Le jeudi soit avait toujours été le jour où Leandro passait chercher Jaimie pour qu’elle passe quelques jours avec lui. Enfin … toujours … pas vraiment. Uniquement depuis notre rupture et depuis que je lui avoué avoir mon mensonge, depuis qu’il savait qu’il était le vrai père de Jaimie. Dans un sens, cet arrangement était logique, il était censé avoir autant de droits sur elle que j’en avais, et je ne me voyais pas lui refuser ça. Mais depuis qu’il voyait cette autre fille, je lui en voulais. Terriblement. Je voulais être à sa place. Je voulais dormir avec lui. Qu’il me prenne dans ses bras. Je voulais que pour Jaimie, on reforme une famille, pour qu’elle puisse grandir comme n’importe qu’elle petite fille de presque trois ans. J’en étais devenue tellement jalouse, tellement mauvaise, que j’avais envie de me venger. J’aurai aimé avoir quelqu’un dans ma vie aussi, pour qu’il voit tous les jours ce que je devais endurer quand je les voyais tous les deux, ensemble, heureux. Sauf que personne ne s’intéressait à moi. J’avais donc imaginé autre chose, et je n’en étais pas vraiment fière. Oh oui, j’étais honteuse du plan que j’avais échafaudé toute la journée.

Assise dans mon salon, je levais les yeux vers l’horloge accrochée au mur. Léo arriverait dans moins de cinq minutes. Je posais dans le bac à jouets le petit nounours violet de Jai que je tripotais depuis dix minutes, et j’allais à la cuisine me préparer un thé pour m’occuper en l’attendant. En passant devant le frigo à la paroi miroitée, je ne pus m’empêcher d’y jeter un coup d’oeil : presque machinalement, instinctivement, je m’habillais mieux quand je savais qu’il viendrait, je prenais plus de soin à me maquiller et à me coiffer le matin, je mettais un ensemble de lingerie en dentelle, au cas où, et je portais le collier qu’il m’avait offert l’an dernier. Collier que je touchais du bout des doigts avant de détourner le regard, et de saisir la bouilloire en inox que je remplis d’eau froide. Pendant que la température de l’eau montait, je sortis un mug du placard, y jettait un sucre et demi et un sachet de thé noir, pas vraiment conseillé en soirée, mais comme je savais que de toute façon, je dormirai mal, je n’en avais que faire. Deux minutes plus tard, la bouilloire siffla en même temps que la sonnette de la porte d’entrée de l’immeuble se fit entendre. Il était en bas. Dernier soupir. Je ne décrochais pas le combiné de l’interphone, me contentant d’appuyer sur le bouton commandant l’ouverture des portes. J’eut le temps de verser l’eau chaude dans ma tasse avant de l’entendre frapper deux coups à la porte d’entrée, jamais plus et jamais moins. C’était notre signe de reconnaissance pendant des années. Je lui ouvris la porte, la tasse à ma main, l’air aussi imperturbable que possible. Courage Maxine.
« Jaimie n’est pas là ce soir. »

« Mary ? J’ai déposé les papiers pour Crystal sur mon bureau, sous le post-it rose et ceux pour Julian sont sous le post-it bleu, tu pourras passer le message, s’il te plaît ? » Ma collègue de travail me fit un petit sourire qui voulait dire oui. Elle était au téléphone pour organiser je ne sais quel projet et ne pouvais donc pas me parler. Je parti en lançant un « besos » collectif à tous mes collègues qui étaient encore là. Le jeudi, je pars toujours un peu plus tôt du boulot puisque je dois aller chercher Jaimie, ma fille. Je ne dois pas aller la chercher à la crèche –elle est trop grande pour ça- mais je ne vais pas la chercher à la maternelle non plus. Non seulement, il est trop tard pour ça, mais en plus, c’est chez sa mère que je dois aller la chercher. Sa mère. Jenna. Enfin, elle s’appelle Maxine, mais je l’appelle Jenna. Je suis le seul je crois. Entre elle et moi c’est une longue –très longue- histoire. Elle était tout d’abord ma meilleure amie, comme ma sœur. La seule personne qui comptait plus qu’elle pour moi dans ma vie était ma vraie sœur, Graziella. C’est la preuve qu’elle comptait énormément pour moi. Puis, notre relation amicale a évolué en relation amoureuse. J’étais vraiment amoureux. Et parfois, je me demande si je ne le suis pas encore. Oui, parce qu’il y a un moment où tout s’est terminé. Elle a tout gâché. Je ne dis pas ça parce que je suis de mauvaise foi, c’est juste parce que c’est la vérité. Tout ça à cause d’un foutu mensonge !

