Le vent tourne, il emporte avec lui toutes sortes de choses… Les bonnes comme les mauvaises, afin de faire table rase du passé, permettre d’évoluer. Pour le moment, Lexie n’avait pas eu cette chance : celle de voir les mauvais souvenirs s’effacer au profit de meilleurs. Non, seules les bonnes choses s’en étaient allées, la laissant dans un fouillis de bons souvenirs qui n’avaient plus que sa mémoire pour les ramener à la vie. Souvenirs d’une époque où il faisait bon vivre… Sa vie n’avait pas été toute rose, mais elle avait connu l’amour, celui avec un grand A. Elle avait toujours aimé sa famille qui le lui avait très bien rendu… Et il y avait eu Aaron. Le seul et unique qui compta vraiment pour elle. Il avait été si important à ses yeux que sa trahison n’en devenait que plus grave encore. L’abandon, elle ne l’avait jamais digéré. Et elle n’oublierait jamais non plus, le goût amer qui était resté en travers de sa gorge, alors qu’elle apprenait qu’il s’était bien fichu d’elle…

Mais aujourd’hui, elle n’avait pas le droit de lui montrer sa colère. Pas même son incompréhension. Non, elle devait jouer le jeu, et se donner, à tout prix, les moyens de réussir. Peu importaient ses propres sentiments. De toute façon, il lui avait brisé le cœur et c’était la seule chose qui soit encore sûre, à l’heure actuelle, pour la jeune femme. C’était amusant, comme les choses semblaient, sans cesse, se liguer contre elle. A croire qu’elle avait profondément contrarié une divinité quelconque et qu’il se plaisait, à présent, à s’acharner sur elle. Espionner son ex fiancé qui était à présent marié et roucoulait tout ce qu’il savait avec sa femme… C’était si ridicule… Quelque soit la farce, elle en était toujours le dindon. A se faire avoir, quoiqu’elle fasse, quelque soit la voie qu’elle pouvait choisir. Ce n’était pas juste. Mais après tout, qui a dit que la vie était juste ? Personne, n’est-ce pas ? Et encore moins Lexie.

Elle était arrivée depuis peu à Arrowsic et cherchait un endroit où vivre. Rester chez les Cooper ce n’était certainement pas viable. Oh, elle n’en était, certes, que mieux disposée pour les observer, mais elle tenait tout de même un minimum au peu de santé mentale qu’il lui restait et si elle devait encore supporter ce petit ménage plus longtemps, elle finirait plus folle qu’elle ne l’était déjà… Et puisque la névrose avait déjà dévoré la moitié de son cerveau, elle tenait à maintenir la seconde moitié à peu près en état… Le soucis suivant, c’étaient les finances, parce qu’elle ne roulait pas sur l’or et qu’un appartement, même si ce n’était pas New York, c’était cher… Alors quand elle avait vu l’annonce, proposant une colocation, elle s’était di : après tout, pourquoi pas ? Elle avait donc rapidement contactée la jeune femme. Et elles s’étaient données rendez-vous.

Il était dix huit heures précises, lorsque Lexie franchit la porte du bar. La jeune femme rejoignit celle qui avait mis l’annonce et s’assit à côté d’elle. Se débarrassant de sa veste beige et de son écharpe blanche, la brunette adressa un léger sourire, poli, à sa voisine de comptoir :

« Bonjour, c’est bien moi, oui. Enchantée. »

Ou pas, pour l’instant, elle ne se méfiait pas. De toute façon, il n’y avait pas pire ennemi sur la planète que le couple Cooper… Donc en soit, après avoir vécu le pire, elle ne voyait pas vraiment ce qu’elle était censée craindre. Elle observa rapidement sa voisine. Lyssandra était jolie et devait avoir dans ses âges. Elle était brune, avec de jolis yeux clairs… Elles n’avaient que ça en point commun. Lyssandra dégageait quelque chose que Lexie n’avait jamais eu et n’aura jamais. Difficile de dire quoi exactement. Lexie n’arrivait pas à mettre de mots sur ses idées. Pas sur cette idée là, en tout cas. Elle commanda un thé, et se lança dans la discussion que les intéressait toutes les deux, à savoir, la colocation :

