Une semaine, jour pour jour. Une semaine que lui et Robyn se sont retrouvés dans le café où travaille la jeune femme. Une semaine donc qu’il l’a accompagnée sur la scène avec sa guitare avant qu’elle ne l’abandonne lâchement pour le laisser jouer un morceau. Et alors une semaine qu’il a pris sa défense alors qu’un espèce d’ivrogne patenté (qui aurait tout à fait pu être son frangin…) tentait de l’approcher pour la tripoter ou faire il ne sait quoi d’autre de peu catholique. Donc sept jours qu’il l’a raccompagnée en toute innocence dans la maison de son fiancé, dans le coma depuis des mois maintenant.
Conclusion : demain, ça fera une semaine tout pile qu’ils se sont envoyés en l’air sur le plan de travail de la dite maison…
Pour le coup, Jamie aurait préféré avoir l’excuse de l’ivresse, mais il n’avait pas consommé assez de whisky pour se le permettre. Pas fumé assez d’herbe non plus. De toute façon, au moment de se réveiller dans les bras de Robyn (sans qu’il ne se soit encore rien passé entre eux) il avait déjà évacué le tout et était en pleine et parfaite possession de ses moyens.
Il a donc merdé comme un prince, en tout état de cause ! Youhou !

Inutile de préciser que depuis ce matin-là, le grand brun n’a plus osé se présenter au café où il avait pourtant ses habitudes et qu’il n’a pas rappelé la charmante blondinette qui doit au moins être au bord de suicide à l’heure actuelle… Lui culpabilise alors qu’il est célibataire et n’a même jamais croisé Nathaniel. Non, en fait, en parfait lâche qu’il est, il n’ose même pas s’imaginer ce que peut ressentir la serveuse.
Tous les jours, il lutte contre lui même pour se convaincre de se pointer au café, franchir la porte et avoir une explication avec Robyn (ou même simplement agir comme si de rien était et se commander un chocolat chaud !) et chaque fois il se dégonfle en se servant de belles excuses.

Elle n’a sûrement pas envie de me revoir, elle doit me détester ! Ca ne va rien arranger du tout, ce qui est fait est fait et le meilleur moyen qu’elle passe à autre chose, c’est que je me fasse oublier ! Si ça s’trouve, elle s’est convaincue que tout était de ma faute et que j’avais profité de sa faiblesse émotionnelle et va m’attaquer à coup de tasse à café dès que j’aurai passé la porte…

Jusque là, faire l’autruche avait toujours fonctionné pour lui, pourquoi est-ce que ce ne serait pas le cas là encore ? Il a déjà fait souffrir ses proches par le passé en niant les évidences, en refusant d’aborder certains sujets. Jamie laisse après tout son propre frère sombrer dans l’alcoolisme parce qu’il n’est pas assez couillu pour accepter et affronter le problème et inciter Jonah à faire de même. Il n’est pas non plus capable de pousser Alaric à reprendre sa vie en main et préfère le faire fumer des joints.
Jamie Bishop, le frère et ami de l’année, mesdames et messieurs !

Le trentenaire pousse un soupir las et ouvre le portail de la résidence minable où il séjourne. Il joue avec son trousseau, son casque de moto dans l’autre main. Son planning de gros lâche est déjà établi pour ce soir : il va se déchirer la tête pour oublier à quel point il est un gros lâche.
Mais une voix s’élève tout à coup, brisant le silence relatif de la nuit et le faisant sursauter. Une voix qui va venir remettre en cause tous ses plans et bousculer sa petite routine de la semaine. Celle de la chirurgienne avec qui il a eu un accrochage dernièrement alors qu’elle se chargeait du dossier de son frère. L’amie d’Alaric qu’il tente de fuir depuis qu’il a couché avec elle…
Exactement comme lui et Robyn, à cela près que la blondinette n’est pas sa meilleure amie.

