J’ai beau avoir une volonté énorme, j’ai beau vouloir aller mieux coûte que coûte, j’y arrive pas. J’essaye de rester positive, j’essaye de me dire que tout n’est pas perdu, mais comment pourrais-je me voiler la face ? Mon rêve - devenir actrice - je peux tirer une croix dessus, personne ne me prendra plus pour un rôle. Une fille avec un handicap, une fille qui s’est pris une balle, qui va chez le psy, qui se terre chez elle. Mon image ne peut pas être plus mauvaise. Ils disent que je suis la nouvelle Lindsay Lohan. J’en peux plus des magazines. J’en peux plus de la surrexposition. J’aimerais qu’on me laisse tranquille, j’aimerais être libre, comme quand j’étais petite fille. J’aimerais pouvoir faire du shopping sans être prise en photo, me taper des délires avec mes copines sans qu’elles soient obligées de poser pour les paparazzis à côté de moi. J’aimerais pouvoir faire des conneries de jeunesse sans que toute la terre ne soit au courant. J’aimerais avoir des gens qui m’aiment pour ce que je suis et pas pour mon niveau de célébrité. M’aimer pour ce que je suis, encore faudrait-il que je sache enfin qui je suis. Encore quelque chose qui me tiraille. J’étais persuadée que la comédie, c’était toute ma vie. Maintenant que j’en suis privée, je dois trouver autre chose. Merde.

Avant, me pavaner dans les rues à sourire bêtement devant les objectifs, c’était ma vie. Je passais mes journées à voir mes amis, à faire du shopping et à me faire inviter à des fêtes privées. Maintenant, je n’ai plus rien à faire. Je ne veux plus sortir, je ne veux plus être vue. Je me cache même de mes amis. Je ne veux pas qu’ils me voient comme ça. Je sais que j’aurai du mal à les comprendre sans mon appareil auditoire et il n’est pas question que je le porte. Je n’ai pas envie d’être différenciée des autres, mise de côté parce que quelque chose ne va pas chez moi. Oui, j’ai ce terrible besoin d’être comme tout le monde, alors que je ne le suis pas.

Aujourd’hui, ma mère est à l’hôpital pour sa chimio et y a plus rien à manger. J’pourrais bien me laisser crever de faim, comme ces derniers jours, mais là je tiens plus mon estomac crie trop famine. J’ai même pas envie de faire les courses, j’ai même pas envie de me faire à manger. Et puis merde, je vais au resto. Muffy’s est ouvert et pas trop fréquenté à cette heure-là, c’est parfait, je ne risque pas de croiser qui que ce soit. J’enfile un gros sweat, j’enfonce mes lunettes de soleil et mon bonnet dans l’espoir de passer un peu inaperçu et je sors de chez moi à la va vite. Je presse le pas, histoire de ne pas trop trainer dehors. Je sens mon téléphone qui vibre dans ma poche, je m’arrête sans vraiment réaliser que je suis au milieu de la route. Je me retrouve par terre en deux deux. Poussée par une voiture qui était en plein arrêt d’urgence je suis sonnée. Le mec sort de sa voiture et me hurle dessus. J’comprends même pas ce qu’il dit. Je reste là, assise, et je fonds en larme.

Un sourire sur les lèvres, Mattia marchant sur le trottoir bien tranquillement. Il venait de passer deux heures magnifiques en compagnie de Kavi, son meilleur pote. Ils avaient un peu bu, ils avaient joué à la console, ils avaient parlé nanas -même si parler de nanas avec Kavi, c'était comme parler cuisine à quelqu'un qui n'y connaissait pas grand chose-, et ils avaient même parlé de leurs sentiments respectifs. C'était facile. Ils se battaient dans un duel féroce de football américain quand, entre deux passes durement maitrisées, Mattia disait qu'il était bien content d'être chez Ashton, même si celui-ci le pourrissait un peu. Et Kavi avait parlé de sa tante.. Ils parlaient de sujets sérieux, sur une connerie. C'était ça qui était bien avec lui; il suffisait d'un rien pour qu'ils ouvrent leurs cœurs sans forcément se retrouver face à face, et raconter ce qui ne va pas. Sans faire les filles quoi.. En tout cas, là maintenant, il allait devoir éviter de faire une bourde devant Ashton. Il se voyait très bien raconter à Ella le super après-midi qu'ils avaient passé, sans remarquer la présence d'Ashton. C'était son genre de faire ça.. Donc là, il allait la mettre en veilleuse, et attendre tranquillement un after calin pour le raconter à sa chérie. Ca l'évitera de se faire tuer du regard par son tuteur. Il allait finir par le fliquer sinon..

C'est donc avec un grand sourire, ravi de ce moment passé, que Mattia marchait vers leur maison. Il espérait qu'Ella serait là. Il avait bien quelques idées derrière la tête.. Ella était magnifique, et que demandez de mieux pour continuer une journée magnifique pour la finir en beauté? Comme par exemple, serrer sa chérie dans ses bras, l'enrouler dans ses draps, et partir au septième ciel avec elle? Ahhh, il en rêvait là! Son sourire se fit un instant plus grand. Il fallait vraiment qu'il lui envoie un petit sms, qu'il lui dise qu'il l'aime! Ca la mettrait dans l'ambiance.. Fourrant la main dans sa poche, Mattia en sortit son téléphone. L'écran abîmé -la faute à Ashton- le rendait laid, mais il fonctionnait toujours. Il avait les yeux rivés dessus, un sourire taquin aux coins des lèvres lorsqu'il entendit d'un coup un gros bruit. Comme si une voiture tentait le tout pour le tout. Comme si quelqu'un allait se faire écraser.
Il releva les yeux aussitôt, et tourna la tête vers l'origine de ce bruit. Une voiture grise avait pilé net. Un mec d'une trentaine d'années en était sorti, râlant comme pas possible, pestant contre -vraisemblablement- quelqu'un. D'un coup inquiet, ayant peut-être un mauvais pressentiment, Mattia se mit à courir vers le lieu de l'accident. Là, assise au sol, une fille pleurait. En voyant ses cheveux blonds, le coeur de Mattia se mit à battre plus fort. Tambourinant dans sa poitrine. Il se retourna vivement vers le conducteur. « Putain, ta gueule! » Non, là, il n'était pas aimable. Là, il s'en fichait de savoir qui était ce type, un flic, ou un banquier. Il n'avait d'yeux que pour elle. Elle était là, pleurant toutes les larmes de son corps. Tremblante. Jona. Ni une, ni deux, il se retrouva à côté d'elle, et s'agenouilla. Passant ses bras autour d'elle, il murmura alors un « C'est rien Jona, tout va bien. » Sa bouche n'était qu'à quelques millimètres de son oreille. Il passa sa main dans ses cheveux, tentant de la faire reprendre contact avec la réalité, tentant de la rassurer du mieux qu'il pouvait. Mais comment rassurer quelqu'un qui était dans sa bulle? Quelqu'un qui ne pouvait presque plus entendre? Il la serra un peu plus fort. « Je suis là, t'inquiète pas.. » Elle tremblait, était vraiment mal. Et lui, il venait de perdre son sourire dû à sa bonne journée.

