this is where we're meant to be
« Tu m’attraperas pas, tu m’attraperaaaaas pas ! » Et voilà que Lesya se met à courir dans la baraque, sa voix stridente me perce presque les tympas. Assise à la table de la cuisine, je plonge ma tête entre mes mains, soufflant de désespoir. A neuf ans un gosse est encore capable de jouer à des conneries dans le genre ? Je regarde devant moi, assiette de brocolis toujours remplis, mes yeux fixe l’horloge, vingt et une heure passées. Elle devrait déjà être au lit. Elle devrait avoir fini ses brocolis, elle devrait s’être brossé les dents. Me foutre la paix quoi. Non. Non. Mademoiselle a décidé que ce soir, elle n’avalerai pas ses putains de brocolis –je la comprends c’est dégueulasse. Qu’elle ne se mettrait pas en pyjama, parce qu’elle est une femme maintenant, vous comprenez. A neuf ans, les ensembles bleue ciel, ou rose –comme vous voulez- avec des petits dessins dessus, c’est pour les grands-mères pas pour les femmes comme elle. Elle vaut mieux que ça. Le brossage de dents, inutile, elle n’a pas mangé m’a-t-elle hurlait dans les oreilles il y a cinq minutes. J’entends ses petits pas de naine dans toute la maison, elle dérape sur le sol, un rire d’enfant. Je souris, me levant pour aller chercher le petit monstre. D’un bras je la soulève comme un sac de patate, elle remue les jambes dans le vide. « C’est pas juste ! Pose-moi ! Allez, tout de suite ! » Je monte les escaliers sans dire un mot, la déposant sur la moquette une fois le sommet atteint. « Il est tard Lesya. Il faut que tu te prépares pour aller au lit. Son petit air triste me fait presque de la peine. Promis, la prochaine fois, je joue avec toi. Comme la dernière fois, tu m’apprendras à danser, où ce que tu veux après tout. C’est toi la reine. Mais c’est moi le chef, tu comprends ? » Enfin un sourire illumine son visage d’ange. Elle me répond qu’elle est d’accord, avant de partir dans la salle de bain. M’ordonnant de l’attendre sur les marches de l’escalier. Ce que je fis sans opposer la moindre résistance. Quelques minutes plus tard, une masse inconnue s’effondra sur mes épaules. « Allez chevalier ! Conduisez moi dans mon palais ! » Je ne pu retenir un rire. Lesya sur mon dos en train de gesticuler, moi debout la conduisant à son magnifique palais, plus communément appelé sa chambre. A présent assise au bord de son lit, j’attendais la question du soir. Toujours une question avant de dormir, son rituel pour en apprendre plus sur le monde. « Pourquoi… Hm. Pourquoi.. Pourquoi tu ressembles à un garçon alors que t’es une fille Teddy ? » « Ca, tu le comprendras plus tard. Ce n’est pas important. Allez dors. »

Autant vous dire que les autres jours, les autres soirs furent tout aussi extravaguant. Le baby-sitting, une joie. Tout le monde devrait pouvoir passer par là et connaitre les joies de garder un petit monstre. Ce n’est pas le plus important de tout ce qui a pu se passer quand je gardais cette petite, juste une anecdote comme il peut y en avoir des centaines. Je l’ai vu grandir, de neuf ans, elle est passée à quinze ans comme par enchantement. Nos relations n’étaient plus les mêmes, un bonjour, un au revoir, des fois. C’est pour son frère que je venais, la demoiselle préférant rejoindre ses amis pour des soirées surement –très- alcoolisée. De quinze ans, elle s’en est allée sur ses dix sept ans…

