Il faisait frais, un petit vent s’était levé depuis que Lexie était arrivée à destination. Arrowsic. C’était… très petit. C’était… tout. Oui, absolument tout, sauf New-York. Dire qu’elle n’avait connu que la Pomme, et qu’à présent, elle se retrouvait ici ! C’était plus que dépaysant. Un aller retour sur Mars ne l’aurait peut-être pas plus traumatisée que ce qui s’étendait (façon de parler) sous ses yeux, en réalité. Mais elle était ici, elle ne pouvait, de toute façon, plus faire marche arrière, et elle allait devoir improviser… Heureusement qu’elle avait plutôt de la tchatche et qu’elle s’était préparée psychologiquement avant de passer à l’attaque.

Il (avec un I majuscule, mais là ça se voit pas, parce que c’est en début de phrase *sort*) lui avait demandé d’espionner Aaron, et elle n’avait pas refusé en d’autres termes elle avait donc dit oui hein. Une fois le contrat signé, elle s’était préparée. Elle avait toutes les données : son adresse, ses horaires, bref, le b a ba pour pouvoir l’espionner en toute tranquillité. Elle avait donc ensuite choisi sa tactique d’approche. Et étant donné les informations qu’elle avait réuni sur Arrowsic, elle doutait pouvoir passer longtemps inaperçu là-bas… c’était si petit… Aaron finirait par la voir, donc elle partait pour le plan suivant : elle allait s’immiscer dans sa vie, faire un très joyeux come back, en tout bien, tout honneur. Comme si elle n’avait ni rancœur, ni colère. Elle allait jouer la comédie de la parfaite petite ex qui s’est on ne peut mieux remis de la rupture. Voilà. Comme si de rien n’était. Elle n’aurait plus qu’à retourner dans sa vie en temps qu’amie, et ainsi, elle collecterait absolument toutes les informations nécessaires et avec une discrétion optimale… Oui, vu sous cet angle, elle avait l’impression que c’était une bonne idée.

Lexie était donc sur la place d’Arrowsic. Elle avait un sac de sport usé, le même qu’elle trimbalait depuis des années et était habillée dans un style très classique. Slim noir, veste beige, bottines assorties. Ses cheveux étaient noués en une queue de cheval, dégageant ainsi ses pommettes rosies par le vent d’Automne, ses prunelles d’un magnifique bleu azur étaient mises en valeur par ses longs cils noirs. Debout, sur la place, elle consulta sa montre. Logiquement, Aaron ne devrait pas tarder à arriver. Elle connaissait son trajet, et il passait forcément ici, à cette heure-ci. Feignant la nonchalance alors que son cœur battait à vive allure sans qu’elle ne parvienne à en déterminer la raison (était-ce l’idée de revoir Aaron, celle de lui mentir et de le manipuler ou encore la crainte de devoir être convaincante ?). Se dirigeant d’un pas calme et assuré vers les offres de locations immobilières, elle vit, du coin de l’œil, son ex fiancé passer le coin de rue prévu à l’heure approximativement prévu. Elle s’était placée de façon à être dans son champ de vision, et à pouvoir l’apercevoir quand il arriverait (le rater serait catastrophique !). Et si jamais il ne la voyait pas (ou pis l’évitait), elle saurait s’arranger pour le voir et l’interpeler ‘comme par hasard’ de son côté…

Ce qu’elle pensait être le plus difficile se déroula finalement sans encombre. Elle parvint, en effet, à ignorer Aaron, et ce malgré son irrésistible envie de le dévisager. Elle mourrait d’envie de plonger ses prunelles dans celles de celui qui avait toujours compté pour elle. Elle voulait lire en lui, elle avait besoin de savoir ce qu’il pensait réellement. Où en était-il, très exactement, vis-à-vis d’elle ? Mais elle n’avait plus le droit de se poser ce genre de questions. C’était fini. Il l’avait abandonnée, sans le moindre préavis. Bien pire que l’abandon physique, il y avait eu ce sentiment de trahison qui persistait envers et contre tout. Il n’avait même pas eu la décence de lui avouer qu’il allait en épouser une autre ! Il s’était vraiment bien fichu d’elle… Et malgré toute sa colère, et son irrépressible envie de lui balancer le fond de ses pensées, quand elle aperçut sa silhouette, elle sentit son cœur bondir dans sa poitrine. C’était ridicule. Vraiment. Mais elle n’arrivait pas à se raisonner pour ne plus avoir cette torsion dans le ventre. Les papillons s’en donnaient à cœur joie, malgré sa colère.

