« Evalee Cataleya Gallagher ! Qu’est-ce que tu fais à dormir dans mon canapé à onze heures ? Si tu fuis ta maison, sers au moins à quelque chose dans la mienne. » L’amour maternel. Je me lève doucement en soupirant très fortement. Dès que le soleil s’était levé, j’avais quitté ma demeure pour investir celle de ma mère. Cela faisait effectivement quelques jours que j’occupais mes journées sur le canapé de ma maternelle. Une routine s’était déjà installée : je me lève, je me prépare, je vais chez ma mère, je reviens dans la soirée, je fais à manger, je vais me coucher. Et ainsi de suite. Et dans tout ça, je ne vois que rarement Lucas. Mon Lucas. « Mamaaaaan… » Je soupirais encore. Je n’étais pas d’humeur à me faire embêter par ma mère. « Qu’est-ce qu’il vous arrive avec Lucas ? » Elle s’était assise à côté de moi et je voyais à son regard qu’elle était très curieuse et qu’elle attendait une réponse très précise de ma part. Elle allait être déçue. « Rien. » Elle me bouscula légèrement, son sourire légendaire installé sur ses lèvres. « Huit ans que tu es partie et tu ne sais toujours pas mentir, ma chérie. Raconte-moi. » La vérité c’est que je fuis ma maison et Lucas. Parce que depuis qu’on est revenus s’installer à Arrowsic, ça ne va plus aussi bien entre nous. Enfin, ce n’est que mon avis. Mais je le trouve extrêmement distant. On ne se voit plus autant qu’avant, j’ai l’impression d’être une étrangère pour lui. Alors, par excès de fierté, je me dis que si je l’évite, au moins, lui n’aura pas à le faire. « Je préfère l’éviter plutôt qu’il m’évite. C’est tout ce que je te dirais. » Ma mère soupire et abandonne. Elle sait que je suis têtue et que je ne dirais rien de plus. Je n’ai pas envie de me confier.

Je passe le reste de la journée avec ma mère, évitant soigneusement le sujet Lucas. Puis, sur les coups de dix-huit heures, je quitte la maison, sachant que Nohlan ne va pas tarder à arriver que lui aussi, il ne veut pas me voir. N’ayant rien à faire de ma journée et personne à voir, je me résous à rentrer chez moi. Presque à reculons, mais bon. J’arrive chez moi, j’ouvre la porte et la referme doucement. « Lucas ? » J’avance dans le loft en retirant mes chaussures et mon manteau et les lâchant n’importe où. N’est pas bordélique qui veut. Je n’entends aucun bruit et je me rends compte que Lucas n’est pas là. Je suis seule. Encore. Je ne comprends pas pourquoi il s’éloigne de moi comme ça. Je me dis que peut-être New-York lui manque. Ça doit même certainement être ça. Je sais que ce n’est pas facile pour lui. Mais alors, pourquoi ne m’en parle-t-il pas ? Je m’affale dans le canapé. Je n’ai plus rien envie de faire, même pas à manger, et pourtant, j’ai faim. Je ferme les yeux et je me suis certainement endormie puisque quand j’entends le bruit de la porte qui s’ouvre, il est déjà vingt heures. « Lucas ? » D’une petite voix encore endormie, je l’appelle. Je pense qu’il est temps de mettre les choses au clair, ça ne peut plus durer comme ça. Je veux le retrouver. Lui. L’homme que j’aime. Lucas.

