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 La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan

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MessageSujet: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptyDim 15 Juil - 1:18

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  4864081155

Cette lumière aveuglante qui te pulvérise les yeux, s'acharne comme un tyran sur tes paupières et les écartèle sauvagement. Cette lumière qui se déverse, qui s'infiltre dans la pièce, celle qui éclaire tous les coins sombres, celle qui te t'extirpe de ton nid douillet et t'arrache vivement de la brume. Le noir est chassé à l'aide de grands gestes majestueux, et il n'y a plus d'obscurité dans laquelle se réfugier. Elle rivalise comme une forcenée cette salope, avec la migraine qui cogne sur tes tempes, et qui te rappelle amèrement tes excès de la nuit passée. La gueule de bois fièrement déployée sur ton visage, et qui se ressent jusque dans le fond de gorge, tu n'as qu'une envie, celle de dégueuler ta connerie. Et elle s'en souvenait encore, de cette sensation affreuse qui l'avait tirée de son sommeil profond alors qu'elle aurait sans doute préféré rester dans cet état là, hiberner jusqu'au printemps prochain pour ne pas avoir à faire à la rudesse de l'hiver. Car c'était sur un hiver particulièrement long et difficile qu'elle allait ouvrir les yeux. Doux et tiède rayon qui lui avait arraché un grognement et une grimace, l'obligeant à plisser les yeux davantage encore, avant de se décider à se retourner complètement, croyant ainsi gagner quelques minutes, si ce n'est des heures de repos supplémentaires. Mais il y avait toute une vision d'horreur qui s'offrait à elle ; dans toute sa splendeur, et les minuscules parties qu'elle pouvait percevoir par les fentes de ses paupières qui refusaient de se quitter, étaient déjà trop.
Ses traits se précisaient au fur et à mesure que ses yeux s'habituaient à la lumière... sa chevelure éparpillée sur son coussin, les contours de son profil, sa nuque dégagée qui donnait sur ses omoplates entre lesquelles coulait le creux de sa colonne vertébrale. Image qui aurait pu se révéler délicieuse, car elle avait là tout ce à quoi elle aspirait finalement, se réveiller à côté de lui, comme un couple lambda qui se réveille après une soirée un peu trop éméchée, qui va se donner quelques heures si ce n'est toute l'après-midi pour décuver gentiment, et qui programmera un samedi identique à celui-ci dès lundi ; rien de bien méchant en soi. Mais ce n'était pas le cas, décoller les paupières et découvrir Ethan avait été comme un espèce de coup de massue violent, qui l'avait certes replacée dans la réalité mais qui l'avait également bien amochée ; et même la brume laissée par les verres en trop était plus belle, plus douce, plus confortable en comparaison. Elle s'en souvenait encore, ce sentiment de terreur qui s'était emparée d'elle, qui avait réussi à couper son souffle, lorsqu'elle réalisa la situation dans laquelle elle était : elle ne se faisait pas suffisamment confiance pour croire qu'elle avait dormi innocemment à côté de lui, et de toute façon, l'époque où l'innocence était encore d'actualité était révolue. C'était placardé partout, dans le moindre recoin de sa cervelle dérangée, et elle n'arrivait plus à s'en défaire. Cette scène était devenue la seule et unique scène qui se jouait dans le théâtre de ses songes, le seul refrain qui passait en boucle, comme un vieux disque rayé qui radote toujours le même morceau. Mais bien plus encore, elle avait l'impression de vivre comme un somnambule, toujours avec ce cauchemar coincé quelque part ; la peur d'avoir atteint un stade supérieur ; poussé l'inceste jusqu'à une limite qui lui paraissait inenvisageable, poussé le vice jusqu'à son paroxysme – quoique le véritable paroxysme aurait été de s'y habituer.

Et ce fut ce concentré douloureux qui lui explosa à figure comme un obus, lorsqu'elle posa ses yeux sur ces chiffres, proprement imprimés sur cette feuille blanche. Elle n'aurait jamais cru perdre ses moyens devant les résultats d'une vulgaire analyse de sang – ce qui serait assez handicapant pour quelqu'un qui aspirait à être médecin. Quelques courbes joliment dessinées, qui lui crachait à la gueule une réalité qu'elle n'arrivait pas à concevoir ; ou qu'elle refusait de concevoir, plutôt. Elle le craignait depuis quelques jours déjà, elle en tremblait à l'idée même, mais elle conservait cet espèce d'espoir bien que bousillé d'avance pour se rassurer. Elle tentait de se répéter dans l'espoir d'y croire, que les chances étaient minces et qu'elle devait juste exagérer une fois de plus. Et même là, avec ces petits chiffres qui dansaient avec dédain sous son nez, elle refusait de l'accepter. Elle refusait de croire qu'il pouvait y avoir un amas de chair en elle, une pourriture qui grandissait dans la pourriture qu'elle était. Comme si elle n'était pas assez avariée déjà, et qu'il fallait en rajouter encore une couche. Elle avait l'impression de s'effondrer une fois, deux fois, et encore, et encore, sans même réaliser totalement ce que tout cela signifiait. Cloîtrée dans sa bulle hermétique, elle n'arrivait pas à prendre conscience de ce qui lui arrivait, même si paradoxalement, elle le savait, elle comprenait, et c'était bien ça le problème. Soudain blême, les mains moites, les doigts tremblotants, son corps se décomposait comme un vieux cadavre bouffé par les rats. Ses jambes en passe de flancher l'obligèrent à prendre appui sur le mur, tandis que son être tout entier était traversé par des milliers de frissons insoutenables. Une espèce de bouffée de chaleur vivement rattrapée par une sueur froide, une alternance irrégulière qui la rendait malade. S'agissant d'Elizabeth, pleurer aurait sans doute été la réaction attendue, puisqu'elle ne semblait être bonne qu'à ça. Se vider de ses larmes, suffoquer dans ses pleurs, alterner les hoquets et les reniflements indiscrets, et ne s'arrêter que lorsque ses yeux avaient atteint un gonflement raisonnable. Dernièrement, elle avait prouvé qu'elle excellait dans ce domaine-là, et là était une nouvelle occasion pour elle de démontrer ce talent si particulier. Mais rien. Les yeux, les joues sèches. Le nez tout aussi sec, mais la gorge affreusement nouée. L'impression qu'elle était serrée au point de ne plus laisser passer l'air.

Le temps paraissait se figer, ou s'accélérer ; il semblerait que l'espace-temps s'était dédoublé, un premier où se trouvait le monde et où les minutes étaient encore faites de soixante secondes, et un second où flottait sans repère le corps d'Elizabeth, dans un néant total où la notion de temps s'était dissipée. Et elle y serait restée, sans s'apercevoir de rien, dans son univers déconnecté, si personne n'était venu la déranger et l'en extirper.
Hôpital. Lieu public où vont et viennent malades, non-malades et médecins – et quelques pompiers, ambulanciers par-ci par-là. Lieu public où de nombreuses portent s'ouvrent toutes les minutes. La poignée s'inclina et apparut dans le cadre le docteur Bradford, l'air décontenancé, qui ne tarda pas à lui demander ce qui n'allait pas. Il avait toujours cette voix douce, cet espèce de mélange bien dosé de petit sorcier, assez de compassion mais assez de neutralité professionnelle. Il avait toujours son regard autoritaire, et elle se rappelait bien de Ross lui répétant encore et encore qu'elle n'allait pas faire long feu si elle se laissait réduire au stade de victime par ses sentiments et par ce qu'elle appelait volontiers l'instinct. Il continuait à poser ses questions dans le vide, à un mannequin qui n'allait visiblement pas lui donner de réponse. Ses questions s'enchaînaient, pleines de bons sentiments, presque inquiètes. Il les reformulait, rajoutait des mots, en enlevait quelques uns, mais l'effet restait le même, Elizabeth fixait toujours un point inexistant, et refusait de prononcer quoique se soit. Elle frémit au contact de ses mains se posant sur ses épaules, avant de se décider à s'éclipser, toujours sans un mot, traînant jusqu'à l'ascenseur un corps qui lui sembla peser des tonnes. Comme si c'était ce fourbe là, agrippé à ses muqueuses qui était aussi lourd, qui pesait tant, qui l'écrasait littéralement.

Et coup du Destin. Ironie du sort. Malédiction. Les portes métalliques s'ouvraient et laissaient apparaître cette silhouette qu'elle reconnaîtrait entre mille, entre millions et milliards. Silhouette enivrante qu'elle fuyait comme elle le pouvait depuis ce fameux matin, et qu'elle désirait éviter d'autant plus maintenant. Il était la seule personne qui ressortait, les autres autour n'étaient que des formes vagues et floues qui apparaissaient sans vraiment apparaître. Il était le seul à montrer tant de précisions et de détails, et aussitôt qu'elle l'eut vu, ses doigts se crispèrent nerveusement sur le papier. Elle finit par s'engouffrer dans l'ascenseur la peur au ventre, et surtout très hésitante, alternant entre l'impatience d'arriver à l'étage souhaité et le regret de ne pas avoir choisi les escaliers. Tournant le dos à Ethan, elle continuait à tripoter les doigts tremblotants sa feuille de résultats, tentant par moment de la glisser dans son enveloppe, mais s'y résignant face à ses phalanges palpitantes.
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MessageSujet: Re: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptyLun 16 Juil - 20:13

L’indémodable et imparable technique de l’autruche. Il s’y était employé jusqu’à s’y brûler les rétines, si souvent enfouies dans le sable que les grains irritaient ses paupières en permanence. Et l’étrange animal continuait inlassablement de creuser son trou, s’écorchant littéralement les ongles de crasse à force de persévérer. Caché à l’abri de l’effroi derrière ses œillères. Évitant à tout prix de songer à cette fameuse nuit, au violent réveil qui s’en était ensuivi. Il essayait tant bien que mal de ne pas s’en servir en tant que torture psychique. De ranger ce malheureux incident dans la case du cauchemar hasardeux qui n’a jamais pris ses racines dans la réalité. Il préférait ignorer royalement la douleur tapie au creux de ses entrailles, insecte pugnace rongeant ses boyaux et ses tripes à l’aide de ses petites dents acérées. Barricadant les sombres placards de sa conscience à la nuit tombée, pour que les fantômes et les peurs n’en surgissent pas inopinément. C’était ce dont il s’était persuadé, mais il ne pouvait pourtant ignorer ce claquement de dents qui ruinait son sommeil. Ces sueurs froides qui agitaient sa misérable carcasse lorsque des questions muettes s’infiltraient dans la brèche et percutaient avec perte et fracas ses tympans écorchés. Détresse assassine tapie en profondeur, grattant insidieusement pour gagner la surface. Dans l’ombre de ses fantasmes douteux ce genre de scène pouvait sembler délicieuse, enivrante. A la lumière barbare du jour, c’était juste effroyable. L’époque où cela aurait été parfaitement naturel et innocent, dénué de toute arrière-pensée lubrique, semblait tellement loin qu’il se demandait si elle avait jamais existé. Enfance arrachée par les griffes de l’infamie, d’un désir putride souverain, qui avait terminé dévorée toute entière par le néant. Il n’en restait plus que quelques miettes, jonchant le sol dégueulasse avec perfidie.
Le seul moyen pour ne pas devenir complètement fou était de se rassurer. De se replier derrière cette désinvolture qui lui collait tant à la peau durant son adolescence frivole, et qu’il avait abandonnée sur le bas-côté lorsque l’inceste s’était incrusté dans son enveloppe pourrie par le vice. S’il n’arrivait – heureusement – pas à se moquer d’avoir pu frôler les courbes destructrices de sa cadette plus que de raison, il parvenait néanmoins à se répéter que s’il ne se souvenait de rien, c’est qu’il ne s’était rien passé. Un moment aussi abominable et espéré à la fois, il s’en serait rappelé c’était certain. Il en serait resté des traces, gravées dans sa chair. Pas seulement cette maudite gueule de bois qui lui avait donné envie de tout casser dans la chambre. Son corps était suffisamment habitué à être intoxiqué par l’alcool en permanence pour qu’il se souvienne si ce n’est des détails, du déroulement diffus de la soirée. Ignorant ainsi royalement les bases de sa chère psychiatrie, et la capacité du cerveau à effacer les horreurs traumatisantes. Mécanisme de protection bien rodé auquel il ne croyait subitement plus, parce que ça l’arrangeait mieux.

Mais il y avait encore ce foutu doute, le faisant osciller sur un morceau de bois aussi bancal que précaire, perdu en plein milieu de la tempête. Cet acide corrosif qui le grignotait méthodiquement, avec une application exterminatrice. Qu’Elizabeth l’évite comme la peste ne servait qu’à aggraver ses horribles angoisses. Cette fâcheuse tendance à se replier dans un affreux mutisme quand il aurait mieux valu crever l’abcès une fois pour toutes. C’était insupportable, et il avait ce sentiment prémonitoire que quelque chose de criminel allait lui tomber sur la gueule lorsqu’ils retrouveraient un semblant de dialogue. Pire qu’une bombe à retardement, dont il entendrait l’horloge mécanique faire tic tac en continu dans un des coins détraqués de son esprit. Il sentait la colère monter, rugir. Certes au début cet aspect de sa personnalité était attendrissant. On se disait la pauvre, on aurait du mieux la protéger, il va falloir être patient et ne pas venir impunément la tourmenter : il ne faut surtout pas la brusquer. A l’usure, ça devenait intolérable. Parce que merde, c’était aussi un peu sa faute là. Il ne l’avait certainement pas encouragée à boire, il s’était contenté de mettre en veilleuse ses instincts d’ainé et ainsi résisté à la tentation de lui retirer ses verres des mains. S’il admettait volontiers avoir montré le mauvais exemple, il déclinait toute autre responsabilité concernant son état d’ébriété très avancé. Doté comme d’habitude d’une mauvaise foi affolante.

Il en était là de ses réflexions, oscillant audacieusement entre la culpabilité lancinante et le total désarroi, lorsque le destin, ou la fatalité, décida de s’en mêler. Il dut retenir un rictus sarcastique devant l’ironie de la situation, levant un instant les yeux au plafond. Comme si cela signifiait, ou qu’il espérait, que le malheureux allait s’effondrer puisqu’ils se trouvaient enfin réunis dans le même espace exigu. Avec tout le mal qu’elle s’était donné pour le fuir ces dernières semaines, avec brio d’ailleurs, ce n’était aujourd’hui pas la peine d’aller tenter sa chance à la loterie. Surtout qu’en choisissant l’une des cages métalliques de l’hôpital comme moyen de locomotion, elle aurait logiquement du s’éviter le fardeau de le croiser. Il dénigrait les ascenseurs la plupart du temps, se croyant plus malin en prétendant vouloir faire de l’exercice dans les escaliers alors qu’en vérité seule la phobie d’y finir coincé le tenaillait. Mais il lui arrivait parfois de faire preuve d’un peu de courage, et de ne pas avoir envie de s’infliger tant d’étages à pied.
Sans croiser son regard, elle se décida à contrecœur à s’engouffrer à l’intérieur de la machine infernale, lui tournant ostensiblement le dos. Ses prunelles d’un bleu électrique ne tardèrent pas à la détailler sans vergogne, l’amenant à froncer les sourcils lorsqu’il constata qu’elle en était réduite à l’état de petite boule de nerfs. Il se demandait si sa simple présence parvenait à la terrifier à ce point là, et qu’elle puisse s’être enfin rappelé le déroulement de leur soirée désastreuse lui noua brutalement le ventre. Il se repassait en boucle depuis des semaines le disque scandant qu’il ne s’était absolument rien passé, et l’abject crissement résonnant à ses tympans lui signalait qu’il était rayé. Et vu la torpeur dans laquelle elle semblait plongée, il doutait qu’elle se soit souvenue d’une partie de scrabble ou de monopoly. Ses doigts se mirent à pianoter nerveusement sur la glissière de l’engin en ferraille. Et puis qu’est ce qu’elle avait avec cette maudite feuille… il avait rarement vu quelqu’un de si branque pour accomplir une tâche aussi primaire que celle de ranger une lettre dans une enveloppe. Il avait beau plisser des yeux, sa vue de myope l’empêchait d’atteindre l’acuité du lynx en chasse.