Un peu plus de trente minutes après mon départ des locaux de l’entreprise où je travaille, j’arrive devant chez Jenna. Mon moral remonte d’un seul coup en flèche et je me dépêche de sonner à l’interphone. Comme d’habitude, Jenna ne répond pas, sachant que c’est moi, mais elle ouvre tout de même la porte. Je monte les marches quatre à quatre jusqu’à son appartement et toque seulement deux à la porte. Comme d’habitude, ou plutôt, comme avant, je ne sais pas trop. La belle brune qui était auparavant ma petite-amie ouvrit la porte quelques secondes plus tard, une tasse encore fumante à la main. Elle est sublime. Je m’attendais à entendre du bruit, comme d’habitude. Quand je viens la chercher, Jaimie est toujours très excitée et elle fait donc beaucoup de bruit. J’eus donc la surprise de ne rien entendre du tout. « Jaimie n’est pas là ce soir. » Surprise. Incompréhension… Colère. Qu'est-ce qu’elle me raconte ? Elle sait que je viens chercher Jaimie tous les jeudis soirs, on s’était mis d’accord pour que je la garde quelques jours par semaines. Et là, elle ose me dire, l’air de rien, que je ne verrais pas ma fille ce soir ? J’espère sincèrement qu’elle se fout de ma gueule. Sans même attendre son approbation, je rentrais dans son appartement. Je suis énervé. « C’est une blague Maxine ? J’espère vraiment que tu te moques de moi ! Elle est où ? » Je l’avais appelée Maxine, ce que je ne faisais jamais d’habitude, sauf quand je suis énervée. Je regardais tout autour de moi, toujours en espérant que c’était une blague et que ma fille allait débouler avec son magnifique sourire et son regard pétillant.

Pendant les quelques secondes qui ont précédé l’annonce de l’absence de notre fille dans mon appartement ce soir, je me suis surprise à le regarder, et à déceler un petit quelque chose dans ses yeux, une étincelle. Avait-il remarqué les efforts que j’avais fait ce soir ? Ou le fait que je portais son collier. A moins que je me fasse tout bêtement des films, comme toujours, puisqu’après tout, il était de nouveau en couple et n’avait pas vraiment de raisons de me regarder. S’il savait combien son regard me manquait parfois …
Je me doutais bien que cette nouvelle ne l’enchanterait guère, c’était un peu le but de la manœuvre, mais je ne pensais pas qu’il le prendrait mal au point de rentrer chez moi, sans même me demander s’il pouvait, et en me bousculant presque. Le thé chaud manqua de peu de s’échapper de la tasse et de me brûler la main qui tenait la tasse. En même temps, je savais qu’il avait du caractère, un caractère pas toujours très évident à gérer, que sa fille partageait avec lui. Quand elle piquait des crises pour un oui ou pour un non, c’étaient le front plissé et les yeux de Leo que je voyais à la place des siens.
« Je t’en prie, entre et fais donc comme chez toi … »
Pas vraiment envie que les voisins soient témoins de toute cette scène, dont je savais d’ors-et-déjà qu’elle serait très gênante. Je fermais donc la porte de l’appartement, avant de me poster face à lui, ma main libre posée sur ma taille.
« C’est une blague Maxine ? J’espère vraiment que tu te moques de moi ! Elle est où ?»
« Tu vois bien qu’elle n’est pas là … »
Mais si je sentais qu’il était énervé, qu’il bouillonnait de l’intérieur, je ne pouvais pas m’empêcher de le chercher encore plus, de le provoquer.
« Ma mère m’a demandé si elle pouvait la garder, j’ai dit oui. »
Petit haussement d’épaule, accompagné d’une gorgée de café, comme pour faire une pause, créer une sorte de suspense. Je regardais décidemment trop la télévision.
« Tu pourras passer toute la soirée à t’envoyer en l’air avec ta nouvelle petite amie comme ça me suis dit. »
Je jouais les innocentes, mais au fond de moi, j’avais quand même peur de sa réaction. Pour empêcher mes jambes de trembler, je pris place sur l’accoudoir du fauteuil le plus proche de lui, et j’entourais ma tasse de mes mains, pour les réchauffer, et là encore, les occuper pour éviter qu’un tremblement rompe l’image de la fille sure d’elle que j’essayais de donner face à mon ancien petit-ami. Pour me donner plus d'assurance, je bus une gorgée de plus, en le fixant droit dans les yeux.

