais quoi ici ? » Je soupirais, avant de lui répondre doucement : « J’en sais rien. » Mon regard se perdit au loin. La nuit était belle. Et maintenant que j’étais avec Alekseï, elle me paraissait moins sinistre. « Je crois que je me sentais un peu seul. » avouais-je alors. J’haussais les épaules. J’étais constamment seul. C'était devenue une habitude, maintenant. Une habitude qui me soulevait le cœur. « Et toi ? » lui demandais-je. Sa présence me rassurait. J’aimais sa présence. A ce moment-là, elle m’était vraiment utile. Elle me faisait sentir moins seul, face au vide. Même si ce n’était qu’une sensation, cela remplit mes poumons d’espoir.

Spoiler:

« Oh zut, je suis démasquée, tu serais pas un petit futé par hasard ? » Son ton froid me rendit perplexe. Je la regardais un instant, avant d’hausser les épaules. Alekseï était comme ça. Son corps brûlait d’une froideur inébranlable. Toutes les parcelles de son corps avaient le don de me glacer le sang. Dans ses yeux on pouvait voir des lacs gelés tournoyant autour d’un trou inconnu. Alekseï était la représentation humaine d’une glace. Même son nom respirait l’austérité. C’était ce qu’elle était : un pic de glace. Un pic de glace qui brûlait mon estomac et qui faisait remonter mes pulsions les plus ardentes. Elle représentait un paradoxe à elle-même. Et c’était ça que je trouvais extrêmement fascinant chez cette fille. Je ne répondis rien, préférant laisser planer le silence glacial qui s’était installé entre nous mais qui enflammait tout mon être. « T'en veux ? » me dit-elle finalement, au bout d’un moment. Je la regardais, un air détaché dans les iris. J’étais tellement fascinée par tout le charme qu’elle dégageait, que j’en avais oublié les mots. « Profite s'en, je suis pas toujours généreuse ainsi moi. » Son rire austère manqua de m’arracher la poitrine. Ce rire était si agréable à mes oreilles. Il sonnait comme une douce mélodie. Une mélodie qui donnait la chair de poule. Je regardais longuement l’objet en verre qu’elle tenait fermement entre ses mains froides, avant de l’empoigner et la finir d’une traitre. « Merci. » soufflais-je, avant de reposer la bouteille sur l’herbe humide. Un frisson parcourra mes épaules. Toutes les parcelles de mon corps étaient gelées. Pourtant, je bouillonnais de l’intérieur. Je bouillonnais face à cette silhouette si gracile et mystérieuse.

« Je crois que t'as plus à te sentir seul, nous sommes désormais deux dans le même bateau. » J’hochais la tête. C’était étrange de parler ainsi avec quelqu’un. En général, ces pensées-là, je les gardais pour moi, je les gardais au fond de mon cœur, parce que ce n’était pas important, parce que ça n’intéressait personne. Pourtant, quelque chose me disait que je pouvais me confier à Alekseï. Du moins, un petit peu. De toute façon, elle ne me jugeait pas. Mais elle n’avait pas non plus à tout savoir. En fait, ce qui était étrange, c’est que nous étions en train de parler, chose que nous ne faisions presque jamais. « Ouais. » dis-je, en guise de réponse. Que pouvais-je bien répondre ? Je ne ressentais pas le besoin de parler. Je n’en avais pas très envie, en fait. Parfois, le silence valait mieux que mille mots. « J'avais besoin de sortir, de faire le point sur a peu près tout et rien. J'imagine que comme toi, je me sentais seule et maintenant que j'y pense, je comprends pas en quoi venir ici peut apaiser la solitude. C'est morbide cette falaise, ça ne fait qu'empirer les choses. Non ? » Sa voix me transporta dans les fins fonds des montagnes brutes, laissant une légère brise glaciale dans mes oreilles. Et j’aurais pu l’écouter pendant des heures, tellement cette sensation était agréable. « Tout est morbide ici. » dis-je, d’une voix calme et posée. Je me laissais finalement faire, m’allongeant à ses côtés, à mon tour. Les étoiles dominaient sur nos visages, mais tout ce que je voyais, c’était le sien. Son beau visage de poupée. « Ça t'arrive de te demander si il y a pas d'autre vie ailleurs ? Genre, pas sur terre ? » Je réfléchis pendant quelques minutes, laissant sa respiration coupée bercer mes pensées. « Je crois. Je pense qu’on a tous rêvé d’un autre monde. Un monde à nous. Un monde avec une autre vie. Un monde où tout irait bien. Un monde parfait. Un monde utopique. » Ce dernier mot résonna dans ma voix amèrement. A force de rêver, on décrochait de la réalité. Et ce n'était pas le mieux à faire. « Mais bon, on sait tous que ce monde n’existe pas. » dis-je, mettant fin à toute possibilité de rêverie minable.

