Aujourd'hui était un grand jour au café, une scène ouverte était organisée et j'avais hâte d'y travailler. Il y aura une bonne ambiance, de quoi manger et faire plaisir à nos clients. Par contre, qui dit soirée organisée dit beaucoup de travaux de préparatifs aussi. Cependant, ma chère patronne a estimé que j'avais le droit à une grasse matinée vu que j'allais rester jusqu'à point d'heure au café ce soir. Je ne dirais pas que j'ai dormi d'un sommeil cent pour cent reposant, mais c'est déjà mieux que ce que j'ai pu vivre ces derniers temps. Vivement que Nate rentre à la maison... Vers neuf heures, j'ouvres péniblement les yeux. L'espace à côté de moi et toujours vide mais j'espère que bientôt j'ouvrirais les yeux sur mon homme. Petit-ami. Fiancé. Peu importe, Nate. Je finis par sortir du lit, n'aimant pas laver sous les draps et préférant commencer la journée par une bonne douche et un café. Je vais rapidement chercher le courrier en peignoir, me fichant pas mal du regard des autres. Encore des factures de l'hôpital. Je soupire et les balance sur le tas avec les autres. Une fois devant mon armoire, j'hésite... Il va faire chaud ce soir, mais en même temps il fait frais dehors... Dilemme. J'opte pour une robe près du corps aux tons rouges et une paires de bottines brunes. Je ne m'attarde pas sur mes cheveux, de toute manière, je les attache quand je travaille.

Avant de partir au café, je m'arrête à l'hôpital. Comme toujours. Je m'asseye au bord du lit et explique à Nate ce qu'il va louper ce soir. Je serre ses doigts entre les miens mais toujours pas de réaction. Je lève distraitement le regard vers la machine posée à côté de son lit et soupire. Il va bien... Tout ce qu'il manque c'est un peu de volonté pour qu'il se réveille... « T'as toujours été un gros flemmard de toute manière... » Ma main de libre caresse son visage puis je me lève pour le rafraîchir un peu, comme je le fais depuis six mois. Il ne faut pas que je craque, si je le fais je pleurs, je crie, je m'énerve et c'est vraiment pas le bon moment pour ça. J'ai tellement envie de le secouer par les épaules, de lui demander de se réveiller, mais ça ne servirait à rien à part ameuter les médecins et la sécurité de l'hôpital. Alors je me contente de l'embrasser sur le front et de partir de l'établissement.

Quand j'arrive en café, tout le monde est en effervescence. Etant donné qu'il faut installer la scène, les boissons et tout le reste, on a décidé de le fermer pour la journée. Les ouvriers viennent et vont à leur guise sans avoir peur de déranger les clients. Moi je me dirige immédiatement en cuisine. Mon tablier autour de la taille, je prépare toutes sortes de pâtisseries et de petits sandwiches surprises à manger. Je n'ai bien sur pas oublié que mon ami Jamie doit venir. J'espère que cette soirée va lui faire du bien honnêtement! J'ai hâte de le voir parce que je me sens un peu maussade et qu'il arrive toujours à me redonner le sourire. En plus, je lui ai plus ou moins promis de monter sur scène. J'espère qu'il pensera à prendre sa guitare, je tiens à ce qu'il m'accompagne. Les heures passent assez rapidement et quand je reviens dans la café, il est illuminé de pleins de jolis lampions et la scène est installé avec un simple micro sur pied. Je souris, toute excitée à l'idée que les gens arrivent même si je sais que je vais avoir beaucoup de boulot. Je suis rodée. Je prépare l'arrière comptoir histoire de ne pas être prise au dépourvu dès que les gens passeront commande. Ce soir, ça sera uniquement au comptoir qu'ils seront servi, les tables ayant disparus de la salle. La nuit tombe et les gens commencent à arriver. Comme toujours je suis souriante et j'essaie de servir les gens rapidement. Exceptionnellement, on sert de l'alcool ce soir, mais c'est uniquement si on nous le demande, ça ne sera pas proposé sur la carte. La soirée bat son plein et même si je n'arrête pas de courir dans tous les sens, je prends le temps de jeter un oeil de temps en temps dans la salle pour voir si Jamie serait arrivé sans que je le vois. Des gens se jettent à l'eau et prenne le micro d'assaut. Y en a certains qui auraient mieux fait de s'abstenir vu les casseroles mais bon, y en a d'autres qui sont plutôt bons en fait. Tout d'un coup, alors j'ai deux secondes pour me poser je vois Jamie. Enfin! Je me baisse derrière le comptoir et sort discrètement une bouteille de whisky. J'en verse dans un fond de verre et le lui donne directement en mettant mon doigt sur ma bouche pour lui faire comprendre que c'est "secret" « J'ai bien cru que tu te défilerais! C'est cool que tu sois venu! Y a une bonne ambiance t'as vu? »

Tel le lapin blanc d’Alice, il est en retard. Il espère que son retard ne sera pas sanctionné par Robyn d’une décapitation en bonne et due forme et continue d’accélérer le mouvement au maximum. Evidemment, ce manque de ponctualité n’est pas de sa faute, c’est le destin qui s’est acharné sur sa pauvre personne !
D’abord, le père de Jules est arrivé avec minutes de retard sur l’horaire habituel et l’a contraint à décaler son départ de la structure d’autant de temps. Ensuite, Jordan l’a appelé, persuadé qu’il serait au courant de l’endroit où se trouvait son jumeau… Ce n’était évidemment pas le cas et son frangin a du coup insisté pour qu’il l’aide à lui mettre la main dessus. Wayne a fini par pointer son nez, la bouche en cœur et l’air innocent. Logique puisqu’il avait apparemment prévenu Jordan qu’il serait absent pour rencontrer des fournisseurs à cette date là.
Les jumeaux ont alors insistés lourdement (comme à leur habitude) pour qu’il passe la soirée avec eux et Jamie a eu toutes les peines du monde à se désister sans révéler où il se rendait. Hors de question que ces deux guignols se pointent au café et lui fiche la honte !
Il a hésité à se pointer directement sur place après cette mésaventure mais s’étant souvenu que Robyn lui avait réclamé de se pointer avec un instrument, il est donc repassé par la garderie pour récupérer sa guitare, oubliée sur place dans la précipitation. Quitte à être en retard, il a fini par décider de rentrer chez lui prendre sa douche et…c’est là qu’il s’est retrouvé coincé à l’intérieur de la pièce d’eau. Sa porte étant aussi pourrie que son mécanisme (et que l’entièreté de son appartement), ça lui arrive au moins deux fois par mois.
Maintenant, il lui faut donc se bouger les fesses pour arriver dans un délai raisonnable sur place. Mais c’est sans compter sur sa moto bonne pour la casse qui refuse de démarrer et le contraint à se rendre à pied jusqu’au café du centre ville, sa gratte sur le dos.

C’est donc essoufflé et passablement irrité qu’il aperçoit enfin l’enseigne du café où travaille son amie. Amie qui doit l’attendre de pieds fermes, une hache à la main... Mais quand il passe la porte et la repère derrière le comptoir, ce n’est pas une arme qu’elle pointe sur lui mais un verre dans lequel il l’a vue verser un peu de whisky. Juste ce qu’il lui fallait.
Il lui adresse un sourire en attrapant le verre et y trempe ses lèvres. Pas franchement désaltérant mais ça fait tout de même du bien par où ça passe !
« Ouais, ça à l’air… »
Il veut dire que c’est cool, vraiment, il le veut… Le mot est au bout de sa langue mais il y a cette fille sur scène qui reprend la chanson du film Titanic et chante affreusement faux. Impossible de faire sortir le mot de sa bouche du coup.
« Y a de l’ambiance, ouais… » finit-il par laisser échapper, les sourcils froncés par l’indignation, captivé par les mimiques théâtrale de la casserole. Puisque le thème de la soirée semble être l’exagération, il fait mine d’être parcouru d’un long frisson et secoue la tête en se détournant du spectacle. « Si tu chantes comme ça, j’te jure que je t’assomme avec ma guitare. Pour le bien de l’humanité. Oui, d’ailleurs tu vois, je suis en retard mais j’ai mon matos. Merci qui ? »
Et avant qu’elle ait pu répondre, il prend le temps de la saluer comme il se doit, se penchant pour aller déposer un baiser sur sa joue.
« T’es toute en beauté ce soir, on dirait une vraie star ! Tu vas faire des jalouses, Miss Sunshine. »

Je ne sais pas si c'est vraiment utile que j'aille tous les jours à l'hôpital pour voir Nate. Après tout, je suis en premier sur la liste des personnes à contacter en cas de problème ou de réveil mais c'est comme si je voulais m'assurer de mes propres yeux qu'il n'y pas eu de changement. Et puis, j'ai espoir qu'il se réveille en ma présence. J'ai peur de recevoir un coup de téléphone au milieu de la nuit en me disant qu'il s'est réveillé mais que je doive d'abord galérer pour trouver un taxi et arriver à son chevet. Je ne sais pas si ça arrivera, je ne sais pas s'ils ouvriras ses jolis yeux en ma présence, du moins je l'espère. C'est une des raisons pour lesquelles je vais lui parler chaque matins et que je lui rafraichis le visage. Comme si entendre ma voix ou sentir quelque chose de froid et humide sur son visage puisse le réveiller. Si je vais aussi le voir c'est surtout pour avoir bonne conscience et parce qu'il me manque. Je ne voudrais pas qu'à son réveil il me demande si je suis venue et que je lui aurais répondu que non. Et puis, je ne me force pas. Comme je l'ai dis il me manque et j'ai besoin de lui raconter ma journée à venir, comme s'il l'enregistrait quand même et que je n'aurais pas besoin de lui raconter tout ce qu'il manque. Je lui montre souvent ma tenue aussi parce que je sais qu'il aime bien quand je mets des robes. Je sais qu'avec ma petite robe rouge et mes bottines brunes il m'aurait traité de petite cowgirl et ça m'aurait fait rire, comme à chaque fois.

