this is where we're meant to beNew-York ♣ 1990Petit à petit, je retrouve l’usage de mes membres. Allongé sur un sol humide & habillé de nombreux mégots, je sens le froid caresser la peau de mon torse dévêtu. J’ai l’impression que mon t-shirt est déchiré. & où est passée ma veste ? Un grognement sourd s’échappe de mes lèvres. & l’une de mes mains se lève de sorte à s’incruster dans mon champ de vision. Sang. Les gouttelettes coulent contre mon épiderme dégueulasse & je soupire. Las, je tente de me redresser. & enfin assis sur le macadam, j’ébouriffe mes cheveux de toute façon déjà décoiffés. La violence me bouffe. J’en suis victime depuis quelques mois maintenant. J’ai toujours ignoré mes fautes. Aurais-je réellement posé mes yeux incandescents sur le corps délicieux de Malory ? La petite-amie de ce caïd ? J’suis seul. Plongé dans une masse de gens. La solitude me borde dans cette course folle. J’ai juste cette putain d’impression d’être quelqu’un de différent. Pas mieux. Pas moins bien non plus. Juste différent… & mes parents ne comprennent ce comportement. Pourquoi ne va-t-il pas vers les autres ? demandent-ils incessamment. Comme si j’avais la réponse ! & bordel, je vis juste un jour comme les autres. Être unique, errant dans les couloirs d’une école bien trop immense & bien trop impressionnante. Petit être, infiniment petit face à une bâtisse à l’allure d’un gratte-ciel. & enfant, incapable d’affronter les regards de ses camarades – sans parler de leurs fâcheuses tendances à frapper les plus faibles. J’appelle ça un
besoin de se défouler sur une
marionnette menée par un tortionnaire. Un jour, j’aurai ma revanche. Un jour, le courage m’habitera. Un jour, je deviendrai un homme. Un homme craint de tous ! Je l’avoue, mes pensées m’effraient. J’admire les types musclés & respectés de tous. Je les admire lorsque, d’un regard, ils éteignent la haine de ces fous désireux de combattre en sachant pertinemment que leurs têtes risquent de se retrouver foudroyées contre les murs en béton. Je ne suis qu’un faible. Un faible qui s’laisse tabasser, en fermant sa gueule.
Vas-y tape, j’bougerai pas… Ça ne durera pas.
New-York ♣ 2001Il y a des visages qu’on oublie sans le savoir. J’feuillète mes albums. Chaque page est une histoire. J’suis d’abord gosse. La coupe au bol, complètement ridicule. Les vêtements troués & tâchés de boue par endroit. À moins que ça n’soit que du sang ? Aucune idée. Aucune importance non plus. J’remarque aussi que je ne souris que rarement. Les éventuelles étoiles dans mes yeux sont dissimulées derrière mes mèches brunes. Même sur mes photos, je me planque. Mais à vingt-six ans, je trouve la force d’en rire. Mes doigts caressent les feuilles noircies d’anecdotes & illustrées de nombreuses photos. & je change de chapitre, progressivement. Je retrace mes anniversaires, mes premiers sourires, mes premiers pas, mon premier poisson rouge. Il y a des souvenirs de vacances à la mer, entouré de deux amis. L’amitié… Ce mot demeurait omniprésent dans mon esprit. Mais je n’en avais jamais appris la signification avant ces foutues vacances.
nom féminin ; « affection réciproque, attachement mutuel entre deux personnes » Bordel. Effectivement. Dix-huit à l’époque. & je vivais ma première relation d’amitié. Quant à l’amour, j’avoue ne jamais l’avoir rencontré. Les filles ? En bâtard égoïste & dépourvu de sentiments, je les baise. Elles passent une à une dans mon lit, salissent mes draps. Pour quelques heures, je me fonds dans une couverture d’homme idéal. L’homme dont chaque femme rêverait. T’sais, un homme loyal, généreux, gentil, fidèle & foutrement serviable. Un homme qui n’existe sûrement pas. Car dès qu’il obtient ce qu’il veut, l’homme redevient lui-même. & je n’échappe évidemment pas à la règle. J’déchire tout ce qu’il a de bon en moi, pour n’exposer que le pire. C’est idiot. Il parait que les sensations sont décuplées quand les sentiments s’en mêlent. J’aimerais, une fois, devenir la proie d’une femme. Prisonnier de sa bouche rougie de désir & prisonnier de son toucher majestueux. Me sentir vibrer & consumé sous le passage de ses doigts habiles. J’aimerais céder à un bonheur sans faille. Mais j’ai peur. Peur d’un pas de travers qui ne serait que synonyme de ma chute. J’ai peur. L’Amour enlève tout contrôle. L’Amour détruit. L’Amour blesse. & l’Amour rend aveugle. Je refuse de devenir à nouveau ce pantin désarticulé. Chaque vie se croisent, s’emmêlent, s’accrochent & se détachent. Pour quelles raisons ? J’imagine que chacun laisse une marque indélébile. Quelque chose qui nous construit & fait de nous ce que nous sommes. J’ai vingt-six ans. & je suis finalement devenu l’homme qu’il ne faut affronter…
New-York ♣ 2004À moitié asphyxiée, perdue contre mon cou, elle me murmure d’innombrables « encore, encore ». Ses mains parcourent mon dos, sans parler de ses ongles déchirant ma peau à chaque allée & venue. Elle me lacère & maltraite mes fesses. & malgré la douleur, je m’abandonne à sa furie & plonge profondément en elle. Mes coups de butoir s’amplifient, s’accélèrent & j’écoute ses cris capables de faire gonfler mon égo.