Ses clés dans la main, toujours immobile depuis qu’elle a prit la parole, Jamie écoute Priya justifier sa présence devant son appartement. Il a envie de lui demander comment elle a eu son adresse mais se rend compte que ce serait certainement un peu déplacé. Justifié comme question, mais déplacé.
Surtout qu’elle a l’air de vouloir prendre des nouvelles de son frère, c’qui est en soit assez sympa, non ? Bizarre, mais sympa.
« Ben… Ca va… Je crois… »
Et à mesure qu’il répond, il réalise que si ça lui paraît si étrange, c’est parce qu’elle ne vient pas lui parler de Jonah mais d’Alaric justement. Evidemment. C’est de CA qu’elle veut lui parler pendant quelques minutes.
Jamie pousse un petit soupir et pince l’arrête de son nez d’un air dépité.
« Ouais, non… Hem… J’en sais rien. J’l’ai pas vu ces temps-ci. Et j’suis pas sûr qu’il apprécierait c’que tu fais en ce moment. Enfin c’est cool de ta part de t’inquiéter pour lui mais… »
Mais j’en sais rien, foutez-moi la paix tous avec vos problèmes ! J’ai les miens aussi !
« Pourquoi tu passes par moi ? Pourquoi t’attends pas directement devant chez lui ? » demande-t-il d’un ton qui laisse clairement filtrer son agacement.

C’est bien les filles ça. Elles passent leur temps à vouloir savoir ce que ressentent les mecs, à leurs arracher les vers du nez pour connaître la moindre de leurs pensées (et s’assurer par cette occasion qu’elles sont absolument toutes tournées vers leur petite personne), tout en ne tenant nullement compte de leurs volontés. Soit disant pour leur bien, puisqu’elles savent forcément tout mieux…
Donc elle doit savoir comment va Alaric, souhaite sans doute se rabibocher avec lui, tout ne se fichant totalement de ce qu’il pourrait penser ou avoir à dire. Où est la logique dans tout ça ? Toutes les mêmes, toutes des castratrices en puissance qui jouent les romantiques dans l’âme alors que, clairement, elles ne sont que des succubes manipulatrices !
Bon, peut-être que c’est poussé un peu trop loin, mais peu importe. Et puis Jamie estime avoir le droit de jouer les dramaturges avec ce qu’il traverse en ce moment.

Une fois encore donc, il laisse la parole à Priya et l’écoute en serrant les dents, attendant que ce mauvais moment passe. Parce que clairement, cette rencontre n’est pas plaisante le moins du monde. En vérité, il n’a rien à reprocher à la jeune indienne qu’il ne connaît même pas. Tout ce qu’il sait, c’est qu’elle les a fait poireauter à l’hôpital son frère et lui pendant des heures, avant de finalement s’énerver sur son ainé sans raison apparente.
Enfin si, la raison était plutôt évidente, mais le comportement de la chirurgienne avait été peu professionnel selon lui… Bon, d’accord, là encore, c’était de la mauvaise fois, injectée en haute dose directement dans ses veines. Ce qui l’avait surtout contrarié dans cette histoire, c’était qu’il avait dû gérer un Jonah hors de lui et prêt à en découdre, qui n’avait plus cesser de rabâcher son altercation, encore et encore. Elle avait terminé de ruiner sa soirée déjà totalement foireuse et c’était surtout pour ça qu’il lui en tenait rigueur. Pour ça et parce qu’il savait que c’était à lui de s’énerver sur Jonah, de lui faire entendre raison et calmer le jeu, et qu’il s’en savait encore incapable.
Et puis il y avait à présent l’histoire avec Alaric à laquelle elle était mêlée de près. Et c’était vers lui que l’architecte s’était tourné pour déverser sa peine. Lui qui avait dû jouer les psy (et finalement les dealer), parce qu’apparemment, tout le monde se refilait son adresse et son numéro dans ce but. Il était LE type à aller voir en cas de coup dur mais qu’on écoutait jamais en retour, parce que franchement, quel intérêt alors qu’on pouvait se plaindre à lui durant des heures sans qu’il n’ait l’air de vous juger ou d’être lassé ?