« Tu vois bien qu’elle n’est pas là… » C’est tout ce qu’elle trouve à me dire ? Je lui demande où est ma fille et indirectement, comment ça se fait qu’elle ne soit pas là et tout ce qu’elle trouve à me répondre c’est que je vois bien qu’elle n’est pas là, d’un air désinvolte. Je rêve ! « Ma mère m’a demandé si elle pouvait la garder, j’ai dit oui. » Elle hausse les épaules et fait comme si elle ne venait pas me lâcher une bombe. Jusqu’à il y a environ trente-trois secondes, j’espérais encore que ce soit une blague. Maintenant, je vois rouge. Je sais bien que ça ne lui a jamais fait plaisir que je prenne Jaimie chez moi, surtout qu’elle pense que Tennessee vit chez moi. Mais de là à ce qu’elle fasse tout pour que je ne la vois pas, j’ai du mal à y croire. Depuis quelques mois que nous sommes en conflit permanent, c’est la première fois qu’elle me fait ce coup-là. Je hausse mon sourcil gauche, chose que je fais quand je ne comprends pas ce qu’il se passe. « Ta mère peut la voir tous les jours, n’importe quand et comme par hasard, c’est aujourd’hui qu’elle veut la voir ? Te fous pas de moi, Dawson ! » Je ne pouvais pas me résoudre à l’appeler Jenna, comme je le faisais d’habitude, j’étais bien trop énervé pour ça. C’est vrai quoi, je connais très bien sa mère et elle sait que c’est le jeudi que je dois prendre Jaimie. Si jamais elle voulait la voir ce jour-là, ce qui était déjà arrivé, elle me le demandait ou me prévenais. Je trouvais donc ça carrément improbable.

« Tu pourras passer toute la soirée à t’envoyer en l’air avec ta nouvelle petite amie comme ça je me suis dit. » Ah, c’est donc ça. Elle essaye de me faire croire qu’elle a fait ça pour moi ? Comme si elle me rendait un service, quoi. Ça m’énerve encore plus. Je la scrute, pour essayer de deviner ce qu’elle pense et donc, essayer de savoir à quel jeu elle joue. Mais elle ne laisse rien paraître, étonnamment. Elle est assise sur l’accoudoir de son canapé –qui me rappelait de nombreux souvenirs- et elle me regardait dans les yeux l’air de rien. Son petit air de fausse innocente me tape sur le système. « Attends, attends… T’es en train de me dire que tu refuses que je voie ma fille parce que tu es jalouse ? » Je passais une main sur mon visage, essayant de ne pas m’énerver plus que je ne l’étais. « Que les choses soient claires… Ta jalousie, je m’en fiche mais c’est la dernière fois que tu me fais un coup comme ça ! En plus, c’est complètement débile ce que tu dis, tu sais très bien que Jaimie passera toujours avant tout le monde. » Ma voix s’était quelque peu adoucit sur la dernière phrase, prouvant ma sincérité.