Il hésita un millième de seconde lorsque les portes s’ouvrirent, contemplant les quelques personnes dressées entre eux déserter les lieux avant de faire brusquement un pas en avant. Sa main se glissa sur sa taille, la tirant en arrière au moment où elle allait s’échapper avant de murmurer doucement dans son oreille : « Tu as l’intention de m’ignorer encore longtemps ? » Réalisant, peut être un peu tard, qu’un contact physique aussi renforcé était surement inapproprié et indécent à la vue des circonstances. Mais ça restait plus doux que de l’attraper par les cheveux et plus efficace que de s’agripper vainement à son petit bras de dinosaure. Ne se décidant à la relâcher que lorsque l’acier les retint à nouveau prisonniers. Seuls. Il se recula, scrutant son visage livide avec perplexité lorsqu’elle lui fit face. S’interrogeant sur la lueur de terreur brillant dans ses pupilles océaniques avec autant d’intensité qu’un phare en pleine mer, destiné à éviter aux pauvres marins de se heurter aux récifs meurtriers. Et plus inquiétant, elle ne s’était pas mise à l’insulter devant son manque de civilité en lui conseillant d’aller se faire soigner au lieu d’emmerder ceux qui bossent. En sale fouine qui se respecte, il ne tarda pas à reporter son attention sur ce que ses phalanges s’évertuaient à réduire en bouillie. « Et bordel arrête de froisser ce pauvre papier, il va finir par s’effriter sous tes doigts si tu continue. » Il empoigna avec vigueur l’objet du crime, inconscient ne pensant pas à savourer les quelques secondes précèdent sa chute vertigineuse dans les abysses. Ses premières années de médecine avaient beau ne pas être si près que ça, il était encore apte à interpréter des résultats d’analyse. Même si en l’espèce, il dut s’y reprendre à plusieurs lectures, sa vision devenant floue et son cerveau se liquéfiant dans son crâne. Avec tout en haut indiqué le nom de la patiente. « Tu… tu es… » Le mot était trop ignoble pour être prononcé à voix haute, il n’arrivait plus qu’à bégayer en sentant ses guiboles peiner à la soutenir. Il avait l’atroce sensation que tous ses organes vitaux se décomposaient soudainement, et le raffut dans sa cage thoracique le rendait sourd aux bruits alentours. Il tituba légèrement, se retenant laborieusement aux bords. Parvenant à se ressaisir suffisamment pour entrainer sa compagne d’infortune à l’extérieur lorsqu’ils se retrouvèrent à son étage, jusqu’à atterrir dans son bureau, qu’il ferma à double tour derrière elle. Sa main se coula sur son front endolori, le massant durement avant que sa gorge aride ne s’aventure à libérer deux mots. « Depuis quand ? »
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MessageSujet: Re: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptyMar 17 Juil - 13:38

Les sens plus aiguisés que jamais. Le temps plus long que jamais. Elle avait presque l'impression de les sentir passer les secondes, effleurant sa peau avec une lenteur cynique. Elle sentait ses mèches boucler sur ses tempes trempées de sueur, et les gouttes se former. Une à une. Là sous ses yeux, à la surface de sa peau ; la transpiration s'accumulant en un tas, qui devenait de plus en plus lourd et qui sous les lois de la physique était irrésistiblement attiré vers le bas. Le moment de silence intense qui nous prend face à un gros plan d'une goutte d'eau qui va tomber, mais qui s'accroche encore un peu à son support. La certitude de la voir rejoindre le sol, tout en ignorant quand. La tension palpable, au bout des doigts. Le brouhaha qui s'était soudainement atténué une fois les portes fermées. Bulle hermétique et métallique où l'air semblait presque manquer, où les lumières ressortaient criardes et aveuglantes. Tout était fascinant et flou à la fois. Le temps se dilatait soudainement et rétrécissait à la seconde qui suivait. Un étage n'avait jamais paru aussi long, elle avait l'impression de traverser un gratte ciel d'une cinquantaine d'étages. Et la délivrance qui sonna avec sa mélodie mécanique. Didoum si doux et si agréable à l'oreille qui accompagnait l'ouverture des portes. Occasion pour elle de s'échapper, même si ce n'était pas l'étage qu'elle souhaitait atteindre, mais elle avait eu le temps de se rendre compte de l'erreur qu'elle avait commise ; ou plutôt de l'expérience se rapprochant du masochisme si ce n'est du suicide dans laquelle elle s'était embarquée en s'engouffrant dans ce piège de ferraille. Levant le pied, prête à sauter à l'extérieur, elle se sentit attirée dans la direction opposée, et ne put s'empêcher de sursauter en laissant échapper un son de surprise.
Elle regardait les portes de fermer mécaniquement, sous ses yeux, alors qu'elle était désormais dans le fond de la cage. Coincée, rattrapée par son kidnappeur, qui s'essayait à la douceur. La chaleur de sa voix et de sa main aurait pu être délicate et touchante, ou juste anodine. Ça aurait aisément pu passer pour un moment d'affection, les amants ne supportant plus la distance professionnelle qu'ils s'échinaient à instaurer entre eux, s'accordant ainsi une incartade amoureuse à l'abri des regards. Mais il n'en était rien. Elizabeth restait crispée, terrorisée à l'idée de bouger tout comme de rester immobile, et sa respiration sifflait. Timidement, elle finit par lui faire face, le visage pâle et les membres ayant perdus toute leur souplesse. Ses muscles ne lui répondaient plus que partiellement, elle les sentait déconnectés et les mouvements s'effectuaient avec difficulté. Les prunelles envahies par la peur et noyées par la panique, elle posa ses yeux sur lui. L'ignorant. Il avait encore les traits détendus, l'air paisible. L'ignorant, l'inconscient, il n'avait pas la moindre idée de l'horreur que renfermait ce petit bout de papier qui aurait pu se perdre parmi tant d'autres. Un papier, des papiers, ce n'était pas ce qui manquait dans un hôpital. Administration par-ci, résultats par-là. Elle pensait que les mauvaises nouvelles de ce genre n'arrivaient qu'aux adolescentes malchanceuses.

Elle flottait entre deux états, deux mondes, deux réalités. Sensible à chacun de ses frôlements, chacune des variations de sa voix, chaque mouvement de main, de peur qu'il la touche encore une fois. Mais à côté de ça, elle se tenait droite et rigide, comme si le plus petit de ses déplacements enclencherait un piège vicieux de cet ascenseur. Une trappe allait peut-être s'ouvrir sous leurs pieds si elle osait respirer plus fort, si sa poitrine s'affaissait un peu plus. Cependant, lorsqu'il lui arracha des doigts sa fiche de résultats, elle réagit immédiatement, écarquillant ses yeux d'un coup, et se mettant à gigoter ses bras dans tous les sens, en essayant d'agripper maladroitement avec ses doigts moites la fameuse feuille. Elle bredouillait quelques mots, répétant le prénom de son frère, usant d'un impératif qui ne marchait visiblement pas, puisque les traits détendus d'Ethan finirent très rapidement par prendre une forme tordue. Les dents qui se serrèrent machinalement et le creux des joues qui s'accentua. Les yeux qui perdirent soudainement leur éclat, et le teint qui devint presque livide. Ce changement qui s'insinuait dans chacun de ses muscles, chacune de ses veines, et transformait son visage, paralysait ses membres. Cette grimace qui avait du être sienne quelques instants plus tôt. Elizabeth continuait de s'agiter, refusant de lâcher le morceau maintenant, comme si ces efforts allaient pouvoir changer la donne. Comme si l'acharnement bête pouvait rendre les conséquences différentes. Comme si les choses étaient encore à refaire maintenant, que rien n'était trop tard. Et même lorsqu'Ethan bégayait ses quelques mots qui ne parvenaient pas à sortir de sa bouche, restant collés à sa langue, elle continuait par la négation, répétant sans cesse des bouts de phrase semblables à des supplications.
Cependant, elle finit par se calmer très rapidement, reprenant entre les mains sa feuille qui avait désormais perdu tout son mystère et que son frère laissait glisser entre ses doigts sans plus aucun problème. Retombant dans son état de passivité totale, elle jeta sur Ethan quelques coups d’œil, lui permettant de guetter ses réactions. C'était peut-être plus douloureux encore que de l'apprendre soi-même. Plus insupportable encore de voir que son émotion était partagée. La pression allait en s'accentuant sur sa poitrine, et la déglutition devenait pénible. Elle n'était pas prête à partager ça avec lui, avec personne d'ailleurs. Et si les circonstances n'avaient pas été les mêmes, elle l'aurait sans doute gardé pour elle, ressassant toute seule les mauvais souvenirs et surtout, les souvenirs qui n'existaient pas. A force, elle avait réussi à se persuader de la catastrophe s'étant, hypothétiquement, déroulé lors de la soirée. Elle était arrivée à un point où elle s'imaginait ses propres scénarios, les circonstances les ayant menés jusqu'à l'appartement d'Ethan, et l'enchaînement sensuels des baisers les conduisant tout droit dans le lit de la décadence, le nid du péché. Elle se repassait tout une série des scénarios possibles, qui avec le temps étaient devenus probables. La douleur constante qui prenait encore plus d'ampleur à chaque fois qu'elle y repensait. A chaque fois qu'elle mettait en route la machine bien huilée de son imagination, qui ne s'essoufflait malheureusement jamais. La mécanique rouillée de sa psychologie dérangée ; elle était intimement persuadée d'avoir franchi le pas, comme elle essayait de se convaincre du contraire. La guerre des titans dans son crâne endolori.

Ils avaient l'air de deux boiteux déambulant tant bien que mal dans les couloirs, lorsqu'il l'entraîna à l'extérieur. Ses genoux s'effritaient et la lâchaient, l'obligeant à plier la jambe et suivant très difficilement la marche rapide que lui imposait son frère. Ses doigts glissaient sur son poignet, l'obligeant à resserrer sa main avec plus d'ardeur, avant de le relâcher sèchement, s'évertuant ensuite à fermer à double clé la porte. Pendant ce temps, elle tenta une fois de plus de glisser la feuille dans son enveloppe, sans réussir à exécuter l'action non plus. S'y résignant, elle plia nerveusement l'ensemble avant de le tapir au fond la poche de sa blouse, croisant par dessus ses bras, pour former comme une armure supplémentaire. Elle aurait pu se tenir sage s'il n'avait pas prononcé de mots, s'il avait préféré le silence bien confortable dans lequel elle se jetait tout entière à chaque fois qu'elle était un peu froissée. Mais elle était là, la question inévitable, celle à laquelle aucun des deux ne désirait de réponse, celle dont ils connaissaient tous deux la réponse. Depuis quand... Elle releva finalement les yeux sur lui, ce regard plein de fatalité, rendu muet par la cruauté des mots qu'il faudrait prononcer. « Laisse-moi sortir. » articula-t-elle, en reprenant son souffle, avant de se rapprocher de lui, tentant vainement de s'emparer des clés qu'il tenait fermement. « Laisse-moi sortir, putain, donne moi les clés. Arrête ça... » Et elle y allait avec acharnement, usant de ses deux mains qui devenaient de plus en plus glissantes, tentant de passer ses doigts entre les siens pour les décoller ne serait-ce que de quelques millimètres. Elle plantait ses ongles dans ses phalanges, essayait de tirer sur le morceau de clé qu'elle arrivait à toucher du bout des doigts, enchaînait les vas-et-viens avec ses bras pour le contraindre à lâcher ce foutu bout de ferraille. Et dans sa danse effrénée bien que sans effets, elle ponctuait chaque changement de pas par quelques jurons.
Finalement, elle arrêta ses efforts voués à l'échec, reculant d'un pas pour ré-instaurer la limite qu'elle jugeait désormais nécessaire. Elle était devenue intenable, entrée en pleine panique, incapable de se tenir droite et immobile, toujours en train de s'emmêler les doigts les uns les autres, à remuer ses orteils dans ses chaussures et serrer les dents jusqu'à la césure.
Elle avait envie de lui dire que ce n'était qu'une vulgaire erreur, que ce n'était pas possible, qu'il le savait bien. Elle avait envie d'essayer de le persuader d'une réalité à laquelle elle ne parvenait pas à croire, juste pour essayer de se berner toute seule. Mais alors que ses lèvres s'entrouvaient, que les mots étaient parfaitement alignés sur sa langue n'attendant plus qu'à être expulsés au dehors, elle ne fut capable que de sortir un bruit sourd d'inspiration. Elle en avait plein des phrases, à la pelle. Bourrées de négation, dans lesquelles elle reprochait à Ethan d'avoir passé trop de temps à écouter les vies de ses patients bornés, de s'être habitué à une médecine abstraite et vague, spécialisation qui lui avait fait perdre ses habitudes autrefois des réflexes. Il en avait même perdu sa capacité à lire une pauvre feuille de résultats, et il se méprenait quant à son interprétation. Elle en avait des tonnes et des tonnes, et si c'étaient ces phrases bateaux qu'il lui manquait, alors elle pouvait les inventer. Les reproches, les insinuations infondées, elle était devenue douée. Mais impossible de réciter une de ses phrases toutes faites, elle n'était bonne qu'à respirer bruyamment et à exiger des choses qui ne se réaliseraient certainement pas. « Faut que j'y aille, vraiment. Laisse moi sortir, s'il te plaît. » Relevant le menton, et immobilisant ses iris fuyants, elle se répéta : « Ethan, s'il-te-plaît. »
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MessageSujet: Re: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptyVen 20 Juil - 17:33

Comme emporté par un cataclysme. Il se sentait chanceler, terrassé par une fièvre assassine. Il avait beau se faire violence pour ne pas greloter comme un aliéné, il savait qu’il était en train de perdre pied. Tentant vainement d’accrocher le regard de la brune paniquée pour garder un contact avec la réalité et esquiver la noyade assurée. Il aurait voulu y discerner autre chose qu’une terreur muette, une lueur espiègle qui lui ferait comprendre que tout ça n’était qu’une farce. Un sombre malentendu. Prêt à gober n’importe quoi, n’importe quel alibi douteux pourvu qu’il puisse retourner s’enliser dans sa petite routine. Cette même routine qui n’en était pas tellement une à vrai dire, mais qui lui semblait soudainement moins invivable en comparaison de ce qui les attendait. Mais rien, absolument rien ne venait. Elle continuait de le fixer éberluée, avec ses yeux sirupeux de merlan frit. Il n’avait qu’un désir : la secouer pour qu’elle crache son venin, sa bile, ses reproches, ses mensonges. Tout pourvu qu’elle ne lui impose plus ce silence destructeur qui lui donnait envie de crier pour que le bruit résonne contre les murs. Son torse lui faisait terriblement mal maintenant, sa cage thoracique semblait peser des tonnes et son abject contenu ne tendait qu’à se répandre sur le carrelage trop blanc. Il avait la nausée, avec ses tripes ne trouvant rien de mieux que de se tordre dans tous les sens. Avec son cœur qui s’emballait comme un soldat cherchant à déserter le front. L’accablant de palpitations infernales jusqu’à l’intérieur de sa boite crânienne.
Et en entendant ses suppliques, il comprit que non seulement il ne s’était pas trompé en interprétant les résultats, mais qu’en plus le talent inné d’imitation de l’autruche était de famille. Dernier espoir brûlé vif. Il resta stoïque, comme déconnecté de ce qui l’entourait, alors qu’elle s’acharnait subitement sur le poing refermant les clefs. Se contenant de resserrer sa prise de fer sur les objets métalliques tant convoités, les prunelles dans le vide. Encaissant lentement l’information alors qu’elle virait totalement hystérique. Rendu sourd à la douleur. Insensible alors que ses ongles acérés s’enfonçaient dans la chair affable pour le faire céder. Le pire était qu’elle n’y allait pas de main morte, transformée en véritable petite furie pendant qu’il endossait le rôle de la statue de pierre. Il la toisa avec une once de dédain quand elle se recula, en vérité plus sonné qu’autre chose. Même les railleries n’arrivaient plus à s’extirper de ses lèvres scellées, bloquées sur la question qu’elle s’était évertuée à ignorer.

Mécaniquement, les icebergs se déportèrent sur son ventre plat, comme si le monstre en train de pousser pouvait déjà se voir. Déjà apparent, en train de le narguer. Il bloqua un certain moment dessus, ne se décidant à fixer à nouveau son visage que lorsque ses jérémiades vrillèrent une fois de plus ses tympans. Effritant dangereusement ses nerfs. Il laissa planer un léger silence, stupéfait, avant que le couperet ne s’abatte. « Attends, tu te fous de ma gueule ?! » Siffla t’il, la voix blanche. « Ethan, s’il-te-plait. » Inconscient poussant le vice jusqu’à imiter sa cadette, d’une voix niaise et criarde loin de lui rendre justice. Il lui arrivait parfois de le faire lorsqu’ils étaient plus jeunes et qu’elle faisait un caprice, rien que pour l’énerver davantage avec ses moqueries. En l’espèce, il n’avait en rien envie de jouer, ni de plaisanter. Elle pourrait toujours porter plainte pour kidnapping et séquestration si ça lui chantait. « Mais t’es devenue complètement cintrée, ou décérébrée ou les deux bordel ?! Tu sortiras pas tant qu’on aura pas parlé de ça, putain. » L’œillade mauvaise, l’intonation menaçante, tout y était. Il dut se retenir de frapper comme un forcené contre la porte pour évacuer la tension gangrénant à toute vitesse ses muscles. Ses jambes fébriles esquissèrent quelques pas vers le bureau, ses phalanges venant ébouriffer ses cheveux avec nervosité.
Un long soupir s’échappa de ses poumons avant qu’il ne fasse volte-face et scrute la captive avec un semblant de calme retrouvé. Elle l’agaçait profondément à vouloir prendre la poudre d'escampette, en se contentant d’user d’impératifs et de mentionner son prénom à toutes les sauces. Toujours cette foutue lâcheté, cette tendance horripilante à se poser en victime esseulée tout en entretenant leurs ignobles chimères. Lui aussi aimait faire ça. S’éloigner, s’enfermer dans son appartement vide en prétextant une pathologie quelconque. Mais en l’espèce il se doutait qu’aucune cigarette, aucune bouteille d’alcool, ni sa douce-amère solitude, ne lui feraient oublier le désespoir s’emparant de lui. « Je suis navré Elizabeth mais… mais c’est trop grave là. Tu… tu peux pas… juste fuir dès que les choses se compliquent. Tu peux pas sombrer dans le déni et te… te réveiller dans neuf mois. » Les mots avaient été difficiles à arracher, tant ils illustraient une vérité qu’il continuait de refuser en bloc. Une part de lui réalisait l’ampleur des dégâts, sa part d’implication dans tout ça, l’horreur suprême d’une telle aberration de la nature. L’autre ne comprenait rien, ne voulait surtout rien comprendre, et n’aspirait qu’à s’extirper de ce foutu cauchemar. Il n’avait toujours pas prononcé le mot fatidique d’ailleurs, même pas dans sa tête. Son cerveau n’arrivait plus à faire les connexions, et ‘enceinte’ devenait un mot aussi banni dans son vocabulaire qu’inceste et consanguinité. Il était quasiment à deux doigts d’aller ouvrir la fenêtre pour se foutre en l’air. Il avait des chances de ne pas se louper vu l’étage avancé, et ce qu’il aurait à affronter après serait peut être moins terrible que ces immondices.