« Une bière s’il vous plait ». Pour la troisième fois, le barman récupère mon verre vide avant de m’en servir un nouveau. Je sais que ça n’a rien de raisonnable. J’essaie de me convaincre de rentrer mais je n’en ai pas la force. A quoi bon après tout ? Evalee ne sera pas là, j’en suis à peu près sur. Où passe-t-elle ses journées ? Cela reste un mystère. Avec sa mère, ou du moins sa famille, je l’espère de tout cœur. Mais une petite voix dans ma tête, qui se fait un peu plus forte chaque jour me souffle qu’elle est avec son ex. Cette Sheila. Je secoue la tête. Sheila. Un seul nom qui résume le froid qui s’est installé entre Evalee et moi depuis notre arrivée à Arrowsic. Je bois une longue gorgée de bière et secoue doucement la tête. De quoi dois-je avoir l’air, assis seul ici comme une âme en peine, me lamentant sur mon sort. Je pense à la bague de fiançailles, cachée entre deux caleçons dans mon armoire, que je comptais offrir à Evalee. Je l’aime plus que tout. J’ai confiance en elle. Et pourtant. Je ne peux m’empêcher de penser que cette Sheila est plus que son amie. Je finis mon verre d’un trait, le règle, ainsi que les précédents et me dirige vers la sortie. Ce soir, je l’attendrai. Ce soir, je n’irai pas me coucher lâchement, je n’esquiverai pas la conversation. Je veux en avoir le cœur net. Une fois dans la rue, j’essaie de trouver un moyen d’aborder le sujet. Mission impossible. Comment faire comprendre à votre petite amie que vous êtes intimement persuadé qu’elle vous trompe avec son ex, une femme qui plus est ? Quelqu’un devrait écrire un livre là-dessus parce que franchement, c’est une question sans solution.
Quelques minutes plus tard, les distances n’étant jamais très longues dans cette ville, j’arrive devant notre porte. J’hésite une seconde, puis fouille dans mes poches afin de trouver ma clé. Je finis par la trouver et commence à ouvrir la porte. Au lieu des deux tours habituels, elle s’ouvre tout de suite. Evalee est là. Je reste une seconde sur le pas de la porte puis entre. « Lucas ? » Je fais quelques pas et lui souris. « Je suis là» Elle est étendue sur le canapé. Je m’approche d’elle et l’embrasse rapidement. « Comment vas-tu ? » Phrase étrangement banale pour un couple plein de problèmes qui ne s’est pas vu depuis une bonne semaine. Mais que dire d’autre ? En la voyant allongée là, je n’ai qu’une envie : la prendre dans mes bras et lui dire que je l’aime. Je me retiens à grand peine et vais chercher un verre d’eau dans la cuisine. J’attrape aussi un morceau de pain, le tartine avec un peu de beurre trouvé dans le frigo et retourne m’asseoir à côté d’Evalee. « Je crois qu’il faut qu’on parle. »

« Je suis là. » Je me relève légèrement et par-dessus le canapé, je vois le mignon petit sourire qu’il me lance. Je ne le lui rends pas, arrivée à un point où il m’est trop difficile de faire semblant. Il s’approche de moi en contournant le canapé et m’embrasse rapidement. Très rapidement. Trop rapidement pour que ça fasse vrai. « Comment vas-tu ? » Alors on en est là ? On en est arrivés au point où on fait semblant « comme si » tout allait bien ? Ça ne me convient pas. « Bien… Je crois. » J’ai littéralement chuchoté la dernière partie de ma phrase et je doute qu’il ne l’a entendue, vu qu’il était déjà dans la cuisine, à faire je ne sais quoi. Même être dans la même pièce que moi, c’est devenu trop dur ? J’espère sincèrement que je me trompe.

Je me relève afin de m’asseoir dans le canapé. Je mets ma tête dans les paumes de mes mains, désespérée. Oui, je suis à la limite de l’exagération, mais c’est comme ça. J’en ai marre de cette situation. J’en ai marre que notre relation ait changé à ce point. Et pourtant, Dieu seul sait que je l’aime indéfiniment. « Je crois qu’il faut qu’on parle. » Je sursaute. Je ne l’avais pas vu revenir s’asseoir près de moi. « Ouais… » Je soupire, pour la énième fois de la journée et tourne mon visage vers lui. Je ne sais même pas par quoi commencer. A vrai dire, je ne sais même pas comment on est arrivé là. Quelle est la cause de tout ça ? « Est-ce que… Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? » Nerveusement, je baisse la tête et passe ma main dans ma longue chevelure. J’ai beau réfléchir, je n’arrive pas à trouver l’élément déclencheur de cette situation. « J’veux dire… Tu regrettes de m’avoir proposé de venir habiter ici ? J’ai pas envie que tu regrettes à cause de moi. »

« Est-ce que… Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? » Je mords dans ma tartine, essayant tant bien que mal de me donner du temps pour répondre. A-t-elle fait quelque chose de mal ? Officiellement non. J’espère de toutes mes forces que non. Je n’ose même pas imaginer ce que je ferais si la réponse à cette question était oui. « Non. Enfin, pas que je sache ! J’espère pas. » Un petit rire nerveux m’échappe. Je ne suis décidemment pas du tout à l’aise. Je rêve d’esquiver cette conversation, de partir loin. Je sais aussi que c’est absolument impossible. Jamais je ne pourrais partir loin d’elle. « J’veux dire… » Au moment où elle recommence à parler, je reprends une bouchée de ma tartine. « Tu regrettes de m’avoir proposé de venir habiter ici ? J’ai pas envie que tu regrettes à cause de moi. » Je mastique doucement pendant quelques secondes. « Je… Je ne sais pas. C’est flou dans ma tête. Oui New York me manque. Evidemment. J’y ai vécu plus de vingt cinq ans. Mais ce n’est pas tellement le problème… » Il faut que je lui dise. Il faut que je le fasse. Evalee. Je. Suis. Jaloux. Quatre mots. Ça devrait pourtant être simple.