C’est bon Teddy, tu peux rentrer chez toi. Tel un zombie, je daigne enfin décoller mes yeux de la télévision. Une émission pourrie, encore et toujours. Les américains ne savent plus quoi faire de leur cerveau. Et comme moi, il le lobotomise devant une connerie. Lesya est en larme, je ne lui demande pas pourquoi. Nous ne parlons pas, presque pas en tout cas. Je me contente de lui dire que j’attends le retour de ses parents, ils m’ont payé d’avance, autant resté là, à ne rien faire. Plutôt que rentrer chez moi, pour, ne rien faire. Elle vient s’asseoir sur le canapé, à l’autre bout. Et elle s’enferme dans un silence de plomb. Je ne cherche pas à comprendre, j’ai eu son âge. Je ne suis pas si vieille, vingt cinq ans, c’est pas vieux ? Si ? Surement encore un chagrin d’amour, ou une dispute entre copine. Que sais-je. Je la regarde du coin de l’œil, elle a bel et bien grandi le petit monstre au pyjama rose. Elle a troqué son vieil ensemble, contre une jolie petite robe, avait-elle un rendez-vous galant ? Je rigole toute seule. Sans aucune discrétion. «Qu’est ce qui te fais rire ? m’envoit-elle sèchement. Rien, rien, je me disais juste que… Que quoi ? Que ça te va vachement mieux que cet immonde pyjama que tu mettais il y a quelques temps. »J’explose de rire sans retenue, l’émission télé m’a vachement bien bousillé le cerveau finalement. Lesya ne rigole pas, elle boude même, c’est qu’elle est vachement en colère la gamine. « C’est bon, arrête. elle me regarde, elle me fusille devrais-je dire. Tu sais que c’est dégueulasse de te servir de ce genre de choses. Je sais. » Je lui adresse un sourire, me redressant, être affalée comme une loque pour parler, de l’impolitesse. « Allez, raconte moi. Qui est le salop qui t’a mis dans cet état ? » Eh nous voilà partie dans une longue conversation. Elle me raconte sa soirée, comment elle a rencontré ce mec, Liam. J’ai droit à tous les détails, et je la regarde, passionnée. Nous passons de sujet en sujet, tout me montre qu’elle est devenue une femme maintenant. Une presque femme. Ce n’est plus le petit monstre que j’avais l’habitude de garder. Elle revient sur un vieux sujet. « Les mecs, c’est pas ton truc non ? un nouveau rire de ma part. Ma dégaine me trahirait-elle ? » Je pose les yeux un instant sur moi. En effet, oui. « Ce n’est pas si important tu sais. » Comme une impression de déjà vue. Elle ne répond pas, préfère même changer de sujet, les minutes passes, je lui découvre des qualités, quelques défauts. Des points communs. Je lui fais partager mon gout pour la cuisine, mes études ne portant que sur ça d’ailleurs. Sans même que je m’en aperçoive nous n’étions plus qu’à cinq centimètres l’une de l’autre. Plus un son, je la regardais simplement. Mon regard plongé dans le sien, essayant de trouver quelque chose, un secret, je ne sais pas, quelque chose. C’est une jolie fille, et je ne réfléchis pas vraiment aux conséquences. Tous les effets que ce simple effleurage de lèvres pourrait créer, parce que oui, c’est ce qui est en train de se passer en ce moment même. Une ombre déboule, elle se recule brutalement, je reprends mes esprits voyant le petit Nathanael courir vers moi, il se blottit sur mes genoux. Un cauchemar, c’est ce que j’entends lorsqu’il bouge les lèvres. Mais les yeux sont rivés sur Lesya qui se lève, perdue. « Je…je vais… me coucher. Attends. C’est rien, enfin, c’est pas grave. Bonne nuit »

C’est les dernières paroles que la jeune fille et moi avons échangé. Ses parents sont rentrés, ont recouché le gosse. Et je leur ai annoncé, que je partais la semaine qui suivait pour la France. Un besoin de changement, rien à voir avec ce qui aurait pu se passer avec leur fille. Pour trouver du travail, me perfectionner dans l’art culinaire et dans la langue. Le voyage est une chose qui m’a toujours fait rêver. Il était temps pour moi de m’évader. J’ai dépensé une bonne partie de mon fric en partant en France, mais j’en aussi gagné un bon paquet. Ce qui m’a permis de partir en Australie également par la suite. J’ai appris beaucoup, trop peut-être. Mais c’est une bonne chose au final non ? La trentaine approche, c’est pour cette raison que je reviens là où sont mes racines, dans la petite ville de ma naissance. Pour y retrouver –ou pas- quelques personnes. N’étant pas spécialement attaché aux relations sentimentales, je ne crois pas avoir gardé énormément de contact avec les gens d’Arrowsic.