Seulement, il n'est pas là ce soir pour profiter de la fête et pour me voir dans ma petite robe à volants. C'est pas grave, je lui raconterais tout quand il se réveillera. La salle est pleine à craquer et je suis obligée de féliciter ma patronne pour l'idée. J'ai de la chance de bien m'entendre avec ma supérieure, elle me comprend et moi je fais tout pour que son affaire marche. Après tout, c'est elle qui me paie alors je ne vois pas pourquoi je ne ferais pas en sorte de rajouter du beurre dans les épinards. Bien que je déteste ce légume. Mes pâtisseries et mes sandwiches s'arrachent. Ca a l'air de plaire et heureusement, c'est le but. Plus la soirée avance, plus j'ai du travail entre servir, nettoyer, ranger, encaisser et en même temps suivre un peu ce qu'il se passe sur scène. Manque de bol, quand mon ami Jamie arrive, il y a une casserole qui se prend pour Céline Dion sur scène. Heureusement que la québécoise n'est pas là pour entendre ça. Je souris immédiatement à mon ami qui a l'air pressé comme un citron. Il grimace un peu en écoutant la jeune femme qui déverse ses fausses notes comme un ornithorynque déverserait son venin sur un ennemi. Vivement que quelqu'un d'autre monte sur scène. Il me met en garde en me disant que si je compte chanter comme ça, il me casse sa guitare sur la tête. D'ailleurs je me tourne un peu pour la voir sur son dos. Telle une petite fille je tape dans mes mains. « C'est génial que tu l'aies prise! Merci! » Le jeune homme se penche par-dessus le comptoir pour me faire un bec, comme il en a l'habitude. Il me fait un compliment par rapport à ma tenue et je lui fait un sourire avant de remettre nerveusement une mèche de cheveux qui s'est échappée de ma queue de cheval. « Arrête! J'arrête pas de courir partout, je ressemble à rien et le pire c'est que je dois aller chanter après! » dis-je d'une traite sans reprendre ma respiration. Maintenant que Jamie est là, je comprends que je n'ai plus d'échappatoire. Je sers rapidement un homme qui vient me demander en bière. Ca me change des cafés crème et des chocolats chauds. Je sais qu'au pire je peux me reconvertir en tant que barmaid au moins! Je m'accoude sur le comptoir et balaie la foule des yeux. « Bon, quelle fille vas-tu draguer avec ton humour ce soir? »

Il lève les yeux au ciel en l’entendant se dénigrer. C’est bien les gonzesses ça ! Elles passent des plombes dans les cabines d’essayage pour choisir LA tenue qui les mettra en valeur, prennent encore dix plombes devant la glace pour l’accorder à leurs accessoires, se coiffer en conséquences et enfiler les pompes achetées spécialement pour aller avec le tout…et elle font encore semblant de ne pas s’aimer quand elles ont terminé de se préparer. C’est stupide mais ça fait parti du grand jeu de séduction… Une de ses ex lui a d’ailleurs signalé une fois que les hommes ne servaient qu’à rassurer les femmes, en charge de la survie de l’espèce.
« Tu me prends pour un menteur ? Je suis près à t’assommer si tu chantes mal et tu me penses tout de même incapable de te signaler quand t’es habillée comme un sac ? Sois donc jolie et tais-toi » plaisante-t-il en se donnant des grands airs, avant de la laisser faire le service.

Jamie en profite pour déposer sa guitare contre le comptoir et savourer un peu son verre. Le seul de la soirée, sinon il ne répondra plus de rien. Il n’est pas grand amateur d’alcool de toute manière. Il peut remercier son alcoolique de frangin pour ça... Il a reçu trop d’alcool à demi digéré sur ses pompes et ses fringues pour ne pas y penser chaque fois qu’il avale un verre.
Robyn revient vite à lui et reprend la parole pour venir le taquiner un peu. Evidemment…
« Je comptais m’attaquer à Miss Titanic, mais elle vient de couler » signale-t-il en désignant la brune un peu rondelette qui descend de la scène en essuyant ses yeux humides.
Il n’est pas du genre à juger son prochain mais tout de même, il y a des limites à la bêtise ! Le ridicule ne tue peut-être pas, mais cette fille vient de flinguer tout espoir de carrière dans le chant, c’est certain.

Jamie termine son verre et s’appuie au comptoir pour plonger son regard dans celui de la blondinette à qui il fait face.
« Non, ce soir, je suis tout à toi ! Dévoué corps, guitare et âme » lui promet-il dans un haussement de sourcils évocateurs, avant de ricaner. « Je vais faire pleurer quelques nanas, les filles sont folles des guitaristes, mais je tiendrai bon… pour toi… Et maintenant sers-moi un soda avant d'aller enflammer la scène, tu veux ? » conclut le garçon, son visage très proche de celui de son amie.

S’il a été un peu déçu de ne pas trouver la force ou le temps de demander à Skylar de l’accompagner, il s’est vite rendu compte que c’était pour le mieux. C’est une excellente occasion pour lui d’apprendre à mieux connaitre la serveuse pour qui il ne manque pas d’affection. C’est surtout un bon moyen de parvenir à la distraire et à lui faire possiblement oublier le temps d’une soirée que Nate est à quelques kilomètres de là, dans le coma…

Non c'est sérieux! Ce matin en partant de la maison, j'avais l'air fraiche et pimpante, j'étais bien habillée, mes cheveux ne partaient pas en sucette mais avec le monde que j'ai à servir ici, c'est plus la même chose. Je suis presque sûre de sentir des gouttelettes de sueur me couler dans le dos, malgré mes cheveux attachés... Néanmoins, j'apprécie le compliment de Jamie. Nathaniel ne peut pas me voir, je ne sais donc pas vraiment pourquoi ou pour qui je fais l'effort d'être présentable mais avec ce genre de compliments, ça me remonte un peu le moral. En entendant sa remarque, je fais un geste signifiant que je ferme ma bouche à clé. Jamie s'installe plus confortablement au comptoir et sirote tranquillement son whisky. J'ai de la chance d'avoir deviné qu'il aimait cet alcool. Je regarde un peu autour de nous et constate qu'il y a pas mal de jeunes femmes de mon âge je pense. Je ne me gêne pas pour faire une remarque au jeune homme. Je ne l'ai jamais vu au bras d'une femme et d'ailleurs je commence à me demander s'il ne serait pas passé au trottoir d'en face... J'explose de rire en entendant sa blague. Pas mal, pas mal. Il est bien lancé en tout cas ce soir. La pauvre jeune femme descend de la scène et mes tympans la remercie chaleureusement. Je sers rapidement un autre client qui me demande une limonade. Je lui offre un joli sourire, contente de constater qu'il y a des gens qui ne boivent pas d'alcool jusqu'à en être ivre. Il arrive qu'ils soient responsables et c'est très appréciable. Le client tourne les talons et Jamie s'accoude en face de moi, captant mon regard. Comment fait-il ça? Il m'avoue que ce soir il m'est entièrement dévoué. Je ricane et secoue la tête, amusée. « Guitare et âme je veux bien par contre corps... » Je fais une petite grimace pour le taquiner, avant de lui tirailler la joue comme une grand-mère le ferait avec son petit-fils. Je me retourne et attrape un plat rempli de sandwiches pour le poser plus près, le plat d'avant étant vide. Il continue son baratin, nos visages très proches l'un de l'autre. En même temps pour entendre ce qu'il dit, je n'ai pas trop le choix de me mettre près de sa bouche à cause de la musique. Je m'écarte, lui fouettant le visage avec ma queue de cheval au passage et rempli un verre avec de la limonade. Ca y'est. Je suis nerveuse. Je lui donne le verre et regarde la scène qui est vide pour l'instant. Un des gars qui a été engagé pour la musique, met quelque chose de passe partout. Je réfléchis rapidement à une chanson que je pourrais interprété. Je me penche vers Jamie afin qu'il m'entende mieux. « Tu saurais gratter la chanson "Eternal Flames"? » Sans vraiment attendre une réponse, je dénoue mon tablier. C'est maintenant ou ça sera jamais. Je contourne le comptoir, attrape Jamie par le bras et le tire comme une malade vers la scène. Putain qu'est-ce que je suis en train de faire? Finalement... Heureusement que Nate n'est pas là. C'est déjà assez humiliant comme ça. J'ajuste la hauteur du micro et lance un regard à mon ami. Je tremble de tout mon corps. Je fixe le sol alors que j'entends qu'il commence à gratter les premières notes de la chanson. Je m'éclaircis la voix et me lance.

« Guitare et âme je veux bien par contre corps... »
« Quoi mon corps ? J’te rappelle que j’me mets au jogging, t’es vexante ! » fait-il mine de s’offusquer, ayant pourtant parfaitement saisit qu’elle ne parlait pas de sa silhouette mais de ce qu’ils pourraient faire de leurs deux corps au cours de la soirée… Rien du tout, bien évidemment.
Son âme, son corps et son cœur à elle appartiennent à son précieux Nate. Un beau gâchis du point de vu de Jamie, mais il ne pourra le lui signaler que dans quelques mois, il est encore trop tôt. Il se sent un peu coupable d’avoir de telles pensées vis-à-vis du garçon dans le coma, mais après tout, il ne connait pas Nate personnellement. Contrairement à Robyn qu’il apprend chaque semaine à connaitre et voit dépérir... Sa Miss Sunshine est loin d’être aussi heureuse qu’elle tente de le faire croire, ça crève les yeux pour qui sait et a envie de regarder d’un peu plus près.
La dernière chose qu’il lui souhaite, c’est de s’accrocher éternellement aux souvenirs –sans doute précieux mais tout de même– de son amant. Elle ne mérite pas ça. Du peu qu’il la connait, il en a la certitude : Robyn a droit au bonheur plus que n’importe qui dans ce café, lui compris. Mais pour le moment, l’espoir qu’il se réveille est encore trop important, il n’est pas absent depuis assez longtemps et Jaime ne connait pas assez la serveuse pour se permettre la moindre remarque à ce propos. Alors il se tait et se contente d’essayer de la faire sourire. Pour l’instant.

Lui-même sourit pendant qu’il la regarde travailler et sent son stresse monter à chaque seconde. Il ne sait sincèrement pas de quoi elle est capable, ni si lui-même parviendra à aligner trois notes, mais il a bon espoir que les choses se passent bien ce soir. Robyn a plus que mérité son quart d’heure de gloire et il fera son maximum pour la soutenir dans sa démarche.
Cela dit, le grand brun déchante un peu en entendant son choix de chanson.
« Eternal quoi ? Attends, j’suis pas sur de… Robyn ! »
Mais elle s’est déjà volatilisée pour rejoindre la scène, le contraignant à se mettre debout à son tour pour lui emboiter le pas. La soutenir c’est une chose, s’afficher en est une autre… Il connait vaguement la chanson mais de là à savoir la gratter, il y a un monde ! Et puis surtout, il ne peut s’empêcher de penser à ses frères. Ils se fouteraient de sa gueule durant des années s’ils étaient là…
Une chance qu’il soit venu non accompagné.

