→ 15 ans. A la sortie d‘une discothèque. Arrowsic, Maine, USA. Avec un bel inconnu. 04h38

« Eh Jeza chérie, t'as pas vu la vodka?» « Non. Je l'ai bu. » « T'as tout fini ? » « La bouteille vide, je suppose que oui.» « Pochtronne, on va finir minable.» « On l'est.» « Tu viens on va chez moi.» « Non. » « Pourquoi ? » « Ptain, j‘tai déjà dit que j‘allais pas coucher avec toi t‘es sourd ?! » « Pourquoi. » « J’suis pas une pute. » lâchai-je sèchement. Non je ne suis pas une pute, je ne le serais jamais. Jamais de la vie je ne vendrais mon corps mutilé même si mon prénom signifie le parfait contraire de ce que je scande présentement. C’était cash, simple, net, direct. Mais, pourquoi insistait-il alors ? Pas la peine de la jouer ‘gros lourd‘. J’ai mal à tête. J’connais même pas ton prénom pauv’ type, heureusement que t’es plutôt pas mal dans ton genre sinon je ne serais certainement pas assise à me saouler à tes côtés. Profite plutôt. « Aie » Migraine de merde, ca recommence. Elle me cisaille la tête. Vindicative. Je porte une main à mon front. Le revers de la médaille…la voilà. Mon mal de crâne me transcende cette foutue boite crânienne et, à ce moment, juste là, je regrette d’avoir pris tout ce que j’ai pu avaler, et ne rêve que d’une aspirine.

→ 16 ans. Chez un psy. Arrowsic, Maine, USA. 14h.