« Blake !! Qu’est c’que… ?! ESPECE DE SALAUD ! » La jeune femme prisonnière de mon poids me repousse. & nos deux regards se posent sur la nouvelle arrivante. Ma copine. Bordel, je n’en suis pas amoureux. J’ai simplement été bercé par l’envie de connaitre cette passion dévorante. Mais mon cœur ne répond pas. Je ne l’aime pas. Elle ne signifie rien pour moi. & ça ne se contrôle hélas aucunement. Sinon, aurais-je été suffisamment salaud pour entrainer ma conquête dans l’appartement de celle qui partage mon quotidien depuis… une maigre semaine ? Amoureuse transi, elle n’a visiblement pas résisté à l’envie de me confier le double de ses clés. À croire que je suis incapable d’en faire bon usage. Ses cris s’ajoutent à ses pleurs. Ses mains s’agitent & elle renverse absolument tout sur son passage. Ma conquête effrayée en profite pour déposer ses lèvres contre les miennes avant de filer. Je suppose que son choix fut judicieux. Je me retrouve maintenant seul avec cette hystérique. Elle hurle & m’insulte.
« T’es qu’un moins que rien !! » Mon sang n’a fait qu’un tour. Mes souvenirs me ramènent quelques années en arrière, lorsque je n’étais encore que cet enfant, martyre de ses camarades. & ma main s’est violemment effondrée sur sa joue délicate. Première gifle. Un soulagement indescriptible.
Je n’aurais cependant jamais imaginé que cette première altercation deviendrait mon point faible. Je suis allé plus loin parfois. J’ai troqué les gifles contre les coups de poings. Sans parler des expressions de mon visage, aptes à filer la chair de poule à quiconque croisait mon regard. Merde. Je promets que je n’ai jamais souhaité m’transformer en un mec violent à la moindre insulte. Mais dès que mon sang surchauffe dans mes veines, je m’emporte & deviens hors de contrôle.
New-York ♣ 2005 « Vous pensez être capable de recommencer un jour ? » Le psychologue me fixe de ses yeux globuleux. Son stylo gratte quelques mots sans doute incompréhensibles & je fixe le ciel, au-travers de cette fenêtre poussiéreuse. Serais-je capable de frapper à nouveau ? J’en doute. Je sors de sept mois ferme & la prison m’a sérieusement refroidi. J’ai honte. Honte de ce que je suis. Un bâtard. Je défie quiconque de me faire confiance, un jour. J’ai cette putain d’impression que mes fautes s’incrustent sur mon visage, au marqueur indélébile. Ou pire, à l’encre tatouée. Ma tête affirme la négation. J’ai changé. J’ai évolué. J’ai appris. J’ai appris qu’il y avait d’autres manières d’être respecté. Mes démons enfermés à jamais grattent de moins en moins la porte d’une libération. Enfant, je rêvais de devenir tyran. Tyran, je rêve de redevenir enfant. Bercé par l’innocence.
« Je regrette c’que j’ai fait. & je sais que ma parole ne vaut rien. Mais je m’en veux sincèrement pour c’que j’ai fait » Un poignée de mains, & je m’éclipse. J’ai connu d’autres femmes par la suite. D’autres disputes. D’autres affronts. Mais je n’ai plus jamais levé la main sur qui que ce soit. Je n’en ai d’ailleurs plus jamais éprouvé le besoin ni l’envie. J’pense avoir grandi. & ce fut sûrement l’une des principales raisons qui m’ont poussé à quitter New-York pour rejoindre d’autres contrées encore inconnues. Arrowsic m’a tendu les bras. & j’avoue m’y être blotti sans me poser davantage de questions. J’aime l’inconnu. & j’compte juste en profiter pour me reconstruire. Vivre quelque chose de nouveau. Vivre dans l’anonymat, sans que les californiens ne sachent explicitement qui se cachent derrière mon visage : un homme qui a vécu en prison. Un homme qui ne compte plus ses défauts. J’aimerais bannir cela à jamais.