Résigné, il rejoint la jolie blonde sur la scène, adressant un salut un peu intimidé à la foule méfiante. Il ne peut pas les blâmer, ils viennent d’avoir droit à Madame Castafior… Il n’y a plus qu’à espérer que Robyn soit meilleure et qu’on ne les bombarde pas de donuts.
Après avoir prit une grande inspiration et adressé un sourire contrit à Robyn, Jaime se lance et tente d’enchainer trois accords correct d’après ce qu’il se souvient de la mélodie. Il est loin d’avoir le talent de son frère mais Jonah lui a appris pas mal de trucs. Assez pour qu’il se débrouille ce soir.
Mais dès que les premières paroles passent les lèvres de la serveuse, Jaime se détend. Elle chante divinement bien et il ne peut plus s’arrêter de sourire comme un benêt. IL en manque presque quelques accords, trop occupé qu’il est à suivre la chanson.
Quand celle-ci se termine, il est l’un des premiers à applaudir.

« T’as assuré, Miss Sunshine... » lui glisse-t-il à l’oreille, encore un peu sous le choc, alors que les clients continuent de s’abimer les mains et de siffler.
Quelques uns réclament une seconde chanson mais la patronne de Robyn a l’air d’avoir besoin d’elle.
« Si tu rempiles j’te suis… Mais j’veux bien quelque chose d’un peu plus virile » ajoute Jaime en désignant la supérieure de la jeune femme.

« Quoi mon corps ? J’te rappelle que j’me mets au jogging, t’es vexante ! » Je rigole. Il sait très bien que ce n'est pas ce que je voulais dire et il essaie de me mettre mal à l'aise en jouant le jeu. Je sais qu'il bluffe, qu'il n'est pas offusqué du tout et qu'il a compris où je voulais en venir. J'ai souvent dit à Jamie qu'il avait du charme. En même temps, j'ai toujours été attirée par les hommes plus âgé. Nate a trente et un ans, bientôt trente deux et aussi loin que je me rappelle, je ne suis jamais sortie avec des hommes de mon âge où plus jeune. Je trouve que les hommes plus âgés sont plus intéressants, plus matures - ça, ça dépend - et surtout ils ont beaucoup plus de charme. Peut-être la barbe de trois jours qui fait ça, j'en sais rien. Jamie a toujours fait preuve de délicatesse envers moi parce que pas mal d'amis de Nate ont pensé pouvoir me mettre le grappin dessus pendant qu'il est dans le comas. Certains m'ont même dit que j'étais égoïste de ne pas "m'amuser" pendant son absence. Non mais allô quoi?! C'est mon petit-ami, ce comas est une tragédie. Comment réagirait-il si à son réveil il apprenait que j'avais profité de son sommeil pour aller voir ailleurs. C'est tout simplement impensable. Enfin si, j'y ai déjà pensé, surtout avec un homme comme Jamie. Putain Robyn. La ferme. Je ne vois pas pourquoi j'irais voyager, pourquoi je ferais de nouvelles rencontres masculines, ça serait vraiment quelque chose d'égoïste pour le coup...

La spontanéité a toujours été un de mes traits de caractère le plus imposant. D'une minute à l'autre je peux attraper Nate par le col de son t-shirt et aller sous la douche complètement habillés juste parce que j'en ai eu le soudain fantasme, ou alors je serais du genre à prendre un billet et aller à Disney World. Le pire que j'aie pu faire, c'était une subite lubie de tatouage. A peine l'âge permis passé, je me baladais dans les rues de Montréal avec des copines et sans rien dire, je suis rentrée dans le premier salon de tatouage que j'ai vu et bim. Petite étoile sur le pied. Un mois plus tard; bim, hirondelle sur le poignet. Je suis comme ça. Et ce soir ne dérogera pas à la règle. Je sais que j'ai promis et même si je tremble de tout mon corps, j'attrape Jamie par le bras et le tire vers la scène. « Eternal quoi ? Attends, j’suis pas sur de… Robyn ! » Je l'ignore. En quelques secondes, on se retrouve sur scène et je crois bien que je vais pas tarder à vomir. Passer après la chanteuse de Titanic n'était peut-être pas la meilleure idée, le public me regarde bizarrement c'est pour ça que je préfère regarder le sol. Ou Jamie. Il me rassure rien qu'avec un regard et commence trois accords. Je prends une petite inspiration et commence à chanter. C'est un peu timide au début et j'ai l'impression de foirer toutes les notes mais très rapidement, pour me donner du courage, je m'imagine sous la douche, avec Nate qui se rase devant le miroir et qui se moque de moi. Un léger sourire étire mes lèvres et les paroles coulent toutes seules. En même temps c'est ma chanson préférée et je la connais par coeur.

Quand je pousse la dernière note, j'ai l'impression de me liquéfier sur place mais rapidement des applaudissements se font entendre. Je rigole et me penche un peu en avant, telle une princesse. Jamie s'approche de moi et me félicite. « T’as assuré, Miss Sunshine... » Je lui souris et l'embrasse sur la joue pour le remercier d'avoir fait ça avec moi. « Mieux que la chanson de l'escargot? » demandais-je hilare. Je pose mon regard sur la foule et j'ai presque l'impression d'être une rock star. Je me cache derrière mes mains tout en rigolant honteusement. « Si tu rempiles j’te suis… Mais j’veux bien quelque chose d’un peu plus virile » Je rigole à nouveau et pose une main sur l'épaule du jeune homme. « Ca aurait été avec plaisir mais on m'attend derrière le comptoir! » Je le pousse un peu vers le micro. « Par contre toi... T'as des filles à faire craquer! » Je me retourne vers la foule et me penche sur le micro. « En attendant, il est tout à vous! Les filles, n'hésitez pas à lancer votre culotte! » Je file de la scène aussi rapide que l'éclaire, laissant Jamie se débrouiller tout seul après la honte que je viens de lui taper devant tout le monde. Il m'envoie un regard glacial. « T'avais promis! » dis-je par-dessus la boucan de la foule. C'est à son tour maintenant. Je rejoins le comptoir, enfile mon tablier et sers rapidement un homme, sans quitter Jamie des yeux. Va-t-il oser?

Elle se dégonfle ! C’est dommage puisque le public a l’air enthousiasmé par la voix de la blondinette, mais d’un autre côté, ça arrange bien Jamie qui n’a pas été conçu pour briller sous les feux des projecteurs… Il est loin d’être un garçon timide et se donner en spectacle est habituellement sa plus grande passion, n’empêche qu’il est un peu mal à l’aise sur cette scène.
Sauf que Robyn en a décidé autrement et elle le plante au milieu de la scène alors qu’il s’apprêtait à la devancer en en descendant. Le tout après un discours des plus humiliant pour sa pauvre carcasse... Trahison ! Disgrâce ! Les yeux ronds, le grand brun fixe la serveuse tandis qu’elle s’éloigne en souriant comme une bienheureuse en le livrant en pâture à la foule sceptique. C’est une jolie blondinette sexy qu’ils voulaient, pas un type à l’air paumé qui a du mal à aligner trois accords. Ou bien non… Après un silence dubitatif de quelques secondes, une fille commence à siffler, une autre lui crie de donner tout ce qu’il a et puis les applaudissements reprennent pour l’encourager.
Sauf que ça ne l’encourage pas beaucoup. Qu’est-ce qu’il est censé faire au juste ?
Bon, la réponse paraît très rapidement évidente : il est censé pousser la chansonnette en s’accompagnant de l’instrument qu’il a eu le malheur d’apporter. Voilà ce qui arrive quand on veut rendre service aux demoiselles en détresse ! On se retrouve toujours avec un gros monstre cracheur de flammes aux fesses !

Jamie fusille son amie du regard et celle-ci lui répond par l’indifférence, en enfilant son tablier avant de se remettre au boulot. Traitresse infâme ! Succube ! Tu vas voir ce que tu vas voir…
Jamie capitule, jugeant qu’il serait plus honteux encore de se défiler maintenant qu’il est sur la scène. Sa guitare en main, il se rapproche donc du micro et, un sourire un peu forcé aux lèvres, adresse quelques saluts de la main au public.
« On dirait que vous allez devoir me supporter pour les prochaines minutes. Toutes réclamation devra être faite à la demoiselle derrière le comptoir là-bas, je ne suis responsable de rien ! »
« Retire cette chemise ! »
Jamie éclate d’un rire franc derrière son micro avant de déboutonner un peu sa chemise pour satisfaire l’inconnue dans la foule.
« Ce que femme veut… »
« Retire le pantalon ! »
« Non, ça va trop loin ! J’ai une dignité, je ne m’appelle pas Lindsay Lohan… » plaisante-t-il avant de retrouver son sérieux « Pardon, on ne doit plus dire du mal des roux… je vous jure, je ne suis pas raciste ! Je sais bien que ces gens là ont une âme ! »
Quelques rires s’élèvent dans la salle, mais pas assez pour qu’il continue sur cette voie-là.
« Bon, je vais essayer de vous faire un petit quelque chose… La chanson s’appelle Jive Babe et elle est d’un certain Mikhael Paskalev. Je lui présente mes excuses et j’vous invite à écouter sa version après que je vous ai ruiné les oreille, ok ? »
Il commence à gratter ses cordes puis s’arrête et se penche de nouveau vers le micro.
« Sinon, je connais la chanon de l’Alouette en français… Non ? Non, ok, j’y vais. Robyn, sois maudite » glisse-t-il sans un regard pour l’intéressée avant de se lancer.