Je ne sais pas comment je pourrais un jour m’y habituer: à cette impuissance. Je marchais le long de la rue, et puis soudain j’ai manqué de me faire écraser. Depuis que je l’ai provoqué, la mort est à mes trousses. Et cela m’effraie. J’aimerais réapprendre à vivre, j’aimerais trouver un sens à tout ça. Je ne veux pas que tout se termine, pas si tôt, pas si vite. Je n’ai que dix huit ans, je n’ai même pas trouver ma voie. Je suis désormais condamnée à un handicap, certes, mais je suis bien vivante. Mais alors pourquoi j’ai si mal ? Parce qu’à chaque fois que je crois que tout ira bien, à chaque fois que je regagne confiance, quelque chose vient tout foutre en l’air. Comme là, comme avec cette voiture qui me montre que je ne suis même pas capable d’aller manger sans manquer de me faire tuer. Il hurle le mec, je pleure. Je pleure, pas parce que j’ai eu la peur de ma vie, non, je pleure parce que je n’entends même pas ses insultes. Il ne sait pas que je suis mal entendante. Il ne peut pas savoir, c’est pas écrit sur ma tête. Et pourtant, parfois, j’aimerais bien que ça le soit.

Je sens des bras se passer autour de moi et une odeur que je connais bien: Mattia. Mes larmes se mêlent dans ses cheveux blonds et je l’entends crier lui aussi. Le mec se tait je crois. Je ne sais pas ce que Mattia a dit, mais appremment, ça lui a cloué le bec. Je le sens s’approcher un peu plus de mon visage, comme s’il allait déposer un baiser sur ma joue, mais il s’arrête net. « C'est rien Jona, tout va bien. » Je l’ai entendu. Je l’ai entendu et mon coeur à manquer un battement. Sa voix, rassurante et amicale, m’a rappelé que je n’étais pas forcément seule. Il est là. Mattia est là, mon meilleur ami. M’enfermer pendant des jours avait été une erreur. J’avais quelques amis sur qui compter, même Ella. J’aurai pu solliciter n’importe qui, ça aurait mieux valu que de rester seule. « Je suis là, t'inquiète pas.. » Je le sais, maintenant, j’en ai enfin conscience. Il est l’ami de mes premiers jours dans le Maine, celui sur qui j’ai pu compter depuis le début, celui avec qui j’ai fait mille folies, celui avec qui j’ai partagé mes plus beaux fou rires. Et je me rends compte, en cet instant, que ce genre d’amitié vaut de l’or. Et qu’au final, c’est ça le bonheur. J’interromps mes pleurs, je le repousse un peu et je pose mon regard dans le sien. « Tu sais pas à quel point je t’adore mon p’tit Matou. » dis-je en pinçant doucement l’une de ses joues.

Il fallait absolument qu’il le sache, absolument. Il fallait que je le lui dise avant que je ne lui annonce l’autre chose. Cette autre chose qu’il devait absolument savoir, lui et tous les autres. Mais avant ça, il m’attrape le bras et m’aide à me relever. La voiture repart et nous, nous gagnons un banc de l’autre côté du trottoire. Je respire un bon coup. Je laisse le silence s’imposer entre nous encore quelques instants, puis je le brise. « Je crois que... » Je commence pas très sûre de moi. « Je crois que je vais partir quelques temps. »

La voir pleurer de cette façon le mettait terriblement mal à l'aise. Son corps entier était tremblant de peur, secouer par des spasmes que jamais il n'avait vu de ses propres yeux sur la demoiselle. Elle ne lui montrait guère ses sentiments avant, alors là, la voir aussi déstabilisée à cet instant précis le rendait fou. Encore plus quand il avait entendu ce putain de mec qui lui gueulait dessus. De quel droit se permettait-il de lui hurler dessus de cette façon? Elle n'avait pas mérité tout ce qui lui était arrivé. Si aujourd'hui elle était comme ça, ce n'était du qu'à une seule personne: un fou, un taré, un cinglé que personne n'avait aidé, et qu'ils avaient tous enterrés. Lui aussi d'ailleurs. Si Jona n'était plus comme avant, c'était un peu de sa faute. Il n'avait jamais trop critiqué Liam, ne l'avait jamais trop enfoncé, mais jamais il n'avait fait quelque chose pour lui. Il n'avait pas dit aux autres d'arrêter. Mattia avait beau avoir été assez correct avec lui, il ne pouvait s'empêcher de temps en temps, quand il était seul et que rien n'occupait ses pensées, de penser qu'ils étaient tous un peu coupables. Alors, il culpabilisait. Pour les Jona, pour les Teddy, pour les Leslie -petite fille qui n'avait plus de parents-. Pour toutes ces personnes.

La serrant bien fortement contre lui, il tentait de la rassurer du mieux qu'il pouvait, priant presque pour qu'elle se calme facilement. Il le savait, sa présence ne pourrait que la réconforter un petit peu. Pas plus. Il ne pourrait faire des miracles. Mais sa présence semblait un peu l'apaiser. D'un geste, elle se repoussa de lui, et plongea alors son regard dans le sien. « Tu sais pas à quel point je t’adore mon p’tit Matou. » Elle en profita pour lui pincer une de ses joues. Pour une fois, il se laissa faire, lui laissant le droit de lui torturer sa petite joue, il ne bougea pas d'un poil, préférant sourire qu'autre chose. Il préférait la voir comme ça. Il s'approcha de nouveau d'elle et lui fit un baiser sur la joue. Sa manière à lui de lui dire je sais.
Il tenta alors de l'aider à se relever. C'était un peu trop dangereux de rester là, tous les deux, seuls au monde dans cette rue. Du coin de l'oeil, Mattia aperçut alors l'autre connard, le gueulard, remettre en route sa voiture, et s'en aller. Parfait. Il entraina alors Jona de l'autre côté du trottoir, là où se trouvait un banc. Une fois qu'elle fut assise, il se mit à ses côtés, les fesses sur le dossier du banc, comme toujours. Il ne dit rien. Il préférait la laisser parler. Et c'est d'ailleurs elle qui brise le silence.« Je crois que... » Son regard se posa sur elle.« Je crois que je vais partir quelques temps. » Partir? Incrédule, surprit, Mattia ouvrit de grands yeux. De quoi parlait-elle au juste? Où voulait-elle aller? Sa vie, c'était ici, à Arrowsic. Nul part ailleurs. Secouant doucement la tête, le regard rivé sur Jona, Mattia posa alors la question. « Pourquoi? Et tu veux partir où? » Là, il fallait vraiment qu'elle lui explique. Parce que jusque-là, elle n'avait jamais été très motivé pour aller ailleurs. Elle préférait ne rien faire de ses journées, ayant abandonné sa fac plus tôt. Il n'était même pas contre l'idée qu'elle reprenne ses études, qu'elle parte quelque part. Mais vu l'état dont elle était, il doutait sincèrement que ce soit un choix judicieux. « Tu veux reprendre la fac? »

