Le réveil avait été atroce, pour ne pas dire horrible. La peste qu'était Charlie s'était encore levé aux aurores pour gazouiller et chantonner, question d'être un peu plus chiante avec moi, sa manière à elle de pourrir mon existence. J'avais pourtant bien tenté de rester au lit, de faire la grasse matinée, mais en vain. Une fois les yeux grands ouverts, je n'avais pu retrouver ce sommeil, tous ces rêves. (...) « T'as de la chance que je t'aime toi. » Marmonnais-je en passant doucement ma mains dans les cheveux de la gosse. Assise dans sa chaise, attendant patiemment son petit déjeuner, la jolie souriait tendrement, gigotant sur place comme si elle nous offrait un grand spectacle de danse. Impossible de résister à sa belle bouille. Jamais je n'avais été une grande amoureuse des gamins, ils m'énervait, me rendait malade, j'étais incapable, mais avec Charlie, c'était complètement différent. J'aimais cette petite chose qu'elle était, ses petits sourires innocents, ses grands yeux émerveillés devant ce monde. « Tiens, si c'est pas ma soeur que j'aime tant. » Mon ton semblait froid et monotone, comme chaque matins où j'étais contrainte de me lever tôt. Mais n'empêche que c'était vrai, la pure vérité. J'aimais Iris, elle était tout ce qui me restait, ma seule famille et même si parfois elle m'énervait, même si j'avais des envies de partir loin lorsqu'elle jouait les mères trop protectrices, je ne voyais pas ma vie sans elle.

« T'as prévu quelque chose aujourd'hui ? » Je me posai sur le canapé, le regard perdu sur le ciel nuageux. Fixée dans les nuages, je ne pouvais m'empêcher de soupirer devant cette triste température. Trois jours que la pluie tombait, trois jours que le soleil ne s'était pas pointé et bien que je n'étais pas amoureuse de ces grandes journées chaudes et trop ensoleillés mais trop de pluie ce n'était certes pas mieux. « Personnellement, moi je passe la journée ici et j'ai pas trop envie d'être seule alors au diable la ballade de Charlie, de toute manière il pleut. » J'étais d'une habitude si solitaire, du genre à pas avoir besoin de compagnie et va savoir pourquoi, ces derniers temps, j'avais un besoin fou d'être entouré, comme si la solitude en était venu à m'effrayer. Comme si chaque fois que je me retrouvais seule, j'en venais à penser et quand j'en venais à penser, la nostalgie m'envahissais et rendu à ce point, c'était horrible. Je revoyais ces souvenirs, ce mauvais temps où nous n'étions pas encore à Arroswic moi et Iris. Le menton posé sur les mains, je continuais amèrement de fixer la rue complètement vide, espérant voir un truc hors du commun arriver, mais en vain. « Il se passe jamais rien dans cette ville à la con. »

Comme tous les matins, Charlie me sauta dessus aux aurors pour me réveiller. Elle était bien du matin et ne tenait de toute évidence pas de moi. C'était dur, mais j'aimais me faire réveiller par mon petit bout de chou. Je détestais le bip bip du reveil, ça m'incitait plus à me recoucher qu'à me lever. C'était mon petit rituel du matin, la jolie Charlie, deux ans, petites boucles blondes et yeux bleu qui me regardait en me secouant. « Maman maman, véveille toua ».

N'ayant pas des moyens exorbitants, je vivais dans un petit appartement qui comptait 4 pièces. Il y avait deux chambres. J'avais décidé de laisser la deuxième chambre à Alekseï et de partager la mienne avec la petite Charlie. Je faisais mon possible pour occuper ma petite fille débordante d'énergie pour ne pas qu'elle réveille Alekseï. Malheureusement, à chaque fois que je la quittais des yeux ne serait-ce qu'une seconde elle filait dans sa chambre et se dépêchait de réveiller "Tati" - c'est comme ça qu'elle appelait Alekseï - qui n'était pas toujours ravie de se voir octroyer sa grasse matinée.