Son morceau terminé, il éclate de rire, se décale puis écarte sa guitare pour saluer convenablement les clients du café qui applaudissent. Après quelques instants, il retourne derrière le micro.
« Si vous voulez, on peut essayer d’oublier ca carnage avec ma version personnalisée de l’Alouette hein ? Non, toujours pas ? Ok, alors ce sera tout pour moi ! Merci pour votre patience et bonne soirée ! »
Et sur ces mots, il quitte la scène en vitesse pour rejoindre Robyn.
« A partir de maintenant et après ce que tu viens de me faire, tu dois me servir à l’œil pendant au moins trois mois ! C’est pas négociable et ça prend effet immédiatement. »

J'avoue. Je jubile. Je suis plutôt contente de ma petite vengeance en laissant Jamie au milieu de la scène, sans personne pour l'aider à se sortir de ce pétrin. Je suis obligée de me mordre l'intérieur de la joue pour ne pas rigoler. Il m'envoie un de regard les plus noirs et je lui fais un clin d'oeil. Seulement, très rapidement, un client arrive alors je remets mon petit tablier et sert le jeune homme. Mon oreille traine vers la scène et je me redresse immédiatement pour voir quelle connasse a osé dire à Jamie de retirer sa chemise. Je lève les yeux vers lui et le voit en train d'ouvrir un peu plus sa chemise. Non mais oh! Le pantalon?! Je suis prête à me lancer vers la scène pour que Jamie ne fasse pas ça, mais heureusement il a l'intelligence d'échapper à ce sort en faisant une blague comme à chaque fois. Un autre client s'approche de moi alors que Jamie annonce qu'il va reprendre une chanson. Je suis toute ouïe. Dès que l'homme est servi, je m'accoude au bar, le menton posé sur mes mains et observe le jeune homme. Il s'en sort vachement bien! C'est assez entrainant en plus comme chanson, c'est vrai que c'est quand même plus masculin que ce j'ai chanté avant mais ça correspond tout à fait à sa personnalité. Je suis obligée de sourire comme une demeurée en l'entendant. Mes pensées divaguent un peu et je fais signe à une cliente d'attendre quelques instants pour être servie. Elle fait une tête offusquée mais je m'en fou, je suis complètement omnibulée par ce qu'il se passe sur scène. C'est un vrai show man en fait! Dès qu'il a terminé sa chanson, je sers le verre de Coca que la cliente me demande depuis deux minutes et Jamie traverse la foule pour revenir vers moi. « A partir de maintenant et après ce que tu viens de me faire, tu dois me servir à l’œil pendant au moins trois mois ! C’est pas négociable et ça prend effet immédiatement. » Je secoue la tête amusée, essayant de ne pas trop sourire bêtement. Je fais ça quand je suis sous le charme de quelqu'un, j'ai la tête d'une fille niaise. J'attrape un chiffon et donne un coup sur le comptoir. « C'était pas mal ouais... » dis-je comme si en fait c'était médiocre. Je finis par sourire et par prendre appui sur le bar et me pencher vers l'oreille de Jamie. « T'es un vrai show man en fait! J'ai bien cru que l'autre conne allait te sauter dessus là! » Je m'écarte et me rend compte que je suis en train d'agir comme une petite amie jalouse. « Heureuse que tu te sois abstenu de nous planter une image de toi en caleçon jusqu'à la fin de nos jours! » dis-je pour m'en sortir en faisant une galipette. Je culpabilise un peu d'être là, à m'amuser, à monter sur scène, à chanter et à taquiner Jamie alors que mon petit ami est dans le coma, dans un lit d'hôpital. Je sais que ça ne sert à rien que je reste toute la journée triste et que je ne vive que pour quelqu'un qui dort mais je me sens coupable de m'amuser. Qu'est-ce que je vais lui dire quand il se réveillera? "Oh tu sais! J'ai poussé la chansonnette et j'me suis bien marrée avec un pote" non ça le fait pas. D'humeur maussade tout d'un coup, je sors une bouteille de whisky et m'en sers un verre. Je le bois rapidement et cul sec pour éviter que ça se remarque. J'ai pas le droit de boire en temps normal, mais là, je crois que j'en ai bien besoin. Je sers un verre de limonade faite maison par mes dix doigts à Jamie et un homme assez baraqué vient se poser presque derrière le bar. Il me regarde de haut en bas et tout d'un coup je regrette d'avoir mis une robe aussi courte. « Excusez moi Monsieur, mais cet espace n'est pas pour les clients. » dis-je timidement. Il en impose. L'homme fait un pas vers moi et je lance un regard apeuré à Jamie. L'inconnu pue l'alcool à dix kilomètres et je claque sa main lorsqu'il essaie de l'approcher de mes hanches. « Je vais appeler la sécurité Monsieur. Evitons les ennuis. »

Il fait la moue, affichant un air faussement modeste quand elle le compliment sur ses talents de chauffeur de salle et signale qu’il a faillit se faire arracher ses vêtements par une fille. Du moins il suppose que c’est là qu’elle comptait en venir.
« J’avais pas envie de te faire trop de concurrence. C’est chez toi après tout, et ma maman m’a appris à ne pas venir faire pipi sur le mur des gens. »
Mais son trait d’humour ne semble pas plaire à Robyn qui perd finalement son sourire si charmant. Evidemment, Jamie n’est pas due et il se figure très rapidement que sa saute d’humeur n’est en rien due à son humour vaseux… Il avait vu venir la chose à des kilomètres. Il est prêt à mettre sa main au feu qu’à cet instant, la blondinette pense à son fiancé étendu sur son lit, immobile. Dans un monde parfait, Nate serait aux côtés de la serveuse à cet instant, il la féliciterait pour sa prestation, la récompenserait certainement de quelques baisers avides… Mais ce monde est loin d’être parfait et elle se retrouve seule à culpabiliser derrière son comptoir.
Il aimerait trouver les mots mais n’a rien à dire. Il n’est pas certain de pouvoir apaiser la conscience de Robyn qui pourtant, selon lui, est loin d’avoir quoi que ce soit à se reprocher. Encore une fois, il pense qu’il est encore trop tôt pour envisager d’avoir ce genre de conversation avec elle. Elle ne voudra rien entendre et pourrait même en venir à se sentir coupable vis-à-vis de lui de l’embarrasser avec ses problèmes alors qu’elle l’a invité pour se distraire. C’est bien son genre…

Jamie attrape le verre qu’elle lui donne sans faire de commentaire et redonne un instant son attention au public. Une idée germe dans son esprit alors qu’il voit deux filles concentrées sur leurs portables. Elles finissent par croiser son regard et gloussent en se détournant, gênées, lorsqu’il lève sa limonade dans leur direction. S’il ne se trompe pas, elles ont certainement filmé sa prestation et, avec de la chance, celle de Robyn également. Ca vaut le coup de le leur demander en tout cas et, quelque chose lui dit que ce soir, ces deux filles à peine en âge de se faire servir de l’alcool, seront prêtes à n’importe quoi pour lui…
Mais alors qu’il s’apprête à se faire excuser de la blonde, le temps d’accoster les groupies, il remarque ce qui se passe de l’autre côté.

Il analyse rapidement la situation. Un type saoule, plus baraqué que lui, fait face à Robyn. Robyn qui réclame silencieusement son aide juste avant que le type ne tente de la toucher. Il doit donc intervenir. Vite.
« Hey, mec ! Fallait pas me prendre au pied de la lettre quand j’parlais de venir se plaindre de ma prestation auprès d’la serveuse. Tu veux pas plutôt que j’te paye un verre pour me faire pardonner ? »
Le type n’a pas vraiment l’air de comprendre ce qu’il lui veut et il finit par simplement le nier pour se retourner vers Robyn qui se fait toute petite.
« Hey, t’as pas entendu ce que t’as gentiment dit la dame ? C’est un espace rés… »
« Ta gueule. »
Simple, efficace. Mais il va devoir refuser.
Sans vraiment réfléchir, Jamie jeté le contenu de son verre en direction du grand type qui se retrouve trempé.
« Voilà ce qui arrive quand on… Putain ! »
Le grand type a changé de cible et c’est lui qu’il a maintenant dans le collimateur. Le type tente de l’attraper par le col de sa chemise mais Jamie lui échappe d’un bond en arrière. Evidemment, leurs gestes ont attirés l’attention de quelques clients et bientôt, tout le monde semble au courant de ce qui se trame de ce côté du café.
« Tout doux mon gros ! J’t’ai proposé un verre, c’est toi qui… »
« J’vais t’défoncer ! » s’emporte le grand costaud.
Heureusement, grand costaud est sorti accompagné et deux amis à lui interviennent rapidement pour le retenir et tenter de le calmer.

Bien que Jamie fait de l'humour, je n'ai plus l'esprit à rire. Mes pensées sont toutes tournées vers Nate qui est sur son lit d'hôpital. J'essaie de me déculpabiliser en me disant qu'il ne se rend compte de rien, qu'il ne souffre pas non plus. C'est pas comme s'il était seul, réveillé en train de souffrir... Non? Mon Dieu, je suis horrible. La suite est un enchainement d'événements pas du tout prévu. Cette soirée de scène ouverte était sensé être le genre de soirée sympa, où on s'amuse, où on fait des rencontres mais très rapidement, un homme bien éméché passe derrière le bar et je crois me rappeler qu'il était tout devant quand je chantais. Je bats un peu en retraite en lui demandant gentiment de repasser de l'autre côté. J'aime pas du tout comme il me regarde, j'ai l'impression d'être un morceau de viande. J'envoie un regard à Jamie et celui-ci me défend. Au moment où mon ami lève son verre pour que son contenu éclabousse l'inconnu, je crie un "non!" mais c'est trop tard. Jamie a vidé son verre sur la chemise de l'homme baraqué. Pourquoi les garçons ne réfléchissent pas avant de faire ce genre de conneries? Je soupire. C'est dommage pour ma limonade en fait... Seulement, le verre ne semble pas arrêter l'homme, il continue de se rapprocher de moi et ses doigts me frôlent les hanches. Quelle horreur. Putain pourquoi moi?! Jamie intervient à nouveau et du coup, l'inconnu se tourne vers mon ami. J'attrape l'inconnu par le bras pour essayer de le retenir mais bien sur que valent mes petites mains sur une telle musculature? Il me pousse d'un revers de bras, tel un tennisman et mon dos va rencontrer le bar où est posé la vaisselle. Je grimace un peu de douleur mais ce n'est pas le moment de penser à ça. Heureusement, deux hommes tentent d'arrêter l'inconnu. La main tremblante, j'appuie sur le bouton qui appelle la sécurité du quartier. Les deux hommes essaient de pousser le bourré dehors et je me tourne vers Jamie, complètement apeurée par ce qu'il vient de se passer. « Le... La limonade... T'aurais pas dû... Il aurait pu t'arracher la tête en un clin d'oeil... » dis-je le teint blafard et les mains toujours tremblantes. Je vois Jamie contourner le bar et ma patronne arrive à ce moment là. Etant donné que je me jette dans les bras de mon ami en commençant à sangloter, la chef décide de prendre mon tour et me fait signe de sortir pour prendre un peu l'air. Je fais un léger hochement de tête et Jamie m'emmène dehors.

