J’attrape la télécommande sur la table basse et baisse le son des infos pour éviter de réveiller ma fille. Ma mère me fixe, attendant une réponse, et je ne sais pas comment tourner mes mots pour ne pas la vexer. Sans réaction de ma part, elle insiste en me demandant si je me rends bien compte. Oui maman, je sais. Des images de la fusillade tournent en boucle depuis deux heures, alors je commence à bien réaliser. Un mec quelconque a perdu le contrôle, il a perdu la tête, et il a voulu détruire la ville, tuer tout le monde. Je le comprends, dans un sens. Arrowsic, c’est 30% de gens ordinaires, 40% de purs bouseux, et le reste de timbrés. C’est ça dans les petites villes. Les êtres humains ne sont pas faits pour ce genre de vie. Epié par tous, avec toujours un commentaire, une réflexion qui brule les lèvres du moindre voisin. Quand on vit dans une si petite ville, on n’a pas d’intimité, on est la proie de tous les commérages. Et on s’y prête souvent à ce jeu malsain, parce qu’il n’y a pas de raison de ne faire qu’en souffrir. Prenez ma vie par exemple. Ici, on m’apprécie pas mal, donc je ne suis pas trop à plaindre. J’ai su faire ma place, me construire une réputation pas trop mauvaise, contre vents et marées. Et dans mon cas, on peut parler de tsunami. Je suis ce que l’on appelle une mère-enfant. Une traînée, une marie-couche-toi-là. Mais au fond, ils n’en savent rien. Ils pensent tous que je ne sais même pas qui est le père parce que j’ai refusé de l’exposer à tout ce cirque. Il était majeur, je n’avais pas envie que cela se retourne contre lui. Arrowsic, c’est l’horreur. Mais éloignez vous de quelques kilomètres, et votre enfer commencera à vous manquer.
Je suis née loin d’ici, à Boston. Pas une naissance merveilleuse, comme on en voit dans les documentaires à la mode. Ma mère ne m’a pas allaitée, je ne suis pas née en maison de naissance, ma mère, à la fin de sa grossesse, n’a pas fait de sophrologie, pas de cours d’haptonomie, rien. J’ai été reconnue par mon père par contre, c’est déjà bien, vu les circonstances. Pour comprendre un peu mon histoire ceci dit, il faut remonter encore un peu avant. Ma mère se destinait à être libraire, à l’époque. Elle faisait des études de lettres, modernes et anciennes, et avait décidé qu’elle passerait sa vie au milieu des bouquins. Même aujourd’hui, ma mère ne sait se servir d’un ordinateur que parce que c’est un bon point à mettre sur son cv. Elle préfère les livres palpables, le papier à lettre, les photos sur papier glacé. A l’époque, donc, elle était de ces jeunes adultes un peu naïves, mal sorties de l’enfance. Elle se persuadait qu’elle aurait son prince charmant. Elle n’eut que mon père. Un de ses profs, un de ces fantasmes ordinaires, un homme à la quarantaine bien tassée qui voulait fuir son mariage trop quelconque. Ils se fréquentèrent, s’aimèrent, et je fis mon apparition. Il refusa de divorcer et ma mère, après plus d’un an à lutter pour que je fasse partie de sa vie, n’insista plus et abandonna études et ambitions. Voilà, en résumé, l’histoire de ma naissance et de ce qui nous poussa vers Arrowsic. Elle voulait connaitre des gens, elle voulait une famille. Elle souffrait de l’indifférence maladive des gens des métropoles. Elle ne voulait pas élever son enfant dans un appartement quelconque, entouré par les gangs, la drogue et le trafic d’armes. Ma mère a un don pour l’exagération. Nous arrivâmes donc dans le Maine, et c’est là que mon histoire commença vraiment.
