Déménagement. Déménagement, déménagement … Ce mot passait et repassait en boucle dans la tête de la petite Winnie, âgée de seulement sept ans. Et les cours de danse de Mme Tremblay, alors ? Et les promesses de devenir une célèbre danseuse étoile alors ? Pour la petite Blue, déménager signifiait la rupture avec ses habitudes. Donc avec la danse. C'était tout ce qui lui importait, du haut de ses sept ans. Des amis ? Elle reviendrait les voir pendant les vacances. Et puis elle était en colère contre Abbey, qui avait refusé de lui céder une part de son goûter. Dans sa tête enfantine, la seule chose d'extrêmement grave qui allait lui arriver était l'arrêt de ses cours de danse. Elle s'en ouvrit donc à sa mère, sa peluche porcinet serrée dans son poing. « Ma chérie, la danse n'existe pas qu'ici, on te trouvera d'autres cours. Ne t'inquiète pas. » Pleinement convaincue, la petite Winnie s'installa contre son lit, adossée au mur, et commença à lire un livre. Même qu'il y avait une princesse.

« Cap ou pas cap ? » La jeune fille désigna à son amie le jeune homme qui se tenait, seul, accoudé au bar, un whisky à la main. Winnie enregistra d'un coup d’œil les boucles sombres de l'individu, son jean délavé et décida que, oui, elle était cap. Il dégageait quelque chose de mystérieux et étrangement entêtant. Elle n'aimait pas ce genre de jeu qui lui dictait sa conduite, bien qu'elle déteste perdre la face. Mais elle allait le faire. Parce qu'elle était irrésistiblement attirée par cet homme. « Cap. » Les yeux de son amie s'arrondirent de surprise. D'ordinaire, Winnie ne réagissait jamais à ses défis stupides, tant et si bien qu'elle avait fini par lui désigner l'inconnu en désespoir de cause. « Non, sérieux … ? » Winnie lui répondit par un clin d'oeil malicieux. « Ouai, sérieux. Tu verrai ta tête, on dirait un poisson hors de l'eau ! Sois un peu naturelle, sinon il va se douter qu'il est juste l'objet d'un défi ... » Oui, pour Winnie, cet inconnu était juste un défi, rien de plus. Cela ne l'empêcha pas de s'installer près du jeune homme et de commander quelque chose à boire avec une curieuse boule au ventre. L'inconnu la détaillait avec un regard pétillant, et elle s’efforçait de passer outre et de trouver le courage de l'aborder. « Pourquoi tu me fixe comme ça, j'ai quelque chose sur la figure ? » Pas l'idéal pour engager la conversation, soit. Mais elle n'y tenait plus, elle réagissait spontanément, comme si elle le connaissait depuis toujours. « Étonnant de la part de quelqu'un qui fait des projets sur mon dos depuis bien dix minutes … Ça te gêne ? » Oups, grillée, lamentablement grillée. Un peu blessée dans son orgueil mais de plus en plus sous le charme du sourire moqueur du jeune homme. « Ok, cartes sur table. Je suis censée danser avec toi, et plus si affinités, sans que tu ne te doutes de rien. Sinon j'ai perdu. Et pour être honnête, je déteste perdre. » Répondit Winnie en fronçant les sourcils, comme toujours à chaque fois qu'elle avait une pensée contrariante. « À l'évidence tu as perdu … Mais tu peux toujours tricher et faire semblant. » Médusée, Winnie prit la main qui s'offrait à elle et suivit son propriétaire jusqu'à la foule de danseurs. Danser. Ça, elle savait faire, depuis tout juste dix-huit ans, elle ne vivait presque que pour ça. Et elle avait dû se battre pour réussir. Issue d'une famille de classe moyenne, payer des cours de danse près d'une fois par jour revenait à un coût proprement astronomique, et elle avait dû travailler deux fois plus que les autres pour prouver que l'argent ne faisait pas tout et qu'elle pouvait être la meilleure. Et là, serrée contre son bel Apollon, elle ne regrettait rien.

« Je m'en vais, Winnie. » Quoi ??! Non, non, ça faisait presque trois mois qu'elle s'était réveillée ce fameux matin à ses côtés, et elle voulait que ça dure toute la vie. « Viens avec moi ... Cap ? » « Enfoiré, tu sais que je suis cap de tout pour toi. » Va expliquer ta décision de toute quitter à ta mère. Tout, absolument tout, à savoir quitter le domicile familial, sa famille et ses amis pour son petit copain rencontré il y a trois mois. Va expliquer que t'es absolument sûre de ton choix et que c'est lui, et pas un autre. Winnie est quelqu'un de buté et têtu. Et elle était certaine de son choix. Alors personne n'aurait pu se mettre en travers de son chemin, même si ça voulait dire accepter de couper les ponts avec ses parents. Car c'était l'ultimatum que ses parents lui avaient posé. Mais non, elle se dégonfle pas, elle cède pas au chantage. Alors, à l'âge de dix-huit ans, elle a claqué la porte de sa maison un beau matin de mai.

L'enfoiré, l'enfoiré ! Quelle conne, pourquoi elle a pas écouté ses amis ? Pourquoi elle a pas écouté ses parents ? Il s'est bien foutu de sa gueule. Et faut pas trop jouer à ça avec Winnie. Il a cru quoi, que l'amour était tellement aveugle qu'elle allait consciemment foncer dans le mur avec lui ? Qu'elle allait pas remarquer qu'il allait régulièrement voir ailleurs ? Il y en a qui supportent les yeux pleins de larmes parce qu'ils ont trop peu de bouger, mais pas Winnie. Le miel, c'est doux et des fois ça a un goût amer. Oui elle l'aime, oui il lui a briser le cœur. Alors il peut aller se faire voir, et se brosser pour qu'elle verse une seule larme, elle est en colère comme pas possible après lui et si elle le recroise, elle lui refait le portrait. Violente, l'oursonne ? Peut-être bien. En tout cas elle a un peu tendance à foncer et à réfléchir après. En attendant ni une ni deux, la voilà de retour à Arrowisc où elle a réussi à trouver un appart et un petit boulot, pour pouvoir reprendre ses études de danse. Mais il a bien fait les choses, ce con. Sans vouloir la jouer apocalypse, elle a un peu plus besoin qu'avant de son café du matin et boit plus que de raison pour faire semblant que tout va bien mais sinon, elle va bien. à part que le premier qu'elle croise qui lui dit « J'tavais prévenu » ou qui lui fait ne serait-ce qu'une esquisse de morale, elle lui fout son poing en travers de sa gueule et elle lui arrange son nez. Tout moche, en plus. Elle regrette déjà assez comme ça pour qu'on en rajoute une couche, merci.