Son coeur bat encore la chamade dans sa poitrine alors que l’adrénaline continue d’être diffusée dans son organisme. Il se sent trembler et ses mâchoires sont scellées, le rendant incapable d’adresser la moindre parole réconfortante à Robyn dans un premier temps. Heureusement d’ailleurs qu’il l’a à ses côtés et qu’elle est tant en détresse sinon il se serait très certainement mis en tête de suivre le type dehors. Rien à foutre qu’il soit plus grand, plus musclé et entouré.
Ce connard vient de foutre en l’air la soirée de son amie et il faudra qu’il le paie d’une manière ou d’une autre. Jamie compte d’ailleurs retenir son prénom, qu’il a entendu prononcé par un des deux types cherchant à le retenir, et demandera des infos à ses frères. C’est aussi un des avantages des petites villes du genre d’Arrowsic : quelqu’un connaît forcément la personne que vous recherchez. Et c’est l’avantage d’avoir des frères dans le genre des siens : aucun ne rechignera à aller péter la gueule d’un inconnu parce que l’un des leur l’a réclamé. Ils ne poseront aucune question et attraperont leur batte pour le suivre et se défouler.
Robyn l’ignore donc encore, mais elle sera très bientôt vengée pour la frayeur qu’elle vient d’avoir, et copieusement s’il vous plait !

Avec un effort, Jamie parvient enfin à détacher son regard coléreux de la porte d’entrée qui a tinté pour signifier le départ du malotru. Il dépose un baiser sur le sommet du crâne de Robyn qui sanglote contre lui puis relève la tête vers la gérante de l’établissement. Cette dernière propose de conduire la petite blonde dehors pour l’aider à se calmer.
« Vous avez une autre sortie ? » demande-t-il, ne souhaitant pas tenter le diable et risquer de recroiser le type dehors.
Il est peut-être déjà loin à l’heure qu’il est mais sait-on jamais. La patronne de Robyn lui indique une porte réservée au personnel et Jamie entraine la jeune femme à sa suite dans cette direction. Ils traversent un petit couloir menant à la cuisine et la réserve où ont lieux les livraisons. Là, il pousse la barre métallique traversant une lourde porte menant sur l’extérieur qu’il ouvre sans douceur.
S’il veut apaiser Robyn, il va d’abord falloir qu’il se calme lui-même…

La blondinette place un morceau de bois prévu à cet effet dans l’ouverture de la porte pour leur éviter d’être enfermés dehors et Jamie en profite pour reprendre le contrôle. Il inspire profondément, expire, inspire encore, les poings sur les hanches et les mâchoires toujours crispées par la rancœur.
« Désolé » finit-il par s’excuser en esquissant un mouvement vers elle, avant de s’abstenir et de se retourner pour mettre un coup de pied dans la benne à ordure derrière lui, espérant soulager un peu ses nerfs à vif.
Il pousse ensuite un soupir et se retourne à nouveau vers Robyn.
« Désolé pour ça aussi. Tu vas bien ? » demande Jamie, bien qu’il connaisse déjà la réponse à cette question.
Non, elle ne va pas bien. Ses yeux sont encore mouillés de larmes, elle rtemble et est blanche comme un linge. Poussant un autre soupir, plus dépité que coléreux cette fois, Jamie revient vers elle en ouvrant ses bras pour qu’elle vienne s’y réfugier comme précédemment. Il l’étreint avec force et la berce distraitement.
« Ca va aller. »

En temps normal, c'est Nate qui me protège. Il déteste quand un homme s'approche trop près de moi et qu'il voit que je ne suis pas à l'aise. Je suis rarement à l'aise avec la gente masculine. C'est pas pour rien que je bosse dans un café et non pas dans un bar. Je ne suis jamais à l'aise avec cette génération qui regarde les femmes comme un vulgaire morceau de viande. C'est pas parce que je suis blonde et petite que je suis facile. Seulement... Depuis six mois je dois me débrouiller toute seule, sans Nate pour être mon superman. J'évite de trainer dehors quand il fait nuit et dans les transports en commun, je m'arrange pour être assise à côté d'une femme. J'ai jamais été très sociable mais alors avec les hommes c'est pire. Jamie est un privilégié. Parce qu'il me fait rire et parce qu'il n'a jamais essayé de me toucher impoliment. Je me laisse vite dépasser par mes émotions lorsque l'homme passe derrière et qu'il menace de s'en prendre à Jamie. J'aime pas ce genre de situation. En plus je suis facilement à fleur de peau avec tout ce qu'il se passe dans ma vie. D'ailleurs, à peine il me prend dans ses bras que je fonds en larmes. Comme la première fois qu'on avait parlé et qu'il m'avait demandé si j'avais un homme dans ma vie. En temps normal, je fais tout pour être souriante, me montrer "heureuse" et surtout pas faible ou triste. Y a qu'à la maison que je suis moi même. Bref. Ma patronne vient en renfort et propose que j'aille prendre l'air. Sans que je n'aie à le demander, Jamie demande si y a une porte arrière et il m'emmène vers celle-ci. Jamie me lâche et j'ai l'impression que je vais m'effondrer. Pourquoi me lâche-t-il? Je sursaute quand il ouvre la lourde porte sans douceur et me baisse pour coincer le bout de bois pour éviter qu'on se retrouve coincé dehors. C'est un tout autre Jamie que j'ai en face de moi. Il est énervé et serre les poings. Je ne crois pas que je vais apprécier cette version de Jamie. Je dégluti difficilement et me passe rapidement une main sur les joues pour sécher mes larmes. Je me sens ridicule d'avoir été faible. Surtout qu'on passait une bonne soirée. Il s'excuse mais à peine se retourne-t-il qu'il donne un coup de pieds dans les poubelles du café. Je sursaute et croise les bras sur ma poitrine, comme si je serrais un doudou invisible contre moi. Je n'ose même pas lever les yeux vers lui. C'est à cause de moi s'il est dans cet état. Il s'excuse à nouveau et un nouveau sanglot sort de ma bouche. Je crois entendre qu'il me demande si ça va mais je n'arrive même pas à articuler un faux "oui". Avant que je ne puisse tourner les talons, il me prend à nouveau dans ses bras. Je ne sais pas si c'est quelque chose qu'il a l'habitude de faire ou pas. « Je... Je suis désolée Jam... » Mes bras entourent son corps et je pense ma tête sur son torse. Je me sens tellement seule ces temps, personne ne me prend dans ses bras, personne ne me rassure ou me dit que ça va aller. Je suis toute seule et même si je souris, je souffre parce que j'ai besoin qu'on me remonte le moral aussi. Petit à petit je m'apaise. « Merci... Ca me fait du bien que tu me prennes dans tes bras... » soupirais-je. Je dis ça sans forcément que ça soit ambiguë même si vu le jeu de séduction qu'il y a entre nous, ça pourrait tout à fait l'être.

Il se sent coupable de ne pas savoir garder son calme devant Robyn. Il a essayé de la préserver d’un type apparemment plein de violence et finalement, il se révèle loin d’être mieux lui-même. Il tente de se calmer tandis qu’elle pleure contre lui, mais la voir dans cet état ne fait que le contrarier un peu plus encore. Pourtant, il va bien falloir qu’il trouve la force de prendre sur lui s’il veut parvenir à rendre le sourire à la serveuse…
C’est son objectif permanent avec elle mais c’est d’autant plus vrai en cette heure et il ne reculera pratiquement devant rien pour y parvenir. Quitte à repousser la chansonnette et se rendre ridicule. Cette pensée stupide parvient à le détendre un peu et la voix de la blondinette qui s’élève juste ensuite termine de le faire décolérer.
C’est comme recevoir un baquet d’eau glacée en plein sur les épaules (ou un verre de limonade dans la tronche…autant rester dans le thème), ça lui retourne l’estomac et le clou sur place. C’est insupportable de la voir dans un tel état et d’entendre ce tremblement dans sa voix étranglée de sanglots.
« Quand tu veux, Miss Sunshine » sourit Jamie en continuant de la tenir tout contre lui.

Il ne peut s’empêcher de penser à Nate à cet instant. Nate qui devrait être là, à sa place, qui devrait être capable de la prendre dans ses bras, de la protéger des sales types du genre de celui qui vient de croiser la route de Robyn. Mais il n’est pas là. Et le grand brun ne peut s’empêcher de lui en vouloir pour ça.
Evidemment, ce n’est pas de sa faute, il donnerait certainement n’importe quoi pour être là en ce moment. N’empêche que le sentiment est bel et bien là. C’est presque avec défi que Jamie enserre un peu plus le corps frêle et tremblant de la serveuse.
Sauf que la gêne finit par l’envahir, avec une belle pointe de culpabilité qui s’enfonce profondément dans son esprit. Jaime éloigne alors un peu Robyn, gardant ses mains sur ses épaules dénudées en plongeant son regard dans le sien. Il lui adresse un sourire qu’il veut réconfortant.
Il veut dire quelque chose de pertinent qui lui remontera le moral mas ne trouve rien de ce genre dans sa réserve. Au lieu de ça, il joue la carte de l’humour. Celle qu’il utilise chaque fois que les choses vont mal dans sa vie, pour éviter d’avoir à réellement gérer les problèmes…
« Là c’est le moment où je te demande si tu veux qu’on aille chercher doudou et tétine… Mais je suppose que vous n’avez pas de maison à doudous par ici ? » continue-t-il de lui sourire en levant une main pour essuyer une larme sur la joue pâle de la blonde du revers de son pouce.
Il continue sur sa lancée et replace une mèche de ses cheveux blondin derrière son oreille avant de laisser retomber ses bras le long de son corps.
« J’aurai pas du le provoquer, il aurait pu s’en prendre à toi, c’était stupide, t’as raison » reprend-t-il finalement « Mais n’en parlons plus, d’accord ? On ne va pas le laisser pourrir notre soirée, ok ? On a survécut à Miss Titanic, on peut surmonter ça ! »