Je jouais la fille calme, sure d’elle, mais au fond de moi, je n’en menais pas large. Oui, j’étais jalouse, et oui, je n’avais fait ça que pour blesser Léandro, mais en tant normal, cette fille, ce n’était pas moi. Mais comme dit l’adage, qui veut la fin se donne les moyens.
« Ta mère peut la voir tous les jours, n’importe quand et comme par hasard, c’est aujourd’hui qu’elle veut la voir ? Te fous pas de moi, Dawson ! »
« Parle moi sur un autre ton Léo. »
Il ne m’appelait pas Jenna, il utilisait mon nom de famille, il devait vraiment être furieux. Et parti comme il l’était, il n’allait pas s’arrêter de sitôt. J’allais devoir lui fournir des explications, une raison à mon geste, autre que « j’avais juste envie de provoquer une dispute ». En réalité, Jaimie avait été surprise que sa mamie vienne la chercher une heure plus tôt, et avait demandé pourquoi ce n’était pas Yandlo qui venait la chercher comme tous les jeudi soir. Je crois que ma mère a compris ce que j’avais derrière la tête sans me poser la question, parce qu’elle a distrait ma fille en lui parlant d’un nouveau gâteau au chocolat qu’elles pourraient tester toutes les deux. Je savais bien qu’elle m’appellerait demain pour me demander une explication. Et là encore, je ne savais pas ce que j’allais lui dire. Léandro se tenait toujours devant moi. Quand j’évoquais le fait qu’il pouvait passer sa soirée seul avec Tenessee sans sa fille sur le dos, son ton montra encore d’un cran. Je ne pus m’empêcher de sursauter. Je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même, je l’avais provoqué. Je crus qu’il allait s’approcher, me secouer, me faire réagir, car je me forçais toujours à ne pas bouger d’un pouce et à continuer de le fixer. Il se passa une main sur le visage, avant de continuer.
«En plus, c’est complètement débile ce que tu dis, tu sais très bien que Jaimie passera toujours avant tout le monde. »
Sa voix s’était radoucie, comme à chaque fois qu’il parlait d’elle. Des larmes me montèrent aux yeux, et je détournais la tête avant qu’il ne les voit, buvant une gorgée de plus de ma tasse. Vide. Il allait falloir que je m’occupe différemment pour ne pas craquer. Je me levais, lui tournait le dos, et juste avant d’aller dans la cuisine, je répliquais.
« De toute façon, c’est trop tard. Tu ne vas pas aller la chercher chez ma mère, Jai ne comprendrait plus rien. Tu pourras la récupérer la semaine prochaine. »
J’aurais aimé être aussi importante que sa fille à ses yeux, j’aimerai qu’il se batte pour moi, qu’il attende avec impatience chaque moment passé avec moi, sauf qu’à cause de mes mensonges, j’avais tout gâché. Et je désespérais de plus en plus de pouvoir me rattraper à ses yeux. Les larmes s’en étaient allées, je pouvais de nouveau lui faire face, le regarder droit dans les yeux. Jouer à celle qui n’avait peur de rien, celle qui n’avait plus rien à perdre.