En fait Charlie adorait ma soeur, je me disais parfois qu'elle était son modèle. Parfois, elle essayait de marcher comme elle, d'utiliser les rares mots qu'elle connaissait pour imiter sa façon de parler, elle volait ses affaires; ses chaussures surtout. Elle mettait ses petits pieds dans ses talons aiguille et tombait à la renverse quelques secondes après.

Comme chaque matin, Alekseï vint nous rejoindre à la cuisine - qui servait aussi de salle à manger - les cheveux tout ébourriffés, les yeux entreouverts et le ton lassé.
Je m'approchai d'elle et l'embrassai sur le front. Que ferais-je si elle ne m'avait pas accompagnée dans notre fuite familiale ? Elle était la soeur que n'importe qui rêverait d'avoir et la meilleure amie que je n'aurai jamais. Malgré nos quelques années de différence, nous entretenions une relation des plus fusionnelles. Je ne me voyais pas sans elle. C'était ma soeur, mon sang.

Je regardai par la fenêtre, c'est vrai qu'il pleuvait. Charlie, débordante d'énergie ne tiendrait jamais la journée à ne rien faire. Il fallait la fatiguer un peu, l'occuper tout simplement.
J'eus une idée. « Je pensais qu'on pourrait finir de s'installer, déballer les derniers cartons et installer la console de jeu qu'on a acheté l'autre jour. »
Alekseï semblait perdue dans ses pensées, même un peu déprimée. Elle était souvent comme ça depuis notre arrivée, j'avais l'impression qu'elle avait du mal à s'intégrer et à se faire à sa nouvelle vie. J'espèrai que tout cela changerait vite.

- Je pensais qu'on pourrait finir de s'installer, déballer les derniers cartons et installer la console de jeu qu'on a acheté l'autre jour. Reposa mon regard sur Iris, je me contentai de hocher légèrement la tête. Je n'avais pas envie de défaire ces cartons, d'officialiser notre aménagement à Arrowsic, mais à quoi bon les laisser emballés. Puis de toute manière, c'était beaucoup mieux que de ne rien faire. Tout en m'étirant, je lançai un futile regard à Charlie. Malgré la pluie, le ciel gris et le froid qui semblait s'être doucement installé dehors, elle n'avait pas perdue ce sourire, cette innocence et je ne pouvais faire autrement que de l'envier. - Ouais, ça me semble être une bonne idée. Déballons ces derniers cartons. Et puis j'en connais une qui va y trouver un malin plaisir à mettre son petit nez partout. Je désignait ma nièce d'un coup de tête avant de sourire légèrement. - D'ailleurs, tu aurais pas vu ma paire de chaussures que j'ai acheté la veille de notre départ ? Les noirs. J'arrive plus à les trouver et étrangement, je soupçonne ton petit monstre. Paresseusement, je me levai et vint prendre place à l'une des chaises, la plus près de Charlie. Malgré tout, j'étais incapable d'en vouloir à cette petite bouille, même si elle me piquait toujours mes chaussures pour les cacher je ne sais où. - Alors, aujourd'hui on va fouiller dans les trucs de maman, pour faire changement qu'est-ce que t'en dis Chacha. Je grimaçai avant de passer doucement ma main dans ses cheveux.