Sauf que ce soir justement, pas de chance pour Priya : lassé il l’est. Lassé et incapable de le garder pour lui. Mauvais timing, ma chère.
« Et moi je vais te répondre encore une fois que c’est pas à moi de te l’dire ! » tique-t-il avec irritation. « Qu’est-ce que tu veux que j’fasse ? Qu’est-ce que ça va t’apporter de savoir de toute manière ? Si j’te réponds que ça va pas super bien tu vas me dire quoi, hein ? De veiller sur lui ? C’est déjà ce que je suis en train de faire, du mieux que j’peux avec c’que j’ai ! Et puis s’il va bien, qu’est-ce que tu vas faire ? Chialer parce que ça veut dire qu’il est pas du tout affecté par votre dispute ? Tu vas me demander de lui passer un message ? Je vais servir d’espion ? » ironise Jamie d’un ton acide. « T’es censé être sa meilleure amie Priya alors à toi d’me dire s’il va bien ou pas. Même de là où t’es, de là où il t’as mise depuis qu’vous vous êtes envoyé en l’air comme deux ados pas capables de gérer leurs hormones, j’suis certain qu’tu l’sais ! Alors moi aussi j’te repose la question : qu’est-ce que t’attends VRAIMENT de moi ? »

Pourquoi est-ce qu’il faut toujours que ce genre d’embrouille soit pour sa pomme ? Combien de bébés phoques a-t-il tué dans sa vie précédente pour mériter ce genre de traitement ? Bon, d’accord, il y a pire que de se faire aborder par la meilleure amie de votre amie avec qui il a couché comme plan, mais tout de même, Priya tombe très mal. Le pire étant que c’est tout à fait le genre de truc qu’il pourrait faire, qu’il apprécierait qu’on fasse pour lui. En d’autres circonstances, cette rencontre aurait pris un tournant bien moins désagréable mais ce soir, la moindre parole franchissant les lèvres de l’indienne sera mal interprétée et prise avec agacement. Il le sait et ne peut pas lutter contre ça. Evidemment, le constater le fait se sentir idiot, mesquin, et ça n’est pas pour arranger son humeur déjà massacrante et la piètre opinion qu’il a déjà de lui-même ce soir… Du coup, il a deux fois plus envie de l’envoyer bouler avec ses histoires.

Jamie pousse un lourd soupir et passe sa main dans ses cheveux bruns en murmurant un petit « sortez-moi d’cet enfer » que Priya ne doit pas entendre puisqu’elle est elle-même en train de s’agacer face à lui. Il plonge son regard dans le sien, l’écoutant avec désillusion. Il a ‘impression que tout ce qu’elle dit ne rime à rien d’autre que lui faire perdre du temps et lui faire perdre patience…
Lorsqu’elle se tait enfin, il ne réplique pas immédiatement. Il sait que s’il veut en finir au plus vite avec cet échange totalement saugrenu, il doit peser ses mots, les choisir avec le plus grand soin. Sauf que comme d’habitude, puisque le trentenaire a besoin que son cerveau fonctionne à plein régime et fasse son boulot correctement, celui-ci semble faire la vidange. Rien de pertinent ne lui vient, l’étage est déserté et il est dans la merde.
Cette soirée est décidément géniale.

