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La petite Sasha, âgée de 6 ans, joue avec sa poupée par terre dans sa chambre. Elle parle, elle rit. Elle s’invente une histoire et s’occupe pendant que ses parents font autre chose. Quoi ? Elle ne sait pas vraiment. Des « trucs de grands » sûrement. Elle ne doit pas être dans leurs pattes. Ça les embête. Alors elle joue avec sa poupée. Une jolie poupée blonde qu’elle coiffe doucement. « Tu sais, moi j’aime bien les boucles. Ça lui va bien. » Elle tient sa poupée et passe doucement le peigne dans ses cheveux. « Non ! Tu fais pas bien ! Regarde. » Elle ralentit ses mouvements pour bien montrer ses gestes. Toute fière elle brandit sa poupée devant elle et sourit. « Voilà, l’est bien coiffée. La tienne aussi est bien coiffée maint’nant. » Elle reprend son jeu tout en discutant. Elle aime bien être dans sa chambre avec ses jouets. Elle ne manque pas de grand-chose, elle a quelques poupées, de jolies peluches. Elle se contente de ça, pas besoin d’avoir tout le magasin de jouets pour être heureuse. La petite Sasha n’est pas difficile puis elle aime bien la compagnie de Zoé. Zoé est gentille. Elles jouent bien toutes les deux. « On change de jeu ? j’veux faire la dinette. » Zoé acquiesce et Sasha se lève pour sortir ses petites assiettes en plastique. « On va préparer un gros gâteau ! Tu es d’accord ? »L’autre petite fille, toujours d’accord, l’aide et elles jouent ensemble au cuisinier. « Il sent bon notre gâteau hein ? » Elle sautille devant le minifour de sa dinette agitant ses couettes.

A sa porte, sa maman l’observe. Son regard aurait dû être tendre, mais il se fait inquiet. Beaucoup trop inquiet. Elle vient régulièrement observer sa fille jouer. L’adulte mord sa lèvre et essuie une petite larme. Elle a peur pour sa fille. Peur, pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle n’a pas d’ami. La maitresse l’a convoquée il y a de ça quelques jours pour lui faire part de ses inquiétudes. Sa fille reste toute seule, tout le temps. Elle n’est pas rejetée par les autres, non, ils sont même venus vers elle pour jouer. Elle ne veut tout simplement pas d’eux préférant rester avec « sa copine ». Doucement, la maman entre dans la chambre aux décorations enfantines et pince les lèvres. « Sasha ? Chérie ? » La petite se retourne vivement, souriant de toutes ses dents à sa maman. Elle agite une petite fourchette et sautille. « Regarde, regarde ! On a fait un gâteau ! » Madame Cubbins grimace. Elle n’aime pas ce « on », un « on » qui ne laisse pas présager de bonnes choses. Alors, doucement, elle s’approche de sa fille et caresse sa petite tête. « Mon cœur… tu cuisines avec qui ? » La petite regarde sa maman la bouche ouverte, comme choquée d’une telle question. Elle secoue sa tête. « Bah avec ma meilleure copine » dit-elle tout naturellement avant de chuchoter. « Pf, l’est nulle ma maman. » La dite maman a beau regarder partout dans la pièce, elle ne voit pas de meilleure amie. Elle souffle pour ne pas laisser la panique l’envahir et s’assied près de sa fille. Par où commencer, comment lui parler ? Sasha n’a que 6 ans et sa mère ne veut pas la brusquer. Intriguée par le comportement de sa maman, la petit s’installe près d’elle et la regarder. « Ça va pas maman ? » Touchée, la mère sourit tendrement et regarde sa petite fille. Il inspire et se lance finalement. « Bébé… Je ne vois pas ta copine… Elle est où ? » Elle ne laisse rien paraitre, mais l’adulte est terrifiée. Elle a peur de la réponse de sa fille mais elle ne peut plus vivre dans l’ignorance. Elle doit savoir ce que pense sa fille pour l’aider. Elle ne peut pas la laisser dans cet état. Ça n’est pas normal… « Bah… là. » La petite montre un endroit tout près d’elles en haussant les épaules. « Comment ça s’fait que tu la vois pas ? Elle est là pourtant. » La petite fille est catégorique. Sa copine est là. Elle joue avec elle. La mère souffle tendrement et attrape les petites joues de sa fille entre ses mains. « Mon cœur, il n’y a personne d’autre que toi et moi… Il n’y a pas de petite fille… » L’enfant fronce son nez en fixant sa maman et se recule vivement en criant. « SI !! Elle est là ! Elle joue toujours avec moi ! » La mère se lève et vient près de sa fille. Elle prend sa main et la caresse. Elle ne veut pas la brusquer. Elle a peur de mal choisir ses mots. Sasha n’est qu’une enfant et elle ne fait pas exprès. « Ma puce… tu me dis comment s’appelle ta copine ? » La petite Sasha, qui s’était mise à pleurer, renifle et fixe sa maman. « Z..zoé… » Les dents serrées les unes contre les autres, la mère fronce les sourcils. Non. C’est impossible. Elle contrôle ses réactions, s’empêche de crier et paniquer et serre les doigts de sa fille entre les siens. « Chérie. Ta copine n’est pas là. Elle ne doit plus jamais venir tu m’entends ? Plus jamais. » Elle n’arrive pas à empêcher sa voix d’être sèche. Sa fille ne peut pas voir cette Zoé. Non. Sasha pleure. Ses petits yeux ne tarissent pas de larmes et la mère s’en veut. Elle s’en veut mais elle doit le faire. Sa fille ne doit plus jamais voir Zoé. La petite fille pleure fortement et court se réfugier sur son lit. Elle hurle à sa mère de partir et de la laisser avec Zoé. Madame Cubbins n’est pas du tout de cet avis et retourne près de sa fille. Elle la berce malgré les pleurs.