Nous étions arrivés ici depuis peu et déjà, j'avais le mal de la ville. Mon chez-moi ne me manquait pas en tant que tel, je ne m'ennuyais certes pas de ma génitrice et il était de même pour la moitié des habitants du Texas, mais ça me manque tout de même, d'un certain sens. Je n'étais pas habitué à cette petite ville où nous étions atterris. Les gens étaient tous différents de ce que j'avais pu connaître et que dire du lycée, une horreur. J'avais eu la chance, ou malchance de rencontre quelques personnes et rares étaient ceux qui avaient eu un effet positif sur moi. Si ce n'était de Lola et Jay. Les autres, ils me puaient au nez, y compris cet abrutit de Keny. Ce crétin de première que j'avais fais l'erreur d'embrasser lors d'une soirée. Depuis, il ne cessait de me hanter, de me traverser l'esprit à toutes heures du jour et de la nuit sans même que je puisse le contrôler. - Je vais m'habiller, tu veux bien me mettre deux pains dans le grille-pain s'il te plait ? Il était rare qu'une envie de manger me prenait le matin, mais à comprendre, ce matin était différent. Ça me prenait quelques fois. Je me levai, les yeux encore fatigués et me dirigeai vers ma chambre, mon petit sanctuaire si on veut. Bien que très simple et peu décoré, pour l'instant, cette pièce était mon endroit préféré de l'appartement. J'aimais m'y retrouver pour réfléchir, pour avoir la paix et pour fumer en paix à la fenêtre sans subir les reproches de Iris. L'envie de me recoucher au ventre, je me rendis à ma garde-robe et attrapai les premiers morceaux que je trouvai. Soit une paire de slims noirs et un vieux camisole grise. Quoi de plus simple pour une journées des plus simples. (...) - Tu as eu des nouvelles de maman depuis ? Marmonnais-je tout en prenant nouveau place sur la chaise, cette fois mieux vêtue. J'étais un peu curieuse, certes. - Non pas que ça m’intéresse, après tout ça doit lui faire plaisir que nous soyons parties. Je lui offris un sourire ironique avant de m'attaquer aux deux tranches de pain qu'elle venait de déposer devant moi, un regard réprobateur au visage. Je savais qu'elle était d'accord sur un point, mais elle détestait lorsque j'en parlais ainsi. À croire qu'elle était convaincue de manquer à notre mère. - Fais-moi pas ce regard, tu sais très bien que j'ai raison. J'osai un petit sourire.

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Alekseï semblait aprouver l'idée, elle hocha la tête. Pourtant, elle restait neutre, elle ne parlait pas beaucoup et de montrait pas tellement d'entousiasme. J'étais certaine depuis le départ que cet emménagement à trois était un bonne idée et que ce serait bénéfique pour chacune d'entre nous. J'étais certaine que je serais capable de m'occuper de ma petite soeur mieux que n'importe qui d'autre, mieux que ma mère en fait. - Ouais, ça me semble être une bonne idée. Déballons ces derniers cartons. Et puis j'en connais une qui va y trouver un malin plaisir à mettre son petit nez partout. Charlie se mit à rire à la remarque d'Alekseï. Elle était peut-être haute comme trois pommes mais pourtant elle était déjà très maline. - D'ailleurs, tu aurais pas vu ma paire de chaussures que j'ai acheté la veille de notre départ ? Les noirs. J'arrive plus à les trouver et étrangement, je soupçonne ton petit monstre. C'est vrai que Charlie est du genre à mettre son petit nez un peu partout, mais comme j'étais très prévoyante et que je savais qu'Alekseï avait dépensé une petite fortune dans ces chaussures j'avais pris soin de les mettre hors de portée de mon petit monstre, comme disait ma soeur. - Pour une fois elle n'y est pour rien, je les ai caché. Dis moi quand tu en auras besoin, je te montrerai ma cachette. Pendant que je préparais le petit déjeuner, je regardais Alekseï qui s'amusait avec Charlie, toutes les deux elles étaient ma seule famille. J'étais fière de la manière dont ma fille s'en tirait. Elle avait à peine pointer le bout de son nez qu'elle était déjà entourée de problèmes. Tout comme moi elle n'avait pas de père et sa grand-mère était une vieille femme égoïste. Heureusement pour elle, il y avait Alekseï. Elle et moi, depuis toute petite on a toujours été proche. Dans un climat familial aussi instable on était bien obligées de se serrer les coudes. Ma petite soeur, c'est bien la seule personne qui m'a toujours soutenue et je ne sais pas ce que je ferais sans elle.
Je divaguai dans mes pensées au point de faillir brûler les toasts d'Alekseï. Le petit bipbip strident du minuteur me sortit instentanement de mes pensées. Je disposai les toasts dans une assiette que je plaçai sur la table. Charlie réclamait son "yogou" que je lui apportai dans la seconde. Nous étions toutes les trois à table, il était temps de déjeuner. - Tu as eu des nouvelles de maman depuis ? Je me mis à réfléchir quelques instants, elle avait bien envoyé ce petit SMS l'autre jour pour dire qu'elle ne nous aiderait pas financièrement. Je devais me débrouiller toute seule à présent et cela n'allait pas être facile. - Non pas que ça m’intéresse, après tout ça doit lui faire plaisir que nous soyons parties. Je soupirai, Alekseï avait raison et c'était bien triste. Comment une mère pouvait ressentir un tel désinteressement pour ses enfants ? Depuis que j'avais Charlie, j'avais encore plus de mal à comprendre. Elle était tout pour moi, je l'aimais. - Rien de très intéressant, elle n'a pas changé en tout cas dis-je tout en lançant un regard mauvais à ma petite soeur sans le vouloir vraiment. - Fais-moi pas ce regard, tu sais très bien que j'ai raison. Je baissai les yeux. - Je crois que j'aurai toujours l'espoir qu'elle change... Je suis trop naïve marmonai-je si doucement que seul Alekseï pouvait entendre. Les temps futurs allaient être dur. J'avais un loyer à payer, la nourriture et les vêtements de deux demoiselles pour un misérable salaire. Je me défoncerais au travail et ferais tout pour être augmentée, s'il le fallait, je ferais des heures sup' en tant que serveuse dans le bar du coin. Je ferais toujours tout pour mes deux amours, elles n'auront probablement jamais une vie parfaite, idéale, mais je ferais tout pour la rendre belle.