Il n’y a que lui. Que lui et moi. C’est ce qu’il me semble en tout cas. Les gens passent, jettent un bref regard désaprobateur, puis continuent leur chemin. Peut-être bien parce qu’ils ont observé toute la scène. Peut-être bien parce qu’ils trouvent ça étrange de voir deux jeunes assis sur le bord d’un trottoir. Peut-être. Moi, je n’ai d’yeux que pour mon meilleur ami. Je le regarde et je lui dis à quel point je tiens à lui. Simplement parce que je sais que je ne le reverrai pas de sitôt. Simplement parce que je m’apprête à partir pour un long voyage. Et je le lui dis. Je lui dis que je vais partir, quelques temps, qu’il le faut. Comme c’était à prévoir, il ne comprend pas. « Pourquoi? Et tu veux partir où? » Pourquoi ? La réponse est bien trop complexe. À vrai dire, moi même je ne saurai dire exactement pourquoi. Bien sûr j’ai quelques raison évidentes, et puis cette nécessité de m’éloigner d’Arrowsic après tout ce que j’ai vécu ces derniers mois. En fait, je peine à trouver une seule raison tellement il y en a qui se bouscule dans ma tête. Où, ça c’est facile. « Tu veux reprendre la fac? » Il n’y est pas du tout. Il est loin, très loin de la réalité. Je fais donc simplement non de la tête.

« Tu te souviens de Patrick ? Mon ex beau père ? » Evidemment qu’il devait se souvenir de Patrick. J’en ai tellement parlé: de mes regrets, de l’avoir pousser à bout, d’avoir rajouté le seul père que je n’avais jamais eu. Parce qu’au fond, même si on est pas relié par le sang, c’est lui mon père. Je l’ai enfin compris. Trop tard, mais je l’ai compris. « Ma mère l’a appelé, elle l’a retrouvé. Elle lui a tout raconté, tout ce qui m’est arrivé, elle lui a dit pour son cancer. Je crois que c’est la première fois qu’elle fait un truc intelligent. Bref, il m’a appelée ensuite. » Les larmes me montent aux yeux rien que de repenser à notre conversation. Pour la première fois, j’avais mis mon appareil occulaire. Parce que je voulais bien l’entendre. Je voulais être sûre que je ne rêvais pas, que c’était bien Patrick au bout du fil, que c’était bien lui avec qui je parlais. Et c’était le cas. J’avais des larmes qui coulaient sur mon sourire. J’ai besoin de lui, depuis toujours. « Il m’a proposé de venir chez lui, quelques mois, il y a un centre de réhabilitation pour mal entendant là-bas, il connait les responsables, il y a de la place pour moi. Je veux aller mieux Mattia, tu sais. Je veux vraiment me relever cette fois. »

Mais il y a un détail que j’ai omis: la distance. « C’est... C’est en Arizona. » Autrement dit, c’est à l’autre bout du pays. Je m’apprête à partir à l’autre bout des états unis. Loin de mes amis, loin de ma mère, loin de tout. Et je n’ai pas peur. J’en ai même terriblement envie. Je sais que les paparazzis ne me suivront pas là-bas. Je serai tranquille. Je serai heureuse et je pourrai enfin me reconstruire. Alors oui, je suis prête. Je suis prête à quitter Arrowsic.

Les propos de Jona l'avait perturbé. Pourquoi voulait-elle absolument partir loin d'ici? L'herbe n'était pas plus verte ailleurs. Dans chaque endroit qu'il visitait -il n'avait jamais autant voyagé que ces six derniers mois-, Mattia y découvrait à chaque fois son lot de misère, et son lot de bonheur. Il avait toujours une attache particulière pour Arrowsic. Alors, imaginer sa petite ville sans Jona, c'était comme imaginer Noël sans père Noël. Ca n'était pas possible. Alors, les yeux rivés vers elle, il lui demanda pourquoi elle voulait partir, et surtout où. Loin d'ici, ou tout près. Ca changeait tout à ses yeux. Et le pire, c'est qu'elle ne voulait pas reprendre la fac. Dès qu'il lui eut demandé, elle avait secoué la tête. Non. Non. Non. Elle n'irait pas à Portland alors.. Son regard posé sur Jona, il attendait désespérément qu'elle lui raconte. Il ne la lâcherait pas.« Tu te souviens de Patrick ? Mon ex beau père ? » Son ex beau-père? Celui à qui ils avaient volé la voiture? Sûrement pas lui.. Ah Patrick! Le type qui vivait avec sa mère quand Jona était petite. Elle voulait sûrement parler de cet homme, qui, malgré aucun lien du sang avec elle avait énormément compté à ses yeux. Doucement, il hocha la tête. Elle lui en parlait souvent, quand elle le pouvait. Elle regrettait qu'il se soit sauvé, les abandonnant sa mère et elle. Elle se sentait coupable. « Ma mère l’a appelé, elle l’a retrouvé. Elle lui a tout raconté, tout ce qui m’est arrivé, elle lui a dit pour son cancer. Je crois que c’est la première fois qu’elle fait un truc intelligent. Bref, il m’a appelée ensuite. » Il vit alors dans ses yeux quelque chose qui faisait mal. Ses larmes qui montaient à ses yeux. Ses larmes qui coulaient sur ses joues. Ses larmes qui contrastaient avec ce sourire qu'elle avait. Alors, le coeur serré, Mattia passa son bras autour de ses épaules. La tenir tout près de lui, c'était ce qu'il pouvait faire de mieux, l'incitant de même à continuer de parler.
Et le couperet est tombé.

« Il m’a proposé de venir chez lui, quelques mois, il y a un centre de réhabilitation pour mal entendant là-bas, il connait les responsables, il y a de la place pour moi. Je veux aller mieux Mattia, tu sais. Je veux vraiment me relever cette fois. » Il sentit son coeur se serrer encore un peu plus fort. Il sentait arriver un mais. Il sentait qu'il allait y avoir quelque chose d'autres. Il n'avait pas tord. Elle lâcha la bombe. « C’est... C’est en Arizona. » L'Arizona. Cette fois, aucun sourire ne s'inscrivit sur son visage. Aucune trace de joie. Il avait beau avoir été totalement nul en géographie, il savait quand même vaguement où se trouvait l'Arizona. Près du Mexique. Là-bas, plutôt côté pacifique..