« J’ai vu ton annonce, hier, j’espérais qu’elle était toujours d’actualité… Ton appartement se situe où ? Je viens juste d’arriver alors je ne connais pas vraiment, encore… Bien que j’ai le sentiment qu’une fois que je me serais décidée à faire le tour, je l’aurais plutôt vite fait… »

Après tout, elle passait du tout au rien. De New York au trou du c*l du monde… Tout ici allait contre ce à quoi elle avait toujours été habituée. Les grands espaces, la foule… Oh, il y avait de l’espace ici, certes… Mais normalement, dans son monde à elle, dans le monde citadin qu’elle avait toujours connu, les grands espaces allaient avec une foule tout aussi dense. Ici, elle avait le sentiment de reconnaître à peu près toutes les personnes qu’elle croisait, alors qu’elle était là depuis peu… A croire que tout le monde finissait par se connaître. C’en devenait effrayant.

Appartement, maison… Peu importait, à vrai dire, tant que le logement correspondait à un certain nombre de critères que la jeune femme s’était d’hors et déjà fixés. Il ne devait pas être au-dessus de ses moyens, jusque là c’est plutôt logique. Il ne devait pas être trop proche de chez les Cooper, mais assez quand même pour pouvoir observer Aaron tout son saoul. Après, à partir du moment où elle avait une pièce pour elle, qu’elle était un minimum indépendante, comprenons bien par là que sa coloc’ ne se mette pas en tête de l’épier, ou de bouffer chaque petite parcelle de sa vie privée… Ironique, comme désir, de la part de la fille qui est venue dans ce coin pommé uniquement pour espionner son ex fiancé, non ? Lexie n’en demandait pas plus. Aussi la jeune femme hocha-t-elle doucement la tête :

« D’accord, je demande à voir alors. Maison, appartement, en soit je n’ai pas de préférence, du moment que le loyer et les charges restent à ma portée. »

Plutôt logique, en soit, non ? Il était évident que dans le cas contraire, parler colocation serait inutile.

« Ca reviendrait combien par mois, du coup ? »

Qu’elle commence à faire ses petits calculs, encore qu’elle les avait déjà plus ou moins faits… Ses sources de revenu étaient maigres. Elle travaillait pour un tout petit magasine, à distance. Certaines fois, elle serait, certes, amenée à se déplacer pour des réunions importantes, mais sinon elle pouvait très bien travailler ici. Sa principale source de revenus s’avérait être plutôt l’argent versé par ex beau papa pour son petit travail d’espionne à son compte… Mais elle avait aussi ses emprunts à rembourser, et ce n’était pas gagné… trop d’emprunts, pas assez de revenus. Du coup, elle mettait l’argent de l’espionnage le plus de côté possible pour rembourser le tout. Peut-être trouverait-elle aussi un petit job comme serveuse ou elle ne savait trop quoi d’autre, à mi temps, pour renflouer les caisses… Ce serait un souci à voir plus tard.

A la question de Lyssandra, Lexie revint sur terre. Posant ses prunelles azur sur les traits de son interlocutrice, elle esquissa un petit sourire :

« Une petite semaine, à peine. Et toi ? J’ai cru comprendre tout à l’heure que tu étais là depuis peu, aussi ? »

Elle s’abstint de préciser où elle vivait à l’heure actuelle (à savoir chez son ex fiancé). De même qu’elle préférait ne pas préciser quel lien il y avait très exactement entre Aaron Cooper et elle. C’était vraiment trop compliqué, pas joyeux du tout, en prime, et beaucoup trop prise de tête. Et histoire d’en savoir un peu plus sur la colocation possible et envisageable, elle s’enquit :

Et sinon, tu travailles dans quel secteur ? »

Histoire de savoir avec qui elle s’apprêtait à entrer en colocation, tout de même. Il était hors de question de s’engager dans un gouffre financier, elle avait assez de soucis comme ça pour le moment… Et puis, pour la culture, parce que ça n’a jamais tué personne de se renseigner :

« Tu as des animaux d‘ailleurs, dans ta maison ? »

Pas que leur présence puisse vraiment gêner la jeune femme, simple curiosité… Savoir si elle s’apprêtait à pénétrer dans un zoo ou non.