« Pour une fois elle n'y est pour rien, je les ai caché. Dis moi quand tu en auras besoin, je te montrerai ma cachette. » Je souris, heureuse de ne pas avoir perdu cette paire. Je n'étais pas riche, je ne roulais pas sur l'or et aussi matérialiste pouvais-je avoir l'air, je tenais à mes choses, énormément même et je détestais lorsqu'elles disparaissaient, souvent par la faute de ce petit monstre que j'aimais plus que tout. « Super. Pour l'instant ça va, je compte pas sortir alors elles peuvent bien rester où elles sont, merci. » Je lui souris, cette fois plus d'humeur. « Rien de très intéressant, elle n'a pas changé en tout cas. » Étrangement, rien ne me surpris dans ses paroles. Elle n'avait pas changé et elle n'allait certainement jamais changé. C'était une femme froide, une femme que je me permettais de qualifier comme étant pathétique et encore une fois, ça non plus ça n'allais jamais changé. Point à la ligne. Avec le temps, j'en étais venu à m'habituer, à très bien avec le fait qu'elle n'allait jamais être réellement présente dans notre vie. Depuis que j'avais pointé le bout de mon nez, elle avait toujours été si distante avec moi, comme si j'étais la responsable de tout, comme si en me détestant, elle comptait faire revenir notre père. Attrapant la tartine dans mon assiette, j'y mordis sans réelle conviction. J'avais perdu tout appétit, toute envie de manger, tant pis. « Je crois que j'aurai toujours l'espoir qu'elle change... Je suis trop naïve. » Certes elle l'était, complètement même mais était-elle à blâmer ? Pas le moindrement. Iris avait toujours été du genre à garder la tête haute, à ne jamais baisser les bras et ce n'était pas mal, même si ça tournait parfois autour de la naïveté. Question de la rassurer, je souris. « Peut-être, ouais t'es peut-être un peu naïve Iris mais en quelque sorte, ce n'est pas une mauvaise chose. En ce qui me concerne, je ne le suis pas assez, c'est con non ? Un rien me fait baisser les bras, j'abandonne toujours trop tôt et arrêter de croire en tout alors que toi non, tu ne cesses de croire au fond de toi. Maman ne risque pas de changer, c'est évident, mais que tu ne gardes la tête haute malgré tout, c'est un signe de force, pas de faiblesse. » Les gazouillis de Charlie vinrent interrompre ce message et tout en éclatant de rire, je m'approchai de la petite pour lui ébouriffer les cheveux. Ils étaient mes deux soleils, les deux seules raisons pour lesquelles ça valais la peine d'être heureuse.

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