Même si j'aurais préféré que ça soit les bras de mon Nate, je dois avouer que je suis bien là contre Jamie. Il me tient chaud malgré le fait que je sois en petite robe en plein mois de mars. Je me surprends même à trouver son odeur réconfortante. Je ne savais pas qu'il pouvait être tendre et gentil comme ça. Non pas que ça soit un méchant, loin de là, mais jusqu'à présent les seules rapports que nous ayons eu étaient dans le café et en général il disait des blagues pour me faire rire. Rien que le fait qu'il m'appelle Miss Sunshine me fait légèrement sourire. Il s'écarte de moi et pose ses mains sur mes épaules en me regardant. J'essaie de sourire même si ça doit plutôt ressembler à une grimace. Je dois pas être très jolie à voir, je suppose que mon mascara à coulé et que mes cheveux partent dans tous les sens mais comme toujours, par délicatesse, Jamie ne me le fait pas remarquer. Il sèche même mes larmes d'un revers de la main et remet une mèche de cheveux derrière mon oreille. Il est adorable. Je lâche un petit rire en entendant sa question. L'homme qui bosse avec des enfants dans une garderie n'est jamais bien loin. J'au un doudou à la maison mais bon, ça serait un peu la honte de demander à Jamie d'aller le chercher non? Et puis mon vrai doudou est à l'hôpital pour l'instant. Jamie finit par s'excuser et par dire qu'il aurait pas dû s'énerver contre le gars qui est passé derrière le comptoir. J'hausse les épaules. « Toi aussi tu as des problèmes... Il a été la goutte d'eau... Je t'en veux pas de toute manière. C'est même gentil d'avoir voulu me défendre mais s'il te serait arrivé quelque chose, je m'en serais voulu à vie. Ca suffit si y a déjà un homme que j'aime à l'hôpital... » soupirais-je. « Mais tu as raison, n'en parlons plus. » Je sors mon téléphone portable de la poche de mon tablier et constate qu'il est déjà tard. Je suis sensé travailler jusqu'à ce qu'il y ait plus de clients mais j'ai envie de rentrer. Je suis épuisée et je pense que j'ai eu mon lot d'émotions pour aujourd'hui... « Tu me raccompagner à la maison? Je ne tiens pas à tomber sur le gars si je suis toute seule... » Jamie fait un léger hochement de tête et je lui prends le poignet pour l'attirer à l'intérieur en donnant un coup de pied dans le bout de bois en passant pour que la porte se referme derrière nous. Je négocie la fin de mon service et malgré que j'avais promis de rester jusqu'à la fermeture, ma patronne comprend que je veuille rentrer. Je dépose mon tablier et me dirige rapidement dans l'arrière boutique pour mettre mon manteau et mon sac à main. Nous quittons le café et j'appelle un taxi, habitant trop loin pour rentrer à pieds et les bus ne desservant plus à cette heure-ci. Une voiture s'arrête devant nous et on s'installe à l'arrière. Je n'ose pas le regarder, ni même lui parler. J'ai trop honte de ce qu'il s'est passé ce soir.

Il ne sait pas vraiment quoi répondre à sa remarque à propos d’avoir assez d’un homme qu’elle aime à l’hôpital. Bien sûr, il sait qu’elle n’est pas en train de lui déclarer sa flamme, s’est juste une manière de parler. Ce qui le dérange surtout, c’est que justement, son comportement l’a mis en danger et a sûrement fait remonter quelques pénibles souvenirs à la mémoire de Robyn. Encore qu’il doute qu’elle oublie ne serait qu’une minute que son fiancé est dans le coma et qu’elle ait réellement besoin de se le faire rappeler…
De toute façon ils changent rapidement de sujet et elle décide de rentrer chez elle. Ce n’est pas une mauvaise idée selon lui et il approuve derechef avant de la suivre à l’intérieur du café.
Il la laisse dialoguer avec sa patronne pendant qu’il rassemble ses propres affaires. Juste une veste en cuir et sa guitare qu’il remet dans son dos. Accoudé au comptoir du café, il remarque bon nombre de regards braqués vers lui. Ils n’ont plus rien d’admiratifs ou d’amusés comme précédemment… L’ambiance n’est pas encore tout à fait revenue comme avant la dispute encore, mais le karaoké est tout de même occupé par deux garçons qui préfèrent mimer quelques scènes salaces plutôt que de vraiment s’appliquer à chanter.

Robyn finit par revenir, prête à décoller. Il lui adresse un sourire qui se veut encourageant et passe un bras autour de ses épaules à présent couvertes, pour l’entrainer avec lui dans la rue. Il ne la relâche que lorsqu’elle commence à fouiller dans son sac, à la recherche de son téléphone, afin de joindre un taxi qui les raccompagnera chez elle. Jamie réfléchit à un moyen de regagner son propre domicile après ça mais n’en dit pas un mot à Robyn. Il n’a pas assez d’argent sur lui pour payer un taxi et devra certainement regagner son immeuble à pied… Pas vraiment pour l’enchanter mais il faut ce qu’il faut ! On est un gentleman ou pas et il s’est toujours vanté d’en être un alors… il est temps d’assumer.
Pendant que Robyn renseigne le chauffeur sur l’adresse où il doit les prendre, Jamie s’allume une cigarette améliorée. Il s’assure de rester à distance de la serveuse pour ne pas l’enfumer et garde le silence. Déjà parce qu’il ne sait pas trop quoi dire et ensuite parce qu’il n’est pas certain que la blondinette soit d’humeur à faire la conversation.
Heureusement, le taxi ne met pas trop longtemps à arriver et ils s’engouffrent sur la banquette arrière, après que Jamie ait éteint son joint à la va-vite avant de le glisser dans son étui métallique pour le terminer plus tard.
Il laisse Robyn redonner l’adresse de son domicile au chauffeur qui se concentre ensuite sur la route en chantonnant distraitement un air d’Adele qui passe à ce moment.

« Ca va peut-être te sembler bizarre après ce qu’il vient de se passer mais… c’est la meilleure soirée que j’ai passée depuis longtemps. Au moins pour la première partie. Tu chantes vraiment bien » la complimente-t-il, sincère. « Merci, Little Miss Sunshine. »
Il lui adresse un sourire et doit lutter contre son envie quasi irrépressible de venir la taquiner et d’entrer physiquement en contact avec elle. Il n’est pas certain qu’elle supporte la moindre approche (une approche amicale évidemment) après ce que ce type se soit permis de la tripoter. Il y a eu leurs étreintes évidemment, mais c’était différent.

Je raccroche mon portable et je me tourne vers Jamie. C'est quoi cette odeur? Putain c'est un joint?! Ca fait bien longtemps que j'en ai pas fumé un. Heureusement le taxi ne m'est pas long à arriver. Il fait froid, je tremble et j'ai envie de rentrer. C'est un peu un mensonge. J'ai pas envie de rentrer seule dans notre appartement et aller me coucher dans un lit vide et froid mais bon. Ca fait six mois que je m'y tiens alors c'est pas pour un soir de plus qu'il va y avoir exception. J'indique mon adresse au taxi et il se met enfin en route. En temps normal, je serais allée à l'hôpital pour voir Nate mais pas ce soir. J'irais demain matin. Je perds peu à peu espoir que mes visites servent à quelque chose... Et surtout qu'il se réveille en ma présence. Durant le trajet nous sommes silencieux. La voix de Jamie me sort de mes pensées. « Oui, c'est vrai que c'est bizarre. Mais merci du compliment. » dis-je avec un demi sourire. Le taxi finit par s'arrêter devant chez moi. Je sors deux billets afin de payer la course et prend à nouveau le poignet de Jamie pour qu'il sorte de la voiture avec moi. Je fais attention à en sortir de manière élégante pour éviter que tout le quartier voit quel genre de sous vêtements je porte puis sors les clés de la maison. « Attends moi ici... » dis-je avant de rentrer dans la maison. Je pose mes affaires inutile et ouvre un placard de la cuisine pour sortir une bouteille de whisky. Je ne pense même pas au fait que c'est la bouteille de Nate. Il est pas là de toute manière. Je suis terre à terre tout d'un coup. Je sors avec deux verres et rejoins Jamie dehors. Sans lui dire quoi que ce soit, je plonge ma main dans la poche de son jean et sort le boitier métallique où il a rangé son joint tout à l'heure, avant d'entrer dans le taxi. A l'aide sur briquet, je l'allume et vais m'assoir sur la balancelle, suivit du jeune homme. Quand il s'asseye, je ne me gêne pas pour étendre mes jambes sur ses genoux et par tirer une bouffée de la "cigarette" et de la lui donner. Tout en soufflant la fumée, je verse un peu de whisky dans les deux verres et en donne un au jeune homme. « Je crois qu'on l'a mérité. » dis-je. Ca fait bien longtemps que j'avais pas fumé, la tête me tourne un peu mais j'évite d'y penser. « Pourquoi je t'ai jamais vu avec une fille? » demandais-je franchement. A ce stade là, le tact ne fait plus partie de mes priorités.

Les sourcils froncés, il fixe l’ouverture par laquelle Robyn a disparu à leur descente du véhicule. Il ne sait pas vraiment ce qui est censé se passer à présent. Est-ce qu’elle compte mettre un peu d’ordre à l’intérieur pour lui permettre de rentrer ? Si c’est ça, inutile qu’elle se donne cette peine, il vit dans un taudis, au milieu de matériaux de récupération destinés à faire des travaux manuels avec ses petits bouts. Mais très vite, il se rend compte que ça n’a rien à voir, ou peut-être que si. Robyn ressort avec de quoi boire et elle referme le porte d’entrée derrière elle. Pour pas qu’il puisse voir le désordre ou parce qu’elle…ne veut simplement pas de lui à l’intérieur ?
Il chasse cette idée ridicule. Pourquoi est-ce qu’elle ne voudrait pas de lui chez elle, ça n’aurait aucun sens, alors pourquoi se prendre la tête ?
Avant qu’il ait pu faire la moindre remarque, elle lui fourre la bouteille et les verres dans les mains pour avoir une main libre. Main qu’elle glisse sans le prévenir dans sa poche de jean pour en tirer son étui à cigarettes. Elle glisse alors son joint entamé entre ses lèvres et le rallume à l’aide de son briquet, pour le plus grand plaisir de Jamie qui affiche à présent un sourire contenté.

Il rejoint la jeune femme sur la balancelle et lui confie de nouveau la bouteille pour qu’elle leur serve un verre à chacun. Il n’a pas vraiment envie de whisky mais ne dit rien, pour ne pas contrarier l’élan de bonne humeur inattendu de Robyn. Elle lui tend son verre qu’il accepte sans broncher, continuant d’afficher un air ravi.
A présent installé aux côtés de son amie, il tourna la tête vers elle en faisant tourner le liquide ambré distraitement dans le fond de son verre.
« Je voulais pas te rendre jalouse » plaisante-t-il dans un premier temps, avant de reprendre « C’est juste qu’en général, je suis en route pour le boulot ou bien avec mon frère quand je passe au café. J’évite de lui faire rencontrer mes copines pour des raisons que…tu comprends j’imagine. »
Parce que mon frère est un enfoiré d’alcoolique qui les fait fuir, se garde-t-il d’ajouter, mais son regard comme son ton traduisent parfaitement sa pensée.
Il ne sait pas vraiment comment enchainer après ça mais n’a pas envie qu’ils s’attardent sur le sujet non plus. Jamie finit par faire signe à la jeune femme de lui passer son joint et tire dessus. Il garde son verre en main sans y toucher et bien décidé à ne pas le faire. Il lui suffit de penser à Jonah pour être dissuadé de toute manière.