« Bon…Euh…et bien, Jezabel ... Je peux vous appeler Jeza ou Arté n'est-ce pas ? Tout vos amis, m’as-t-on dit, vous appellent comme cela non ? » commença le psy mal à l’aise en affichant un sourire crispé. « A vrai dire je préfère « maitre » ou « déesse » et non vous êtes pas mon ami donc ce sera Jezabel Artémis Roseburry » répondit la demoiselle d’un ton las. En effet, elle n’en était pas à son premier rendez-vous avec un psy, et là, elle commençait sérieusement à en avoir ras le bol. « Hum, d'accord. Donc, vous êtes ici parce que vous menez une vie quelque peu ... excessive, qui mettrait en danger votre équilibre psychologique et physique. Et que… le contexte familial dans lequel vous évoluez a été estimé… dangereux » continua-t-il en choisissant bien ses mots. « Hmm… Ah bon ? Je n’étais pas au courant. Ma vie est parfaite. Tout bonnement parfaite… » répondit-elle avec un sourire mauvais, tout en se callant un peu plus confortablement dans son siège et commençant à fixer la fenêtre distraitement. Son père ? Rien que d’y penser, elle en frémissait. Elle eut une sorte de spasme musculaire qu‘elle réprima, déglutit discrètement, sentant la chaleur presque cuisante qui s’émanait de sa cuisse meurtrie. S’il savait. S’il savait comment son corps avait été maltraité, s’il savait comment sa peau de porcelaine avait été marqué d’hématomes tous plus grand les uns que les autres, comme si le but avait été de transformer la couleur de sa peau en une plus foncée, plus sombre, tout simplement: violâtre. De violentes bribes d’images et de souvenirs se mêlèrent pour embrouiller son esprit, cependant, elle réagit avant, secouant vigoureusement la tête pour les chasser. Quant à sa mère…non rien. Là n’était pas le propos. Si ses géniteurs avaient été moins alcooliques, dépressifs, suicidaires et déprimés alors peut être qu’elle aussi aurait été plus saine d’esprit. Mais non, raté. Et, maintenant, par leur faute elle se retrouvait là, devant un inconnu qui lui posait des questions indiscrètes sur sa vie. Ce n’était que maintenant qu’on se souciait d’elle. Où étaient-ils tous; ceux qui prétendent vouloir l’aider à présent affichant une mine désolée et la bouche en cœur; lorsqu’elle se trainait lamentablement au sol, à moitié inconsciente pour échapper vainement à son père ? Où étaient-ils lorsqu’elle ne sentait plus aucun de ses membres et qu’elle hurlait désespérément à l’aide voire implorait qu’on lui porte secours ? Où étaient-ils lorsque ses prunelles, autrefois pleines de vie, se retrouvaient comme vidés de toute essence, et qu’à travers ceux-ci on ne percevait plus rien, pas même une âme humaine ? Et, maintenant, oui maintenant, qu’on l’avait envoyé aux urgences dans un état critique, qu’elle avait frôlé la mort après avoir été rouée de coups, qu’on s’était défoulée sur cette frêle enveloppe, on souhaitait l’aider. Ca n’allait certainement pas se passer ainsi. Oui, elle en gardait un sale gout âcre, profondément amer en bouche. Jezabel n’en avait que faire. Elle ne voulait rien, elle n’attendait plus rien de personne, elle ne désirait rien, hormis qu’on lui foute la paix une fois pour toute. Et, la belle avait déjà une petite idée de comment obtenir cette paix. Soit. Puis elle commença à détailler sa ignominieuse apparence: moustache grisonnante qu’il ne cessait de tripoter nerveusement, un regard fuyant, une chemise complètement à côté de la plaque, le pantalon…Ok, ce n’était même pas la peine d’aller plus loin. Sans compter cette attitude moralisatrice et paternaliste qui était tout bonnement pathétique ! De toute façon, il était confronté à un mur, un mur bien solide, car il était tout bonnement hors de question qu’elle raconte ne serait-ce que comment s’est-elle débrouillée pour arriver jusqu’à son cabinet miteux. Jezabel tenta de contenir son dégout pour ce type alors qu’il s’acharnait à la reluquer en quête d’une souffrance cachée ou… d’autres choses…PERVERS ! Tous les mêmes. Pourtant, elle ne lui avait rien promis en retour de ce rendez-vous assimilable à un calvaire.. Et puis qu’est-ce qu’il avait à lui afficher ce regard de chien battu en quête de réponses.. La blonde peroxydée recommença à le fixer de manière froide voire assassine.
« Je crois que nous sommes partis du mauvais pied tous les deux. Reprenons à zéro voulez-vous ? » dit-il en tripotant sa moustache et rajustant ses lunettes. « Désolé mais y’a pas de "nous deux" qui tienne babe. Évite de l’oublier la prochaine fois. » lâcha la demoiselle en passant une main dans sa chevelure blonde. « Euh. Bien. Jezabel Artémis parlez-moi un peu de vous. Qu'est-ce qui vous motive dans la vie ? Vous devez avoir d’autres passions un peu plus…saines, diront-nous ? » « Euuh… Attend je réfléchis… Ce qui me motive dans la vie ? … C’est de savoir qu’on va tous crever un jour et comme je ne veux pas mourir ignorante je me livre à des situations extrêmes. Des passions ? Oui j’adore, fumer, me droguer, aller aux fêtes, dépenser mon argent dans les fringues et d’autres choses et … Quoi d’autre ?... Ah oui je suis également doué pour une chose: celle de m’envoyer en l’air avec des mecs de ma trempe d’âge voire même plus âgé que moi… Est-ce assez saint pour vous Monsieur-le-psychologue ? » Demanda-t-elle ironiquement tout en affichant un sourire radieux. Pour le coup, il pouvait vérifier la véracité de ses propos, elle ne mentait aucunement. Ce pauvre psychologue avait devant lui un cas extrême. Tel qu’il ne savait plus où se placer, lui qui, au pire des cas, avait droit au mutisme totale des adolescents là il avait droit à une franchise qui dépassait l’entendement. Et le pire dans l’histoire, c’est que la jeune blonde le faisait exprès… Ce bon Monsieur connaissait que très peu ce genre d’ado, son domaine c‘était plutôt: celles qui sont bourrées de fric qui pensaient qu’elles étaient le centre de l’univers, agissant comme bon leur semblait. Et pourtant non…Jezabel n’était pas ce genre de fille pour qui tout allait bien… elle prenait tout le temps sur elle. Le bonhomme essaya alors de reprendre la situation en main bien que la jeune demoiselle présentait tout les symptômes de celle qui voulait fuir. « Jezabel Artémis, racontez-moi un épisode de votre enfance, n'importe lequel » dit-il alors complètement désespéré par cette situation. C’est alors que la blonde se demanda ce qu’elle allait bien pouvoir lui conter. En effet, que pouvait-elle bien raconter pour distraire cet incapable ? Les nombreuses fois où son père se défoulait sur elle ? Sa mère regardant le spectacle et n’intervenant pas ? Ou alors, les épisodes avec ses nombreux clients ? La ‘disparition’ -oui elle préférait appeler ca comme ca- de son seul et unique ami d’enfance ? Sa première overdose ou la dernière… il y’avait du choix tout compte fait. « Ok, écoute moi maintenant. J’vais te raconter ce putain d’épisode de ma vie et contre partie tu leur diras que je vais très bien, que cette situation et en partie dû à l’âge et aux hormones, ce qui d‘ailleurs est vrai, que j’ai été une gentille et polie fille mais surtout que je n’ai plus besoin de revenir te voir. C’est d’accord ? » dit-elle en le regardant droit dans les yeux tout en affichant un sourire en coin. Le psy hésita un long moment, se demandant s’il était raisonnable de lâcher un spécimen comme cela dans la nature sans une thérapie approfondie sur les causes de la dégénérescence de cette jeune fille délurée. D’un autre côté, avait-il envie que cette même jeune fille de seize ans revienne lui faire passer une heure de calvaire comme celle-ci. L’enfer aurait été préférable. Après tout elle faisait des conneries c’était de son âge non ? Il préférait accepter cette solution et il acquiesça pour le plus grand bonheur de Jezabel. « Parfait » dit-elle sournoise.
[…] « Adieu…» lança-t-elle en claquant la porte.