Durant quelques secondes, il ne dit rien, l'observant juste. Elle pleurait avec ce sourire. Elle lui faisait terriblement mal au coeur. Il avait envie de lui hurler de ne pas partir, de lui dire de ne pas aller là-bas. Mais c'était égoiste de dire ça. Egoiste de sa part de ne pas vouloir la voir partir. Qui était-il après tout? Lui-même se cassait souvent d'Arrowsic maintenant.. Ses yeux toujours rivés sur elle, il passa sa main dans ses cheveux, trouvant quelque chose à dire, essayant de trouver les bons mots, tournant sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Il le savait, pour elle, il ne fallait pas qu'il dise un mot de travers. Il ne devait pas lancer un tu peux pas aller là-bas. Et c'est la gorge serrée qu'il finit par lâcher quelques mots. « Tu crois que c'est mieux si tu vas là-bas.. Tu crois que tu iras mieux? » Il s'interrompit une seconde. Vraiment, il fallait qu'il prenne sur lui pour ne pas dire de bétises, ne pas lui montrer à quel point il voulait qu'elle reste ici. « Tu n'auras personne là-bas.. Enfin, je veux dire, il n'y aura pas ta mère, ni tes amis. » Ni moi. Putain si elle partait, elle allait cruellement lui manquer.. Alors, doucement, dans sa tête, il essayait de trouver de bons mots à se dire. Ce serait bien pour elle

Ma décision est prise. Je vais partir. Cette décision, je viens de la prendre. Jusqu'ici je penchais plutôt pour, mais j'avais encore quelques hésitations. Mais ce presque accident, il y a quelques minutes, me fait prendre conscience que je ne peux plus vivre comme avant. Je ne peux pas me faire à mon handicap toute seule. Malgré toute la volonté que j'ai, je n'y arriverai pas cette fois, pas sans aide. Et cette aide, puisqu'on me l'offre, je me dois de l'accepter. Je sais que j'irai mieux si j'y vais. Alors j'irai. Mattia semble sur le coup, un peu choqué par mes révélations. Après un long silence, il finit par déclarer: « Tu crois que c'est mieux si tu vas là-bas.. Tu crois que tu iras mieux? » J'acquiesse la tête positivement. Oui, je le pense réellement. J'aurai de l'aide, de l'aide de professionnels et puis je ne serai plus jamais seule.

« Tu n'auras personne là-bas.. Enfin, je veux dire, il n'y aura pas ta mère, ni tes amis. » Ça évidemment, j'y ai pensé. Et c'est vrai que laisser ma mère, ma mère qui est malade toute seule avec son imbécile de copain me pose un peu de problème. Mais je dois penser à moi. J'ai toujours été assez égocentrique, mais aujourd'hui cela s'avère essentiel. Je ne peux plus me laisser aller à la dérive. Je le sais, mais mère le sait et je m'attends à ce que Mattia le comprenne lui aussi. « Je le sais tout ça. Je pense vraiment que ce sera bénéfique. J'apprendrai le langage des signes, j'aurai des conseils, une thérapie. Ils savent ce qu'ils font. Je rencontrerai des gens comme moi. Je sais que ça m'aidera. Je sais que je sortirai enfin du fond. J'y arrive pas toute seule. Vous allez tellement me manquer, mais... » Je le regarde, les larmes coulant toujours sur mes joues. Il caresse mes cheveux, me montre tant bien que mal qu'il est là, qu'il me soutient, qu'il tient à moi. « Mais je reviendrai. C'est promis. » Je ne veux pas partir définitivement. Malgré tout, je me suis attachée à Arrowsic et j'aime mes amis plus que tout. Je ne me vois pas grandir sans eux, vieillir loin d'eux. J'ai juste besoin de m'éloigner un moment, simplement pour être capable de me recentrer. Je sais que je reviendrai meilleure, et peut-être même avec un but.

« Tu sais, je ne sais même pas ce que je vais faire... Plus tard. » C'est vrai que c'est quelque chose qui m'angoisse. De l'argent, j'en ai et j'en aurai toujours. Ce n'est pas quelque chose pour lequel j'ai besoin de m'inquiéter. Mais je n'ai plus envie de passer ma vie à me pavaner dans la rue. J'admire mes amis qui ont commencé la fac, qui ont des rêves dans la vie, qui ont des objectifs. Moi, je n'en ai pas. Et j'en souffre.

Jona semble si sûre d'elle. Elle donne l'impression d'y avoir réfléchit des heures et des heures, de s'être dit que finalement, ce départ loin de tout ceux qui l'aiment l'aiderait beaucoup. Mais Mattia, lui, est sous le choc. Il ne s'attendait pas à une telle révélation de sa part. Il ne l'imaginait pas du tout partir à l'autre bout du pays pour aller mieux. Alors, il l'observe. Il essaye de comprendre ce revirement de situation. Elle se plaisait à Arrowsic. Elle s'y était toujours plus, non? Jusqu'à la fusillade peut-être.. Mais peut-être plus depuis. Putain il le haïssait vraiment Liam! Si seulement ce connard n'était pas mort. Il se serait fait une joie de lui gâcher la vie, de le frapper jusqu'à ce qu'il en crève. Il aurait foutu toute leur vie en l'air. Toute. Les yeux rivés vers son ami, il tente toujours de comprendre. Espérant peut-être un peu trop entendre un poisson d'avril!! sortir de sa bouche. Même si on n'est pas le premier avril.
Avec de simples mots, une voix un peu élevée que la normale, il lui pose des questions, lui rappelant qu'elle sera seule là-bas. Seule face à ses déboires. Seule face à sa vie. Seule loin de sa mère, sa mère malade. Mais elle semble savoir ce qu'elle fait. « Je le sais tout ça. Je pense vraiment que ce sera bénéfique. J'apprendrai le langage des signes, j'aurai des conseils, une thérapie. Ils savent ce qu'ils font. Je rencontrerai des gens comme moi. Je sais que ça m'aidera. Je sais que je sortirai enfin du fond. J'y arrive pas toute seule. Vous allez tellement me manquer, mais... » Ses yeux se posent dans les siens. Elle pleure, et lui brise le coeur encore une fois. Alors, il fait la seule chose qu'il est capable de faire; caresser ses cheveux. « Mais je reviendrai. C'est promis. » On dit toujours ça quand on part. Je reviendrai, c'est promis. Mais au final, on trouve qu'ailleurs, c'est mieux. On mène une nouvelle vie, et petit à petit on abandonne nos proches d'avant. Peut-être qu'elle fera ça, elle aussi. Et peut-être que finalement, Mattia a raison de s'inquièter.