« C’est déjà trop demander » finit-il par répondre, réalisant qu’il n’est pas simplement en train de la provoquer gratuitement.
Après tout s’est vrai, il apprécie la compagnie d’Alaric la plupart du temps, mais ça ne fait pas de lui son meilleur ami. Ils se connaissent depuis quelques petits mois seulement et, si l’architecte s’est confié à lui, s’est simplement parce qu’il n’avait personne d’autre à qui parler. Il a été son bouche trou et, s’il ne s’en est pas plaint sur le coup, à présent qu’il se retrouve avec une indienne furibonde sur le pallier de son appartement (et qui lui en bloque l’accès en prime), il commence à regretter un peu de s’être montré si conciliant. Voilà ce qui arrive quand on fait rentrer un chiot chez soit : on doit ramasser ses merdes…
« Je sais même pas c’qu’on est lui et moi, j’le connais pas depuis si longtemps que ça » ajoute Jamie pour s’expliquer, avant de tiquer d’agacement, de rouler des yeux et de craquer. « Si tu veux tout savoir, je suis l’ami le plus naze que quiconque puisse avoir ! Alors, si t’as envie qu’il aille mieux : occupe-t-en toi-même, j’sais pas faire ce genre de trucs, ok ? Je suis pas apte à faire face aux problèmes, j’l’ai jamais été, d’accord ? Les problèmes, je les fuis, je les enterre et j’attends qu’ils disparaissent d’eux-mêmes ! Compte pas sur moi pour gérer les problèmes d’Alaric à sa place ou à la tienne parce que vous vous parlez plus ! J’ai rien fait dans cette histoire et j’vois pas pourquoi c’est sur moi que ça devrait retomber ! Et puis merde, tu l’as dis toi-même y a un instant : je suis pas foutu de veiller sur moi-même, alors comment tu veux que j’m’y prenne au juste ? Rah et puis MERDE ! » conclut-il en passant devant la jeune femme sans plus lui adresser un regard, avec la fermer intention d’aller s’enfermer dans son appartement et de ne plus jamais en sortir.

Il a conscience de se défiler, comme à son habitude, mais tant pis. Priya peut bien le juger, qu’est-ce que ça pourrait bien lui faire ? Il ne la connait pas, avec un peu de chance, ne sera jamais amené à la recroiser et elle n’osera certainement pas parler de tout ça à Alaric. Ils ne se parlent plus après tout, c’est bien là le souci. Il pourrait facilement s’en sortir, la tête haute. Tout ce qu’il a à faire, c’est refermer la porte de son appartement sur la face de la jeune indienne et oublier toute cette histoire. Cette histoire et toutes les autres qui viennent lui parasiter l’esprit. Tout ce qu’il a à faire, c’est endormir cette connerie d’esprit à coup de joints.
Sauf qu’il est incapable de le faire. Il est incapable de fermer cette fichue porte sur Priya et de la faire taire pour de bon. Pas plus qu’il ne serait capable de tourner le dos à Alaric alors qu’il le sait dans la détresse, ou de filtrer les appels de son alcoolique de frangin pour avoir la paix. Il ne le fait pas parce qu’il a envie de défendre son honneur et de débattre durant des heures avec la chirurgienne, c’est simplement qu’il est trop stupidement altruiste et concerné.
Tout comme il était concerné par Robyn, et tout le monde sait comment cette affaire à tourné… Chaque fois, son envie d’aider le met dans la panade, mais il recommence. Jamie est le genre de type à ne jamais retenir une leçon.

Il soupire et écoute ce que Priya a à lui dire. Des reproches, mais pas seulement. Heureusement qu’il n’est pas que susceptible et que son envie d’aider Alaric vient contrebalancer la vexation qu’il pourrait éprouver…
Elle fait cependant un faux pas en citant Jonah dans son discours.
« Fais pas semblant de t’intéresser à lui ou à moi. T’es là pour toi. Tu penses que tu fais ça uniquement pour le bien de ton pote, mais ta démarche est égoïste. Tu veux avoir bonne conscience et pouvoir te regardre en face en te disant que t’as fais ce qu’il fallait pour qu’Alaric aille bien en m’utilisant, un point c’est tout. Alors parle pas de mon frangin et essaye pas de reporter ta culpabilité sur moi, merci » la cingle-t-il, avant de lever une main vers elle pour lui signifier qu’il ne veut pas entendre ce qu’elle a à répondre.
Il l’a bien assez entendu pour ce soir et il a un planning de défonce chargé…
« Je vais faire ce que je peux pour lui. Pas pour toi mais parce que c’est un type bien la plupart du temps et qu’il mérite un peu d’attention. J’vais aussi le faire pour moi, mais j’ai au moins la décence de le reconnaitre. Maintenant si t’as terminé, j’ai des tas de choses à faire. »
Jamie espère sincèrement qu’elle va en rester là et ne pas monter à nouveau sur ses grands chevaux à nouveau pour lui faire la morale.