Il se trouva finalement devant elle. Juste là, sous ses yeux. Les prunelles azur de la jeune femme passèrent d’abord rapidement sur la silhouette de cet homme qui lui était si familier avant de s’encrer dans celles d’Aaron. Elle s’était longuement entraînée à jouer la comédie, pour les jours à venir. Et contre toute attente, elle parvint à jouer son rôle. Feignant la stupéfaction, elle entrouvrit la bouche, comme elle l’avait fait des centaines de fois devant son miroir. Là, c’était très réaliste… Puis, le plus étonnant se produisit, il la pinça. Vraiment ! Ecarquillant les yeux de stupeur, sans même avoir besoin de se forcer, elle s’écria :

« Aie ! »

Elle le repoussa sans violence mais avec détermination malgré tout. Pas question qu’il lui déchiquète le bras pour se prouver qu’elle était bel et bien réelle, tout de même !!! Abandonnant un instant son masque de surprise, elle lâcha :

« Mais t’es pas bien ! »

Elle laissa cette phrase faire son effet, puis lâcha finalement les prunelles de son ex fiancé qu’elle avait fixé jusqu’alors. Elle se retint, in extremis, de lui répondre avec sarcasme quelque chose du genre ‘non non je suis simplement une copie de l’originale, ça ne se voit pas ? Je ne suis pas ton ex fiancée, je suis juste son sosie. Ressemblant hein ?!’ pour reprendre avec une surprise à nouveau feinte, mais il fallait noter qu’elle jouait très bien le jeu et qu’elle semblait vraiment être étonnée de se retrouver, comme par hasard, face au jeune homme :

« Ca alors… Je… »

Elle laissa sa phrase tomber ainsi, sans suite, quelques secondes seulement. Puis elle reprit finalement, avec un peu plus de contenance :

« Ouaou... Pour une surprise, c’est une sacré surprise… Aaron ! Mais... Qu’est ce que tu fais ici ? »

Elle sembla hésiter à s'approcher pour l'embrasser, puis se retint, comme si elle s'était soudainement rappelé où était sa place. Le ton était simplement étonné. Pas de colère, pas d’amertume. De la surprise, tout simplement. Tout compte fait, elle aurait mieux fait de tenter de percer dans la comédie… Elle se débrouillait étonnamment bien. Elle-même se surprenait, à vrai dire. Ceci étant, elle jouait très gros, là aussi… Et elle n’était pas sans ignorer l’enjeu. Elle allait s’accrocher, jouer la comédie jusqu’au bout. Elle n’avait plus le choix, de toute façon. Elle s’était engagée, et elle ne pouvait plus faire marche arrière. Un léger sourire, légèrement gêné, s’accrocha à ses lèvres, ses prunelles azur pétillant alors. Elle ne jouait pas totalement la comédie, là. Elle avait beau être en colère, elle n’arrivait pas à le haïr autant qu’elle l’aurait dû. Il avait beau tout avoir fichu en l’air, elle continuait à l’aimer… Un peu, quand même. Parce qu’on n’oublie pas le passé si facilement.

