J’avais l’impression d’être dans un mauvais feuilleton télévisé où toutes les relations amoureuses devaient obligatoirement avoir une fin affreuse. J’avais envie d’en rire tellement la situation était ridicule, mais d’un autre côté, cette même situation me bouffait toute mon énergie. Depuis ce soir-là, devant le bar, je n’étais pas sortie de chez moi, de peur du croisé en allant travailler où en allant faire des courses. J’agissais, étonnement, comme une adolescente qui ne voulait pas croisé son ex-petit ami dans les couloirs du Lycée. J’étais pitoyable, je le savais, mais tout ça faisait tellement mal que j’avais du mal à accepter le fait qu’il était de retour dans les parages. Mais après tout, n’était-ce pas moi qui l’avais presque supplié de rester lorsqu’il avait parlé d’être muté ailleurs? Je n’avais pas voulu qu’il me glisse de nouveau entre les doigts et je n’arrivais pas à savoir si c’était pour moi ou pour Maelys. La petite méritait un père, une figure paternelle présente et chaleureuse, loin de celle que j’avais eue. Elle méritait d’avoir des parents présents pour elle. C’était ce qui m’avait poussée à lui demander de rester ici, à Arrowsic. Je savais trop bien ce que ça faisait de se poser des tonnes de questions sur ses parents et je ne voulais pas que mon bébé vive cela.

Tout en accomplissant cette routine du matin parfaitement encré dans mon quotidien, jonglant entre couche et petit déjeuné, je ne cessais de me répéter que je n’étais pas blanche comme neige dans l’histoire non plus. J’étais partie, je n’avais pas respecté la promesse que je lui avais faite. J’avais pris les jambes à mon cou en apprenant ma grossesse pour me planquer dans le Montana, dans la maison familiale, loin de tout ce que je connaissais. J’avais coupé les ponts avec Jilian, avec tous ceux que je connaissais ici, par peur, parce que je ne savais pas quoi faire. Pourtant, mon amie ne m’en tenait pas rigueur, les choses entre nous étaient redevenues comme elles l’étaient avant mon départ précipité. Pourquoi n’était-ce pas le cas avec Lukas? Pourquoi les choses ne pouvaient pas être simples avec lui? Peut-être parce que contrairement à lui, Jilian savait ce que cela faisait d’être abandonné, peut-être parce qu’elle connaissait les blessures qu’il m’avait fait subir en me laissant ici. Avec un soupire las, j’attrapai Maelys allongée sur le sol parmi ses peluches et autres jouets. «Dis-moi, punaise, ça te dirait qu’on aille au parc toutes les deux?» Pour seule réponse, j’eus droit à des babillements joyeux et incohérents qui m’arrachèrent un sourire. Maelys avait quatre mois, il ne fallait pas trop en demander non plus.

Je me souvenais comme si c’était hier de sa naissance. Moi, pétrifiée, allongée sur un lit d’hôpital, seul, entouré de médecins et d’infirmières. Mes parents n’avaient pas voulu assister à la naissance de ce qui était une « bâtarde » à leurs yeux. Quant à ma sœur, elle n’avait simplement pas pu se libérer pour l’accouchement. Et Lukas étant en Irak, je m’étais retrouvée paniquée et effrayée sans personne pour me rassurer. Ce fut de même pour les premières semaines de vie avec le bébé. Maelys était pourtant une enfant facile, mais chaque fois qu’elle se mettait à pleurer, je sentais mon cœur s’arrêter de battre. Avec le temps, je m’étais habituée à ma vie avec elle. Elle était une bénédiction de dieu
et je me savais heureuse de l’avoir. Malgré que je n’aie pas famille donc j’avais toujours rêvé, j’en avais tout de même une. Cependant, il me manquait toujours cette chose, cette présence près de moi, cette personne vers qui me tourner, émerveillée, quand Maelys faisait quelque chose de merveilleux. Mais petit à petit, je m’y faisais, j’apprenais à vivre ainsi, avec les bas et les hauts. Après tout, je n’étais pas la seule maman monoparentale de la ville. Et les autres réussissaient bien, alors pourquoi pas moi?