Je me lève d’un coup et fait les cent pas dans le salon, comme souvent lorsque je suis embarrassé. Je prends de grandes respirations et me tourne environ tous les six ou sept pas vers Evalee, m’apprêtant à tout lui dire et me retenant au dernier moment. Au bout de quelques minutes, je me rassois, aussi soudainement que je me suis levé. « Eva… je… je crois que… je suis un peu… comment dire ? Je… » Je bégaie. Incapable de dire ce que je ressens. J’inspire le plus d’air possible et me jette à l’eau. « Je-suis-jaloux-de-Sheila » Je prononce cette phrase très vite, le plus vite possible, et me lève pour tenter de cacher mes joues rouges de honte. Je me retourne vers elle et lui dit d’une voix d’un seul coup devenue fluide. « C’est la seule chose, la seule personne qui me fait regretter d’être venu ici Eva. Elle me fait vivre un enfer sans le vouloir. Ou peut être en le voulant. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je ne veux peut être pas savoir. La seule chose que je veux c’est toi. C’est tout. Tu me rends heureux. J’ai pas besoin de plus. J’ai juste besoin que cette fille sorte de notre vie. Je ne le supporte pas. » J’ai haussé la voix sans me rendre compte, tentant certainement de donner de la véhémence à des propos sans queue ni tête. Je m’affale sur le canapé et reprends d’une voix plus douce. « Eva, je… je ne sais plus quoi faire. » J’ai bien conscience que cette phrase est mélodramatique au possible, j’ai l’impression d’être dans une mauvaise série américaine. Sauf que cette fois ci, je ne peux pas être sur que les deux héros finiront ensemble. Je me laisse glisser par terre et pose ma tête dans mes mains. Pourquoi est-ce que cela doit nous arriver à nous ?

Je lui demande si j’ai fait quelque chose de mal, et il ne répond pas. Il préfère mâcher sa tartine tranquillement, sans avoir l’air de se préoccuper de moi. Je me demande même s’il m’a entendue. Je fronce les sourcils. A quoi il joue ? Puis, il se tourne vers moi, après avoir avalé ce qu’il venait de mâcher. « Non. Enfin, pas que je sache ! J’espère pas. » Attend, qu’est-ce qu’il me fait là ? J’ai fait quelque chose, donc ? Ou, peut-être pas. Je ne comprends plus rien de ce qu’il se passe. Sa réponse était trop vague pour que je m’en contente. On tourne en rond. Ça m’énerve, sincèrement. « J’veux dire… » Je le vois croquer dans sa tartine encore une fois et j’ai envie d’attraper cette tartine et de l’écrabouiller. Il lui accorde plus d’importance qu’à moi. « Tu regrettes de m’avoir proposé de venir habiter ici ? J’ai pas envie que tu regrettes à cause de moi. » Je prends sur moi. Je me contiens pour ne pas m’énerver et lui hurler dessus. Je reste calme. Parce que si je me mets à hurler, on n’avancera pas plus vite. Et pourtant, il m’énerve à ne pas répondre clairement à mes questions et surtout, à prendre tout son temps pour y répondre. « Je… Je ne sais pas. C’est flou dans ma tête. Oui New York me manque. Evidemment. J’y ai vécu plus de vingt-cinq ans. Mais ce n’est pas tellement le problème… » Je le regarde droit dans les yeux. Enfin, je le ferais s’il me regardait. Si ce n’est pas ça le problème, alors c’est quoi ? A part l’avoir entraîné dans ce trou perdu qu’est Arrowsic, je ne vois pas ce que j’ai fait de mal.