Alors qu’elle l’entendait s’excuser, elle enrageait en son for intérieur. Au fond, elle se fichait bien qu’il l’ait pincée ! Certes, sur le coup, c’était plutôt désagréable (ça avait même fait un petit peu mal). Mais qu’était-ce donc que cette petite douleur si misérable, quand, à côté, on souffre le martyre pour avoir été aussi lâchement abandonnée par l’être aimé ? S’il tenait vraiment à s’excuser, elle préférait qu’il s’excuse pour la douleur quasi constante qui accompagnait la rancœur de la jeune femme. Et encore… Serait-elle vraiment capable de lui pardonner, s’il venait à formuler un jour, ses excuses ? C’était difficile à prédire, elle n’y croyait pas. Elle n’y croyait plus. Il pouvait s’excuser, au fond, elle en viendrait à douter de sa sincérité. Parce qu’à présent, elle ne savait plus que penser, mais ce qu’elle savait, c’était qu’elle n’avait pas le droit de lui faire confiance. Plus maintenant, et certainement pas après avoir vécu ça.

Loin des yeux, loin du cœur. Tel est le dicton. Mais même si la distance, l’absence totale de nouvelles, avait creusé un trou dans l’existence de Lexie, la jeune femme n’avait pas oublié Aaron. Ca non. Il était là, devant elle, et c’est avec une rage certaine qu’elle sentait son cœur bondir naïvement contre sa poitrine. Imbécile de cœur. Heureusement qu’elle avait une tête. Et dans cette dernière s’accumulaient des mois de rancune et de colère. Et même si le cœur battait à tout va, la tête était là, veillant à ce qu’il reste sur les rails et que tout se déroule bien comme prévu.

La question, qui s’imposait, du point de vue de l’espionne en herbe, laissa Aaron perplexe un moment, jusqu’à ce qu’il se décide à fournir une réponse plus ou moins convaincante. Ne se laissant pas abattre, la brunette esquissa un sourire, comme si de rien n’était :

« Ha, d’accord, je voie ! Et tu fais quoi alors maintenant ? »

Elle aurait pu rajouter, pour rentrer dans le rôle de l’ex dégoûtée qui, soit dit en passant, lui allait parfaitement, quelque chose du genre : ‘maintenant que tu as épousé cette petite co**e qui débarquait de Dieu seul sait où’ ou encore un truc comme ‘maintenant que tu m’as lâchement abandonné pour en épouser une autre…’ Bref, les suites ne manquaient pas, mais elle ne devait pas montrer sa colère, et même si elle avait des tonnes de répliques cinglantes qui s’accumulaient violemment dans sa petite tête de poupée aux allures si innocentes, elle devait faire comme si tout était pour le mieux, dans le meilleur des mondes. Son deuxième prénom n’était peut-être pas Sacha, finalement, mais plutôt Candide ?

Elle offrit un sourire amusé à Aaron, troquant sa colère et sa rancune par un air de cool attitude. Le tout résidait dans les apparences, n’est-ce pas ?

« Moi ? Et bien j’ai fini par avoir mon diplôme… Et il se trouve que je suis dans un petit magazine là… Rien de bien grandiose, ceci dit, mais je n’ai pas trouvé mieux… J’ai fait un article sur une ville voisine, il y a quoi… Deux semaines ? Et j’ai fini par me dire qu’emménager dans le coin serait peut-être mieux. Ca me changerait d’air, dans tous les sens du terme. Et du coup, me voilà ! Je cherche sur Arrowsic là, je suis arrivée hier, et pour le moment je suis à l’hôtel. »

Sautant sur l’occasion, genre ‘resserrons nos liens, sinon je ne pourrais pas t’épier aussi facilement que je le souhaite’, elle enchaîna :

« Mais dis moi !!!!! Si tu vis ici, tu pourrais peut-être m’aider à me trouver un appart, un truc à louer pas trop cher… Je vais peut-être aussi me chercher un autre job pour compléter le salaire du magasine, je ne veux pas embêter mes parents, et j’ai mes emprunts à rembourser, et plus vite ce sera fait, mieux je me porterais… bref, tu voies, quoi. »

Parce qu’il la connaissait et qu’il savait très bien quelles étaient les conditions financières de ses parents et les siennes à elle, par la même occasion. Pas besoin de trop s’étendre sur ce sujet, donc.