La journée était belle, le soleil présent malgré la saison plutôt froide et cette satanée poussette ne cessait de me mener la vie dure. L’une des roues ne voulait pas suivre ses copines et bloquait me faisant rager et faisant rire Maelys à chaque fois, comme si elle trouvait la situation drôle. J’allais sortir le bébé de son siège pour la laisser jouer sur la pelouse drapée préalablement d’un drap quand une voix m’interpella. « Devines qui est de retour d'Afrique ? » Je me retournai, mes yeux se posant sur Alec. Un peu sous le choc, je répondis machinalement à sa bise, l’un de mes doigts prisonniers de Maelys qui, mécontente que je ne sois plus entièrement à elle, se vengeait sur mon doigt. Bien entendu, je savais qu’Alec était de retour en ville, Jilian m’en avait parlé, mais je ne m’attendais pas à le voir là, dans le parc, un enfant dans les bras. Enfant que je reconnus comme celui de Zaïra. « Laisse moi deviné, il est grand, médecin, un certain charme…Docteur House? » lançai-je avec une pointe de taquinerie amicale, un air naïf sur le visage. J’étais heureuse de le voir malgré les circonstances, malgré que les choses étaient compliquées. Je soulevais Maelys qui se blottit contre moi. La petite s’agita avec enthousiasme. « A qui est cet adorable bébé ? » Je souris légèrement, les yeux posés sur l’adorable bébé en question qui essayait d’attraper ma lèvre dans ses petites mains potelées. « Alec, je te présente ma fille, Maelys. Mae’ , dit bonjour à tonton Alec. » en entendant son nom, la petite gazouilla doucement alors que je reportai mon attention sur mon ami. « C’est bon, de te revoir, tu sais. »

« Tsss...Je suis bien plus beau que lui de toute manière, et puis j'ai encore tous mes cheveux. » Je levai les yeux au ciel, amusée par sa fausse jalousie. Il y avait un moment que je n’avais pas ressenti ce petit soubresaut de plaisir qui fut le bienvenue tout en me paraissant déplacé. Quelques jours plus tôt, j’avais eu cette conversation avec Jilian qui me faisait comprendre l’ampleur de la souffrance que lui avait causée cet homme face à moi. Une douleur que je connaissais que trop bien. Au final, alors que je me retrouvais devant Alec, celui qui avait été un ami cher pendant de nombreuses années, je ne savais plus trop comment je devais réagir. Lui faire la gueule par solidarité féminine? Lui sauter dans les bras parce qu’il m’avait manquée? Au final, je n’étais pas plus avancée. Les choses ne pouvaient-elles pas être simples pour une fois? « Décèlerais-je une certaine jalousie?» lançai-je moqueuse en arquant un sourcil. Je portai mon attention sur Maelys quelques secondes, qui s’était appuyé sur mon épaule, blotti contre sa maman tout en observant à la dérobée l’autre petite fille qu’elle ne connaissait pas. Je la berçais un instant avant de relever les yeux vers Alec lorsqu’il reprit la parole. « Ta fille ? Wouah, je suis vraiment parti si longtemps que ça ? En tout cas félicitations ! » Je lui offris un léger sourire en guise de remerciement, quelque peu mal à l’aise. Je me doutais plus ou moins de la question qui suivrait ces paroles et je n’avais pas vraiment envie d’y répondre. Mais après tout, n’avait-il pas le droit de se poser des questions après les erreurs volages de sa femme? Mon esprit de psychologue me disait que si. « C'est bien Lukas le père ? » Je me crispai quelque peu, devant cette question pourtant attendue. Pinçant les lèvres et resserrant mon étreinte sur ce petit corps que je tenais contre moi, j’hochai vaguement la tête, tendue. «Qui d’autre que lui, hum? » répondis-je avec une certaine amertume mal dissimulée. Je n’avais pas fait les mêmes conneries que ma meilleure amie après le départ de celui qui partageait ma vie. Si elle s’était perdue dans les bras d'autres hommes, moi je m’étais contentée de me renfermer sur moi-même et de m’enfermer dans un mutisme assourdissant. Chacun sa façon de gérer les choses que présume. « Au moins quelqu'un qui est content de me revoir, ça fait plaisir. Tu m'as manqué ! Oh, je n'ai pas fait les présentations, mais voici Beth, ma nièce. Mais j'imagine que tu la connais déjà »Mon regard se posait sur cette petite fille avec qui Lukas passait plus de temps qu’avec la chair de sa chair. Bien entendu, j’étais quelque peu responsable de ce fait, mais j’avais du mal à digérer la situation qui me tourmentait plus que je voulais l’admettre. N’était-ce pas moi qui lui avais interdit d’entrer dans la vie de Maelys? Logiquement, je ne pouvais le blâmer pour cela et pourtant, c’était ce que je faisais. «Oui je la connais. »Je toisai un moment la fillette avec un mélange de rage et de regret avant de me reprendre. Elle n’était responsable de rien. Ce n’était qu’une enfant. Tant bien que mal, je tentais d’offrir un sourire à Alec. « Alors, comment se passe ton retour? C’est pas trop ennuyeux, Arrowsic à côté de l’Afrique? »Je m’installai sur le banc, Maelys sur les genoux, l’invitant à faire de même. «J’imagine que la situation ne doit pas être facile à gérer…» »