« Ça t’aurait pas dérangée que je vienne accompagné ce soir ? » demande-t-il sans vraiment avoir réfléchi à l’implication de sa question.
Il préfère ne pas chercher à se reprendre ou rectifier le tir et se contente de guetter une réponse de la part de Robyn à qui il rend le cône roulé et garni par ses soins quelques heures plus tôt.

Je ne suis pas spécialement de bonne humeur, bien au contraire quand je sors l'alcool c'est qu'en général j'ai besoin de décompresser. La journée à été longue et pénible. Je préfère qu'on reste installés sur la balancelle parce que j'ai pas forcément envie que toute la maison sente le joint mais quand on aura finit on pourra sans autre rentrer avant qu'on ne termine en petits glaçons. Mes jambes posées sur les genoux de Jamie, je tire un peu sur ma robe pour couvrir mes cuisses. Si Nate me voyait boire et fumer, il me tuerait. Il est dans de ce genre. Quand je l'ai connu, j'habitais à Montréal et même si j'ai jamais été très sociable, j'avais des copines et c'est là-bas que j'ai fais toutes mes expériences de jeunesse. Ca m'a fait un choc d'arriver dans un trou comme Arrowsic. J'en suis à un stade où je ne suis pas gênée de prendre son joint dans sa poche pour en fumer un peu en sa compagnie, j'en suis à un stade où si j'ai des questions, je les pose sans me poser de questions. J'ai pas envie de me prendre la tête. Surtout pas avec Jamie. Je lui demande cash pourquoi je ne l'ai jamais vu avec une fille. Il plaisante en disant qu'il ne voulait pas me rendre jaloux et je lui envoie un regard qui en dit long. Jamie parle de son frère et je comprends mieux certaines choses. C'est vrai que c'est un cas particulier. Je ne l'ai vu qu'une seule fois et franchement j'en garde pas un souvenir très glorieux. Surtout pas au moment où il est sorti du café et qu'il a vomi devant la vitrine... Je comprends au ton du jeune homme qu'il n'est pas très content d'avoir un frère, du moins pas comme celui-là. C'est triste. Il devrait faire quelque chose pour l'aider à arrêter de boire. Je lui donne le joint et bois une gorgée du whisky. Je devrais peut-être avertir Jamie que j'ai tendance à avoir l'alcool triste. Il tire sur le cône et me le rends. Je ne vais pas abuser sinon il pourra m'amener aux urgences mais j'en tire une dernière bouffée avant de lui rendre en lui faisant comprendre que c'était ma dernière. Je lève un peu la tête pour souffler la fumée. Il me demande si ça m'aurait dérangé de le voir venir accompagné. Je me contente d'hausser les épaules. « Je commençais à me demander si t'étais pas de l'autre bord. » Moi aussi je sais plaisanter. Mon sourire disparait quelque peu et je replie une jambe. « Ca m'aurait fait bizarre je pense. Mais au moins j'ai pu passer cette soirée avec toi et c'était cool malgré ce qu'il s'est passé. Hier je t'ai fais la morale en te disant que tu devrais sortir un peu, mais je suis pas mieux. A part l'hôpital, le café et la maison, je ne vois rien d'autre ni personne. » Je porte le verre de whisky à mes lèvres et me tord un peu la nuque pour m'étirer. « Je pourrais très bien être jalouse si je te vois avec une femme parce que moi ça fait six mois que j'ai pas été embrassée ou qu'on ne m'a pas dit "je t'aime" c'est tout. » Non c'est pas tout. Jamie est quelqu'un d'adorable et plus la soirée avance plus je lui trouve du charme. « Mais de toute manière tout ce que je te souhaite c'est d'être heureux. » dis-je en me penchant en avant, me rapprochant un peu du jeune homme.

Il éclate franchement de rire en l’entendant douter de son hétérosexualité. Il a faillit lui glisser une remarque là-dessus précédemment mais s’est abstenu pour ne pas passer pour un imbécile à l’égo surdimensionné qui tient absolument à mettre ses attributs sur la table à tout bout de champ. Heureusement d’ailleurs qu’il n’est pas susceptible sur le sujet puisque de manière générale, les rares fois où il participe à de grosses soirées, les gays l’abordent et le pensent de leur bord. Il ne compte même plus le nombre de fois où un homme lui a tripoté les fesses. Peut-être plus souvent que ça n’est arrivé à Robyn elle-même. Pourtant elle a un fessier que n’importe quel homme voudrait approcher et toucher… Mais il commence à divaguer.
Il retrouve de toute façon rapidement son sérieux en voyant celui dont fait preuve son interlocutrice face à sa question.
Jaime ne sait pas trop comment il est censé interprété cette révélation et décide là encore de ne pas trop se prendre la tête et de prendre cette réponse comme elle vient. Et puis qu’est-ce que ça veut dire « bizarre » ? Pas grand-chose… De toute façon, elle finit par préciser sa pensée d’elle-même et il ne peut s’empêcher de se sentir un peu soulagé.
La dernière chose dont il a envie, c’est que sa relation avec Robyn devienne… eh bien bizarre justement ! Ils sont à peine amis et il est hors de question que les choses dégénèrent et se compliquent.

L’espace d’une seconde, il est tout de même tenté de tendre les lèvres pour faire mine de vouloir l’embrasser ou de lui murmurer un « je t’aime » exagérément amouraché. Mais il se rend compte que ce n’est pas aussi comique que ça. Si elle est privée de ce genre d’attention, c’est encore une fois parce que son fiancé, l’amour de sa jeune vie est dans le coma. Ça n’a vraiment rien de risible.
Il adresse un sourire un peu crispé à Robyn lorsqu’elle se penche un peu vers lui et porte le joint à ses lèvres pour occuper ses mains et sa bouche.
« Ouais, t’inquiète donc pas pour ça, miss Sunshine. De toute façon, c’est pas humain d’être heureux. Enfin on n’est jamais satisfait par ce qu’on a… Tu vois c’que je veux dire ? Toi tu voudrais que Nate puisse être là pour te dire qu’il t’aime, mais si il était là, tu voudrais… j’en sais rien moi, qu’il te le dise plus souvent, qu’il fasse plus souvent le ménage ou qu'il arrête de boire de la bière… Y a toujours un truc qui n’ira pas. Faut pas espérer être heureux. »
Il conclut sa pensée philosophique de bas étage par une bouffée de son joint qui rend l’âme.
« Si ça peut t’faire plaisir, moi j’t’aime bien » ajoute-t-il en posant une main sur le genou dénudé de la jeune femme, ses yeux verts plongés dans ceux de la blonde installée à ses côtés. « T'es cool et j'te fais sortir quand tu veux. Je connais des coins sympas. »

Je ne sais pas si mes mots ont un sens parce que j'ai un peu l'impression que mes yeux commencent à se croiser. C'est ça quand vous pesez pas grand chose et que ça fait plusieurs années que vous n'êtes plus habituée à fumer, ça monte tout de suite à la tête. Je crois néanmoins que Jamie a compris où je voulais en venir et je suis même soulagée de l'entendre rire quand je lui dis que je commençais à douter de son orientation sexuelle. De toute manière, il aurait très bien pu m'afficher qu'il était gay, je m'en fou, je veux dire c'est pas mon problème et en plus de ça, les gays ne m'ont jamais fait de mal donc voilà. Mais dans le fond, même si je ne le dis pas, je suis soulagée qu'il ne le soit pas. Allez savoir pourquoi étant donné que moi je suis déjà casée et que lui ben... J'en sais rien. Le sujet abordé ensuite n'est pas des plus joyeux mais les mots franchissent mes lèvres sans que je ne puisse le retenir. Je n'ai personne à qui parler de tout ça, je suis seule ici et je suis désolée que ça soit Jamie qui me serve "d'exutoire". Je pensais qu'il allait peut-être éviter le sujet ou simplement le contourner mais non, il me donne un petit cours de philosophie que j'ai un peu de peine à apprécier. Je suis étonnée d'entendre ça et j'ai envie de le contredire. Il a tord de dire ça. J'étais parfaitement heureuse avec Nate avant l'accident. C'est peut-être sa manière de me faire comprendre que je suis trop obsédée par cette histoire, que j'en parle trop. En tout cas si c'est ça, j'ai de la peine à bien le prendre. « Tu m'étonnes qu'avec une philosophie pareille tu ne soit pas avec une demoiselle... » soupirais-je avant de terminer mon verre de whisky. Il faut que j'arrête sinon demain je ne vais pas réussir à me lever. « Ahhhwww! » m'exclamais-je en entendant la déclaration de mon ami. Je tends le bras et lui tiraille la joue comme j'ai l'habitude de le faire pour l'emmerder. Et ça marche bien je crois. Je ricane et laisse ma main se poser sur la sienne qui est sur mon genou. « Moi aussi j't'aime bien Jamie Jam. » Je lui souris et finit par m'assoir correctement avant de me lever en titubant légèrement. Je lui prends la main. « J't'aime bien mais ça commence à cailler là! Viens! » dis-je en le tirant bêtement vers l'intérieur de ma maison. Je ne lui demande même pas s'il comptait rentrer chez lui, s'il avait quelque chose de prévu ou quoi. Elle retire ses bottines et laisse son blouson en jeans tomber par terre sans vraiment faire attention si c'est au milieu du chemin ou pas. Les mains sur les hanches je le regarde. « Qu'est-ce qu'on fait? Un Monopoly? » Je lui souris malicieusement et me laisse tomber dans le canapé.

Il hausse une épaule, pas vraiment convaincu que ce soit à cause de ce genre de philosophie qu’il soit encore seul à ce jour. En générale ce que les demoiselles lui reproche, c’est son éternel et agaçant optimisme, la manière qu’il a de tout prendre à la légère et sa facilité à éviter les problèmes. Dans les premières semaines, les filles trouvaient adorable qu’il soit si dévoué à son frère mais après qu’il ait du annuler deux ou trois rendez-vous pour aller taper dans le dos de son frangin occupé à vomir dans les toilettes, ça devenait tout de suite moins glamour…
Mais il se garde d’ouvrir la bouche pour parler de ça, persuadé que ça n’intéressera pas Robyn de toute manière.