Je ne réponds pas, attendant qu’il me dise clairement ce qu’il lui prend, pourquoi il m’en veut quand soudainement, il se lève et fait les cent pas. Je n’aime pas quand il fait ça, c’est qu’il se sent embarrassé. Et là, s’il se sent embarrassé c’est qu’il a envie de me dire quelque chose de très important. Ça m’angoisse plus que ça m’énerve maintenant. Il me regarde souvent et je vois qu’il a envie de parler mais qu’il se retient. Je n’aime pas attendre, je suis très impatiente et j’ai envie de lui dire de parler. En fait, j’ai envie de le lui hurler. D’ailleurs, j’allais le faire, mais il se rassoit assez brutalement, ce qui me surprend. « Eva… Je… Je crois que… Je suis un peu… Comment dire ? Je… » Impatiente, mes yeux s’ouvrent de plus en plus, attendant qu’enfin, il me dise le pourquoi du comment on en est là, tous les deux. « Je-suis-jaloux-de-Sheila. » Sous la surprise, mes yeux s’ouvrent en grand tels les yeux d’un poisson fris, puis… Je rigole. C’est nerveux. Je rigole. J’ai comme l’impression qu’il se moque de moi, qu’il me fait une blague. Puis, je me calme et je me rends compte qu’il est sérieux, très sérieux. Alors, s’il m’évite depuis tout ce temps, c’est parce qu’il est jaloux de Sheila ? « Quoi ? Mais… Pourquoi ? T’as aucune raison d’être jaloux, Lucas ! » Et j’étais sincère. Depuis que nous sommes revenus, j’ai revus Sheila, je l’ai même présentée à Lucas, mais jamais il ne se repassera quelque chose entre elle et moi. C’est de l’histoire ancienne. Très ancienne. Je n’aurais jamais pensé qu’il puisse être aussi jaloux. « C’est la seule chose, la seule personne qui me fait regretter d’être venu ici, Eva. Elle me fait vivre un enfer sans le vouloir. Ou peut-être en le voulant. Je ne sais plus. Je ne veux peut-être pas savoir. La seule chose que je veux c’est toi. C’est tout. Tu me rends heureux. J’ai pas besoin de plus. J’ai juste besoin que cette fille sorte de notre vie. Je ne le supporte pas. » Je ne sais pas quoi dire, ni quoi faire. J’éprouve plusieurs sentiments en même temps. Je suis touchée par les mots qu’il emploie pour parler de moi. Je suis énervée parce que j’ai l’impression qu’au fond, il ne me fait pas confiance. Je suis surprise parce que je ne m’attendais pas à ça du tout. Et je suis peinée, parce que c’est évident qu’il vit mal cette situation. « Eva, je… Je ne sais plus quoi faire. » Il se laisse glisser par terre, la tête dans les mains et j’adopte la même position, toujours assise sur le canapé. Pendant cinq minutes, peut-être plus, aucun de nous deux n’ouvre la bouche. Puis, je me décide à bouger. Je m’assois sur le sol, près de lui et lui attrape l’une de ses mains. « Lucas… Je… Je ne comprends pas. C’est toi que j’aime PAS Sheila ! Je… Je ne peux pas te promettre de ne pas la voir, de la rayer de ma vie parce que ça ne sera pas possible mais… Je peux te promettre que jamais, JAMAIS, il ne se passera quoique ce soit entre elle et moi. Tu n’as pas à t’en faire. » Je serre sa main dans la mienne pour qu’il me regarde, pour qu’il voit à quel point je suis sincère. « Je me rends compte maintenant que la situation n’est pas évidente pour toi, mais je te demande de me croire quand je te dis que depuis que j’ai quitté cette ville il y a huit ans, je n’ai plus jamais pensé à Sheila. Et depuis que je te connais, je peux affirmer que je n’ai jamais ressenti pour n’importe qui ce que je ressens pour toi. Et ça, c’est pas négligeable, Lucas. Fais-moi confiance, s’il te plaît. » J’avais comme l’impression d’être dans un film attrape-minette et je n’aimais pas cette sensation. Vraiment pas.