« Parle-moi sur un autre ton Léo. » Je ne relevais même pas sa remarque, me contentant d’un haussement de sourcil significatif. Je préférais passer sous silence, faire comme si je n’avais rien entendu parce que ça pourrait mal se terminer. Par « mal se terminer », je ne dis pas j’arriverais au point de frapper Jenna, jamais de la vie. Je ne pourrais jamais lever la main sur une femme et encore moins sur Jenna, qu’on s’entende bien sur ce point-là. Mais il m’arrive d’être assez violent dans mes paroles, il paraît, et je me retiens pour ne pas l’être avec Jenna. Et ça doit se voir sur mon visage. Ça doit se voir que je mets toute ma volonté pour rester le plus calme possible. Et puis, même si j’étais très énervé, je ne voyais pas l’intérêt d’en faire plus. J’ai deviné pourquoi elle avait fait ça. Pourquoi elle m’avait empêché de voir ma fille. Pourquoi elle avait fait en sortes que je ne la vois pas avant la semaine prochaine. La jalousie est un vilain défaut. Il paraîtrait même que c’est plutôt une preuve d’amour. Moi, je pense que c’est un défaut d’intelligence, une preuve de débilité. Regardez ce que ça fait faire à Jenna. Je me suis mis à crier encore plus fort quand elle à évoquer Tennessee. Elle n’avait rien à voir là-dedans et je refusais qu’elle l’utilise comme excuse pour cacher sa jalousie. Mais, je me radoucissais ensuite en disant que Jaimie passera toujours avant tout le monde. Et c’était vrai, depuis sa naissance, elle avait pris une place très importante dans ma vie. Même quand je ne savais pas qu’elle était ma fille, je m’occupais d’elle comme de ma progéniture. Puis quand j’ai su que Jenna m’avait menti et que j’étais le paternel de la petite Jaimie, la place de cette petite est devenue de plus en plus grande. Il pouvait se passer tout et n’importe quoi dans nos vies, jamais, au grand jamais, je mettrais ma fille en danger, jamais je ne ferais quelque chose qui pourrait lui nuire.

La brune qui me faisait face tournait soudainement la tête, mais j’avais eu le temps de voir qu’elle avait les larmes aux yeux. Je n’aurais pas été si énervé, j’aurais eu très envie de la prendre dans mes bras. Mais si je n’avais été si énervé, nous n’aurions pas eu cette conversation. Alors qu’elle pleure, peu importe ! Elle se leva et se dirigea vers la cuisine, probablement. Elle fuit, je la connais. Je l’entends parler depuis la cuisine. « De toute façon, c’est trop tard. Tu ne vas pas aller la chercher chez ma mère, Jai ne comprendrait plus rien. Tu pourras la récupérer la semaine prochaine. » Je me doutais bien que je ne pouvais pas la voir avant la semaine prochaine, c’est bien ça qui m’énerve. Et le fait qu’elle soit jalouse alors qu’elle n’est plus en droit d’être jalouse, mais ce n’est qu’un détail. Elle revint se poster en face de moi avec une confiance que je ne lui connaissais pas. Ça contrastait tellement avec la Jenna qui était en face de moi il y a à peine deux minutes que s’en était déconcertant. « Pourquoi t’as fait ça ? Et pas de mensonges… T’en as déjà trop fait. » J’avais fini de crier. J’étais toujours énervé, c’est sûr, mais la phase « j’hurle pour montrer mon mécontentement » était passée. Maintenant, j’étais arrivé au moment où je veux comprendre ce qu’il se passe. Enfin plutôt le moment où je veux qu’elle me dise clairement ce qu’il lui prend. J’en ai marre des devinettes… Et des mensonges.

