« Je serai une femme puissante, avec un homme à pieds. » Je me souviens de mes paroles, comme si c’était hier. J’avais lâché cette phrase scandaleuse lors d’un dîner que mes parents avaient organisé avec leurs amis, alors que je n’avais que dix ans. Et oui, dix ans. Vous devez vous dire, qu’une petite fille de dix ans parlant ainsi, a passé trop de temps à regarder la télévision ou bien les séries télévisées. Pas du tout. A dix ans, je savais parfaitement comment ma vie évoluerait. Il était hors de question que je sois dépendante de quiconque. Je ne compte pas finir ma vie comme femme au foyer, à élever deux ou trois enfants, comme ma mère. Contrairement aux autres petites filles, ma mère n’était pas mon modèle. Ne déformez pas mes propos. J’aime ma mère, j’aime ma mère plus que tout. Mais je ne veux pas finir comme elle, c’est tout. Mon père avait sourit à cette phrase, il avait ressenti une sorte de fierté, une fierté qui le confortait dans l’idée que son éducation était la bonne. Mon frère, âgée de treize ans à ce moment-là, avait soupiré. Il trouvait ça ridicule. A treize ans, il était déjà macho. C’était triste pour lui, triste pour ses futures copines. En grandissant, nous nous étions rendus compte que nous n’avons pas du tout la même conception d’avenir pour une femme. D’ailleurs, ça avait été le motif de nombreuses disputes entre nous. Lui pense que la femme doit rester derrière les fourneaux, et moi je pense qu’une femme a le droit de s’émanciper. Vous pouvez donc imaginer les querelles entre nous. Ah, j’ai oublié le principal. Je m’appelle Laura, Andrea Winston, je suis née pas très loin d’Arrowsic, dans une famille assez aisée. Je n’ai jamais manqué de rien. Jamais. A l’heure où je vous parle, on m’appelle Andrea Riverswood. Mais ça, on en reparlera plus tard. Après ce dîner, ma mère a été prise d’une panique incroyable, décidant de m’apprendre la cuisine et quelques tâches ménagères. Jusqu’à mes quinze ans, elle n’a cessé de me forcer à faire des trucs que je ne voulais pas faire. Au début, je ne m’en plaignais pas, puis c’est devenu vite insupportable. J’ai grandi à Arrowsic, j’ai fait toute ma scolarité là-bas. Au lycée, j’étais assez populaire. Je ne sais plus comment, mais je l’étais. Je n’étais pas une de ces pestes pompom girl qu’on peut caricaturer dans les films. J’étais une adolescente assez normale. Sauf lorsque j’avais besoin de quelqu’un ou de quelque chose. Je pouvais me révéler être assez manipulatrice. Peut-être que je dégageais quelque chose qui poussait les gens à être correctes avec moi. Je ne saurais dire, mais je ne vais pas m’en plaindre. J’étais une élève brillante et ambitieuse. C’est vers l’âge de seize ans que j’ai su ce que je voulais faire. Organisatrice d’événements. Rien que le nom me faisait rêver. Cette envie était née après l’une des nombreuses soirées passées. Même si Arrowsic n’a rien d’une grande ville comme New York, les fêtes y étaient pas mal. L’ambiance toujours au rendez-vous. Comme tous les ados de nos jours, j’ai fait les pires conneries, j’ai tout tenté. Drogue, alcool etc. je me suis mise dans des états déplorables, mais bon, ça forge l’expérience, n’est-ce pas. Aux yeux de mes parents, j’étais une petite princesse capricieuse, aux yeux de mon frère, j’étais une petite manipulatrice assoiffée de pouvoir, et aux yeux des gens de mon âge, j’étais une ado comme les autres. J’étais une sorte de caméléon. Ne vous méprenez pas, je n’ai pas un si mauvais fond. Je suis d’une nature gentille et généreuse, même si ça ne se voit pas forcément. J’avais perdu ma virginité avec un connard, qui avait fini par me tromper. C’était la première et la dernière fois qu’un homme m’avait mit dans cet état. En quittant le lycée, j’avais commencé des études pour être organisatrice d’événements. Ma passion. J’étais forcément douée dans ce domaine. Vers mes vingt-ans, j’ai obtenu un stage dans une des plus grandes sociétés d’organisation d’événements. Elle s’était implantée à Arrowsic il n’y a pas très très longtemps. La famille venait tout droit d’Argentine, où ils avaient vécu le temps de faire connaître la société. J’étais fière, j’étais contente. J’étais rentrée en tant que stagiaire, et franchement, ce n’était pas ce qu’il y avait de mieux, comme emploi. Rapporter des cafés, faire des photocopies, très peu pour moi. A force de persévérance, on m’avait finalement donné ma chance. J’avais réussi à imposer mes idées. Un jour, alors que je devais m’occuper d’un projet, le fils du patron avait été envoyé comme photographe. On ne va pas se mentir, c’était un jeune homme très beau, et très séduisant. J’avais souris en le voyant. Au bout de quelque temps, j’y avais vu une opportunité. L’opportunité de grimper les échelons. Hugo et moi avions beaucoup de choses en commun, ce qui facilitait la chose. Presque trois ans après, nous voilà donc marier. Il avait fait sa demande un soir. Je ne m’y attendais pas, et il ne m’avait pas fallu dix minutes pour lui dire oui. Hugo était amoureux, très amoureux. Quant à moi, je n’étais pas sûre. J’étais attachée à lui, il me faisait rire, il était l’homme parfait. Mais moi, j’y voyais surtout l’opportunité de continuer à grimper les échelons. Son père m’adorait. J’avais un peu manipulé cette famille. On dit que le karma frappe un jour ou l’autre. Je n’étais pas pressée de le voir arriver. Franchement, ça ferait mal quand il arriverait. J’avais posé mon regard dans celui de ma mère, un petit sourire en coin. « Tu vois, je t’avais dit que je serais une femme puissante, avec un homme à mes pieds. »