Je suis dans une position ridicule. Par terre, la tête dans les mains. Je m’auto fais de la peine. Et pourtant, je n’ai aucune envie de bouger. Je suis las. Las de devoir me cacher. Las de cette jalousie constante dans laquelle je vis depuis six mois. J’en ai marre. Je veux retourner à New York ou offrir à Sheila un tour du monde (en 409 jours, pas en 80 jours, le but n’est pas du tout la rapidité). Mais je me sens stupide aussi, d’une certaine façon, de douter Evalee. Nous sommes ensemble depuis six ans, si elle avait voulu me tromper, elle l’aurait fait depuis longtemps et d’après ce que j’en sais, elle ne l’a jamais fait. « Lucas… Je… Je ne comprends pas. C’est toi que j’aime PAS Sheila ! Je… Je ne peux pas te promettre de ne pas la voir, de la rayer de ma vie parce que ça ne sera pas possible mais… Je peux te promettre que jamais, JAMAIS, il ne se passera quoique ce soit entre elle et moi. Tu n’as pas à t’en faire. Je me rends compte maintenant que la situation n’est pas évidente pour toi, mais je te demande de me croire quand je te dis que depuis que j’ai quitté cette ville il y a huit ans, je n’ai plus jamais pensé à Sheila. Et depuis que je te connais, je peux affirmer que je n’ai jamais ressenti pour n’importe qui ce que je ressens pour toi. Et ça, c’est pas négligeable, Lucas. Fais-moi confiance, s’il te plaît. » Je lève les yeux vers Evalee et serre sa main dans la mienne. Si ce qu’elle dit est vrai, ça change tout. Tout. Au lieu de réagir à ses paroles j’éclate de rire. « On fait tellement série américaine bidon, c’est une catastrophe ! Si on m’avait dit un jour que je me retrouverai à avoir ce genre de discussions à mélodramatiques et ridicules au possible… » Je retrouve mon sérieux assez rapidement, le contexte ne prêtant pas particulièrement à la rigolade. « Je te fais confiance Eva. Réellement. Même si là maintenant tout de suite ça peut sembler étrange. C’est en elle que je n’ai aucune confiance. Mais quand je te dis aucune, c’est vraiment aucune. C’est juste un peu difficile à gérer… le fait que tu vois… enfin… c’est une fille quoi… » Oui Lucas, bien vu. Mes joues s’enflamment. « C’est pas évident de devoir être jaloux de toutes les personnes qui t’approchent, hommes ou femmes, c’est ça que je veux dire. Et le fait d’être jaloux d’une femme pour ce genre de choses est un peu… bizarre. Carrément bizarre en fait…. Je sais pas si tu comprends ce que je veux dire ! Je t’aime. Je t’aime plus que tout Eva. Mais il va falloir qu’on trouve un moyen de l’écarter de notre vie, au moins pendant un ou deux mois. » Je la prends dans mes bras puis l’embrasse. « Je suis un peu rassuré quand même ! »

Après mon long monologue, mon amoureux lève les yeux vers moi, étant donné que j’étais placée un peu plus haut que lui, sûrement dû au fait que je n’étais pas avachie sur le sol. Enfin bref, là n’est pas le sujet. Il me serra la main et je comprends alors qu’il m’a cru, qu’il a perçu toute la sincérité que j’essayais de lui montrer. Pourtant, il ne dit rien. Il… rigole. IL RIGOLE ? La situation est très sérieuse, en quelques minutes à peine j’étais passée par l’incompréhension, la tristesse, la colère pour revenir à l’incompréhension, et lui… il rigole. J’espère qu’il ne se fout pas de ma gueule, parce que je risque de vraiment mal le prendre. Je fronce les sourcils. « On fait tellement série américaine bidon, c’est une catastrophe ! Si on m’avait dit un jour que je me retrouverais à avoir ce genre de discussions à mélodramatiques et ridicules au possible… » Oh, c’est donc ça. Il ne se fout pas de moi, en fait. J’esquisse un léger sourire. Malgré les apparences, tout n’est pas réglé, tout ne va pas mieux et je n’ai pas vraiment envie de rire. Même si sa phrase est drôle, je dois l’avouer. Je ne parle toujours pas, me contentant de le regarder. J’attends qu’il réagisse à ce que j’ai