Il avait la nausée, il avait chaud, et il lui semblait que les flammes des géhennes commençaient déjà à lécher sa carcasse décrépite avec ardeur. Elles commençaient le sale travail avant même de l’avoir achevé ces vermines… Si l’enfer existait sur cette maudite terre, il était convaincu qu’il venait d’en trouver l’épicentre. Il devenait livide, sa pâleur n’ayant désormais rien à envier à celle d’un mort. N’y tenant plus, ses malheureuses guiboles prêtes à chavirer, il se posa sur le sofa. Ce même sofa où tant de patients lui avaient confié leurs états d’âme, lui contant les détails sordides de leur triste vie. Ce confort moelleux supposé changer cet endroit de torture en un lieu convivial, agréable. Sauf que cette fois, c’était lui qui aurait bien eu besoin de se faire soigner, et qu’on lui dicte la marche à suivre pour retrouver son sang-froid. Il fixa ses mains, si tremblantes qu’elles ne parvenaient plus à se refermer. Tellement engourdies qu’il ne les sentait presque plus. Il avait l’atroce impression de sombrer dans un gouffre sans fond, aspiré par un néant abyssal.

La question n’aurait même pas du se poser. Il aurait du n’être que le grand frère qui n’est pas spécialement heureux d’entendre une telle nouvelle, parce que sa sœur est en plein milieu de ses études de médecine et qu’il n’a pas encore décidé si le bougre lui ayant mis le grappin dessus était digne ou pas de se faire castrer. Ce grand frère qui va grogner pour la forme, envisager de casser la gueule du futur père, mais qui n’a pas spécialement son mot à dire. Il n’aurait pas du être en train de se repasser le film de cette stupide soirée, en tentant vainement de combler les trous noirs et en sentant l’angoisse monter. Poigne métallique enserrant sa jugulaire avec violence, malmenant son souffle. L’idée d’avoir pu distribuer à sa sœur autre chose que de chastes baisers sur la joue ou sur le front n’aurait pas du pouvoir traverser son esprit détraqué. Les multiples dérapages qui avaient pu se produire depuis qu’ils étaient arrivés à Arrowsic semblaient s’additionner les uns aux autres, formant un enchainement écœurant au possible. Douche glaciale emprisonnant ses os dans du givre, secouant sa misérable enveloppe de frissons impossibles à réprimer. Il ne ressentait plus que le dégout, ce dégout lancinant qui grimpait, qui grimpait, atteignant les sommets de l’infamie sans rencontrer le moindre obstacle. Contre elle, contre cette maladie incurable. Et aussi contre lui-même pour l’avoir contaminée impunément. Il lui en voulait affreusement de s’être laissée influencer par cette folie aberrante. De l’avoir aimé au point de permettre à l’infection de se propager, et de ne jamais décliner complètement ses invitations incestueuses. La situation lui paraissait surréaliste. Il avait quasiment la sensation de regarder d’en haut son pantin désarticulé sans pouvoir intervenir dans la scène. Et les mêmes remarques semblaient tourner en boucle. Comme si l’intérieur de sa cervelle avait été mis sur pause en prenant soin de réduire en cendres l’ensemble de ses neurones au préalable. Au fond elle avait surement raison. Pourquoi s’embêter à discuter de ça ? La seule solution ils la connaissaient déjà : prendre rendez-vous pour avorter la masse tapie dans son abdomen. Si possible ailleurs, histoire que le récit ne jase pas à leurs oreilles durant des semaines et des semaines, les ragots allant bon train dans un village aussi insignifiant. Pas d’autre alternative, pas d’échappatoire moins violente. Pas de réflexion inutile à entretenir sur le sujet, pas de fausse hésitation. Mais elle aurait beau s’en débarrasser, il était conscient que rien ne serait plus comme avant. Qu’ils y hésiteraient désormais à deux, voire à trois ou quatre fois avant de laisser leurs pulsions malsaines prendre les rennes, même l’espace de quelques secondes. Et qu'ils devraient éviter leurs reflets dans le miroir longtemps, très longtemps.
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MessageSujet: Re: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptySam 21 Juil - 11:05

Et il chancela. Passant de la statue de pierre, immobile et muette face à une furie débitant jurons et suppliques en même temps, à une vipère en devenir qui rivaliserait presque avec sa cadette. Son cynisme habituel, sa mauvaise foi criante ; si seulement il avait raison. Si seulement ce n'était qu'une blague douteuse et de mauvais goût, qu'elle se contentait de se foutre de sa gueule comme il le disait. Le paradoxe dans toute sa beauté, elle était assez dérangée pour se demander si le monstre niché dans son ventre était le fruit d'un amour incestueux, mais pas assez pour faire des plaisanteries aussi pitoyables et grotesques. Et l'inverse aurait été tellement plus plaisant.

« Tu sortiras pas tant qu’on aura pas parlé de ça, putain. » Elle détourna la tête, presque lasse, comme elle l'avait sans doute fait des milliers de fois dans le passé. Évitant soigneusement les prunelles d'acier de son frère, qui étaient tout particulièrement poignantes et avaient le don de pénétrer vos chairs ; pour avoir l'impression d'alléger ses reproches. Il avait toujours été aux petits soins avec elle, abandonnant ses airs prétentieux en sa compagnie de façon naturelle, mais il n'avait jamais manqué de lui foutre une peur bleue chaque fois qu'il sortait de ses gonds. S'ils étaient retournés quelques années en arrière, lorsqu'ils étaient encore de simples frère et sœur, marqués par la candeur et portant envers l'autre un amour certes profond mais chaste, alors elle se serait sans doute écrasée. Faite toute petite, entassée sur elle-même, bouclé sa bouche pour ne pas être tentée de sortir des jurons mal placés. Elle aurait encaissé, se serait contentée de se sentir minable d'être tombée enceinte, et aurait parfaitement compris la colère de son frère aîné bien que révoltée par son manque de délicatesse sans doute. Elle aurait senti la peur l'envahir, sournoisement mêlée à de la rage. L'envie de foutre une raclée à l'inconscient ayant osé toucher sa sœur, et en même temps la frayeur de n'importe quel grand frère qui juge que les conditions ne sont pas réunies pour attendre un enfant. Mais tout était tellement différent à présent, avec des questions qui n'avaient pas lieu d'être éparpillées un peu partout. C'était devenu un carnage, une véritable boucherie. Chaque muscle avait pris l'habitude de la douleur, chaque organe s'était accoutumé à la torsion. Il y avait le risque qui flottait dans l'air, le péché qui était devenu leur nid d'amour, la culpabilité qui avait fermé ses bras autour d'eux. Ils étaient faits comme des rats, comme de bons idiots, qui essayaient tout de même de gratter les parois pour essayer de se frayer un chemin vers l'extérieur. Et ils usaient de tous les moyens qu'ils trouvaient, ils essayaient de se tromper l'un et l'autre pour mieux se tromper soi-même, car au fond, qu'était-ce le plus important ? Vérité, mensonge, où était la différence tant qu'on arrivait à berner sa propre personne ? Pourquoi était-il impossible de faire d'une réalité ce qu'on s'entêtait à appeler chimères ? Ils s'acharnaient comme des cons contre ces murs blindés. Cette bulle hermétique pourrie par le désir interdit, empestant de ces émotions néfastes et dévastatrices. Ce poison ambiant qui était devenu leur seul oxygène. Ils s'accrochaient à un espoir inexistant, un espoir qu'ils essayaient de créer et sur lequel ils fantasmaient. Le dialogue... encore une de ces tentatives désespérées, qui n'allait mener nulle part. Parler, parler. Parler pour combler le silence devenu trop pesant. Parler pour essayer de réduire la tension palpable. Parler pour détourner l'attention, ouvrir la bouche pour sortir des conneries parce que ça rassure, parce que le manque de bruit est devenu une torture. Être un moulin un parole, le reflet d'une panique folle. Ils ne parlaient plus de toute façon, ils avaient perdu le sens de la communication, mais avaient à la place développé un talent fou pour se hurler dessus. Se cracher à la gueule, et enchaîner les figures de cynisme. Ils excellaient dans cet art violent et grossier.
« Tant qu'on aura pas parlé de ça... » répéta-t-elle, reposant ses yeux sur Ethan, vacillant à son tour dans le même trou que lui. Délaissant de côté sa terreur paralysante, retrouvant l'usage de sa langue pour autre chose que des jurons et des impératifs dégoulinant de pitié. « Putain mais qu'est-ce que tu veux qu'on dise ? Tu crois que c'est en parlant, ou avec des incantations magiques que tu vas remonter le temps ? C'est peut-être pas ton quotidien, mais la médecine c'est aussi autre chose que des paroles et des dialogues de sourds. » Elle se réfugiait chez les muets lorsque ça l'arrangeait. Alors qu'elle était la première à prôner la discussion et l'échange, elle était tout bonnement incapable de mettre en pratique ces revendications. Elle n'avait pas réellement eu le temps d'y penser ayant été prise au dépourvu, mais il était certain que la décision finale n'aurait pu être différente : faire dégager le plus rapidement possible cette fruit empoisonné, et se bourrer le crâne. Se répéter nuit et jour que cette parenthèse n'est qu'un rêve, ou plutôt un cauchemar tenace. Que ça relevait du sommeil, du somnambulisme, et non pas d'une réalité quelconque. Enfermer ce fragment de vie dans une boite, cadenassée, soudée, délaissée dans un coin putride dans lequel personne n'irait s'aventurer, ni même son propre frère. Surtout pas son propre frère.

L'angoisse. Elle la voyait se frayer un chemin dans chacune de ses veines, ses nerfs, ses capillaires. Prendre racine n'importe où, se propager partout. Elle glissait la salope, elle détruisait tout signe de vie sur son passage. La couleur de sa peau qui se fanait et donnait un teint blafard, ses mains qui se déconnectaient progressivement et ne répondaient plus normalement, toutes tremblotantes, pendant que ses guiboles subissaient le même sort. L'angoisse qui s'échoue sur les rives de sa conscience, l'angoisse, l'affreuse, la superbe. La magnifique qui éclate les boucliers faiblards, qui emporte dans un tourbillon infernal les restes d'une âme obsolète. Le naufrage obscur de son être, la mer rouge se déchire en de longues bouches pâles. Des plaies qui avalent tout, qui absorbent tout, ne laissant derrière elle que des natures mortes et fébriles en passe de s'effondrer sous l'action du vent.
C'était encore pire qu'une tragédie. Pire qu'Oedipe et Phèdre réunis. Le premier avait l'excuse de ne pas être au courant de l'inceste qu'il commettait et d'ignorer l'identité du pauvre fou ayant osé se mettre sur son chemin. La deuxième, quant à elle, malgré la tentation et le désir dévorants, avait réussi à contenir ses ardeurs, lui éclatant certes à la figure et l'affaiblissant jusqu'à l'agonie. Ethan et Elizabeth, c'était un mélange douteux des deux. L'inceste conscient, et la faiblesse face au désir – il restait cependant le dégoût qui tentait de rivaliser tant bien que mal entre ces deux piliers.
« Arrête ça... arrête... de me parler comme une pauvre conne. Tu veux qu'on parle, mais de quoi est-ce que tu veux qu'on parle putain ? Hein ? Tu veux que... que je te récite mon cours sur le comment, et le quand, avant, après ? Tu veux que je te fasse le discours habituel qu'on donne aux gamines de seize ans ? »
Ils étaient coincés, entre le sermon inquiet et furieux du grand frère, et la tirade du mari se considérant trop jeune et pas assez responsable pour accueillir un gros lot de responsabilités. « C'est pas du déni. » marmonna-t-elle, en fin de compte. « C'est juste que... » Il y avait une différence entre refuser de lui parler et d'étaler ses pauvres états d'âmes et ses craintes, et s'engouffrer dans le déni complet. Elle était terriblement consciente, contre son propre gré. La situation lui éclatait à la gueule avec des détails impressionnants, une clarté affolante et des couleurs criardes et agressives qu'on ne pouvait manquer. Paysage aveuglant par sa saturation qui effritait ses rétines, qui s'imprimait à l'encre indélébile, et qui ne s'en allait pas. Depuis qu'elle avait vu la grimace déformer le visage d'Ethan, tout semblait devenir plus clair. Il y avait une différence entre le fait de ne pas réaliser et refuser de le faire. C'était le second cas qui s'appliquait à Elizabeth, battant des bras et des jambes pour faire chasser l'idée même de cette grossesse. Mais elle en avait conscience, affreusement conscience, et n'arrivait pas à lutter contre ça. Souvent, la frontière entre la réalité et le fantasme était floue chez elle, et Elizabeth vacillait d'un côté ou de l'autre en fonction de ses propres émotions, de ses propres réalités. Elle parvenait presque à cohabiter avec tout, même avec le désir grossissant d'un amour défendu. C'était ça, qui arrivait à délimiter les frontières du possible et de l'impossible, avant qu'Ethan ne cède à l'envie de l'embrasser. C'était le rythme soutenu de ses insultes et la rage qu'il semblait lui porter qui arrivaient à maintenir un semblant d'ordre. C'était le baiser devant l'hôpital qui avait fait sombrer les dernières ruines, ouvrant toutes les portes, l'affaiblissant mortellement. Incapable de résister désormais, provoquant elle-même les tempêtes.

Tout tournait à plein régime. Les derniers efforts avant la fin, avant que tout ne la lâche. Rassemblant ses forces, elle entreprit l'action d'esquisser quelques pas en direction du bureau où siégeait habituellement le psychiatre, se laissant tomber sur son fauteuil, les mains se plaquant rapidement contre sa table. Elle sentait que tout la quittait. Doucement, tout s'évaporait, elle n'était plus qu'une pauvre enveloppe corporelle molle et rongée par l'angoisse. Ses coudes vinrent se poser entre les dossiers des patients passés plus tôt dans la journée et ceux restant encore, pendant que ses mains tremblantes se collèrent à son visage qui semblait être en feu. Ses tempes brûlantes, ses joues incandescentes. Ses doigts se faufilèrent le long de sa mâchoire qu'elle serrait, se glissant par la suite sous sa chevelure épaisse qui étouffait sa nuque.
Elle était, la question qu'ils se posaient tous les deux, enfouie sous les peurs silencieuses. Entre leurs deux corps en pleine décomposition, il y avait cette question obsédante. Elle s'étirait, en longueur, en largeur. Elle effleurait leurs peaux, pénétrait leur chair, infiltrait leur crâne. Cognant contre les parois, créant un boucan infernal. Les cymbales de l'angoisse qui battaient son plein. Elizabeth la sentait, brûlant les lèvres de son frère tout comme les siennes. Le front appuyé contre la paume de sa main, elle commença sans réussir à finir sa phrase, trop incertaine et intimement persuadé qu'ils connaissaient tous les deux très bien la réponse à la question qu'ils n'osaient pas poser : « Et si je te disais que... enfin... » Posant ses yeux une fraction de seconde sur lui, elle rabaissa rapidement ses paupières, finissant ainsi d'une traite en bredouillant : « C'est peut-être pas ce que tu penses. »
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MessageSujet: Re: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptySam 28 Juil - 18:45

Les débris de leur soirée arrosée flottaient dans sa cervelle détraquée, comme ceux d’un avion crashé dans l’océan. Un assemblage meurtrier d’images surfaites, issues des pires de ses honteux fantasmes. Il ne croyait pas plus qu’elle aux paroles magiques, aux problèmes insolubles qui se résolvent rien qu’en déliant les langues. Il n’espérait pas trouver la morale de l’histoire qui prouverait qu’il avait enfin compris le sens de la vie avant d’être propulsé directement dans le passé. Il ne se croyait pas dans l’une de ces comédies romantiques teintées d’une pointe de fantastique, et surtout gorgées de bons sentiments. Il se doutait bien qu’il n’allait pas se réveiller une dizaine d’années plus tôt, et couler un regard attendri sur sa petite sœur en réalisant que non décidément, l’inceste ce n’était pas pour lui. Il était parfaitement conscient de tout ça. Le cauchemar était devenu sa réalité, et il ne s’en réveillerait pas. Il avait fini par l’admettre, à défaut de l’avoir encore totalement accepté. Au fond il n’espérait même pas que les choses s’arrangent au terme d’un débat houleux. Non ce qu’il voulait, c’était retrouver un semblant de contrôle. Refusant de la laisser s’évaporer dans la nature, en l’abandonnant cruellement à ses hurlantes interrogations. Qui sait ce qu’elle pourrait décider une fois dehors, livrée à elle-même ? Il n’avait plus aucune confiance en elle, et la visualisait sans mal en train prendre le premier avion en partance d’une destination inconnue. Entre autres réactions lâches et stupides. Il l’imaginait suffisamment instable et fragile pour faire un déni de grossesse, même en ayant en sa possession les résultats annonçant le malheureux évènement. C’était dire. Depuis le début la voiture fonçait droit dans un mur, et il appuyait sur l’accélérateur au lieu de ne serait-ce que songer à en dévier la trajectoire mortelle. Mais de temps à autres, il avait besoin de poser les pieds sur le frein. Quitte à être violemment projetés comme de vulgaires moustiques contre le pare-brise.