Hors de son champ de vision, je soufflais doucement par la bouche, yeux fermés, mains appuyées sur le plan de travail pour faire retomber la pression. Qu’est-ce qu’il m’avait pris de mettre cette idée bizarre à exécution ? Pourquoi étais-je incapable d’accepter que j’étais la seule responsable de notre rupture ? Que c’étaient uniquement mes mensonges qui avaient tout fait rater ? J'avais presque envie de revenir deux heures en arrière, avant d’appeler ma mère, et de passer un jeudi normal, seule chez moi, avec un gâteau au chocolat sur les genoux, et à le manger seule devant des séries TV. Quelques secondes plus tard, j’avais repris mes esprits, prête à rentrer dans le second round.
« Pourquoi t’as fait ça ? Et pas de mensonges… T’en as déjà trop fait. »
Je revenais de la cuisine quand il me posa cette question, et pendant quelques secondes, j’en restais même interloquée. Je ne me faisais pas d’illusions, que j’étais morte de jalousie devait se voir comme le nez au milieu de la figure. Mais je ne sais pas, je devais penser qu’il ne l’évoquerait pas. Ou plutôt qu’il ne me forcerait pas à le dire. Ce qui ne signifiait pas que j’allais le faire. J’avais prévu de jouer les innocentes ce soir, et je le ferai jusqu'au bout.
« Je ne vois pas de quoi tu parles. Donc si tu attends une réponse, tu peux attendre longtemps Leandro … »
Ma tasse à nouveau remplie de thé fumant, je repris place sur le fauteuil où j’étais assise un peu plus tôt, quand j’étais à deux doigts de craquer. Au regard de Leo qui avait changé, je sentais qu’il avait du s’en rendre compte. Il n’avait fait aucun geste pour moi. Il m’en voulait, je le sentais. Mais je l’avais cherché, j’étais la seule à blâmer. Le ton de sa voix n’était plus aussi énervé qu’à son arrivée, sa fureur était retombée, ou mon attitude le blasait. Un peu des deux surement.
« Tu vas rester debout, ou t’asseoir ? Ou partir ? »
C’était plus fort que moi, je ne pouvais m’empêcher de le provoquer ce soir, de le pousser à bout, de le pousser à m’en vouloir pour des conneries. Parce oui, planquer ma fille chez ma mère était digne d’une gamine de 10 ans. Et encore. Et pour encore plus jouer les filles naïves, je continuais à le regarder droit dans les yeux, en buvant une gorgée de thé de plus.

« Je ne vois pas de quoi tu parles. Donc si tu attends une réponse, tu peux attendre longtemps Leandro. » J’ouvris les yeux bien trop grand pour que je puisse cacher ma surprise. Malgré l’évidence, elle continue à faire l’innocente ? Je soupire plus fortement que nécessaire et passe la main sur ma tête, dans ma crête. Mes cheveux ont poussés et je me rappelle que je dois les couper afin que ma crête ne soit pas trop longue. Mais bon, il ne faut pas que je coupe ça trop court, puisque Jaimie aime jouer dedans. Bref, ce n’est pas le sujet. « ¡Oh Dios mio, Jenna ! Tu… » Je soupire encore une fois. Je ne sais même pas quoi dire répondre tellement je suis surpris par son comportement. Je n’aurais pas pensé qu’elle se conduise comme ça, qu’elle nie l’évidence. « Tu m’exaspères… » J’hausse les épaules ne sachant pas ce que j’aurais pu dire de plus. Elle m’exaspère sincèrement. Depuis qu’elle m’a avoué son énorme mensonge, je suis tiraillé par mes sentiments contradictoires la concernant. D’un côté, j’ai envie de la détester, de la haïr de m’avoir fait souffrir comme elle l’a fait. Mais d’un autre côté, je ne peux pas oublier tous les bons moments qu’on a passés qu’on soit en couple ou non, je ne peux pas oublier tout cet amour que j’ai ressenti (que je ressens encore ?) pour elle. « Tu vas rester debout, ou t’asseoir ? Ou partir ? » Je relève un sourcil, je sens toute la provocation dans sa voix et je la vois aussi dans son regard. Il me transperce. Je soupire encore une fois, en passant ma main sur mon visage. J’allais m’asseoir à l’opposé d’elle, sur le fauteuil. Je mettais le plus de distance possible entre elle et moi. « Qu’est-ce que tu attends de moi clairement ? Que je m’énerve ? Oublie. Que j’ai une espèce de révélation et que je me dise que tu es la femme de ma vie, que je lâche Tennessee et que je revienne vers toi ? N’y pense même pas. » Elle voulait jouer la carte de la provocation ? J’en ferais de même. Je la regarde droit dans les yeux, tout comme elle venait de le faire. Je ne sais pas où tout ça va nous mener, mais je ne compte pas me laisser faire. « T’as tout gâché, putain… »