« Tu sais, je ne sais même pas ce que je vais faire... Plus tard. » Il releva aussitôt la tête vers elle. Plus tard? Comme métier? Ce n'était pas important ça. Doucement, il secoue la tête, et avec un petit sourire lui dit. « Tu as encore le temps pour ça Jona.. On vient juste de sortir du lycée. » Ok, ils étaient censés en théorie avoir trouvé leur voie. Mais ils n'étaient pas à un an après. Et honnêtement, le tennisman comprenait que son ami soit perdu. Lui-même, si Ash ne l'avait pas pris sous son aile, il ne savait pas ce qu'il aurait fait comme job. Sans doute aurait-il finit en prison, à force de dealer. Oui, à ses yeux, si il était dehors aujourd'hui, c'était grâce à Ashton. Il l'avait toujours dit; si il ne pourrait pas faire du tennis sa vie, il sombrerait.
Caressant toujours et encore les cheveux de Jona, pour lui montrer qu'il était là malgré les quelques secondes de silence qu'il s'accordait, Mattia finit par reprendre la parole. « Je peux comprendre, tu sais. Tu seras peut-être mieux là-bas. Il y a trop de mauvais souvenirs ici. » Il s'interrompit, repensant à ce fameux jour sur le marché. Il respira un coup un peu plus fortement, et reposa encore une fois son regard sur elle. « Mais il n'y a pas plus près? Ok, ok, je me tais..  -il sourit- c'est ton choix, je comprends, mais.. » Il s'interrompit. Il voulait dire quatre mots. Quatre mots qu'il était incapable de dire à haute voix. Tu vas me manquer. Alors, comme sa bouche ne pouvait sortir ses mots, il lui fit un sourire.

Je suis émue. Emue pour un milliard de raison. Déjà, je ressens enfin cet espoir, cet espoir d'aller enfin mieux. Je la vois cette lumière, cette lumière en haut du puit. Même si je suis incapable de grimper seule, je sais qu'on me tendra bientôt une corde, pour m'aider un peu. Mais je ne suis pas émue uniquement pour cette raison. Pour une toute autre d'ailleurs. Et cette raison, elle se tient devant moi. Mattia. Mattia, mon meilleur ami. Je sais que lui et moi, c'est peut-être bien une des dernières fois qu'on se voit. La dernière fois avant plusieurs mois. Longtemps. Je ne sais quand je le reverrai, je ne sais quand je reviendrai. Je ne peux pas le dire. Je prendrai le temps qu'il faut, pour aller mieux. Mais je dis bientôt, parce que j'aimerais y croire. J'aimerais croire que je reverrai bientôt Arrowsic, que je serrai bientôt Mattia dans mes bras, qu'on pourrait fêter mon retour. J'aimerais croire que je serai enfin capable de rire, de sourire naturellement. Parce que ça me manque tellement, d'apprécier les simples bonheur de la vie.

On discute, lui et moi, comme on a toujours su le faire - quand on ne fait pas de conneries. Je lui parle de mes incertitudes, quant à mon avenir. « Tu as encore le temps pour ça Jona.. On vient juste de sortir du lycée. » Le lycée. J'ai presque envie d'en rire, je n'y ai jamais mis les pieds. « N'oublies pas que je n'ai jamais été au lycée, je n'ai même pas ce papier là, je ne peux même pas aller à la fac. Ma mère voulait que je fasse mon diplôme en mode express, mais moi je voulais trop être actrice. Maintenant, je ne peux plus... » Ça craint l'avenir, ça craint l'incertitude, ça craint la vie. Je n'en vois plus le sens, et il est vital que je le trouve. Je ne veux plus être faible. Je ne veux plus mourir, je ne veux plus disparaître. Il me faut trouver un sens à tout ça.

« Je peux comprendre, tu sais. Tu seras peut-être mieux là-bas. Il y a trop de mauvais souvenirs ici. » Je vois bien qu'il se force, qu'il ne croit pas un mot de ce qu'il dit, ou du moins qu'il se force, pour me faire plasir. Je le connais mon Mattia, mais je ne vais pas l'en blâmer. Je réagirai de la même manière s'il m'apprenait son départ et que moi, je restais. J'apprécie le fait qu'il fasse semblant, pour moi, pour me monter que malgré tout, il me soutient et il me soutiendra toujours. « Mais il n'y a pas plus près? Ok, ok, je me tais.. c'est ton choix, je comprends, mais.. » Je souris. Il n'a pas pu s'en empêcher et je l'aime aussi pour ça. Ce « Mais... », il ne dit rien. Mais je sais ce qu'il aurait voulu dire, ce qu'il n'a pas pu dire. « Toi aussi tu vas me manquer Mattia » dis-je en lui caressant le visage. « Tu vas même tellement me manquer ! » Et je lui saute dans les bras. Parce que je sens le moment des adieux arrivés. Et que c'est le plus dur. Mais c'est malheureusement un passage obligatoire. Faudra que je passe voir Teddy aussi, je ne peux pas me permettre de partir sans un mot, sans rien dire. Oui, je l'appellerai au moins. Au moins ça. « Embrasses Ella et Lleyton pour moi, s'il te plait. »

En une phrase, il venait de mettre les pieds dans le plat. Il s'en voulait. Elle l'avait tellement remué avec ce qui avait faillit arriver et ses pleurs, qu'il en avait oublié une grande partie de sa vie. Jona n'avait jamais été dans un lycée. Elle n'avait jamais connu le bonheur d'être installé, le cul sur une chaise à suivre un cours emmerdant à mourir. Elle n'avait jamais connu ce bonheur, car jamais elle n'y avait mis les pieds. « N'oublies pas que je n'ai jamais été au lycée, je n'ai même pas ce papier là, je ne peux même pas aller à la fac. Ma mère voulait que je fasse mon diplôme en mode express, mais moi je voulais trop être actrice. Maintenant, je ne peux plus... » Quel piètre ami il était! Oublier trois ans de sa vie. Mais il n'y pouvait rien. Il oubliait souvent qu'elle n'y avait jamais été, car pour lui, le lycée avait été tout. Des cours ennuyeux à mourir, des profs saoulants, des heures de colle, des rigolades à n'en plus finir avec les amis, et surtout, Ella et le tennis. Sans le lycée, jamais il n'aurait été ce qu'il était devenu aujourd'hui. Et comme il avait vécu pendant trois ans à fond dans un lycée il en avait oublié que pour d'autres, ce n'était pas le cas. Quelque peu honteux d'avoir oublié ça, il se tut, se contentant juste d'un petit sourire d'excuse.

Il reprend la parole, essayant tant bien que mal d'être enjoué. Il ne voulait pas vraiment la décevoir, et lui montrer à quel point, son départ l'attristait. Et à quel point, elle allait lui manquer. D'ailleurs, ces mots, ils n'ont pas pu sortir de sa gorge; ils sont restés coincés, là, quelque part près du chat. Mais elle n'est pas folle; elle la vit vite comprit. Son sourire en dit long. Et en quelques secondes, elle caressait son visage, et lui répondit aussi. « Toi aussi tu vas me manquer Mattia » Là, Mattia lui sourit. Ils n'étaient pas potes pour rien; elle était capable de le comprendre. Puis, d'un coup, elle se jeta dans ses bras. « Tu vas même tellement me manquer ! » Alors, pour une fois, il dut se forcer. Mais pour une fois, il sortit ces mots. « Toi aussi! » Finalement, sortir ces deux mots n'ont pas été très compliqué. Il n'avait pas son regard sur elle; il sentait juste son corps contre le sien. Il la serrait dans ses bras, sans l'avoir réellement en face. Il avait du mal à s'en rendre compte. A savoir que bientôt, elle serait loin d'eux, et qu'elle serait quelque part, perdu dans un endroit dont il n'aurait même pas idée. Elle serait dans une école, et apprendrait mille choses. Elle sera peut-être heureuse. Mais elle sera surtout loin d'eux.