Il laissa échapper un sifflement agressif lorsqu’elle termina sa tirade corrosive, l’acier de ses prunelles venant percuter la glace des siennes sans une once de délicatesse. L’effroi se muait en une irritation ardente, lave incandescente qu’il sentait vrombir dans ses veines pour se déverser sur l’insolente. « Mais je t’en prie continue, fais-toi plaisir sur les allusions à deux balles et la psychologie de bas-étage. Ta condescendance tu peux te la foutre où je pense Elizabeth. » Il devenait vulgaire, mauvais signe annonçant qu’elle était parvenue à cisailler ses nerfs. Qu’on dénigre son travail lui était insupportable, éraflant atrocement son ego. Le genre de réflexion, d’insinuation foireuse, qu’il se prenait dans la figure à longueur de journée. Il encaissait, en dépit de son orgueil démesuré, verrouillant sa mâchoire pour passer au dessus des sous-entendus puérils. Au dessus de ces ignorants incapables de comprendre les véritables enjeux de son métier, qui ne se limitait pas à poser ses fesses dans un fauteuil en faisant office de journal intime vivant. Évidemment certains abusaient certainement, et se la coulaient douce tranquillement installés dans leur sofa. Mais il osait espérer que la plupart ne mangeait pas de ce pain-là, lui y compris. Il ne put ainsi en rester là, et se sentit obligé d’étayer les raisons de son haussement de ton. « Ça y est, les titulaires te confient de temps à autre leur bistouri pour te faire croire que t’es pas seulement leur larbin et tu te sens pousser des ailes ?! Tu ne sais rien de la psychiatrie. Rien. Et pas grand-chose de la médecine non plus. Vous êtes bien contents de nous reléguer vos patients à tout bout de champ, alors ferme ta grande gueule si ça permet d’éviter qu’il en sorte des banalités pareilles. » Délaisser un sujet de discorde pour dériver vers un autre...
Soulagé d’une partie de sa rancœur, l’étincelle orageuse au creux de ses pupilles vacilla tandis qu’il scrutait la jeune femme fébrilement. Plus pour lui-même que pour elle, il crut bon de rajouter : « Et voilà, on peut jamais parler normalement. Même quand j’essaie d'être calme, que je fais un effort, tu prends ton pied à tirer sur la corde. Bordel… » Persiflages quasiment inaudibles, marmonnés dans sa barbe tandis qu’il lançait en biais des œillades contrariées à son interlocutrice. D’une mauvaise foi affolante, tant il était fréquemment celui qui lançait les conflits. Celui qui accablait sa cadette de tirades acerbes alors qu’elle se contentait gentiment de lui rendre visite. De ne pas couper le contact en dépit, ou peut être à cause, de cette folie aberrante qui les enchainait impitoyablement.

« J’arrêterai quand tu cesseras de faire comme si t’en étais une. Tu vois c’est peut être pas ton quotidien, mais être adulte c’est aussi autre chose que prendre la tangente dès qu’on commence à sortir des sentiers battus. »
Sortir des sentiers battus... mieux valait qu'il ne s'entende pas tant l’aberration de ses propos battait des records. Elle n’avait pas besoin de fuir à l’autre bout du pays pour esquiver les conflits. Il lui suffisait de lui imposer un venimeux silence, de l’éviter soigneusement. Il détestait cette manie récurrente, qui s’avérait pourtant salvatrice. Il n’y avait pas de mots à mettre sur ça. Aucune discussion n’atténuerait l’horreur d’une telle attirance. Brûlante, viscérale. Impérieuse. Il n’y avait rien qui préparait à ça. Pas de cellule de crise, pas de mise en garde avisée. Pas de témoignages de pauvres victimes qui s’en étaient sorties. Aucun manuel. Rien qui permette de comprendre pourquoi, et comment vous êtes devenu un tel monstre. Il avait toujours considéré que l’amour n’était que pour les crétins. Les crétins masochistes, qui ont jugé bon de se créer des problèmes là où il n’y en avait pas. L’auto-flagellation, ce n’était pas pour lui. Il se contentait d’aimer les femmes pour leur corps, de les apprécier pour leur esprit, et de ne leur accorder en définitive aucune sorte d’importance. Préférant offrir toute sa tendresse à celle qu’il avait vue grandir. Jusqu’à s’en rendre malade. Il ne s’était pas aperçu qu’à force de se réfugier dans la chaleur étouffante de leur proximité singulière, il avait fini par couver un dangereux virus. Parasite gangrénant leurs cœurs, leurs âmes, en neutralisant insidieusement leur innocence d’antan. De doux souvenirs d’enfance massacrés au profit de cette chose malsaine qu’il avait toujours eu l’audace de dénigrer ouvertement. Au lieu de la piétiner, de la réduire en poussière avant qu’elle ne devienne trop importante, il s’y était abrité comme on ferme les portes étanches d’un paquebot. Prêt à couler. Avec elle. Qu’elle ait d’autres perspectives d’avenir ou non.

Penaud, il avoua finalement : « Je… je veux juste savoir ce que tu comptes faire. » S’assurer qu’elle ne le garderait pas. Qu’il ne la perdrait pas non plus, qu’elle ne le haïssait pas complètement. L’élan de rage s’estompait, le laissant seul avec ses doutes, ses peurs. Enfoncé dans le moelleux de son canapé, il entrait dans un état de décomposition avancé. Les azurs vitreux et ternes, il observait l’étudiante sans réellement la voir. Sans affronter les cristaux bleutés, qui devaient désormais être emplis de doute et de fureur. Juste une silhouette plantée dans le décor. Son torse se soulevait et s’affaissait au rythme de sa panique, le mettant rudement à l’épreuve. En se concentrant légèrement, il aurait presque pu entendre la marche funèbre résonner dans les piteux recoins de son crâne. Il se sentait vaseux, et il ne put que lui adresser un regard de chien battu lorsque sa voix éraillée s’éleva dans l’atmosphère putride. Se répétant la fin de sa phrase un sacré nombre de fois avant de parvenir à la comprendre. A en saisir la terrible sentence. Des milliards d’épines qui se plantaient simultanément dans sa peau. Écorché vif. Il fronça les sourcils, se redressant vivement. Retrouvant une posture convenable tandis que les mitrailleuses se mettaient en place. Disposées à la fusiller sans crier gare.
L’expression « coincé entre deux chaises » devenait écrasante de vérité. Tiraillé entre le frère qui continue de percevoir sa sœur comme une créature asexuée, et l’amant possessif déjà convaincu que sa chère et tendre ouvre ses cuisses au plus offrant. Et soudain, il se demanda comment il avait pu croire à autre chose. Comment il avait pu remettre en question ses hypothèses bien arrêtées concernant leur nuit d’ivresse, alors que la conclusion s’avérait bien plus quelconque et terre-à-terre. Oui, comment ?! Elle était restée celle qu’il avait malmenée des mois entiers. Celle qui s’enroule dans ses draps avec le premier venu en osant lui reprocher de faire la même chose avec ses faux airs de sainte-nitouche. Celle qui donne des leçons, et applique strictement l’inverse en pratique. Évidemment. Il n’avait pas eu la vengeance modeste, s’évertuant à la rendre démesurée par rapport à la gravité de la trahison. Toutes ces coucheries sans importance ne représentaient qu’un futile moyen pour s’arracher à l’obscure pensée qu’elle ne serait jamais sienne. Une sordide manière de lui faire payer l’affront encaissé. Ou peut être que comme elle le disait, la luxure s’était muée en une abjecte nécessité. La nausée devint plus forte, et il crevait d’envie de cracher cet infect dégout envahissant la moindre parcelle de son être. Une colère sourde lui déchirait l’abdomen, triturant ses entrailles pour qu’il n’en perdure qu’un amas de chairs et de cendres sanguinolentes. Il refusait de la laisser poursuivre, de s’allonger docilement sur le plancher pour faciliter la tâche du bulldozer supposé réduire en bouillie ses piètres organes vitaux. Estimant qu’il avait suffisamment endossé le rôle de l’imbécile naïf qui s’imagine bêtement que l’amour de sa vie ne partage pas ses travers. Mais suicidaire comme il était, il décida d’assassiner sa dignité à coups de hache. « Vas-y, développe. Inutile de tourner autour du pot. » Grogna t’il les dents serrées. Attendant la suite qui peinait à venir. Vas-y, achève-moi. Surtout ne me rate pas. Pulvérise-le ce palpitant de pacotille, broie-le de tes propres mains s’il le faut. N’hésite pas. Parce que j’en ai assez qu’il ne batte que pour toi.
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MessageSujet: Re: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptySam 28 Juil - 22:33

Hurler. Hurler un assemblage de mots en priant que le mélange soit bien corrosif. Bien aiguisé, lame bien pointue. Qu'il arrive à se planter en plein cœur afin qu'ils puissent enfin arrêter cette boucherie dégueulasse, en pleine gorge ne serait-ce que pour qu'ils arrêtent de vociférer comme de bons cons. Et à défaut d'atteindre sa cible, une petite éraflure ne serait pas de refus non plus. Blesser, se tenir tête, ne pas flancher, prouver qu'ils ont encore des réserves. Qu'ils sont forts, endurants, et qu'ils excellent brillamment dans le domaine de tout foutre en l'air. Car c'était sans doute le seul domaine dans lequel ils réussissaient véritablement, sans jamais connaître le moindre échec. Voilà à quoi ils en étaient réduits. Essayer d'entailler le plus que possible la seule et unique personne qui pourrait apaiser toutes les plaies.

« T'aurais pu en tirer du bon de ta psychiatrie à deux balles, t'aurais pu comprendre ce qui tourne pas rond chez toi parce que t'as un sérieux problème, mais faut croire qu'à force de côtoyer des dégénérés et des maniaco-dépressifs, t'es devenu comme eux. » Elle n'en pensait pas un traître mot, ni sur la psychiatrie, ni sur ses patients qu'elle dénigrait. Mais la vulgarité naissante d'Ethan allait de paire avec la sienne. Ils fonctionnaient comme un miroir ; ce qu'elle recrachait n'était pas plus mélodieux que ce qu'elle entendait, et cela allait en crescendo. A l'entendre, elle ne savait rien. Absolument rien, psychiatrie, médecine, ce n'était qu'une bleue, à peine, une pauvre étudiante qui s'était sans doute lancée dans cette carrière là à cause des feuilletons débiles à fond médical. Une gamine remplie à ras bord de fantasmes d'hommes en blouse blanche. Et puis même, au delà de ça, elle ne savait rien de la vie, parce qu'elle était plus jeune et donc obligatoirement plus ignorante. Elle devait sans doute courber le dos face à son frère, lui qui avait brillamment réussi, lui qui émanait autour de lui cette lumière divine, lui qui était le reflet de ces jeunes hommes ambitieux et capables, et en plus de leurs capacités intellectuelles et de leur morale qui se devait être irréprochable, avait une belle gueule. De quoi parfaire l'ensemble. Elizabeth avait tendance à tout exagérer. L'amour de l'excès à l'excès ; jusqu'à l’écœurement, jusqu'à l'étouffement. L'amour jusqu'à s'en rendre malade, la haine jusqu'en vomir. Il lui suffisait désormais qu'Ethan la remette à sa place, et elle partait sur ses grands chevaux, interprétant le moindre petit mot comme un sous entendu énorme. Elle ne supportait plus ses réprimandes, même lorsqu'elles étaient fondées et vraies. Surtout lorsqu'elles étaient fondées et vraies. Parce que la vérité était-là, dans sa bouche : elle ne savait rien. Que s'ils voulaient s'aventurer sur le terrain glissant de leurs connaissances médicales, elle allait se noyer dans un océan de honte, et même sa fierté ne pourra pas la repêcher. Elle pourra juste lui maintenir la tête sous l'eau : « Faut croire que c'est de famille ça. C'est bon, t'as fini tes études, t'as eu ton diplôme, tu es psychiatre, mais un psychiatre respectable s'il vous plaît. » Il l'était sans doute. Très certainement. Mais ce n'était pas ce qui l'empêcha d'ajouter : « Vu comment t'as tourné, je préfère pas posséder la science infuse qu'est la tienne. » Elle ne pensait même pas à l'inceste, et faisait seulement allusion à son comportement abject – en éclipsant bien entendu sa propre fâcheuse tendance à se réfugier dans le silence, ainsi que celle de tout nier en bloc. Elle fouillait dans sa cervelle pour dénicher des piques aussi assassines que les siennes, mais était bien loin de toucher à l'inceste, et ne le ferait sans doute jamais. C'était au delà de ses forces, au delà de tout ce qui pouvait lui venir à l'esprit. Savoir était une chose, endurer la passion dévorante, d'accord. Mais ne serait-ce qu'effleurer ce sujet dans ses accès de colère... non.
L'entendant râler, elle crut bon à son tour de renchérir, le sourire hypocrite collé sur les lèvres tant elle trouvait sa remarque déplacée : « Pardon ? On peut plus parler normalement, mais à qui la faute, hein ? Je te rappelle que c'est toi qui a eu pour activité favorite de m'insulter, alors ferme-la avec tes remarques à la con. C'est dingue comme t'excelles dans le domaine de la connerie. »

Il y avait d'un côté l'irritation qui montait, montait à chaque fois qu'il ouvrait la bouche, à chaque fois qu'un son franchissait ses lèvres. Elle était capable de débiter une longue tirade furieuse pour un simple soupir au point où elle en était. L'unique présence d'Ethan avait le don d'abaisser toutes les barrières, de lever le siège qu'elle s'imposait volontairement constamment. Les belles paroles, la politesse. Les freins du cynisme, les frontières du correct et de l'incorrect. Terminés, finis, envolés en poussière au moment même où sa silhouette apparaissait dans son champ de vision ; laissant ainsi place à la vulgarité, à la colère déchaînée. D'un autre côté, c'était la nécessité de lui répondre dans l'espoir de lui clouer le bec, même si elle savait pertinemment qu'il allait renchérir de plus belle. Elle était comme une acrobate sur un fil, tout le temps, n'importe où. Vie sentimentale et familiale qui ne tenait plus qu'à ça : un fil. Elle penchait tantôt à droite, tantôt à gauche, incapable de se décider et de se tenir à son choix. Désireuse de tout obtenir et ne rien abandonner. Cupidité et orgueil à la fois, jouant sur le tableau de la luxure, de la colère et de l'envie sans aucun mal. Tiraillée entre les opposés à chaque fois qu'il fallait faire une décision. Voilà ce qu'elle était, une acrobate maladroite et inexpérimentée dont les pieds tremblaient sans cesse, et dont la peur du vide tenaillait. Se rendre compte que peu importe le côté qu'elle choisissait, le résultat serait toujours sensiblement le même : la chute. La seule différence serait sans doute le nombre de bleus, le nombres d'os fêlés, d'os cassés. La position de son corps à l'atterrissage. Mais la conclusion serait la même : la douleur. Ici, là-bas, comme-ci, comme ça. La douleur lancinante qui brûle sans calciner. Celle qui est constante, qui ne s'en va pas, qui ne s'éteint pas. Les géhennes remontées sur Terre juste pour ton unique personne. « Épargne-moi tes conseils, c'est ridicule quand ça sort de ta bouche. Surtout que t'es particulièrement mal placé pour me faire la morale. Tu t'enfuis pas, c'est sûr, t'es plutôt de ceux qui foncent droit dans le mur et qui s'acharnent sans chercher à voir s'il y a une sortie à deux mètres. Et après tu nies les dégâts, comme si de rien n'était. Puis parfois tu t'accordes des pauses et tu vas baiser tes trois putes sur le trottoir. C'est glorieux, y a pas à dire. Je devrais suivre ton exemple et devenir une adulte responsable moi aussi. »

Elle planta ses yeux sur lui lorsqu'il marmonna d'un ton plus calme son inquiétude. Des yeux qui étaient devenus bleus comme la nuit, comme les grandes vagues déchaînées sur les rocheuses. L'écume s'accumulait même sous ses paupières, fine pellicule humide qui recouvrait ses antres et qui nichait surtout dans les coins. Possédée par une colère tellement forte qu'elle n'arrivait toujours pas à s'effondrer. C'était ce qui la maintenait encore un peu droite.
Sa question lui sembla presque dérisoire. Comme s'il avait réellement besoin de la poser, comme si ce n'était pas évident. Car si ça ne l'était pas pour lui, ça l'était très clairement pour elle. Le garder n'était pas une idée qui l'avait frôlée, ne serait-ce qu'un peu. Il fallait à tout prix qu'elle éjecte cette masse dégueulasse tapie dans son ventre, qu'on lui retire ce foutu truc du corps. Car il était impensable pour elle de cohabiter avec le fruit même de son pire cauchemar, même si l'échappatoire portant le nom de Rudy semblait être possible – et elle priait pour que ce soit plus qu'une échappatoire, mais la seule et l'unique possibilité. Elle savait ce que les résultats de son analyse de sang voulait dire, elle savait ce que le terme enceinte signifiait. Mais pour elle, ce n'était pas un embryon qu'elle avait, pas un futur-être humain, rien de ça. Un simple entassement maladroit de cellules, une tumeur. C'était un véritable cancer cet amour : il les condamnait à vie, car celui-ci était inopérable. Et toutes les vaines tentatives pour soulager les douleurs, retarder la progression de la maladie ne faisaient que les affaiblir davantage, plus fragiles qu'avant, cédant à leur pulsion sans la moindre retenue. Ils avaient battu des records depuis leur arrivée à Arrowsic.
En avançant vers son bureau, elle lui lança avec nonchalance : « Qu'est-ce que je peux faire à ton avis ? » A ses yeux, il n'y avait pas de choix à faire, juste un pauvre rendez-vous à prendre. Elle n'était pas tourmentée par ces questions de morale et d'éthique, tiraillée entre ce que la science nommait comme un être humain, et ce que les hommes ou la religion considérait comme tel.