« Faut croire que c'est la vie. » Je soupirais. Elle savait placer les bons mots au bon moment. Elle avait aussi le don de me plonger dans un silence infernal, durant lequel mes pensées les plus sombres s’agitaient follement. Je n’osais rien dire. J’étais trop envouté par cet endroit angoissant et par la voix froide et franche de ma camarade. « Et il n’existeras jamais ce monde Jay, te fais pas d'idées » Je lui lançais un regard noir, même si elle ne me voyait sans doute pas. Elle avait brisé mes paroles d’un ton sec et dur, non sans venir me perturber. Du même ton, je répondis : « Je sais. » mettant court à la conversation. Il faut croire que parler n’était pas vraiment un don inné chez moi. C’était plutôt le contraire d’ailleurs. Voilà pourquoi je m’abstenais d’ouvrir la bouche inutilement, à longueur de temps. C’était mieux pour moi, et pour les autres. « Tu voyais pas machin truc, la blondasse qui te sers de meuf ce soir ? » Je savais très bien de qui elle parlait. Elle parlait de Sharly. Ma Sharly. Tout le lycée avait fini par être au courant à propos de nous deux. Et j’étais presque certain que les rumeurs fusaient à notre sujet, mais je m’en fichais. Complètement. Car cela n’était que futile par rapport à ce que je vivais avec elle. Mon cœur lui appartenait. Et ce, pour toujours. J’en étais convaincu. Peut-être trop. Le fait qu’Alekseï parle de cette façon de Sharly ne me laissait pas indifférent. Loin de là. Mais Alekseï était frivole et insouciante, et elle se fichait pas mal de blesser les gens ou non. Du moins, c’était l’impression qu’elle me donnait. « Tu vois bien que non. » dis-je, imitant une voix plutôt évasive. Je ne voulais pas m’attarder sur ce sujet. Il était beaucoup trop personnel à mes yeux. Et Alekseï n’était qu’une fille de plus, une fille certes très belle, mais pas une fille à qui je pouvais me confier. Une fille avec qui je pouvais passer un bon moment, même si certains traits de son caractère m’irritaient parfois.

La nuit plongeait doucement sur nos épaules. Le ciel semblait vaste et incroyablement grand. Mes yeux étaient rivés vers cette éternité qui n’en finissait plus. « Remarques, je m'en fiche. » Je mis quelques temps à entendre la voix froide d’Alekseï. Était-elle encore consciente de ce qu’elle disait ? Il n’y avait pas de sens. On ne posait pas de question sans porter un intérêt quelconque, même minime. Mais je faisais comme si je m’en fichais. C’était sans doute l’alcool qui la rendait aussi incompréhensible. Je posais mon regard sur elle. Ses traits fins se dessinaient dans l’obscurité, et la lune éclaircissait quelques parcelles de son visage. Elle avait quelque chose de spécial. Elle avait un charme atypique et déroutant, qui me plaisait étrangement. « Je ne te comprends pas. » dis-je, presque inaudible. La nuit pesait lourd sur mon esprit et me faisait divaguer. « Mais tu es tellement belle, même sous cette obscurité. » Les mots se mélangeaient sur ma langue et s’évadaient dans mon esprit. Je n’avais plus la force pour parler. Tout ce que je voulais, c’était profiter de la sublime créature qu’était Alekseï. Juste ça. Du bonheur à l’état pur et vif. Alors je m’approchais d’elle doucement, avant de lui voler un baiser langoureux.