C’en sont suivis de nombreuses séances avec une psychologue. Je ne me souviens pas de tout, j’étais vraiment trop petite, 6 ans. Maintenant j’en ai 21 mais je suis toujours certaine d’avoir vu cette petite fille. Elle me comprenait. Je n’avais besoin de personne d’autre qu’elle. Avec le temps, elle venait de moins en moins et un jour, je ne l’ai plus vue. Je ne sais plus trop vers quel âge… 11 ans ? Peut-être même plus. Mes psychologues, mes parents et même les quelques amis que j’ai pu me faire ne me croyaient pas. Ils me disaient que j’étais folle. Que je m’inventais une amie imaginaire. Peut-être. Parce qu’au fond, cette petite fille était identique à moi. Même visage, même cheveux… Pourtant, lorsque j’étais gamine, j’avais vraiment l’impression de la voir. De sentir sa présence. Je ne faisais vraiment pas ça pour énerver les gens, elle est apparue à mes yeux comme ça... J’ai bien essayé d’en discuter avec ma mère, mais elle se ferme directement. Elle ne veut pas parler de ça. Elle aussi me prend pour une folle mais je sens qu’un truc cloche. Elle se tend dès que j’essaie de reparler de ça. J’en ai marre. Je voudrais comprendre. Me comprendre. Quand je parle de mon enfance, mes parents se braquent et ça m’intrigue…

Je suis seule à la maison et mes pieds me guident vers leur bureau. Pourquoi ? Pour fouiller. Peut-être ont-ils des comptes rendus de mes séances de thérapie, peut-être que je vais trouver des réponses à mes questions. J’entre doucement et regarde l’endroit. Je n’y vais que très peu. C’est le jardin secret de mes parents et j’ai comme l’impression qu’ils n’ont pas envie de m’y voir. J’ouvre les tiroirs, les dossiers. Mes doigts touchent les papiers mais je ne trouve rien. Des écrits pour leurs boulots respectifs, des factures et autres courriers inintéressants. Je souffle. Je m’agace. Je veux trouver. C’est mon seul espoir et si je n’y parviens pas je risque de m’énerver. Mon humeur change souvent, rapidement. Je peux être gaie et d’un coup vouloir tuer tout le monde. Un grand vide prend possession de moi et je deviens irritable. Je ressens ça depuis que je ne vois plus Zoé. Parfois je me sens ridicule de m’accrocher à cette histoire. Après tout, beaucoup d’enfants se sont créés un ami imaginaire. Je fais peut-être partie de ceux-là. Mais je sens au fond de moi, quelque chose de différent. Quelque chose d’intriguant mais je n’ai aucune réponse. Et j’en ai marre.

J’y suis depuis plus d’une heure et rien, toujours rien. J’ouvre les portes de la grande bibliothèque et râle en voyant plusieurs boites. « Archives ». Du boulot encore ? Soupirant, j’en attrape une et l’ouvre. Du bordel. Des papiers en vrac et je n’ai même pas envie de fouiller. La deuxième, pareil. La troisième continent des photos balancées comme ça… pas d’album. J’en prends une et me reconnais lorsque je suis bébé. Je souris. Je n’en avais jamais vu. Pas si jeune. Je dois avoir un mois ou deux. Mon sourire s’efface alors que j’en prends une autre. Ma mère et… deux bébés. Du même âge. Identiques. Je jure. Je sors toutes les autres photos et vois encore et encore ces deux bébés. C’est moi. J’en suis certaine. Putain. je tremble. Pourquoi il y a un bébé identique à côté de moi. La réponse. Je la connais. Mais elle ne sort pas.