Puis soudainement, il se releva, changeant d'expression. Comme s'il lui était venue une révélation extraordinaire, mais extrêmement fâcheuse. Et debout, droit, il n'attendait qu'une seule chose : des explications supplémentaires, pour confirmer ses pensées. Le visage fermé et dur, les sourcils froncés et les yeux pénétrants, il réclamait, et elle fondait presque sous son regard menaçant. Elizabeth avait l'impression d'avoir seize ans et d'avouer une malencontreuse grossesse à son frère, qui pendant ce temps essayait de lui faire cracher par tous les moyens le nom du scélérat n'ayant su retenir ses ardeurs. Une gamine désemparée et terrorisée face à celui qu'elle respecte et admire. On y était presque. Face à son changement brusque, elle se redressa, passant nerveusement sa main droite dans sa nuque, et tentant tant bien que mal de soutenir le regard de son frère. Elle finit par avouer : « T'es pas le seul – » Réalisant sur le coup que c'était trompeur et surtout que ça incluait le fait qu'ils avaient réellement franchi la ligne qui délimitait le fantasme de la réalité. Et ça, elle n'était pas prête à l'admettre même s'il y avait dans son crâne une voix nasillarde qui lui hurlait que c'était la seule vérité, la seule possibilité, la seule explication. « C'est pas ce que je voulais dire... »
Elle avait pourtant du mal à l'avouer, même si ça allait soulager bien des tourments. Elle avait si bien endossé le rôle de la femme mariée qu'il était désormais difficile de s'en défaire. Son costume lui collait à la peau, était devenue une seconde peau. Lui avouer ça avait des échos de trahison et l'amertume de l'adultère. Alors qu'il n'en était rien, que la simple honte qu'elle aurait pu, et surtout, aurait dû avoir était celle de parler des hommes avec qui elle avait pu coucher avec son frère. Sentant son impatience grimper, elle lâcha finalement : « C'est peut-être juste une coïncidence. »
Elle se voulait rassurante, et voulait se rassurer elle-même par la même occasion. Essayer de convaincre le malheureux pour tenter de se persuader soi-même. Elle se disait naïvement qu'elle finirait pas croire à cette version des faits si Ethan y croyait à son tour. Elle avait désespérément besoin de son soutien pour ne pas perdre pied, pour s'accrocher à quelque chose qui n'était pas virtuel. C’était la passion, c’était l’âpre joie et l’angoisse sans fin et la mort... « Il s'est rien passé entre nous, pas vrai ? »
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MessageSujet: Re: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptyMer 1 Aoû - 9:26

Et elle recommençait. Inlassablement. Le moindre prétexte semblait valable pour lui susurrer quel minable il était, quel dépravé elle avait en face d’elle. Au cas où il l’oublierait, qu’il n’était plus qu’un grotesque assemblage de particules démembrées. Surtout, continuer de lui enfoncer la tête sous l’eau glaciale même s’il s’évertuait à se débattre. Il était loin, le temps où elle nourrissait une admiration certaine à son encontre. Le temps où la notion de respect n’était pas qu’un mythe. Il avait beau faire celui qui n’était pas touché, se persuader que son armure était à peine éraflée par ses injures à répétition… c’était faux. Il souffrait de voir son image dégradée se refléter dans ses grands yeux bleus, le percutant comme un boomerang. Une honte douloureuse, rebondissant dans sa cage thoracique telle une balle de ping-pong. Dévastant ses organes vitaux sur son passage. Il le sentait expirer, ce cœur à l’agonie, retenu maladroitement à son torse par d’infimes lambeaux de chair. Prêts à céder.
Mais il n’était pas question de l’admettre, de s’agenouiller à ses pieds en lui soufflant que oui, elle avait bel et bien raison. Il n’était plus qu’un déchet faisant illusion dans ce monde jonché de détritus. Il éprouvait ce besoin viscéral de la rendre fière, et néanmoins il restait cloué à ses abjects principes. Plus elle lui crachait son dégout au visage, plus il s’enlisait dans les marécages. Quelque part changer de cap, aurait été comme de lui prouver qu’elle brossait un portrait authentique de sa piteuse personne. Foutu esprit de contradiction.

Une lueur d’affliction traversa le gris de ses prunelles, avant qu’il ne se reprenne et adopte une expression narquoise. « Quand tu parles de dégénérés et de maniaco-dépressifs tu ne manques évidemment pas de t’inclure dans le lot j’imagine ?! » Elle entretenait incontestablement mieux les apparences. Endossant avec une facilité déconcertante le rôle de l’étudiante rangée, qui poursuit brillamment ses études de médecine en jonglant entre les bouquins et la pratique. La belle-fille parfaite. Celle qui parait réservée mais qui n’a pas pour autant sa langue dans sa poche, avec sa répartie cinglante et ses réponses à tout. Ni trop sérieuse, ni trop coincée. Ni trop caractérielle non plus. L’équation parfaite. Or il suffisait de gratter un peu la surface pour découvrir les immondices enterrés. Pour s’apercevoir qu’elle savait se muer en une hystérique notoire. « Et tu vois je me demande sérieusement qui est le pire. Le psy détraqué ou la démente qui refuse de se faire soigner ? » Un débat insoluble. Autant se demander qui de l’œuf et de la poule était apparu le premier. Alternant les fonctions de bourreau et de victime au gré de leurs humeurs lunatiques. Aménageant à leur manière le fameux syndrome de Stockholm, comme s’ils espéraient lui donner une nouvelle dimension. Mais il avait été le premier à mettre un pied dans l’engrenage, et celui qui l’avait poursuivie de ses assiduités en dépit de ses tentatives d’échappatoire. Alors sans doute restait-il indéniablement le plus irrécupérable des deux.
« Pense ce que tu veux. » Marmonna-t-il finalement. Las de ce tapage, de ces vaines scènes de ménage tournant en boucle. « Mais ça n’a pas le moindre rapport. » Les maladies mentales ne sont pas contagieuses. Cependant il parait que la plupart de leurs spécialistes se lancent dans cette voie dans l’espoir inavoué de régler leurs propres pathologies. Un stéréotype comme un autre. Surement assez vrai dans son cas. Cela n’avait de toute façon pas aidé. Se répéter qu’il était fou d’elle parce qu’elle était justement hors de sa portée ne lui permettait pas pour autant de se sevrer de cette addiction malsaine. Aucun antidote. Et c’était ce qui l’avait rendu si mauvais. Il avait toujours été de ceux qui aspirent à brûler la chandelle par les deux bouts. Qui ont compris qu’il fallait profiter de la vie parce qu’on n’en a qu’une, et que si elle ne vaut rien, rien ne la vaut. Refusant de plier un genou devant la faucheuse avant de s’être arraché la plante des pieds dans cette course folle qu’est la poursuite du bonheur. Et puis il avait attrapé cette merde. Renversé en plein vol. Au lieu de l’extase euphorique, il s’était mis à avoir l’alcool triste. Les habits empestant en permanence le tabac froid, estompant le charisme du bellâtre grillant une cigarette. Certaines s’évertuaient à ne pas voir l’épave, s’échinant à trouver attendrissante et séduisante sa mine acariâtre. Buvant ses paroles comme du sirop sucré pour soigner la quinte de toux. Avant de se retrouver la gorge épouvantablement irritée en constatant qu’elles n’avaient servi qu’à tromper son amère solitude. Elizabeth, elle, n’était jamais dupe. Le charme n’opérait pas sur elle, qui le visualisait tel qu’il était. Un scélérat en puissance, un monstre d’égoïsme qui se soucie peu d’entrainer les êtres qui lui sont chers avec lui dans le ravin. Un gamin irresponsable qui approche de la trentaine. C’était bien malgré elle qu’elle l’aimait éperdument, inutile de lui faire un dessin pour cerner combien il la rebutait.

Constamment les mêmes reproches envoyés à la gueule, parce que le reste n’était pas supportable. Il la réprimandait pour sa fuite à des milliers de kilomètres. Elle remettait sur le tapis son incapacité à proférer autre chose que des outrages répugnants durant des mois. Et au milieu, ils se meurtrissaient mutuellement en se rabâchant leurs éternels défauts. Tout ça, sans trop effleurer l’inceste. Sans évoquer explicitement la véritable source du mal. Se hurler qu’ils se haïssaient, pour oublier qu’ils se désiraient à en crever. Cherchant à se faire plaindre auprès de leur tortionnaire. C’était à qui avait le plus morflé, à qui avait le plus saigné. Tant que la souffrance de l’un n’éclaterait pas à la figure de l’autre jusqu’à le faire plier, chanceler, ils continueraient à s’égosiller comme deux attardés. « Oh pitié recommence pas à pleurnicher avec ça... Parler avec une carpe c’était pas possible non plus. » Le premier baiser avait scellé toute forme de dialogue pacifiste. Le mélange indécent de leurs salives corrosives avait détruit leur faculté à converser normalement. A l’instant même où il s’était reculé, leur complicité d’antan avait volé en éclats. Des débris de verre entaillant leurs lippes, s’incrustant dans leur trachée en menaçant de la cisailler s’ils cherchaient à les en déloger. Car ils n’y survivraient pas. L’aversion s’avérait trop colossale pour qu’ils puissent l’ignorer, la piétiner. La tendresse demeurait trop imposante pour qu’ils puissent s’éloigner, s’ignorer. L’impasse.

Un sursaut agita sa misérable carcasse en l’entendant évoquer les trainées ramassées sur le trottoir. La vision de l’une d’entre elles s’imprimant à ses rétines pour mieux le torturer. Luana, sirène enchanteresse piégeant le genre masculin dans ses filets avant de l’immerger impitoyablement dans cet enfer improvisé. Qu’elle puisse être au courant pour elle, pour eux, pour l’odieux chantage de cette vipère l’effleura. Disparaissant aussitôt dans la brume de ses cruelles pensées. Il n’y a que la vérité qui blesse. L’exactitude de ce proverbe se confirmait, alors que la colère rugissait contre ses tempes. Brûlure insidieuse tout aussi bien dirigée contre elle que contre lui. Il baissa les yeux, fixant le plancher d’une blancheur aussi livide que son teint avant de murmurer : « Tu vois… là encore tu fuis. T’es incapable de supporter la critique, faut toujours que tu ramènes tout à moi. On est pas dans un match de tennis putain. » Haussant le ton sur la dernière phrase avant d’émettre un bref ricanement en arguant : « Enfin c’est clair que c’est plus commode de me démontrer par a + b combien tu me méprise plutôt que d’affronter ton propre reflet décrépi dans le miroir. » Chacun semblait attendre de l’autre des explications, chacun espérait l’accabler de tout son soûl. S’insulter mutuellement pour dévier loin de sa médiocrité personnelle. Pour épargner des oreilles ratiboisées à force de se faire érafler en permanence. Si puérils qu’on s’attendait presque à les voir fanfaronner « c’est celui qui l’a dit qui l’est ». Presque.

Il frôla la syncope lorsqu’elle posa sa question avec une pointe de désinvolture. S’agrippant au siège en lui jetant une œillade effarée. L’angoisse sournoise qui remontait, qui le prenait à la gorge tandis que son estomac se pressait au bord de ses lèvres. « Comment ça qu’est ce que tu peux faire ? Parce que tu as besoin de me le demander ?! » Elle risquait de s’offusquer, d’estimer que décidément il avait une haute opinion d’elle. Il n’était plus à ça près. Retrouvant l’enveloppe de l’ainé qui n’a pas vu sa petite sœur grandir, et qui la revoit en train de brosser sagement les cheveux de ses poupées comme si c’était la veille. Tout en se demandant sérieusement s’ils avaient enfanté ensemble un monstre. Le diable et l’avocat du diable, réunis dans le même corps. Envie de changer de peau, de muer. De se l’arracher, et d’en jeter les résidus usagés à la poubelle.

Et soudain, la délivrance. Ou alors le plongeon vertigineux dans les abysses. Désorienté, il n’arrivait plus à trancher. Probablement un âpre mélange des deux. L’intense soulagement et le désespoir à s’en ouvrir les veines. Une pulsion de vie, une pulsion de mort. A chaque mot elle le massacrait un peu plus. A chaque mot elle le sauvait un peu plus. Le petit vaisseau sur son front se mit à palpiter, les muscles de sa mâchoire se contractèrent dangereusement. La débâcle des sentiments. « T'es pas le seul – » Cinq mots, et encore. Pourtant suffisamment puissants pour provoquer en lui un séisme d’une magnitude jusqu’alors inégalée. Trop de contradictions. Tiraillé entre le fantasme infernal d’être le seul, et la nécessité absolue de n’être personne. Et au milieu, la déception ardente qu’un intrus se soit glissé sur ce tableau bariolé à l’encre de leurs méfaits. C’était une possibilité qu’il n’avait jamais exclue, qui avait justement le don de le terrifier et de le rendre cinglé. Il ne l’entendait déjà plus, les trémolos de sa voix cassée n’étaient plus qu’un bruit diffus pour ses tympans. Il ne passait pas d’un stade au suivant, non, cela aurait été trop facile. Il se prenait en rafale l’ensemble, en tentant de subsister à l’attaque. En partie délesté d’un poids effroyable, et simultanément abattu par une claque à lui déraciner le crâne. Son futile palpitant enchainait les doubles saltos. Piteux myocarde pressé comme un fruit trop mûr, la substance en fusion se déversant sur ses entrailles jusqu’à lui tordre littéralement le ventre. Les icebergs qui se heurtèrent à elle avaient rarement été si austères, trahissant la douleur et la fureur sans se cacher. Fauve en cage se rapprochant sensiblement de la cible de son courroux, séparé d’elle par la pauvre table. « Entre nous ? Pourquoi ? Qu’est ce que tu voudrais qu’il se soit passé entre nous ? Hein ? » Siffla t’il, la paume de ses mains venant s’abattre sur le bureau avec une hargne difficilement contenue. « Ya rien entre nous. N’est ce pas ? » Nier l’attirance immonde, juste pour garder son orgueil intact. Retourner le couteau dans la plaie lorsqu’elle confirmerait certainement ses dires. C’était ridicule, il en était conscient au fond. Ce manège stupide du faux mari dévoré par sa fierté et sa jalousie, qui ne parvient plus à analyser la situation correctement. Il aurait du essayer de la rassurer. Se bercer de chimères apaisantes avec elle en oubliant cette histoire macabre. Fermer les yeux sur ses incartades, car il n’avait pas le droit de se montrer possessif. Et que c’était de bonne guerre. Au dessus de ses forces… « Alors dis moi t’as une idée assez précise de qui a bien pu te passer dessus pour t’engrosser, ou alors c’est assez flou t’hésite ? » Il ne s’incluait pas dans le lot, pas assez masochiste pour ça.
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MessageSujet: Re: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptyMer 1 Aoû - 22:05

Le tableau était sombre, sans aucune beauté. Il n'y avait pas cette beauté légère et destructrice qui pendait au dessus, cette douleur merveilleuse qu'on arrive parfois à tirer des pires tragédies, et qui arrive d'une façon ou d'une autre à les rendre magnifiques. Magnifique dans leurs malheurs, leur acharnement insensé. Loin de Tristan et Yseult, malgré leur amour aussi puissant qu'impossible et interdit. C'était la toile fragile et les couleurs dégoulinantes d'une scène macabre, à l'image d'une relation tumultueuse. Les visages fades et usés par des chants empoisonnés et un cœur gangrené, des corps mous qui ne reprennent vie que lorsqu'ils sont habités par la jalousie. Des lambeaux d'humains qui n'attendent plus rien, qui n'essaient plus rien, qui se complaisent dans leur univers malsain.
Elle se contenta de lui adresser un bref sourire forcé et agacé, avant de se glisser dans la peau de celle se croyant plus maligne que n'importe qui – quoique ce fut ce qu'elle était déjà. « Mais tu sais pour les déments de mon genre, on se rend pas bien compte de notre démence, pour nous, c'est la normalité, on voit pas ce qui cloche. Donc s'il faut absolument choisir, je dirai que le psy détraqué est le pire des deux. »

Il l'accusait de ci, et elle de ça. Il lui reprochait sa fuite vers Arrowsic, elle remettait inlassablement sur le tapis ses insultes incessantes. Et puis ils remontaient encore plus loin pour tenter de se justifier, elle avec son horrible habitude de se murer et lui... et s'il fallait remonter plus loin, ils allaient tomber sur le moment où tout avait pris forme, le premier baiser qui avait scellé toutes leurs chances. Sauf que ça faisait partie des choses dont ils ne parlaient pas, auxquelles ils ne touchaient pas. Ils s'étaient désormais habitués à des dialogues de sourds, des mots balancés à droite et à gauche qui n'arrivaient jamais à destination. Mais jamais, ils n'arrivaient à entretenir un semblant de conversation sensée, une conversation ayant un but précis. Toutes les choses dont il faudrait sans doute parler, ils les maintenaient cachées, bien enfouie sous les décombres d'une enfance massacrée à coups de hache et d'une morale déchirée en petits morceaux. Ils préféraient le drame dégoulinant aux décisions responsables.