Ils étaient là, dans les bras l'un de l'autre, et puis d'un coup, elle lâcha cette phrase. « Embrasses Ella et Lleyton pour moi, s'il te plait. » QUOI? Surprit, Mattia la repoussa doucement. Il voulait l'avoir en face de lui, cette fois. Il voulait voir son regard, voir ses yeux, voir son souire. Ses mains tenant ses bras, il lui demanda alors, les sourcils légèrement froncés. « Mais tu vas pas partir tout de suite?! » Son ton était étrange, coincé entre la question et l'exclamation. Elle ne pouvait partir comme ça, presque sur un coup de tête. Il fallait qu'elle réfléchisse un peu, un tout petit peu.. Il secoua la tête, et avec un petit sourire lui dit. « Tu iras leur dire toi-même! » Parce que oui, malgré tout, il n'y croyait pas à son départ si soudain. Il imaginait au moins qu'elle allait rester un peu.

Mon départ est imminent. Dans quelques jours, je me trouverai à des centaines de kilomètre d’Arrowsic, à des centaines de kilomètre de mes amis, de ma mère, de tout. Je ferai le vide, enfin. J’irai mieux, enfin. Je résuciterai. Mais pour ça, il faut qu’on me laisse partir, il faut qu’il me laisse partir: Mattia. Mattia qui ne cache pas sa tristesse, mais qui essaye de me soutenir malgré tout. Et pour ça, je l’aime d’autant plus. C’est mon meilleur ami, mon frère, celui que je n’ai jamais eu etq que j’aurai aimé avoir. Si je veux aller mieux c’est pour lui aussi, pour qu’on puisse rire comme avant, pour que je n’ai plus à faire semblant. C’est pour Teddy, aussi. Pour Ella. Pour Maman. Même pour Imran. J’aimerais un jour être capable de le faire rire sans que ce soit en étant assise sur son canapé dans son cabinet, sans être sa patiente.

J’aimerais repartir à zéro, tout recommencer. J’aimerais trouver un sens à ma vie et être heureuse. Pouvoir m’epanouir dans quelque chose que j’aime, et ce quelque chose je dois le découvrir, le trouver. J’aimerais ne plus être aussi exposée, j’aimerais être oubliée par les médias. J’aimerais être tranquille, mener une vie de jeune femme comme n’importe quel autre. Mais plus que tout, j’aimerais vivre.

« Toi aussi! » Toi aussi tu vas me manquer. Il l’a dit. Et je sais combien ça a du lui coûter. Mattia ne parle pas sentiment, même lorsque l’on sait qu’il le pense ça fait du bien. Ça fait du bien de savoir que ce départ compte, que je manquerai vraiment à quelqu’un et qu’on attendra mon retour. Ça fait du bien et ça me donne envie de revenir au plus vite. De revenir pour tenir ma promesse. « Je reviendrai c’est sûr. Je reviendrai plus forte et drôle que jamais, tu verras. » J’ai cessé de pleurer. Je lui offre même un petit clin d’oeil et un sourire qui vient tout naturellement. Je suis presque heureuse de partager ce dernier moment avec mon meilleur ami. Je le vis à 200% pour ne rien en oublier.

Je lui dis d’embrasser Ella et Lleyton pour moi. Et là, il me dévisage, comme si j’avais dit une énormité. « Mais tu vas pas partir tout de suite?! » Je ris tout doucement. « Ben non, pas dans la seconde mais... Bientôt. » Il me regarde avec insistence, comme s’il attendait une suite. « Je pense partir en fin de semaine. Patrick va m’acheter les billets d’avion ce soir. » Je n’ai plus que quelques jours devant moi, et je suis loin. Quelques jours que je vais occuper à dire au revoir, car Mattia m’a fait prendre conscience de l’importance de ces choses là. Je dois avouer que si cet « accident » ne s’était pas produit, je serai certainement partie sans un mot. « Tu iras leur dire toi-même! » Il dit ça avec presque un peu d’agressivité dans le ton. Mais je sais que ce n’est pas contre moi. Je sais que c’est juste qu’il ne veut pas me voir partir. « J’essayerai de passer chez vous. »

« Je reviendrai c’est sûr. Je reviendrai plus forte et drôle que jamais, tu verras. » Cette promesse, il espérait bien qu'elle allait la tenir. Il lui jeta un petit coup d'oeil; elle souriait, elle avait cessé de sourire. Mieux que ce clin d'oeil qu'elle lui donna, ses larmes avaient cessé. Ca, c'était beaucoup. Il préférait la voir rire aux éclats, plutôt que de la voir essuyer ces yeux toutes les cinq secondes. Et puis, au moins, là comme elle était, c'était bien sa Jona. Celle qu'il avait tout de suite accroché. Celle qui souriait tout le temps. Alors, comme elle lui fit cette remarque, il ne put s'empêcher de lâcher un petit rire, avant de pousser sa tête vers lui avec sa main, et d'y déposer un petit bisou. « T'as plutôt intérêt.. Si jamais tu ne reviens pas, je viendrais te chercher personnellement.. » Cette fois, il avait retrouvé le timbre de sa voix normal, et il avait lancé ça comme une promesse. Parce que oui, elle avait plutôt intérêt à revenir. Qu'elle soit sourde ou pas, il s'en fichait. De toute façon, il gueulerait tellement fort qu'il sera impossible qu'elle ne puisse l'entendre.

Et puis, alors, il comprit que ce petit moment là qu'ils partageaient ensemble serait peut-être le dernier. Elle comptait partir, ne lui laissant presque pas le choix. Il s'était retourné vers elle, quelque peu stupéfait. Il ne s'attendait pas à un départ si soudain. Et dans sa tête, il ne cessait de se demander si elle serait partie comme ça, sans le voir, si il ne l'avait pas croisé par pur hasard ce jour-là. Mais heureusement, rapidement elle se mit à rire, lui autant les doutes qu'il avait jusqu'à présent. « Ben non, pas dans la seconde mais... Bientôt. » Bientôt.. Ca voulait dire quoi, « bientôt » dans la tête d'une fille? Dans un jour? Dans deux jours? Dans une semaine? Dans deux semaines? A ses yeux, ça changeait tout. « Je pense partir en fin de semaine. Patrick va m’acheter les billets d’avion ce soir. » La fin de la semaine. Ca faisait peu de temps encore, quelques jours tout au plus. Elle n'aurait jamais le temps de dire au revoir à tout le monde. Peut-être même pas à Ella, et à Lleyton. « J’essayerai de passer chez vous. » Il espérait bien. Il ne savait pas trop comment Jona et Ella s'étaient mises à bien parler ensemble et à s'apprécier, mais il s'en fichait. Ce qui comptait maintenant, c'est que ses ami(e)s s'entendaient tous bien avec Ella. Ca suffisait à son bonheur. « J'espère, je suis sûr qu'ils seront contents de te voir.. » Même pour une dernière fois avant un long moment..
Le regard rivé sur elle, il ne cessait de penser à quelque chose. Et si ils ne s'étaient pas retrouvés tous les deux, par hasard. Ce serait-elle sauvé comme ça? Sans rien dire? En prenant un billet d'avion, et en s'éclipsant rapidement hors d'Arrowsic. Ses yeux sur elle, il finit alors par lui demander. « Tu as prévenu Teddy, et tout le monde? Et Jona.. Tu.. Tu serais partie sans rien dire si je ne t'avais pas croisé là? » Il voulait savoir; juste pour au moins lui expliquer qu'elle comptait, et qu'elle n'avait pas à quitter la ville comme une voleuse.