dit. « Je te fais confiance Eva. Réellement. Même si là maintenant tout de suite ça peut sembler étrange. C’est en elle que je n’ai aucune confiance. Mais quand je te dis aucune, c’est vraiment aucune. C’est juste un peu difficile à gérer… le fait que tu vois… enfin… c’est une fille quoi… » Il rougit. Je comprends mieux. « Oh, c’est ça alors… » Le problème n’est pas Sheila, c’est plutôt les choix que je fais. Même s’il a toujours affirmé le contraire, je sais que mon Lucas a toujours eu un peu de mal avec ma bisexualité. Ce n’est pas évident à accepter pour lui qu’en quelques sortes, il a deux fois plus de concurrents potentiels. A vrai dire, ça n’a pas toujours été facile à accepter pour moi non plus. Je ne comprenais pas comment je pouvais aimer à la fois les garçons et les filles, pour moi, il n’y avait pas de demi mesures, soit j’étais lesbienne, soit j’étais hétérosexuelle. Puis, j’ai grandi, j’ai mûri et j’ai compris que je ne pouvais tout simplement pas choisir. Et ensuite, j’ai rencontré Lucas et depuis je ne me décris plus comme bisexuelle ; Je n’aime plus les hommes, je n’aime plus les femmes : j’aime Lucas. « C’est pas évident de devoir être jaloux de toutes les personnes qui t’approchent, hommes ou femmes, c’est ça que je veux dire. Et le fait d’être jaloux d’une femme pour ce genre de choses est un peu… bizarre. Carrément bizarre en fait… Je sais pas si tu comprends ce que je veux dire ! Je t’aime. Je t’aime plus que tout Eva. Mais il va falloir qu’on trouve un moyen de l’écarter de notre vie, au moins pendant un ou deux mois. » Je me blotti légèrement contre lui. Je comprends que ça ne doit pas être facile pour lui, mais d’un autre côté je n’arrive pas à comprendre pourquoi il est autant jaloux. Tous les gens qui m’approchent ne veulent pas forcément obtenir de moi plus que des courtoisies, voire de l’amitié. A partir du moment où j’ai fait la promesse d’être fidèle et où je respecte cette promesse, je ne vois pas l’intérêt qu’il a d’être jaloux. Il n’a rien à craindre, c’est lui que j’aime et personne d’autre. Et de toute manière, je crois que j’ai autant peur que lui de le perdre. Je n’arrive pas à comprendre le concept de la jalousie, en fait. Je n’en démords pas, j’ai l’impression qu’il n’a tout simplement pas confiance en moi. « Je suis un peu rassuré quand même ! » Qu’il me dit après m’avoir prise dans ses bras et embrassée. Ça faisait longtemps qu’il ne m’avait pas embrassée comme ça. A vrai dire, depuis quelques temps, j’avais seulement droit à un simple bisou, pour la forme. Alors autant vous dire que celui-là, j’en profite ! « Je suis désolée de… d’être ce que je suis. J’aurais voulu ne pas être bisexuelle, tu sais. Mais peu importe tous ces gens qui pourraient m’intéresser, hommes ou femmes, le plus important c’est que je t’aime, toi, rien que toi. Je ne regarde que toi et personnes d’autres. Et… » Je fermais les yeux quelques courtes secondes. Ce que j’allais dire n’allais pas lui plaire, il fallait donc que je me prépare psychologiquement, il va sûrement s’énerver. Je souffle un bon coup. « Je ne vais pas éviter Sheila, je sais que tu aimerais que je le fasse, mais je ne le ferais pas. Et puis de toute façon, dans une petite ville comme Arrowsic, je ne pourrais pas ! Le fait est que je n’ai pas envie d’écarter de ma vie une amie qui compte autant pour moi. Elle est très importante, tu le sais… » J’ai peur de sa réaction, mais je n’avais pas envie de lui promettre d’éviter la miss Strugatsky, ça aurait été un mensonge. Et je ne veux pas lui mentir. Sheila a vraiment une place importante dans ma vie. Elle a été ma première copine et surtout, elle a été celle qui m’a permis de me connaître, de me permettre, de savoir qui je suis. Et maintenant, elle est une très bonne amie… Que je considèrerais toujours comme une amie, rien de plus. Lucas va devoir le comprendre.