La porte claque. Ma mère est là. Je me lève furibonde et emporte quelques photos. Alors qu’elle se sert un verre d’eau à la cuisine, je lui geste les photos à la figure. « Tu comptais m’le dire quand ?! » Elle fronce les sourcils hébétée et attrape une photo pour la regarder. Son verre finit sur le sol dans un grand bruit mais je ne bronche pas. Je veux mes réponses et elle ne se défilera pas. Elle bredouille plusieurs choses, je ne comprends rien. J’attends des mots, des phrases. La vérité. J’en ai besoin non ? Ma mère me regarde. Je sens la panique l’envahir. Je fronce les sourcils. « Te défile pas. » Je suis sèche mais je m’en fous. Qu’elle parle bordel. Elle n’a pas le droit de jouer avec moi. Elle soupire. Les larmes perlent au coin de ses yeux et je tente tant bien que mal de ne pas la laisser m’amadouer. J’adore ma mère mais là, je ne dois pas la laisser s’en tirer. Elle doit parler. Quitte à ce que je sois dure avec elle. Je veux. Elle s’assied, je reste debout. Je suis raide comme un piquet. J’ai peur et j’ai mal. Que vais-je apprendre. A vrai dire, je me doute des réponses. Je pense avoir deviné une partie de l’histoire. « Zoé… C’était ta sœur… » Je mords mes lèvres. Comment j’avais pu connaitre le prénom de ma sœur ? Je tremble. J’avais… « … une jumelle… » Je couine douloureusement. Je comprends mieux maintenant pourquoi je me sentais si seule. Je me sens d’ailleurs seule lorsque mes amis ne sont pas là. Je n’ai jamais cherché à comprendre. Il me manquait quelque chose, une sensation inexplicable m’envahissait très souvent. Est-ce possible ? Possible qu’un lien si fort soit resté entre elle et moi ? Que sa présence me manque alors que finalement, je ne l’ai jamais connu ? Je suis perdue. J’ai imaginé ma sœur… Voilà pourquoi elle était si semblable à moi. « C’est pour ça que lorsque tu m’as dit que ton amie imaginaire était Zoé… J’ai eu peur… Peur que tu sois folle… que tu voies des choses bizarres et… » Des revenants ? Est-ce seulement possible ? Je ne pense pas. Mon lien avec elle devait être beaucoup trop fort. Je ne sais pas l’expliquer… Mais maintenant elle n’est plus là. Je ne la vois plus, ne l’entends plus… Et je me sens encore plus vide. Je n’ai pas vraiment envie de pleurer. Je ne sais même pas comment réagir. Je me sens… Je ne sais même pas. « Elle… est morte alors qu’elle n’avait que 3 mois… Vous étiez toutes les deux dans le même berceau pour la sieste et tu t’es mise à hurler. Tu pleurais si fort, tu n’avais jamais fait ça… Vous étiez si sages… Alors j’ai de suite paniqué… » J’ai mal. Mal pour moi mais surtout mal pour elle. Moi au fond… je n’ai pas connu ma sœur. Ma maman a porté deux bébés, donné naissance à deux petites filles… Elle les a élevées et soudain il ne reste qu’un seul enfant ? Comment encaisser ? Je m’approche et entoure ses épaules. « Je.. suis arrivée mais… c’était trop tard. Je n’savais pas quoi faire… elle ne bougeait plus. » J’écoute son récit. L’hôpital et la confirmation du décès… « La mort subite inexpliquée du nourrisson » Ma sœur allait bien et quelques secondes plus tard, elle était morte. Les analyses n’ont rien donné. Il n’y a aucune explication d’après ma mère… Je la serre contre moi et finalement mes larmes coulent. Je sais donc maintenant d’où vient ce vide… et je ne saurai jamais pourquoi je la voyais… Etait-ce mon imagination débordante ou un lien fort qui s’exprimait ? J’aime à croire que c’est la deuxième option… Ma sœur vivrait-elle en moi ?





Il est tard, je suis dans mon lit. Nous avons beaucoup discuté avec mes parents. La tristesse, omniprésente, m’a prise aux tripes. Mes parents ont vécu avec ça pendant 21 ans et je n’ai rien vu. Ils ont été géniaux avec moi… Peut-être m’ont-ils donné l’amour qu’ils avaient pour nous deux… Je suis triste de ne pas l’avoir connue mais ça n’est pas aussi fort que ce que peuvent ressentir mes parents… Eux, l’ont perdue… Mes yeux fixent mon plafond seulement éclairé par la Lune. Je me pose des tas de questions. Comment aurait été ma vie si elle avait été là ? Mieux certainement. Je ne fais rien de mes journées. J’ai arrêté mes études et je reste chez moi. Je ne sais pas quoi faire de ma peau et j’ai honte. Franchement honte. Ma sœur elle n’a pas la chance de vivre et moi, je gâche ma vie. Je souffle. Je ne peux plus rester dans cette situation… Je dois réagir et vivre à nouveau. Arrêter d'errer du matin au soir. Trouver un but… Et c’est sur ces idées pleines de changement que je m’endors… Morphée m’emmène vers un monde nouveau…