Je lui ai promis, de revenir. De revenir grandie, meilleure. J’essaye de ne pas trop pensé au fait que très bientôt, je ne verrai plus mon petit blond, que très bientôt je serai séparée de mon meilleur ami. Je sais que c’est pour mon bien, mais ça me fait tout de même un pincement au coeur. « T'as plutôt intérêt.. Si jamais tu ne reviens pas, je viendrais te chercher personnellement.. » Ça, je n’en doute pas. Et je sais que quoi qu’il arrive, peu importe combien de temps je prends à revenir, il m’attendra. Notre amitié est réelle. Notre amitié est profonde, et belle. Finalement, avec le recul je peux comprendre la jalousie d’Ella, avant. Mais maintenant qu’elle me connait, elle sait à quel point il n’y a pas d’ambiguité. Elle sait à quel point Mattia est simplement comme mon frère.

J’avoue à mon ami que mon départ est plus qu’imminent, que je vais partir à la fin de la semaine, déjà. Mais je dis que j’essayerai tout de même de passer voir Lleyton et Ella, histoire de dire aurevoir. « J'espère, je suis sûr qu'ils seront contents de te voir.. » Ça me ferait plaisir, à moi aussi. Même si je redoute de dire aurevoir, même si j’aurai préférer éviter tout ça et partir sans un mot. D’ailleurs, il pose la question. Question légitime après tout. « Tu as prévenu Teddy, et tout le monde? Et Jona.. Tu.. Tu serais partie sans rien dire si je ne t'avais pas croisé là? » Comment lui dire ? Comment lui dire la vérité sans le decevoir ? Mon sourire s’éteint. Et je baisse doucement la tête.

« Non, je n’ai rien dit à personne. » De nature discrète sur mes problèmes, je m’étais pas mal renfermée ces derniers temps. Je ne vais pas m’en cacher, je n’aime pas parler de ce qui va pas. Quant à sa deuxième question, si je comptais partir sans un mot, ça se complique. Je me pince les lèvres. « Oui... » Ma voix tremble. Je me dois de donner plus d’informations, de ne pas me cantonner qu’à ce petit « oui ». « Je sais, je suis lâche. Je dois avouer que je me suis dit que ce serait plus facile pour moi de partir sans dire aurevoir. Je sais que c’est ce qu’il y a de mieux pour moi et j’avais peur que te voir, vous voir me fasse renoncer au départ... »

Assis là, à ses côtés, il sent bien que quelque chose ne va pas. Sa souffrance est lisible sur son visage, et est bien réelle. Il se doute bien que plus rien n'est comme avant, depuis ce jour terrible. Ce jour-là, ils ont tous perdu leur innocence; ils ont vu des gens formidables se faire tuer d'une balle bien visée. Cette vision d'horreur les poursuivra jusqu'à la fin de leurs vies; Arrowsic était devenu depuis ce drame l'El Dorado des psychiatres et psychologues. Johar, Calaan et bien d'autres ne devaient pas être touchés un seul instant par le chômage. Mais si Mattia avait parfois du mal à s'endormir, il n'en était pas moins que son drame à lui était bien plus surmontable que pour d'autres. L'avenir était plus dur à percevoir, sans doute, quand on a perdu un bout de soit ce jour-là. C'était le cas de Teddy et de Jona. Comme pour d'autres encore. Comment ils font eux pour s'en sortir? Comment ils peuvent se regarder dans un miroir, voir leurs cicatrices, et se dire qu'ils sont chanceux de vivre? Comment ils peuvent voir les gens leur parler sans comprendre ce qu'ils disent? Ce jour-là, l'innocence avait été perdue par tout le monde..

Et Jona en souffrait. Elle ne pouvait plus entendre correctement. Son oreille lui avait fait faux-bond. Pire que le physique, c'était aussi le moral qui avait mal. Déjà fragilisée par toutes les rumeurs sur elle, les conneries qu'elle avait fait, il avait fallut qu'elle refasse la une des journaux. Comme si déjà, ça ne suffisait pas. Et pire que tout, elle serait même partie sans rien dire. A peine Mattia avait-il posé sa question qu'il sut directement sa réponse. Le sourire de Jona s'était évaporé. Ses yeux s'étaient baissés. Elle serait parti sans rien dire. Sans laisser d'adresse, comme on dit.« Non, je n’ai rien dit à personne. » Bien.. Le tennisman lui jeta un petit regard avant de soupirer un grand coup. Il avait bien douté; elle se serait volatilisée comme cela, d'un coup. « Oui... » Et la suite? Parce que là, Mattia n'attendait que ça: savoir la suite. Elle ne pouvait pas se contenter d'un petit mot. « Je sais, je suis lâche. Je dois avouer que je me suis dit que ce serait plus facile pour moi de partir sans dire aurevoir. Je sais que c’est ce qu’il y a de mieux pour moi et j’avais peur que te voir, vous voir me fasse renoncer au départ... » Secouant la tête, il se laissa soupirer une deuxième fois. Il n'était pas en colère, il était juste un peu énervé. Il ne voyait pas pourquoi elle serait partie comme ça, sans les prévenir, même si elle n'aimait pas les au revoir. Ca, c'était une fausse excuse. « Jona.. Il y a toi et les autres, je suis d'accord là-dessus. Mais sérieusement tu crois que ça aurait été mieux si tu te serais barrée comme ça, sans nous prévenir? Tu te vois là-bas à répondre à nos sms incessants et quelque peu énervés?Tu crois vraiment que c'est mieux de ne pas dire au revoir? T'aurais aimé, toi, que je me barre comme ça? Sans te prévenir? Sans rien dire? » Il s'interrompit un instant, comprenant avec stupeur qu'il n'était pas si gentil que ça là. Son bras toujours autour d'elle, il vint lui faire un petit bisous sur le front. « T'aurais fait une connerie.. Va les voir.. Va le dire à Teddy, va voir les autres, mais ne pars pas comme ça.. je suis sûr que tu le regretteras sinon. Et puis, tu sais, avec ce qu'on a vu, on peut comprendre ton départ. »

Affronter Mattia, lui dire pour mon départ, lui dire pour mon intention de partir sans dire au revoir... C’est dur. J’ai du mal à l’avouer, j’ai du mal à dire, à prononcer les mots et lui, quelque part, il a du mal à les recevoir. C’est jamais facile, de dire au revoir. C’est jamais facile de partir quand on ne sait pas quand on reviendra. Ça déchire le coeur d’être loin de ceux qu’on aime. C’est comme abandonner une partie de soi, avancer ailleurs alors que l’on est incomplet. C’est dur. Trop dur. Mais cette fois, je sais que c’est nécessaire. Je sais que je reviendrai plus forte et que je pourrais enfin être l’amie que Mattia mérite. Mattia et tous les autres.