Il avait raison, il était plus aisé de recracher les nombreux défauts de son frère, sans oublier quelques exemples afin de mieux les illustrer, que d'encaisser sagement ses critiques. Parce qu'elle savait à quel point son portrait était peu glorieux, au même titre que le sien. Encrassé par tous ses défauts poussés à l'extrême, par sa mauvaise foi criante, et par l'inceste comme si cela ne suffisait pas – même s'il lui arrivait parfois de se dire que c'était bien ce crime qui avait précipité tout le reste. Qu'avant, elle n'était pas si extrémiste, qu'elle arrivait à trouver un semblant d'équilibre et que l'excès la dégoûtait. C'était un peu toute leur histoire au final, ces paradoxes détestables et ces questions sans réponses. Il l'aimait aveuglément comme s'il avait bu un philtre d'amour, et ce n'étaient pas ses nombreuses crises et son comportement puéril qui y changeait quoique se soit. Mais s'il n'avait été son frère, l'aurait-il aimée comme ça ? Mais aussi, s'il n'avait pas été son frère, aurait-elle été comme ça ? Avait-il réellement besoin de l'entendre dépeindre un portrait répugnant, de l'entendre lui avouer à quel point ça l'angoissait, à quel point ça la meurtrissait, cette passion affolée qui était sortie des rails ? « Tu vois au moins lorsque tu me dis des choses comme ça, je sens qu'il y a du vécu derrière, contrairement à tes petites maximes à deux balles sur le fait d'être adulte et responsable. Tu fais référence à ces longs mois pendant lesquels il m'a démontré par a + b que j'étais qu'une espèce de salope écervelée, sans fierté, sans dignité, qui ne savait rien faire à part écarter ses cuisses et se mettre à genoux devant de sales cons dans ton genre ? Et puis tu m'as même proposé plusieurs formulations, je te voyais redoubler d'efforts, parce qu'en plus d'être une pute je suis conne. » Sauf qu'elle ne faisait que confirmer ses paroles. Elle n'était capable que d'une chose : tout remonter à son frère et lui montrer à quel point il était méprisable. C'était devenu un véritable automatisme. « Donc tu me dis là que ça marche pas, que t'as gaspillé une année, et que tu me méprises toujours autant en fin de compte ? »

Elle eut un léger ricanement en entendant ses deux questions successives, car c'était lui finalement qui lui avait posé la question, alors que la réponse était évidente. « Et toi, t'as réellement besoin de me le demander ? » L'idée de formuler clairement qu'elle n'allait pas le garder ne l'effleura pas, sans doute parce que ça demandait du courage ou de la force, ou n'importe quoi, pour le dire tout haut. Au même titre que toute phrase incluant le mot enceinte. Et ça lui arrachait la langue d'utiliser ces mots de façon sérieuse.

Elle fondit dans le moelleux du fauteuil lorsque ses paumes se heurtèrent à la table, son dos allant s'enfoncer dans le dossier pour ne jamais en ressortir, et ses épaules se soulevant en même temps que les feuilles trouvées à proximité de ses doigts blanchis par la pression qu'il leur imposait, s'affaissant dans la seconde qui suivait. Sa bouche s'était entrouverte, aspirant l'air avant de sa gorge ne se serre jusqu'à ne plus rien laisser passer. Une fraction de seconde où ses muscles s'étaient totalement crispés, puis rien, ils avaient retrouvés leur souplesse habituelle. Des accès de violence poussé par son impulsivité qui étaient loin de lui être inconnus, mais qui depuis quelques temps réussissaient à l'effrayer, ou la surprendre en tout cas. Elle s'était longtemps cru intouchable, ne pouvant imaginer ne serait-ce qu'une seconde que son frère lève la main sur elle, même dans un moment de colère. Et pourtant, l'enchaînement désastreux des évènements depuis leur arrivée ici, ses séductions couleur Enfer et ses colères froides, son audace puérile et sa rage sans retenue. Elle ne savait plus quoi croire, quoi penser, de quoi se persuader. Elle ne se sentait plus si invulnérable, si protégée que ça à l'ombre de son grand frère, sans non plus réussir à se dire qu'il pouvait réellement devenir violent avec elle.
Elle baissa simplement les yeux, incapable d'être satisfaite de sa réponse alors qu'elle attendait évidemment qu'il nie tout en bloc. Faire comme si de rien n'était et s'offusquer qu'on puisse penser autre chose ; il ne s'était rien passé, évidemment. Une sieste paisible et dénuée de tout caractère lubrique, une nuit partagée dans un même lit à défaut d'en avoir deux. Ils étaient frère et sœur bon sang, qu'est-ce qui aurait pu se passer entre eux, si ce n'est que quelques effleurements maladroits et involontaires au milieu de la nuit, au milieu d'une phase de sommeil profond ? Une jambe qui s'élance malencontreusement sur le mauvais côté, un conflit de somnambule pour obtenir un peu plus de couverture. Mais rien de ça, sa réponse n'avait fait qu'empirer les choses, le ton qu'il y avait mis n'y aidant pas. Les peurs devenues encore plus atroces, plus étouffantes, parce que la seule chose qui avait des airs d'évidence chez elle était que leur crainte était belle et bien réelle.
« Y a rien entre nous. N’est ce pas ? » Et il enfonçait le clou, des deux côtés. Ses deux dernières répliques lui avait remué les entrailles. L'espèce de main tiède qui semble fouiller en elle et qui fait tout remonter, accablant au passage sa poitrine. Plongeant ses yeux de merlan frit dans les siens, détaillant son visage comme si elle ne connaissait pas encore chaque trait sur le bout des doigts. Mon amour, c'est le paradoxe dans toute sa beauté, mon amour, tu es beau. Avec ta balafre en plein milieu du visage comme le fier trophée d'une victoire gagnée à mains nues dont tu te vantes au premier venu, avec tes deux antres dont le bleu s'est finalement dilué dans ton chagrin, tant et si bien qu'il est devenu grisâtre ; le gris dans lequel tu t'es finalement perdu. Tourmenté par la blancheur de ta morale bafouée et irrésistiblement attiré par la noirceur de notre passion indigeste.
Agrippant entre ses dents l'intérieur de sa joue, elle détourna la tête, avant de répéter après quelques longues secondes de silence : « Y a rien entre nous. » Elle se voulait la voix claire et sans la moindre once d'hésitation, elle se voulait dure avec lui, pour avoir osé lui poser cette question. Elle voulait qu'il ravale sa putain d'arrogance, et qu'il se morde les doigts avec son propre cynisme. Qu'il se rende compte pour une énième fois qu'il obtenait ce qu'il semait. Mais sa voix flancha dès le troisième mot. Il n'y a rien entre nous... l'antiphrase poussée à son paroxysme. Parce qu'il y avait tout, absolument tout entre eux. Sur la palette des sentiments, toutes les nuances leur allait au teint, tout leur sied à merveille, et bien que chaque couleur soit splendide seule, le mélange de chacune d'entre elles donnait un résultat fade et sans saveurs. Saturé jusqu'à l'extrême, la lumière était totalement absorbée. Elle ne savait pas ce qui lui coûtait le plus : dire tout haut qu'il n'y avait rien entre eux, ou avouer tout bas qu'elle l'aimait à en crever ? C'était sans doute pour cette raison là qu'elle préférait la douceur du silence au tourment des mots. Certes, le silence avait cette formidable capacité de décupler les angoisses, faire germer dans l'esprit de n'importe qui quelques idées folles, quelques bribes de paranoïa, mais il suffisait de le dompter un peu, ou de se laisser dompter complètement. Faire d'un silence meurtrier sa seule vérité, et continuer à se leurrer sans craindre quoique se soit, si ce n'est soi-même.

Sa dernière question l'arracha de sa nébuleuse, lui enfonçant avec hargne ses pieds dans le sol. Elle n'avait pas cherché à attiser les braises de sa jalousie maladive en lui avouant ça, juste essayé de rendre les évènements moins tragiques, de frayer un chemin vers la lumière. Elle n'attendait pas lui un soupir de soulagement, ni des remerciements – il y avait des limites à la naïveté et la bêtise. Cependant, elle ne l'imaginait pas réagir de la sorte ; car c'était bien la seule fois où il pouvait, plus ou moins, se réjouir d'entendre que sa prétendue femme avait commis une prétendue trahison. Elle faillit lui répondre que non, qu'elle n'était pas comme lui, elle. Elle ne se tapait pas des inconnus dont les noms lui échappaient à la minute où elle refermait ses cuisses, qu'elle ne tapinait pas, qu'elle n'avait pas une vie sexuelle aussi débridée que la sienne. Qu'elle, elle n'avait que Rudy, ou alors Rudy et son ego, mais que ça se limitait au chiffre de deux dans ce cas-là. Rudy et ses petits airs de perdu, avec ses cheveux en bataille avant et après, tout le temps. Son air renfrogné des mauvais jours rapidement chassé par son visage en extase. Rudy qui aurait pu être le beau-frère idéal, le gendre parfait. Un peu prétentieux et égocentrique sur les bords pour ne jamais virer vers un quotidien monocorde, mais loin d'être mauvais. C'était bien pire, bien pire que toutes les pauvres naïves qui s'élançaient dans les bras d'Ethan, charmée par le fantôme de l'homme qu'il était il y a quelques années de ça, et qui ne le reverraient jamais. Elle c'était Rudy. Elle connaissait son nom, son prénom, son numéro de téléphone, son adresse. Elle connaissait son canapé un peu déglingué, son chat qui ne cessait de miauler et l'odeur du joint de Lenny, rapidement remplacée par celle de la peau de son jeune frère et celle de leurs ébats moites. Elle connaissait ses chemises mal pliées qu'elle préférait déboutonnées et jetées à terre, le contenu de chaque tiroir, chaque placard. Les zones où il était le plus sensible, et la hargne de ses doigts s'agrippant à sa taille.
Elle se rendait malheureusement compte qu'elle connaissait beaucoup de choses à son sujet, que malgré la nature de leur relation, c'était bien loin de ressembler aux nuits qu'Ethan partageait avec une belle inconnue. Et la trahison se faisait plus dure encore.
Reposant son regard sur lui et presque vexée par sa réaction, elle lui répondit : « Tu me connais, je me souviens jamais de leur nom. » Reprenant de plus en plus confiance au fur et à mesure que les mots traversaient ses lèvres, elle continua : « Et puis j'en ai vu défiler tellement, dessus, dessous... J'ai arrêté de compter depuis bien longtemps. » Elle se mordilla la lèvre inférieure en secouant légèrement la tête pour mieux illustrer ses propos.
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MessageSujet: Re: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptyLun 6 Aoû - 23:01

Indéniablement, elle continuait de viser juste. Le boomerang allait, venait et revenait en les entaillant à tour de rôle. Ils usaient et abusaient des mêmes armes l’un contre l’autre, sans varier les instruments de torture. Ses critiques envers elle s’appliquaient à son propre cas, et vice-versa. Un véritable miroir leur renvoyant au visage leurs carences, leurs vices. Sans réellement pouvoir discerner l’image du reflet. La blesser revenait en fin de compte à s’automutiler, et leurs pulsions meurtrières ne tendaient qu’à les mener à terme au suicide ou au crime passionnel. Toute tentative pour s’extirper de ce cercle vicieux se soldait par un échec retentissant. Le moindre sujet de discussion dérivait toujours vers les mêmes points, à croire qu’ils guettaient les brèches pour s’y engouffrer. Rabâcher perpétuellement les comportements les plus stupides qu’ils avaient pu adopter, jusqu’à ce que l’autre daigne enfin reconnaitre ses torts. Et contre toute attente, elle était effectivement celle qui se retrouvait noyée sous les maux de son ainé. Celle qui était le plus en droit d’espérer l’expression de regrets sincères. Celle dont le comportement odieux s’avérait justifié par chacune de ses fautes. Même la fuite à l’autre bout du continent était légitime. C’est lui qui aurait du partir à sa place d’ailleurs, s’éloigner plutôt que de lui infliger ce harcèlement moral en continu. Il en était conscient, refusant néanmoins de l’admettre ouvertement par pure question d’orgueil. Demander pardon… il ne connaissait rien de plus difficile. Pourtant ça avait l’air simple comme ça, d’attaquer avant de mâcher des excuses surfaites pour ne pas prendre de nouvelles raclées. Ça ne l’était en aucun cas, pas pour lui du moins. Mais n’était pas ce qu’il avait fait finalement ? En prenant l’avion pour atterrir dans ce coin paumé, avec le risque de se faire cracher aussitôt à la gueule. Avec l’aveu muet que s’il était devenu une épave avec elle, il tombait littéralement en cendres en son absence. Offrande douloureuse qui n’avait pas réussi à la contenter. Elle trouverait toujours ses remords dérisoires après les sévices endurés. Elle avait bien raison. Après le flot boueux d’insultes qui s’était déversé sur elle durant des mois, l’addition ne pouvait qu’être salée. « C’est bon, t’as fini ? Tu te sens soulagée ? Ou je dois aller chercher une muselière pour que tu daigne la fermer ? » Ses dents vinrent creuser l’intérieur de sa joue, punissant leur propriétaire pour sa suffisance insupportable. L’entendre débiter ses reproches venimeux en boucle le mettait au supplice. Lui rappelait amèrement qu’en termes de lâcheté, elle n’avait rien à lui envier. Une petite ordure qui avait choisi de se défouler, de déverser son dégout de lui-même sur sa victime plutôt que d’assumer clairement l’horreur de son abject comportement. Et il devenait affreusement faible, n’aspirant qu’à devenir néant. Mais on n’efface pas sa personne si facilement, il l’avait appris à ses dépends. Il avait sombré, s’était enlisé dans la décadence, se débattant vainement dans les âpres marécages. Le droit, le loyal, l’honnête Ethan n’était plus que son ombre. Ce salopard imbuvable qui semblait tant répugner celle qui l’avait connu autrement. Cet être faux et manipulateur, outrancièrement séducteur et incorrigiblement acariâtre. Juste bon à entretenir un simulacre d’illusion auprès de ses patients, de ses collègues, de ses proies.

Ils se renvoyaient la balle comme deux enfants sadiques, répondant à une question par la même question posée avec une formulation quasiment identique, et ainsi de suite. Préférant laisser le soin à leur partenaire d’infortune de poser des mots sur le désastre, de qualifier la chose. Il ne voulait pas être celui qui la forcerait à avorter, endossant suffisamment de torts sans qu’elle vienne y rajouter plus tard ce ‘sacrifice’. Mais il ne pouvait pas rester stoïque. Ses ongles s’incrustèrent dans le moelleux de sofa, mimant un geste qu’il aurait aimé reproduire sur son cou gracile. L’étrangler pour qu’elle lâche le morceau, le rassure sur ses intentions. Il avait beau la connaitre, présumer qu’à l’intonation de sa voix le garder n’était d’après elle non plus pas envisageable ne serait-ce qu’un millième de seconde… Le doute continuait de s’insinuer, le rongeant insidieusement de l’intérieur. « Non bien sûr que non, j’adore brasser du vent tu me connais. » Il avait hésité, optant en fin de compte bêtement pour l’ironie. Au lieu d’avouer que oui, il en avait besoin. Qu’elle n’était pas la seule à souffrir en silence, pas la seule à avoir chancelé en déchiffrant les incroyables résultats.