Très franchement, c’était une bonne affaire, du point de vue de Lexie. Ceci étant, les colocations, à la base étaient forcément plus intéressantes, financièrement parlant que de vivre seul : plus de surface, plus de moyens… A condition de supporter l’autre, cela va de soit. Lexie n’étant pas forcément difficile à vivre, elle ne s’inquiétait pas trop de possibles problèmes d’ententes avec sa colocataire. Sauf si cette dernière était la première des fouines, là, en effet, elle pourrait craquer et devenir méchante, mais à part ça… Elle ne se posait pas vraiment de questions. Tout semblait intéressant, à partir du moment où elle ne se ruinait pas et où elle s’éloignait, un petit peu, tout du moins, du cocon Cooper qui la rendait folle à lier.

Et puis, à côté de la Pomme, al vie ici était donnée. Aussi bien pour les loyers que pour tout ce qui touchait de près ou de loin à la vie de tous les jours. Vivre à New-York, c’était bien plus onéreux que de vivre dans le trou du cul du monde, c’est un fait, c’était même scientifiquement prouvé.

Etant donné qu’il serait malvenu qu’elle ne réponde rien, Lexie hocha doucement la tête et sourit à la jolie brune :

« Ok, c’est beaucoup moins que ce que je craignais… C’est cool. »

Traduction : elle était plutôt partante ! Après il fallait visiter un peu, évidemment. Jadis, elle aurait été tentée de demander à Aaron s’il connaissait Lyssandra, s’il pensait qu’elles pourraient avoir une colocation tranquille, toutes les deux. Mais à présent, il était hors de question de s’intéresser de près, comme de loin, à l’avis que pouvait avoir son ex fiancé de sa situation. A vrai dire, Lexie aurait plutôt été satisfaite qu’il s’inquiète un peu pour elle. C’était puéril, mais elle le voyait ainsi.

Lexie partageait parfaitement le point de vue de Lyssandra. Elles avaient donc au moins quelques points communs : Elles étaient fauchées, et elles préféraient vivre à deux… Ou plutôt pas toutes seules, quoi.

« Je voie, on se retrouve entre nouvelles alors. »

Les gens ici n’étaient pas du genre accueillant, alors ? Ceci étant, à New-York ce n’était pas la chaleur de l’accueil qui marquait les esprits, donc pour Lexie, l’arrivée à Arrowsic n’avait pas été trop dépaysante de ce côté-ci…

Chercheuse en histoire ? Ce n’était pas vraiment le genre de truc qui passionnait Lexie, bien qu’il y ait pire, quand même comme… Hum… Les mathématiques ? Elle se contenta donc de répondre :

« D’accord, elles sont sur quel sujet ? »

Parce que chercher à Arrowsic c’était un peu étrange, du point de vue de Lexie. Après, elle n’y connaissait rien en la matière, non plus, mais elle pensait que les personnes qui travaillaient dans l’histoire étaient la moitié du temps dans les bouquins et passaient l’autre moitié du temps à voyager…

« Moi je suis journaliste. Enfin, je viens de finir mes études… »

Parce que bon, niveau journalisme, là, elle était au point mort. Elle avait un job de misère par correspondance et beaucoup de temps à tuer…

Quant aux animaux, Lexie sourit :

« Je ne sais pas trop si j’en prendrais un, mais je préférais me renseigner… »

Simple curiosité. C’est ça, quand on est journaliste, on ne peut pas s’empêcher de fouiner… De demander, d’enquêter…

« Tu pourrais me faire visiter prochainement ? »

Plus vite elle quitterait le toit Cooper, mieux ce serait !