« Jona.. Il y a toi et les autres, je suis d'accord là-dessus. Mais sérieusement tu crois que ça aurait été mieux si tu te serais barrée comme ça, sans nous prévenir? Tu te vois là-bas à répondre à nos sms incessants et quelque peu énervés?Tu crois vraiment que c'est mieux de ne pas dire au revoir? T'aurais aimé, toi, que je me barre comme ça? Sans te prévenir? Sans rien dire? » Il est plutôt sec, il s’emballe un peu. Mais je sens que presque immédiatement, il s’en veut et il stoppe sa tirade. Puis, il continue. Après avoir déposé un léger baiser son mon front. « T'aurais fait une connerie.. Va les voir.. Va le dire à Teddy, va voir les autres, mais ne pars pas comme ça.. je suis sûr que tu le regretteras sinon. Et puis, tu sais, avec ce qu'on a vu, on peut comprendre ton départ. » Il a raison, quoi dire de plus. Mais parfois, pour moi, fuir sans rien dire semble toujours plus simple que d’affronter les autres, les regards, les déceptions. « Je sais que c’est ridicule, mais je crois que... J’avais peur de vous décevoir. J’avais peur de vous montrer que je ne suis pas assez forte pour me reconstruire toute seule. » Je marque une pause, moi aussi. Je respire profondément. J’ai envie de partir, de rentrer chez moi et de faire ma valise. Je sens que plus je reste, plus ce sera douloureux. Je déteste les aurevoirs. Vraiment. « Tu as raison. J’aurais été triste si tu ne m’avais pas dit au revoir. »

Mattia, c’est mon meilleur ami et ce n’est pas par hasard. On se ressemble sur certains points. Je rigole avec lui, comme avec personne. Mais ça fait longtemps qu’on a plus ri tous les deux, beaucoup trop longtemps. Et j’ai besoin d’être cette Jona-là à nouveau. Cette Jona qui lui arrachait un bon nombre de fou rire. J’ai envie de retrouver ce duo de fou qui sont prêts à tout pour s’amuser. « Notre amitié me manque. » Il me regarde bizarrement. Je le sens. « Je veux redevenir la Jona qui te fait pleurer de rire. » Je m’accroche à son cou et je dépose un baiser sur sa joue. « Je t’adore Mattia. »

Je me relève, doucement. Il me regarde, à nouveau, sans comprendre. « Plus je reste, plus j’aurai du mal à partir et tu sais qu’il le faut, que c’est ce qu’il me faut. » Je plonge mon regard dans le sien. Avec émotion, je murmurre: « À bientôt Matti’. »

C'était horrible quand même. Il se sentait contraint et forcé de laisser partir Jona sans rien un mot, sans dire ce qu'il pensait vraiment, sans lui dire qu'elle serait aussi bien, ici, avec eux. Mais le regard attristé de la jeune fille, son sourire se perdant dans ses souvenirs l'en dissuadaient. Il ne pouvait pas la supplier de rester. Même si ils avaient mal au coeur de la laisser filer. C'était sa vie; il fallait qu'elle vive pour elle. L'égoisme n'avait aucun rôle à jouer quand il s'agit d'amis. Il faut laisser ses amis faire ce qu'ils veulent. Si pour aller mieux, il fallait aller à l'autre bout du monde, il faut les laisser faire; même si on est triste. Son confort passe avant tout. Sa surdité était devenue un handicap. A cause de lui. A cause d'un connard supplémentaire dans ce monde.
Le regard rivé sur la jeune fille, Mattia repensa à ce jour-là. Au rendez-vous qu'il avait avec Teddy. A l'absence de Teddy. Aux coups de feu. Aux morts. Aux blessés. Ce jour-là, ils avaient tous perdu un peu de leur innocence; Jona avait perdu encore plus. Encore heureux que ce Liam était mort, tué par sa propre balle. Si il n'avait pas eu le bonheur de se suicider, les gens l'auront tué. Et encore heureux que Mattia ne savait pas toute la vérité, qu'il ne savait pas comment Jona s'était blessée; il aurait été capable de retrouver l'endroit où il repose, et de le vandaliser.
Mais Mattia espérait quand même que la jeune fille ne se sauve pas comme ça. Comme une voleuse. Il espérait que les autres puissent lui faire un bisou avant qu'elle ne monte dans cet avion; chose qu'elle refusait. « Je sais que c’est ridicule, mais je crois que... J’avais peur de vous décevoir. J’avais peur de vous montrer que je ne suis pas assez forte pour me reconstruire toute seule. » Elle s'arrêta un instant. Les yeux du tennisman étaient toujours posés sur cette tête blonde. Elle souffrait, ça se voyait. Elle devait détester les au revoir. Il la comprenait; là il commençait à ressentir quelques frissons. « Tu as raison. J’aurais été triste si tu ne m’avais pas dit au revoir. » Il avait toujours raison; quand est-ce qu'elle s'en souviendrait? Un faible sourire apparut sur son visage alors. « Notre amitié me manque. » Leur amitié? Ils ne s'étaient pas quittés que leur amitié lui manquait déjà? Les sourcils froncés, le regard rivé sur elle, son bras toujours autour de son cou, il la regardait étrangement, comme si c'était une folle. « Je veux redevenir la Jona qui te fait pleurer de rire. » Elle s'accrocha à lui et lui déposa un baiser. « Je t’adore Mattia. ». Dans un murmure, il répondit aussi « Je t'adore aussi Jojo »

Et là, c'était le moment. Elle se releva alors. Il n'arrivait pas à croire qu'elle allait se tailler là, qu'elle allait faire quelques pas, qu'elle allait se retourner une fois, et qu'elle allait continuer sa route, loin d'eux. Loin d'Arrowsic. « Plus je reste, plus j’aurai du mal à partir et tu sais qu’il le faut, que c’est ce qu’il me faut. » Son regard rivé sur lui, elle commença alors à murmurer quelques mots. Même si elle était un peu plus loin, il l'entendait distinctement. « À bientôt Matti’. » A bientôt. Dans combien de temps bientôt? un mois? Six mois? Un an? Beaucoup de choses auront changé quand ils se reverront. Il sera peut-être dans le top 50. Elle sera peut-être maman. Ou alors, ils seront peut-être en retraite. Avec un sourire, la gorge enrouée par l'émotion, les yeux embués, il lui lança alors « Reviens vite Jona! Tu vas nous manquer.. »