Son moral, déjà au plus bas, sembla subir une dégringolade vertigineuse lorsqu’elle confirma ses propos puérils. Chutant dans les limbes de l’enfer, en dépit de la tonalité chevrotante et hésitante qui avait éraflé ses tympans. Ne rien montrer, ne rien laisser paraitre. Faire preuve d’une indifférence glaciale quand l’édifice s’effondre. Dans le scénario élaboré par son esprit dément, il était fier, fort. Il dissimulait à merveille sa lancinante faiblesse, pendant que de son côté, elle se brisait. Incapable de masquer ses sentiments, de ne pas démentir son affirmation infecte. Mais dans la vie, rien ne se déroule comme on l’avait prévu. Et il en fit immédiatement les frais. Inapte à garder ses traits de marbre en se fondant dans le bleu hypnotique de ses prunelles, il détourna rapidement la tête. Pour qu’elle ne lise pas comme dans un livre ouvert son amertume, son désarroi. Ni l’amour dévorant dont il l’affublait. L’affliction suintait de tous ses pores, arrachant son épiderme comme de l’acide. Il s’appuya davantage contre la table, y trouvant un semblant de soutien pour dissuader ses pauvres guiboles de céder sous son poids. Pas maintenant, pas devant elle. Tenir à tout prix, encore un peu.

Mais il ne put s’empêcher de tendre le bâton pour se faire battre, ordonnant des précisions qu’il valait mieux pour sa santé ignorer. L’intense soulagement s’était trop vite calciné dans les braises de son impérieux masochisme. Il ne songeait soudain même plus à sa grossesse, à la nécessité suprême qu’il n’en ait pas été l’instigateur tant ce serait monstrueux. Il voyait seulement des images putrides défiler, visions délirantes s’injectant à ses rétines sans qu’il puisse les en déloger. C’était surement ainsi qu’il finirait. Fou qu’elle puisse se réfugier dans d’autres bras, quand il était damné de ne pas pouvoir la garder dans les siens. Jalousie infernale ne lui laissant aucun répit. La déglutition fut laborieuse, écorchant sa trachée pour que la bile ne remonte pas jusqu’à son palais. Sa cadette n’était qu’une sale trainée. Une vulgaire catin qui multipliait les amants comme lui les cigarettes, et qui avait l’audace de jouer à l’innocente pour conserver sa réputation intacte. C’était ce qu’il lui avait répété. Encore, et encore, et encore. Mais la vérité, c’est qu’il n’en pensait pas un traitre mot. Elle n’était pas comme ça, elle n’était pas comme lui. Il aurait presque voulu qu’elle le soit, pour continuer à la mériter. Ce n’était pas le cas. Il n’avait simplement pas su se montrer rationnel, mais comment l’être quand une passion si malsaine et dévastatrice vous coupe le souffle ? Quand votre existence entière part en fumée, et que votre avenir est déjà du passé ? Les mâchoires du piège qu’elle venait de lui tendre se refermèrent dans un crissement métallique, éraflant des lambeaux de chair au passage. Trop tardivement pour qu’il ne distingue pas les fausses notes dans son discours cependant.

« Tu tente de me provoquer là ? Pour chialer dans deux minutes quand tu seras parvenue à tes fins ? Essaie pas de mentir à un psychiatre… Encore moins quand c’est ton frère. »

Il avait longtemps soupçonné sa sœur, adolescente, d’avoir le cœur entre les cuisses. Quand lui n’avait jamais eu de relation vraiment sérieuse, et qu’elle semblait passer son temps à tomber amoureuse. Et évidemment, il était toujours là pour ramasser les pots cassés. Pour la consoler, maudire tous ces crétins. Ces imbéciles finis qui n’arrivaient pas à la cheville de sa brunette. Éventuellement présent également pour aller en fracasser gentiment certains. Ceux qui avaient dépassé les bornes des limites. Même lorsque ce qu’il ressentait pour elle était purement chaste et platonique, cette tendance inconsciente l’avait lacéré. Regrettant terriblement qu’elle ne soit pas capable de se dépenser physiquement sans s’encombrer de sentiments inutiles. Cette appréhension était encore présente, pour des raisons toutefois différentes. Infiniment plus égoïstes. Il tremblait de la perdre, et cette angoisse abominable ne le quittait jamais. Redoutant qu’elle finisse par s’en sortir. Par trouver quelqu’un qui non seulement ne la rebuterait pas, mais saurait pimenter agréablement son quotidien. Et malheureusement pour lui, c’était ce qu’il y avait de plus aisé. N’importe qui saurait se montrer plus charmant, moins pénible. N’importe qui saurait lui faire miroiter un futur baigné dans la normalité, dégoulinant d’une passion doucereuse. N’importe qui valait mieux que lui, que ce à quoi il la condamnait. Il lui suffisait de se leurrer, pour toucher du doigt l’esquisse de cette vie banale. Pour ne plus déambuler dans les géhennes de jour comme de nuit. Alors il se montrait possessif comme personne, prêt à démembrer le premier osant l’effleurer de son regard de braise. S’inquiétant chaque fois qu’un individu du sexe masculin s’approchait d’elle, risquant de la lui dérober. Noyant dans l’alcool cette phobie viscérale qui le mettait au pilori, pour oublier qu’elle n’était pas vraiment à lui. Et elle avait bon dos, leur futile mascarade. Servant davantage à prétendre à une fausse appartenance qu’à dissimuler l’ignoble inceste. C’était écrit, qu’elle s’en sortirait et pas lui. Qu’elle finirait par plier bagage, emportant dans ses valises ses scandaleuses espérances. Ils se retrouveraient de temps en temps aux repas de famille. Elle, dans le rôle de la brillante chirurgienne aux grands airs de pétasse mal-baisée. Reine des glaces maniaque dont la fièvre hystérique menacerait les convives. Lui, dans le rôle du minable dépressif qui ferait honte à la famille à force d’abuser de la bouteille. Enchainant les réflexions cyniques et scabreuses au lieu de se faire oublier. Il la visualisait d’ici. Le toiser avec mépris en conseillant fortement à sa progéniture de ne pas accorder le moindre crédit à un raté comme lui. Adieu la complicité d’antan, les ferventes pulsions qui les transcendaient. Réduits à n’être plus que deux étrangers se connaissant à la perfection.
Il n’avait peut être s’agit que d’une aventure passagère, mais son esprit détraqué tournait à plein régime. Suffisamment pour qu’il disjoncte et que son oppressant pressentiment se transforme en une colère ardente. Dévastant les dernières bribes de bon sens en ne laissant sur son champ de ruines que sa haine. Un dangereux vent d’expectative souffla dans la pièce avant que les deux sphères d’acier la percutent avec une hargne démesurée. « Et après t’étais là à me faire la morale… A tenter de me culpabiliser. » Murmures vaguement audibles montant en puissance à mesure qu’il prenait de l’aplomb. « Sainte Elizabeth, qui aurait presque pu se vanter de l’immaculée conception si elle crevait pas autant d’envie de remuer la merde. Une sale hypocrite sous ses airs de ne pas y toucher alors que c’est la première à se cambrer. » C’était surtout ça, qui le mettait tant en furie. Qu’elle ait pu lui faire la morale, le trainer impunément et impitoyablement dans la boue. Qu’elle l’ait fait se sentir comme un moins que rien, alors que la vertu et la fidélité n’appartenaient pas non plus à ses qualités. « Tu sais quoi ? Tu me fais pitié. Tu vaux pas mieux que moi, t’es limite pire. Et en plus t’as même pas été foutue de te protéger. L’excitation était trop grande, vous avez pas pu vous contenir ?! » Il grimaça, comme si une odeur pestilentielle venait d’infiltrer la pièce. Les clefs atterrirent avec fracas sur le bureau tandis qu’il se reculait jusqu’au mur près de la porte. Ses phalanges meurtries s’y posèrent, tandis que les azurs grisâtres échouaient contre le sol. Puisant dans la blancheur éthérée un peu de force afin de ne pas basculer complètement dans l’abime.
« Allez dégage, je t’ai assez vue. » Siffla t’il en s’aventurant à reposer ses pupilles acérées sur son enivrante silhouette. Quelques secondes pour ne pas dévoiler de manière trop flagrante le chagrin qui le prenait à la gorge. « Et je te conseille de raser les murs si tu me croise à l’avenir. Toi, et l’abruti qui te sert de toutou depuis... Depuis quand d’ailleurs ? Il est au courant que t’es supposée être mariée ? Enfin je m’en branle au fond. Mais tu devrais peut être le garder ce gosse finalement, pas sûr qu’il soit opérationnel pour t’en offrir un de rechange si je le croise. » Il s’en voudrait, pour la cruauté gratuite avec laquelle il la tailladait. Il s’en mordrait les doigts jusqu’au sang, de ne pas pouvoir faire le premier pas vers une réconciliation de fortune sans effriter son misérable ego. D’avoir prononcé des paroles aussi dégueulasses. Mais il ne pouvait pas faire autrement. Le surplus d’animosité le prenait aux tripes et il était contraint de le vomir sur elle.
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MessageSujet: Re: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptyJeu 9 Aoû - 23:38

Ce n'étaient même plus des excuses qu'elle espérait. Pas de réconciliation gentille non plus, car elle savait bien que c'était désormais hors de portée. Elle avait perdu de vue tout objectif possible, et lorsqu'elle se penchait sur la question de l'avenir qu'ils avaient tous les deux, en tant que frère et sœur, en tant que n'importe quoi, elle n'arrivait même pas à voir au-delà de quelques jours. C'était l'absurde porté par un désespoir asphyxiant.
La seule réponse qu'elle lui donna fut une brève grimace, refusant catégoriquement de dire en bonne et due forme qu'elle n'allait pas le garder. C'était peut-être moins terrible lorsque ça restait silencieux, mais c'était surtout un choix égoïste qui n'arrangeait que sa propre petite personne. Intimement convaincue qu'il s'agissait de son corps, et que la décision lui revenait donc entièrement. Qu'Ethan n'avait pas son mot à dire, qu'il ne la connaissait pas cette inquiétude lancinante qu'était la sienne face aux résultats. Que dans son rôle là, il avait une sorte de recul. Qu'il n'était pas celui qui portait cette boule visqueuse dans son bas ventre. Qu'il n'était aussi concerné qu'elle l'était elle ; oubliant ainsi qu'elle ne pouvait se vanter d'être la Vierge Marie et que la conception d'un enfant se faisait à deux. Puis de toute façon, la seule chose qui devrait l'inquiéter était l'identité du père, et non pas ce qu'elle allait en faire, car la réponse était évidente.

« Ça devrait te réjouir pourtant, non ? Ça prouve que t'as toujours eu raison, ta soeur n'est qu'une petite traînée. Faut savoir ce que tu veux Ethan, tu t'offusques quand je confirme que je vaux pas mieux que toutes les putes que tu te tapes, et lorsque je nie t'essaies de me bourrer le crâne avec ça. » De la simple provocation. Puérile, inutile, pour sublimer un ensemble déjà parfait dans son genre. C'était cependant la seule réponse qu'elle pouvait se permettre de lui donner, car il était plus aisé d'enfiler l'habit de la cadette dévergondée et insouciante, de naviguer sur une vague de mensonges plutôt que d'affronter son regard incandescent à la découverte de la vérité. Mais en endossant ce rôle, elle avait oublié un détail : que ce soit vrai ou non, tant que ça franchissait une de leurs lèvres, ils s'en servaient l'un contre l'autre. Mauvais joueurs, et peu loyaux. L'arroseur arrosé. Elle avait tendu le bâton pour se faire battre, comme une idiote, sans voir que ce qu'elle avait était gros, et que ce qu'elle allait se prendre dans la gueule en retour allait être de taille aussi. Et ça lui serrait d'autant plus la gorge, brûlait d'autant plus la poitrine que de l'écouter débiter sa colère, user de cette brèche pour mieux taillader les lambeaux, pour n'en faire que de la bouillie. Le pire était sans doute qu'il avait raison, et qu'à sa place, elle aurait sans doute eu une réaction similaire, ne négligeant aucune de ses failles pour mieux l'y enfoncer. A force de vivre dans le mensonge, dans ces vérités en clair-obscur, ces demi-teintes et ces camaïeux aux couleurs de l'enfer, on finit par s'y perdre. On s'emmêle dans ses propres filets poisseux, on se retrouve coincé dans sa propre toile. Se débattre furieusement n'améliore certainement pas la situation, elle l'empire même, et pourtant, on ne peut s'y résigner qu'au moment où on sent toutes ses forces s'envoler, laissant place au constat désastreux d'une situation qui n'était pourtant pas sans issue. Elizabeth, elle était encore au stade où on agite ses bras comme un dément. Elle aurait pu se taire, encaisser tant bien que mal le crescendo aussi splendide que dégueulasse de son frère, se glisser à l'extérieur en se scellant soi-mêmes les lèvres à l'aide de ses canines pour s'assurer qu'aucun mot n'en sorte. Elle aurait dû. Et pourtant, la seule chose que ses piques provoquaient en elle, c'était de l'injustice. L'injustice ardente qui s'ajoutait au tas d'émotions qui se faisaient déjà la guerre. Le sentiment d'insatisfaction qui tissait sa toile. « Depuis que j'ai pris exemple sur toi et adopté une vie sexuelle débridée, j'ai même plus envie de prétendre au poste de sainte. Mais il va de soi que je t'apprends rien. »
Ses mots étaient durs, parce qu'au fond, elle voulait qu'il soit fière d'elle, sur tous les plans. Comme n'importe quelle soeur, elle voulait que son grand-frère soit satisfait de ce qu'elle était devenue, que ce soit humainement ou professionnellement. Elle voulait partager son bonheur avec lui, ne pas devenir deux inconnus à force de s'oublier. Comme n'importe quelle femme crevant d'amour, elle voulait qu'il lui prouve son amour, qu'il soit tendre. Qu'il lui pimente sa vie, qu'il lui propose des projets. Dans les deux cas, aucun des critères n'était rempli. La fierté n'était plus au rendez-vous, envolée en poussière quelque part entre le premier baiser et les premières insultes. Les vertus semblaient avoir plié bagages, déguerpi du tableau, ne laissant que les pires vices possibles. Et le quotidien intrépide et passionné de ces couples prêts à se noyer dans leur bonheur n'avait jamais été à leur portée ; la seule chose qui l'était, c'était la lubie insensée qu'il le soit. Elle se redressa, posa ses coudes au milieu de la table pendant que ses mains refermées les unes sur les autres vinrent soutenir sa tête. Le menton légèrement relevé, elle poursuivit avec effronterie – car c'était ce comportement abject qui lui donnait un semblant de fierté, de force. Même s'il était certain qu'en vrai, elle était à deux pas de fondre en larmes, que ses tripes se transformaient en casse-tête chinois niveau expérimenté. Son foutu ego lui interdisait cependant de se laisser aller, de donner raison à Ethan et de se mettre à chialer comme il avait pu le prédire. « Je pensais t'épargner les détails, mais tu le me demandes si gentiment. Il avait ce côté bestial, cette énergie époustouflante, ces coups de reins qui étaient... Qu'est-ce que tu m'avais dit déjà ? » Elle fronça les sourcils, à la recherche de la formulation exacte, et enfin : « Ah oui, c'était tellement jouissif que je trouve pas de mot. Je penserai à filmer la prochaine fois. » Elle avait enclenché le bouton muet de la télécommande, débitant âneries sur âneries, prêtes à lui inventer des détails sordides pour lui renvoyer le boomerang dans la face, pour lui faire comprendre qu'il était allé trop loin, sans s'écouter le moins du monde. Capable de sortir des détails dégueulasses avec ce demi air d'extase et réjoui collé au visage, ce sourire parfaitement forcé qui accompagne souvent ces souvenirs plaisants ; mais peu désireuse de les entendre. Peu désireuse de se rendre compte de la personne qu'elle pouvait être, cette furie sans limites prête à user de n'importes quelles armes. Cette langue trop pendue qui devrait peut-être être coupée pour qu'elle arrête enfin. Ses airs de fille un peu fragile qui se brise au premier coup de vent, sa délicatesse perturbée dès les premières paroles un peu dures qui l'oblige à se braquer et se protéger dans son armure de silence. Ses airs de fille à plaindre, alors que des deux elle était loin de l'être, que sans doutes une fois lancée dans son hystérie maladive, elle était la plus vicieuse. Ses aveux n'avaient pas pour but d'activer la partie ignoble de sa personnalité, ses reproches, il aurait dû se les garder. En guise de réponse, elle ramassa le bruit aigu ses clés venant se cogner furieusement contre la table. Hésitante, elle les toisa un moment, avec de les prendre entre ses doigts, sans pour autant être totalement décidée à quitter la pièce : elle refusait d'une part de lui obéir au doigt et à l’œil, et d'autre part, sortir de cette salle allait être une nouvelle fracture.