Arrowsic ♣ 2008 « Allez, bande de larves. C’quand même pas difficile de m’aligner cinquante putain de pompes ! » Après de nombreux entretiens & de nombreux refus suite à mon casier judiciaire, j’ai tout de même réussi à trouver un employeur dans le milieu des efforts surhumains & de la transpiration. Je suis coach. Coach sportif, cela va de soi. Parfois, les « machines de torture » me permettent d’évacuer mon trop plein de colère ; c’est un excellent moyen pour décompresser, se ressourcer & cela m’évite de frapper ces âmes innocentes. Elles me craignent. Leurs yeux me sondent nerveusement & je ne peux que jubiler en constatant leurs efforts. Ils l’ont parfaitement compris : me décevoir, c’est engendrer ma colère. Alors ils bossent, courent & s’épuisent. Puis-je cependant clamer haut & fort que ce métier me plait & me passionne ? Avant mes conneries, j’étudiais afin de devenir journaliste. J’ai tout perdu, comme un con. Tout est réduit à néant. Plus rien n’existe. Ce ne sont que de lointains souvenirs. Des souvenirs que j’aimerais dérober & revivre comme une seconde chance. Parallèlement alors, je tente de glisser mon nom vers d’autres chemins. Encore & encore. Mes erreurs m’ont appris d’innombrables choses. À trente-trois ans, je nage parmi mes regrets. & j’ai, par conséquent, avancé dans le labyrinthe de la vie comme je ne l’ai toujours fait. Seul & sans réel but. J’ai décidé de vivre pour moi & uniquement pour moi. Qu’importent les obstacles & qu’importent les difficultés, je me battrai pour un diplôme qui rendra ma vie professionnelle davantage épanouissante. Concernant ma vie sociale, j’implore le temps d’être généreux. J’crache sur mes défauts & je cède à l’ivresse d’un nouveau monde. Je n’aurais jamais imaginé que ce soit si difficile… d’être un homme.
Arrowsic ♣ 2011 « On a couché ensemble deux fois… & je n’sais rien de toi… » Mes doigts vagabondent sur sa poitrine nue & s’amusent sur leurs bouts encore durcis d’excitation. Mon regard se plonge enfin dans le sien & j’esquisse un sourire narquois. Est-elle certaine de vouloir me connaitre ? Je n’ai que quelques mots à prononcer… juste une phrase… & elle risque de s’échapper sans même prendre le temps de se retourner. Mes aveux effraient. Quoi de plus normal ? Tendrement, j’appuie ma tempe contre mon poing. & je la fixe sans ciller. Elle est si belle. De longs cheveux châtains, décoiffés & plaqués à ses tempes trempées. De grands yeux noisette & une bouche magnifiquement dessinée – au point d’éveiller mes désirs les plus obscènes. Ses jambes encore écartées. Ses jambes, que j’ai malmenées durant plusieurs minutes. Ses jambes, que j’ai griffées sans ménagement. Son entrejambes luisant de désir. J’entends sa respiration haletante. Bordel, je n’ai pas été tendre avec elle. Ses seins portent encore la marque de mes paumes désireuses, ou de mes dents intransigeantes. Tout comme son cou d’ailleurs… & certainement ses adorables pommes. La garce joue. Ses attentions glissent dans mes cheveux & parcourent mon torse. Je ne mérite pas tant de tendresse.
« J’suis Blake, j’ai trente-six ans. J’viens de New-York. J’suis provisoirement coach sportif & j’ai accessoirement fait d’la taule pour avoir frappé ma copine »Honnêtement, t’en connais beaucoup des gens qui accepteraient de faire partie de ta vie après un tel aveu ? Ici à Arrowsic, les rumeurs vont bon train. Parfois, les regards s’posent sur toi. Parfois, tu t’sens comme un lion en cage. Une bête de foire, en somme. Puis il y a des paroles horribles qui frôlent tes oreilles. Tu ne seras jamais tranquille de toute façon, il faut te rendre à l’évidence. Chaque rumeur excite & attise la curiosité. Mais merde, tu te sens capable de réagir face à des ❝ C’est lui… t’sais, qu’a frappé une gamine. Si tu veux mon avis, ne l'approche pas. ❞ ?! T’as les couilles de l’faire, mais t’n’as sûrement pas envie d’envenimer les choses. Alors tu te tais & tu espères qu’un jour la page se tournera & s’ouvrira sur un nouveau chapitre. Ton crime est & restera toujours en toi. & certainement dans les mémoires. Pourtant, t’es un type bien au fond. Un peu ronchon & bourru. Un peu sec & solitaire. Impulsif & autoritaire. Tu n’y peux rien. Une putain d’erreur a suffi malheureusement a effacé tes qualités. Personne ne les remarque. Ou plutôt : tout le monde refuse de les voir. Jusqu'à c'que tu crèves, tu seras Blake, l’enfoiré qui a osé lever la main sur une femme.