Le Maine. La réponse à tout. Répondant au sourire de Lyssandra, Lexie hocha la tête, amusée :

« Oui, c’est sûr… Rien à voir avec New-Tork, là… »

Et ce sur tous les points de vue… Bon ok, sauf la langue. On restait en Amérique, donc forcément… Laissant de côté ces quelques aspects pratiques qui étaient grossos modo réglés, Lexie jugea bon de se centrer sur le côté humain. Car après tout, une colocation, c’était, du moins jusqu’à preuve du contraire, vivre avec d’autres personnes, même si là en l’occurrence ce n’était qu’une seule autre personne, et il valait mieux se préparer un minimum. Savoir si oui ou non, il y avait une compatibilité humorale avec celle qui serait, visiblement prête à partager un morceau de sa vie avec elle. Pas négligeable en soit. Elles parlèrent donc boulot. Lyssandra expliquant en quoi consistaient exactement ses recherches à la jeune femme. Lexie l’écoutait avec attention. Cela lui semblait être absolument fascinant. Curieuse de nature, elle s’intéressait, en règle générale, aisément aux activités d’autrui.

« Oh, ça a l’air aussi intéressant que complexe. Tu serais partante pour m’en parler ? Je n’y connais pas grand-chose, mais ça a l’air absolument fascinant… »

Puis se rappelant soudain qu’elles n’étaient pas forcément là pour parler ‘chiffon’ mais plutôt ‘maison’, elle se mordilal la lèvre inférieure, tic qu’elle avait depuis un certain nombre d’années, à présent, lorsqu’elle réalisait qu’elle aurait mieux fait de se la fermer. Elle se reprit :

« Eu, désolée, je m’embale un peu… Je dirais bien déformation professionnelle… sauf que même avant de me lancer dans le journaliste j’avais tendance à m’intéresser un peu à tout et à fouiner un peu… »

Et BIM ! La boulette bis. Et si jamais Lyssandra s’imaginait qu’elle risquait de prendre chez elle une grosse fouine qui n’aurait de cesse que de récolter tout et n’importe quoi sur son compte ??? Erreur, certes, la personne espionnait n’était pas Lyssandra mais une toute autre personne… Sauf que ça, elle n’allait pas le dire, déjà, et en plus… Ben ce n’était pas non plus dans les activités classées comme étant ‘naturelles’ chez les journalistes…

« Enfin je dis ça, mais je ne compte pas non plus te bouffer l’atmosphère, si on devient colocataire. Je respecte les vies privées de gens. Tout comme je tiens à ce qu’on respecte la mienne. »

Voilà, donc si jamais Lyssandra s’attendait à des soirées bonbons, glace et confession sur toutes les horreurs qu’avait pu faire Lexie dans sa vie, comme, à tout hasard : coucher avec son psy alors qu’elle était toujours avec son fiancé, ou encore espionnait, à l’heure H ce dernier pour le compte de son ex beau père… Et ben elle se plantait royalement !

Et pour ce qui tenait de visiter les lieux… Lexie jeta un coup d’œil à sa montre, histoire de… Elle devait rejoindre Aaaron dans une quinzaine de minutes, ça alalit être un peu trop tendu pour se faire la visite entre temps. Mais elle avait envie de la faire au plus vite, aussi répondit-elle avec professionnalisme :

« Là je vais être un peu juste, je dois rejoindre eu… un ami, mais on peut se dire demain peut-être ? Je suis disponible à l’heure que tu veux. »

Voilà, et elle allait en profiter pour chercher un job pour compléter celui qu’elle avait là. Parce que journaliste à temps plus que partiel additionné d’espionne pour m’sieur Cooper c’était pas un truc de fou, niveau finances et elle avait son futur loyer, du moins l’espérait-elle sincèrement, doublé de ses études trop onéreuses à rembourser au plus vite à combiner… Une fois le rendez-vous fixé pour le lendemain, elle quitta les lieux, rejoignant Aaron pour le meilleur et pour le pire. Même si là, elle nageait dans le pire en touchant toujours un peu plus le fond…