Finalement, elle se releva, silencieuse, jetant un coup d’œil rapide sur Ethan. Se rapprochant de la porte et de lui par la même occasion, elle glissa la clé dans la serrure au moment où il se décida à cracher encore un peu plus de son venin. Certainement, il n'allait pas la laisser filer sans une remarque désobligeante, c'était presque de coutume chez lui. Le bon sens aurait voulu qu'Elizabeth tourne la clé, un tour, deux tours, tourne la poignée et s'en aille. Le bon sens était malheureusement une chose qu'elle avait égaré en route, coincé quelque part entre la frontière canadienne et américaine. Pivotant sur le côté de façon à l'avoir face à elle, elle répliqua : « Supposée, oui, je suis supposée être mariée, ce qui signifie que je le suis absolument pas. Qu'en théorie, la seule personne dont je devrais me méfier c'est mon pauvre mari crédule qui n'y a vu que du feu à l'adultère ; sauf que tu viens de me rappeler que ce mari n'existait pas, et qu'entre nous, y a rien. » Il avait vraisemblablement la réaction du mari jaloux, meurtri par la trahison de sa femme volage. Il avait toujours été du genre à menacer ouvertement ceux qui avaient osé déclencher la fontaine d'elle était, mais les choses n'étaient plus pareilles. Et pourtant, elle les avait vu défiler ses accès de rage envers ces pubères qui ne semblaient jamais être assez biens pour elle, sous toutes ses formes, portés par une richesse de vocabulaire impressionnante. D'une certaine façon, elle arrivait à se sentir protégée sous les grossièretés qu'il débitait alors qu'il la tenait dans ses bras, elle arrivait à oublier qu'on venait de lui écraser le cœur parce qu'il était là. Mais elle n'avait jamais connu cette douleur là, cette vivacité dans sa souffrance. Elle était pourtant tombée des nues souvent, étonnée d'une fin alors qu'elle ne la voyait pas venir d'aussitôt, brisée par des révélations bien laides, mais jamais elle n'avait cette explosion émotionnelle qui lui opprimait la cage thoracique. Ses peines passées n'étaient que de pacotille, l'amour était une idée vague et floue dont elle rêvait ouvertement, une notion qui lui faisait briller les étoiles dans les yeux à chaque fois qu'on en parlait. Une gamine qui venait tout juste de mettre les doigts de pied dans le monde des sentiments, et qui y croyait avec force. Elle continuait malgré les déceptions à s'attacher, à vivre une période d'euphorie pour retomber violemment sous les avertissements de son frère. Relations peu glorieuses qui avaient peut-être alimenté leur relation exiguë. « Tu comptes castrer toute personne possédant une paire de couilles, et ayant le malheur de rentrer dans ton champ de vision ? T'as pas la moindre idée de qui il s'agit. » Ils allaient tous les deux regretter leurs paroles, se rendre compte par la suite que c'était de trop, mais constater par la même occasion que c'était fait. Sa jalousie aurait pu être touchante, à un autre degré, dans un autre contexte. Ce qu'on appelait volontiers preuve d'amour, cette possessivité qui fait germer les pires scénarios catastrophes. Dans ce cas là, elle était juste insupportable : parce qu'elle était déplacée, parce qu'elle était d'une certaine façon meurtrière. « Ça se trouve tu le connais, c'est peut-être quelqu'un que tu croises tous les jours quand tu descends de ton immeuble, c'est peut-être même un de tes collègues. » La porte qu'elle s'apprêtait à ouvrir allait donner sur une période de guerre froide. Tension palpable et constante flottant dans les airs, malaise ambiant. Il allait sans doute lui infliger ce mutisme qu'elle semblait tant rechercher à chaque fois, sans même plus faire de tentative pour crever l'abcès. Mais encore une fois, il y avait ce putain de comportement puéril, cette absence de dialogue qui était bien moins pesante lorsqu'elle avait le sentiment de tenir les rennes mais qui devenait insupportable lorsqu'il lui était imposé. Tous les deux amoureux de ce contrôle strict et précis, nécessiteux de réactions et actions connues à l'avance, et suivant le diction ''œil pour œil et dent pour dent'' à un tel point qu'il en devient aberrant. Sans doute aussi complices par leurs nombreux points communs, mais se repoussant violemment et avec un naturel fou à cause de ces ressemblances. La situation aurait sans doute été moins terrible si elle avait du genre à s'écraser sagement, ou s'il manquait de répartie.
Alors quitte à ne plus se parler pendant un bout de temps, à se lancer de mauvaises œillades à chaque fois où ils se croiseraient malencontreusement, autant qu'elle lui crache toute sa mauvaise foi et son poison. Deuxième tour, les doigts posés sur la poignée. Presque satisfaite de ses dernières paroles, et prête à le laisser sombrer dans sa paranoïa.
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MessageSujet: Re: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue - Ethan  EmptyMar 14 Aoû - 22:37

Elle avait presque l’air de jubiler, là avec son air triomphal et mesquin. Lui rappelant perfidement que la vengeance était un plat qui se mangeait froid, et même congelé en l’espèce. Elle semblait prendre confiance, sautant sur la corde les reliant l’un à l’autre avec adresse avant de s’aventurer à l’effiler avec son couteau. Et tant pis s’ils plongeaient droit dans le précipice, et se fracassaient la nuque contre les récifs au terme de leur chute vertigineuse. Il ne voulait pas que sa sœur aille faire le tapin, mais pas non plus qu’elle se mette en ménage avec le premier sauveur venu. En réalité, s’ils avaient vécu dans un autre siècle, il n’aurait pas été contre le fait de la mettre au couvent ou de la séquestrer dans la plus haute tour d’un château pour que ses faveurs lui restent réservées. Il se contredisait sans cesse, prêchant le faux pour avoir le vrai. Il ne voulait rien. Aucun des deux extrêmes, et pas non plus le juste milieu. Il ne chercha pas à le nier. Il aspirait seulement à ce que l’aimer à s’en brûler la peau et à s’en pulvériser le cœur ne soit pas interdit. A ce que les promesses d’appartenance ne soient pas si incongrues, et dérisoires.

C’était toujours cette même curiosité morbide, tordue à souhait, qui intervenait dans ce type de situation. Ce besoin viscéral et insensé d’entendre des détails qu’on ne pourra pourtant pas supporter. Le masochisme à l’état brut, poussant à poser des questions dont on préfèrera d’avance ne pas connaitre les réponses. L’égoïsme dans toute sa splendeur, qui vous transforme en une véritable fouine avide du moindre renseignement croustillant à se mettre sous la dent. Il ne pouvait pas s’en empêcher, ça sortait tout seul et seule la pudeur en retenait encore quelques unes. Combien de fois vous l’avez-fait, et où, et c’était comment, bien ? Et depuis quand ça dure tout ça ? Le ‘depuis quand’ l’obsédait tout particulièrement d’ailleurs. Savoir si le carnage avait commencé avant même son arrivée, ou si elle avait attendu qu’il saute la première pétasse venue d’Arrowsic. Savoir si c’était par dépit, ou par désir véritable. Savoir si elle était éprise, si elle avait au moins des sentiments, et si elle l’envisageait éventuellement comme une porte de secours lorsqu’il se déciderait à ne plus envahir impunément sa misérable vie. Et est-ce qu’elle avait l’intention de continuer ce cirque ? Est-ce qu’il lui manquait autant voire davantage que lui-même, lorsqu’il n’était pas là ? Des descriptions exhaustives, des interrogations infernales, des justifications vaines. Le joyeux remue-ménage des infidèles dont la sombre vilénie est transpercée par la lumière aveuglante du jour. Cette envie pressante de leurs victimes de se rassurer, de constater que les dégâts ne sont pas si infâmes et qu’il reste encore quelques meubles à sauver. De réaliser qu’elle ne prend pas tant de plaisir que ça à s’envoyer en l’air avec son amant de pacotille, qu’il ne s’agit que d’une aventure qui passera comme le reste lorsque l’usure reprendra ses droits. Il avait des réactions d’homme marié, alors qu’il n’en était rien. Ils se dépossédaient mutuellement des derniers lambeaux du fantasme qu’ils avaient tissé ensemble, sans pouvoir s’en empêcher. Ils avaient poussé le vice jusqu’à prétendre partout qu’ils avaient échangé des alliances, jetées au feu depuis, s’étaient inventés une histoire surfaite. Ils s’étaient embrassés en public plusieurs fois, avaient échangé des sourires factices, dompté leur animosité réciproque comme un fauve. Ils avaient animé cette mascarade, la tapissant de couleurs vives pour en dissimuler les teintes affreusement ternes. Ils avaient menti comme des arracheurs de dents, tremblant à l’idée d’être démasqués en s’enfonçant de plus en plus profondément et ouvertement dans le mensonge.
Mais admettre qu’ils prenaient leurs convoitises putrides pour des réalités, reconnaitre qu’ils avaient mal à en crever que l’autre puisse se perdre dans d’autres bras… ça, c’était tabou, ça c’était au dessus de leurs forces. Donner une quelconque légitimité à leur jalousie revenait à en donner une à leur 'union' contre-nature, et ils s’y refusaient obstinément. Ce qui n’arrêtait cependant pas les remarques désagréables et déplacées, les semblants d’ultimatum et tout le toutim. Bien au contraire. « Ah oui parce que tu prends exemple sur moi dans certains domaines maintenant ? C’est nouveau, ça vient de sortir. Je pensais que t’avais un peu plus de fierté que ça, t’habitude t’as l’esprit de contradiction. Cesse donc un peu de te faire passer pour l’innocente pervertie du village, j’ai pas eu besoin de te montrer comment on écarte les cuisses, t’as assimilé la technique toute seule, comme une professionnelle. »
C’était à qui cracherait à l’autre le plus de saloperies, à qui s’effondrerait le premier. Elle ne lui épargnait plus rien, enduisant de détails salaces ce qui avait des échos d’adultère. Aucune tiédeur, aucune pudeur. Ils étaient parfaitement conscients que l’autre ne pourrait pas répliquer sans admettre à demi-mot qu’il était en train de perdre les pédales. Qu’il se calcinait littéralement quand il aurait du rester insensible. Il n’avait pu s’empêcher de frissonner, claquant des dents alors que la colère le terrassait à la manière d’une onde de choc. Encore debout, raide, juste avant que l’édifice entier ne s’écroule avec perte et fracas. Toutes les connexions s’établissant vers son cerveau semblaient mener vers les mêmes images meurtrières. Les sens accrus, il visualisait parfaitement la scène qui avait conduit à terme à celle en train de se dérouler en ce moment précis. Il s’éteignait lentement sous la brûlure, dévoré par son sarcasme. Elle s’était trahie également, jetant sur le brasier de leur déchéance son insupportable arrogance passée et sa froide détermination à la faire flancher. « T’essaie de me punir pour la dernière fois ? Mais moi je ne l’ai pas revue depuis, au fond si on y réfléchit je ne l’ai pas vue tout court. J’ai pas l’impression que tu puisses en dire autant Elizabeth. » Et c’était bien ça le problème. Elle semblait toujours chercher à s’en tirer quand lui avait abandonné depuis longtemps, résigné. Elle continuait de se débattre, avait essayé de se reconstruire une vie sans lui. Le futur métier, l’appartement, il ne manquait effectivement plus que l’amant régulier pour parfaire le tableau. Il avait certes saccagé la plupart de ses efforts en s’immisçant sans y avoir été invité dans son quotidien poisseux, mais elle n’aurait certainement pas craqué s’il n’avait pas franchi tous ces kilomètres les séparant. Elle pouvait vivre sans lui, quand il n’était même pas capable d’au moins survivre sans elle. Le constat était affligeant, édifiant. Qu’elle puisse s’en sortir, trouver une issue, pendant que lui n’était apte qu’à patauger dans sa gluante médiocrité.

Il crut qu’elle n’allait jamais daigner se lever et se diriger vers la sortie, il se mit à supplier intérieurement n’importe quelle entité supérieure de bien vouloir la mettre dehors avant que la tentation de le faire brutalement lui-même ne l’emporte. Et néanmoins, il se surprit à regretter qu’elle se plie à son ordre si facilement. Redoutant envers et contre toute logique qu’elle disparaisse de la pièce, car il ne parviendrait plus à la retenir. Son futile ego écraserait désormais les désirs de réconciliation. Il ne la rattraperait plus dans l’ascenseur, et l’ignorerait royalement dans les couloirs. Et autant pour l’accabler que pour gagner un temps précieux, il se remit à débiter des reproches. Faisant preuve d’une franchise à couper au couteau, crachant des menaces qui en devenaient ridicules tant elles semblaient exagérées. Il se garda toutefois de répondre à sa réplique assassine, ne trouvant pas la force de confirmer ses dires. Les cinq petits mots lui avaient déjà arraché la langue, inutile de se trancher la gorge en en rajoutant. Inapte en revanche à rester stoïque lorsqu’elle posa sa question moqueuse, tant se taire aurait accentué le ridicule de la situation. « Je sais pas, c’est le seul moyen pour t’empêcher de te reproduire en modèle réduit ? » Il se demandait parfois si leurs tares se transmettraient à l’hypothétique génération suivante. Si tout ça n’était pas une mutation génétique qu’il était nécessaire à tout prix d’éradiquer en stoppant là la lignée. Il s’imaginait parfaitement trembler d’angoisse en scrutant ses enfants. Cherchant à délimiter l’amour fraternel et ses dérives, paranoïaque au point de percevoir des signes d’inceste là où la relation serait parfaitement chaste et auréolée d’innocence, de pureté. Et inévitablement, cela le menait à l’image de leurs parents, aux réactions courroucées qui seraient les leurs s’ils en venaient à apprendre quels monstres ils avaient mis au monde. Quelles terribles erreurs ils avaient perpétrées en les laissant devenir si proches. En se réjouissant de les voir si soudés et en paniquant qu’ils puissent ensuite se déchirer. Des sueurs froides se glissèrent le long de son échine, et il préféra retourner ses attaques contre elle pour éviter de se muer en statue de pierre. « Et toi de ton côté, t’as l’intention d’agresser toutes les adolescentes qui ont le malheur d’oser me parler ? T’as l’intention de traiter de putes toutes celles qui terminent entre mes draps ? » Ils ne partageaient pas uniquement leur sang et leur folie indécente : les réactions abusives également. S’il n’y avait plus besoin de démontrer combien il se révélait possessif et méfiant, elle le surpassait aisément concernant les crises d’hystérie en présence de créatures féminines. N’hésitant pas à agresser verbalement une pauvre adolescente ni à jeter un regard aussi réprobateur que condescendant sur n’importe quelle demoiselle susceptible de devenir son amante. Il avait la sensation qu’aux yeux d’Elizabeth, le monde ne se divisait qu'en deux sortes de femmes : celles en manque de fraternité, et celles en manque de sexe. Dans un cas comme dans un autre, elle voyait rouge. Et évidemment elles ne pouvaient être que méprisables, pathétiques de jeter leur dévolu sur un être aussi piteux et écœurant que lui.

Son ultime provocation lui coupa le souffle, transformant ses prunelles en deux balles d’acier rêvant de fusiller sur place l’impétueuse. La violence de la frappe le laissa un instant interdit. Une bombe réduisant en escarbilles immondes ses entrailles, ravageant tout sur son passage comme une coulée de lave. La colère le déchiquetait au même titre que son puissant chagrin. Il constatait amèrement qu’il était fou amoureux d’un bourreau, prenant un malin plaisir à faire durer à l’infini son supplice. Il ne pouvait que se contenter de miettes et passer pour un ingrat s’il ne s’astreignait pas à la remercier pour sa clémence. Ses doigts se faufilèrent sur les siens, les emprisonnant dans une prise de fer au point que les jointures de ses articulations blanchirent. Pression exacerbée par des bouffées de haine. Ses prunelles orageuses poignardèrent les siennes avec violence avant de murmurer entre ses barrières de nacre : « J’en ai plus rien à foutre. Qu’ils mangent tous mes restes si ça leur chante, tu ne vaux plus rien. T’es morte pour moi. » Il appuya sur la poignée, relâchant brusquement ses phalanges meurtries tandis qu’il ouvrait grand la porte. Ne lui offrant d’autre choix que celui de s’échapper dans le couloir. Il regrettait déjà ses mots exécrables, et l’aplomb déroutant avec lequel il les avaient prononcés, tant ils pouvaient être entachés de cruauté et de fausseté. Mais comme le pire des idiots, il resta planté là sans rien faire. Sans rien ajouter. Sans esquisser le moindre geste désespéré pour la retenir et essayer de se faire pardonner. Horrifié par son propre comportement, et la manière dont elle parvenait toujours à faire rejaillir ses plus ignobles instincts à la surface. Alors qu’il ne quémandait qu’une seule chose au plus profond de lui-même : son amour, peu importe sa forme, pourvu qu’il soit tendre et immuable. Pourvu qu’il reste fort et inaliénable.


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