Les premiers temps, nous les passèrent dans l’hôtel le moins cher de la ville, de ceux ou les murs sont fait en papier cigarette. J’étais trop petite pour en avoir conservé le moindre souvenir, mais maman m’a souvent raconté notre arrivée, notre nouveau départ, rien que toutes les deux. Elle dit que ces quelques jours dans cette chambre exigüe nous ont énormément servi. A Arrowsic, tout se sait. Surtout quand l’on peut entendre ses voisins sans même bouger de son lit. Alors rapidement, on sut qu’il y avait deux nouvelles arrivantes en ville, dont une en bas-âge. Avec compassion, on offrit un emploi à ma mère, pour l’aider à se lancer, à s’intégrer, à s’installer. Quand on sait tout sur ses voisins, on finit sans doute par s’ennuyer et l’on ressent le besoin d’avoir un peu de chair fraîche. Pardon. Je suis un peu négative, Arrowsic n’est pas si horrible que cela. Disons que l’autre, avec son blog voyeur, et ce gamin tueur et tué m’ont un peu agacée. Au fond, nous sommes dans une petite ville, et chacun est ami, ennemi, ou bien lié de n’importe quelle autre façon à n’importe quelle autre personne du quartier. On se croise en faisant les courses, au cinéma, en attendant les enfants à la sortie de l’école. Et on s’intéresse, parfois un peu trop. On admire, ou on jubile. On se dit que notre vie, à côté de celle de Mme Machin, n’est pas si mal que ça. C’est ce qui nous fait jacasser comme ça, parfois au dépend des autres. Bref.
Quelques jours à l’hôtel, un boulot de caissière (à l’époque pas d’égard, on n’avait pas d’hôtesse de caisse mais de simples caissières) pour ma mère, et nous nous installâmes dans un petit appartement. Les valises posées, le lit à barreau dans la petite chambre, et ma mère sur le BZ. Elle avait trouvé une super nounou, Madame Graham. La grand-mère de Logan. Je vous parlerai de Logan très vite. Notre petite vie prenait forme, doucement. Et le reste, Chicago, mon père… tout ça n’avait pas une grande importance. Oubliés les rêves dorés de ma mère, les enluminures, les jolis mots sur du papier qui sent l’imprimerie à plein nez. Les bibliothèques immenses, où l’on n’ouvre pas la bouche. Elle était mère, elle était seule. Elle n’avait plus le temps. Pour rien.
Les années filèrent, et je pourrai vous raconter mon premier baiser, en maternelle, les parties de marelle, de billes, les jeux, les cris, les courses. Mais qu’est ce que vous vous ennuieriez ! Alors on va faire un bond dans le temps. Je parlais de Logan, tout à l’heure. Je l’ai rencontré alors que j’avais douze ans. Oui, c’est un sacré bond que je fais. Douze ans donc. Ma mère avait décidé que nous passerions Noel à DisneyLand, et c’était un rêve qui coûtait cher. Alors cet été là, elle n’avait pas pris de vacances, et j’étais restée chez Madame Graham. J’aurais pu rester toute seule à me gaver de bonbons offerts par la vieille du dessous, et à m’abrutir devant la télévision comme tous les gosses de mon âge. Mais non. J’étais donc au bout du couloir, chez celle qui s’était presque autant occupée de moi que ma mère, et qui ne m’adresse plus la parole aujourd’hui. Vous allez vite comprendre pourquoi.
Tous les étés, son petit fils venait la voir, restait au moins un mois. Logan avait cinq ans de plus que moi, et jusque là, à part se dire bonjour en se croisant dans l’ascenseur, nous n’avions pas eu l’occasion de vraiment se rencontrer. Là, on était bien obligés de se fréquenter. Il m’emmenait voir le skate-parc, au cinéma, trainer. J’avais l’impression d’être plus grande, et il passait du temps avec quelqu’un de moins de soixante-dix ans. Comme des frères. Jusqu’à ce qu’on décide de s’embrasser. Oui oui, je sais. Mais là, j’avais quatorze ans. Il était majeur, ok, mais ça se fait, maintenant. Et puis avec une mère comme la mienne… ça, vous pouvez être surs qu’il ne fallut pas longtemps pour l’entendre. Mais soit, on s’en fichait, et un coup de genou bien placé après qu’un type de ma classe m’ait fait la remarque assura à tout le monde qu’il ne me forçait à rien. J’avais du caractère. Et voilà. Nouveau chapitre de ma vie.
Bon, alors moi c'est Naerim, mais vous pouvez m'appeler Nae'. J'ai 22 ans, je suis mère d'un petit garçon, et j'ai lu sur PRD que c'était le forum idéal pour reprendre le rp après une longue pause. Sinon, j'aime mon fils, la photographie, les animaux et l'Irlande, en gros. Et THUB.
Dernière édition par Sam E. Gallagher le Mer 14 Nov - 22:32, édité 5 fois
Sujet: Re: Sam Gallagher - L'esprit féminin, c'est bien simple, c'est Hiroshima avec un soupçon de Bagdad... Dim 11 Nov - 21:10
Ah autant pour moi ! T_T J'avais absolument pas vu, c'est même pas elle que je comptais prendre à la base, pis j'ai craqué. Je change ça vite, je mange et ensuite je m'y mets