Après avoir terminé son verre, elle se met debout, sur des jambes apparemment tremblantes et il s’empresse de l’imiter au cas où elle aurait besoin de son bras. Il n’a pas touché à son verre et a trop l’habitude de fumer de l’herbe pour souffrir de ses effets dès le premier joint. Il se sent encore parfaitement alerte, même si l’adrénaline retombée de tout à l’heure l’a un peu fatigué.
Il se laisse prendre par la main et guidé jusqu’à l’intérieur. Ça l’arrange bien et il espère qu’elle ne le mettra pas dehors après un dernier verre mais compte le laisser dormir chez elle. En toute amitié bien entendu, et chacun sur un sommier différent…
Il ne peut s’empêcher de se demander ce que penserait Nate de tout ça et, quelque chose lui dit qu’il a bien fait de ne pas récupérer la vidéo de la prestation de Robyn comme il comptait le faire. Le but était évidemment de faire vivre ce moment à Nate à son réveille, mais Jamie n’est à présent pas certain que Robyn voudra raconter cette soirée à son fiancé. Pour diverses raisons, pas seulement parce qu’elle aura laissé un homme entrer dans leur habitation pour la nuit, mais tout de même.

Jamie ferme la porte derrière Robyn, pendant que cette dernière se met à l’aise au beau milieu du couloir. Il finit par se débarrasser lui aussi de son blouson de cuir, après avoir déposé son verre sur un petit meuble dans l’entrée, et garde son vêtement dans ses mains à défaut de savoir quoi en faire d’autre.
« Je joue jamais à ce genre de jeu. J’ai…J’suis traumatisé, faut pas déconner avec ça » répond-t-il, les yeux écarquillés, feignant le choc. Il ricane un peu et s’explique pendant que Robyn le débarrasse. « Mes frères sont des mauvais joueurs plein de violence ! J’me suis fait tabasser, enfermer dans un placard, jeté dehors sous la pluie et d’autres trucs encore, simplement parce que j’avais eu le malheur de gagner à un jeu. Une fois, je me souviens, j’avais sept ans et on jouait à un jeu avec de la pâte à modeler… fallait faire son personnage et y avait des pièges qui pouvaient le découper, l’écraser et, bref, Jordan arrêtait pas de bousiller mon personnage parce que j’étais en tête alors j’en ai eu marre et je l’ai mordu. Mes frères se sont ligués contre moi et m’ont chacun mordus jusqu’au sang. J’ai quatre frères… J’ai du porter des teeshirts à manches longues pendant deux semaines, en plein cagnard, pour cacher les morsures… Tu comprends mieux d’où me vient ma philosophie maintenant hein ? » plaisante-t-il avant d’ajouter le plus naturellement du monde : « Elles sont où tes chiottes ? »

A peine rentrée dans la maison que je me mets à l'aise. C'est chez moi ici depuis trois ans. Cette maison appartient à la famille de Nate donc on peut faire de sacrées économies niveau loyer et autre et on a déjà une maison au cas où y aurait une famille plus tard. Ca a beaucoup d'avantages. Je balance mes bottines dans un coin, me retrouvant à pieds nus sur la moquette toute douce et laisse mon blouson tomber par terre, dévoilant mes épaules. Je suis chez moi j'ai pas à me cacher ou quoi. Si ça plaît pas à Jamie, il a vu où est la porte. Et puis Nate? Eh ben il est pas là. C'est pas la première fois qu'un homme vient ici. Je n'ai jamais rien dit quand ses potes venaient alors je ne vois pas pourquoi il devrait critiquer si un de mes amis vient. Je me laisse tomber dans le canapé, croisant mes pieds sur la table basse et invitant Jamie à me rejoindre. Pour plaisanter, je lui propose un Monopoly. Je lèves les sourcils en l'entendant dire qu'il a été traumatisé par les jeux de société. Il m'explique en "quelques" mors que cette soudaine phobie des jeux de société lui vient de ses frères, quand ils jouaient tous ensembles et qu'il avait le malheur de gagner, ils avaient tendance à se venger sur lui au lieu de demander une revanche... Je feigne une petite moue boudeuse. « Tu as eu une enfance terrible! » Je ricane et pointe le doigt vers les toilettes. « Au bout de mon doigt. Mais oh! T'as intérêt à viser hein! T'es pas chez toi! » dis-je avant de rigoler et d'aplatir un peu le volant de ma robe sur mes cuisses pour me distraire. Le jeune homme disparaît et je tape nerveusement sur mes jambes. Tout d'un coup, prise d'un élan, je saute sur mon sac à main posé à l'entrée et vérifie que l'hôpital n'a pas essayé de m'appeler. Rien du tout. Ce n'est pas ce soir que mon prince charmant se réveillera. J'ai faim. Je me dirige donc vers le frigo et trouve de quoi faire du pain perdu. Je commence par couper des tranches de pain que je fais revenir dans la poêle. Jamie n'est toujours pas de retour. « T'es tombé dans le trou ou bien?! » demandais-je tout en cassant des oeufs dans un bol en plastique.

« Qu’est-ce que je fous là ? »
Il ne sait pas d’où est venue cette question mais elle le hante depuis qu’il a passé la porte de la petite salle de bain où se trouve le cabinet. C’est là qu’il a généralement ses meilleures idées, mais pour le coup, il n’a aucune idée de la manière dont il doit gérer cette situation.
Il y a 24h encore, il n’était pas certain de vouloir confier ses problèmes de drague à Robyn et maintenant, il se trouve dans ses toilettes... Il se repasse les évènements de la soirée et baisse les yeux sur sa chemise où quelques traces de mascara rappellent encore la crise de larmes de tout à l’heure. La dernière fois qu’il a été si proche d’une fille, ils étaient en plein ébats. Ca remonte à une éternité. Robyn n’est pas la seule à ne pas avoir été choyée depuis des mois. Il ne lui semble même pas avoir déjà été assez loin dans une relation pour pouvoir parler d’amour à une demoiselle. Pas en étant sincère du moins.
Jaime essaye de chasser ces pensées et ouvre sa braguette en s’approchant du toilette. Pendant qu’il vide sa vessie, il se remémore le moment qu’il vient de passer sur le porche de la maisonnette... Il revoit les jambes de Robyn naturellement posée sur lui, il la revoit approcher son visage du sien et se souvient avoir pensé à l’embrasser…
C’est peu flatteur de songer à tout ça pendant qu’il urine, mais ça ne se contrôle pas ce genre de choses n’est-ce pas ?

La voix de Robyn s’élève tout à coup et fait sursauter Jaime qui, heureusement, a terminé sa basse besogne. Poussant un soupir, il se rhabille et va se laver les mains à l’évier de la pièce. Il prend un temps infini à les essuyer pendant qu’il réfléchi à la suite des évènements.
Doit-il rester ou annoncer son départ ? Il n’a pas envie de partir, mais il n’est pas certain d’avoir envie de rester pour les bonnes raisons. Tout paraissait en ordre jusque là dans sa tête mais une sonnette d’alarme a été soudain tirée. Il se souvient trop bien de sa main sur la cuisse de Robyn, puis de sa main à elle sur la sienne, dans la sienne à l’instant pour le conduire jusque chez elle…

Jaime pousse un soupir et quitte la pièce d’eau pour aller se confronter à Robyn. Il déteste se sentir tout à coup si mal à l’aise, alors que tout a toujours été si simple avec la serveuse. Il regrette presque d’être venu au café ce soir. Presque.
Parce qu’une part de lui estime ne rien faire de mal et veut se persuader que ce petit jeu, cette petite visite chez elle, est tout à fait innocente. En toute amitié.
« Tu cuisines » constate-t-il en retrouvant son sourire pour pub de dentifrice. « Je meurs de faim ! »
Et c’est vrai, il ne l’avait juste pas remarqué avant maintenant. Il va voir ce qui mijote dans la poêle et son sourire s’agrandi encore.
« Il faut qu’tu m’épouses ! C’est mon plat préféré » s’extasie-t-il avant de réaliser ce qu’il vient de dire… « Il est où mon verre déjà ? »
A bas les bonnes résolutions, il a vraiment besoin de s’assommer avec quelque chose là…

La cuisine c'est quelque chose qui me calme, qui me détend et qui me permets de réfléchir. Cependant, après le whisky et le joint, je suis loin d'avoir l'esprit assez clair pour réfléchir. Putain. Y a un mec à la maison. J'ai invité Jamie à entrer et je pense pas qu'il va rentrer chez lui ce soir... Nate. Putain de merde à quoi je joue? Je suis en train de faire du pain perdu presque au milieu de la nuit et Jamie réapparaît dans la cuisine. Apparemment lui aussi a faim. Ca tombe bien dans ce cas. Je lui fais un petit sourire alors qu'il s'approche de moi pour regarder ce que je fais. Je me retourne pour prendre de la cannelle et du lait et renverse la moitié de la brique de lait à côté du plat en plastique en entendant sa phrase. Je repense à la bague qu'il y a à l'étage, je repense à ce que Nate comptait fait tôt ou tard si on avait pas eu cet accident, je repense à la main de Jamie sur mon genou, à la manière qu'il m'a pris dans ses bras derrière le café... Son odeur, la chaleur de son corps... Olàlà. J'ai abusé sur la fumette et l'alcool. Je suis en train d'être complètement brouillée. Il n'y a plus qu'un épais nuage dans mon esprit. Je finis par viser correctement le plat et y verse un peu de lait, puis y ajoute du sucre canne et la cannelle. Je verse le mélange dans la poêle ou les tranches de pains sont déjà en train de griller légèrement afin qu'elles soient croustillantes. Je laisse le jeune homme chercher son verre. J'ouvre un placard pour prendre le sirop d'érable. Ben oui, je suis Canadienne, ne l'oublions pas. Jamie revient avec son verre et je lui pousse la bouteille vers lui. Je me rends compte que mes mains tremblent. Je lève discrètement les yeux vers lui et ressens quelque chose d'assez inattendu. Je ne sais pas si c'est l'alcool, la fumette, la journée pénible ou un tout, mais j'ai tout d'un coup envie d'affection, mais pas le genre d'affection qu'un ami donne à une amie... Plutôt du genre que je n'ai pas eu depuis six mois... Je baisse les yeux sur mon pain perdu en essayant d'avaler ma salive. Très rapidement le pain perdu devient doré et je retire la poêle de la plaque pour en verser dans deux assiettes. Je me pose à côté de Jamie, ma hanche contre la sienne et lui donne une fourchette avant de commencer à manger un peu de pain pour me distraire. Je crois bien que si je n'avais pas un minimum de lucidité je lui sauterais dessus. Jamais j'aurais dis ça en étant sobre.