Les bancs de neiges commençaient à fondre, le soleil pointait son nez derrières les nuages. Les arbres étaient toujours nus et n’arboraient pas de bourgeons, mais on pouvait tout de même sentir l’eau couler dans les érables. Les bourrasques de vents se faisaient plus chaudes et moins fortes, les averses de grêle s’étaient transformées en pluie. Le printemps était arrivé à Arroswic. Lorsque Phoebe s’était installée dans la ville, c’était le royaume des neiges, on avait peine à voir la démarcation des trottoirs et de la rue et maintenant elle en observait chaque ligne. Elle s’amusait parfois à les éviter, comme un enfant le ferait. Ça lui donnait une démarche étrange, des petits pas et puis des grands. Elle appréciait les derniers au revoirs de l’hiver, mais elle était tout de même impatiente à l’idée de voir l’été arrivé. Le printemps, c’était un bon début, mais il n’amenait pas la même sensation de liberté que les rayons chauds du soleil pouvaient offrir.

Optimiste, pour une fois, Phoebe était allée se balader dans le petit parc non loin de chez elle. Il n’était pas très grand, mais il comportait tout de même les attraits nécessaires. Une aire de jeu, un terrain de basket ball et une multitude de bancs où se reposer. C’était justement là qu’elle avait décidé de s’asseoir, contemplant le paysage autour d’elle et songeant à toutes sortes de choses. Des plus banales au plus compliquées, des plus simples aux plus existentielles. « Est-ce que je fais des pâtes pour le dîner, ou alors je mange un bon sandwich? Est-ce qu’il y a des écureuils volants dans ce parc? J’aime bien leur fourrure rousse… Être ou ne pas être? Est-ce qu’on est seul dans l’univers? Est-ce que j’ai oublié d’éteindre le four en partant? » Phoebe sautait d’une idée à l’autre, sans même se fatiguer. Son esprit tournait comme un hamster dans sa roue.

Un craquement de branche lointain la fit sursauter. Elle était tellement prise dans ses questionnements qu’elle n’avait pas remarqué le nouvel arrivant du parc. Jusqu’à présent, elle n’avait vu que quelques écureuils et un chat errant, mais pas de compagnie humaine. Le parc devait être plus achalandé quand la température le permettait. La personne qui avait causé ce bruit avançait tranquillement vers elle. Une fille, pas très grandes, cheveux longs et bruns. Elle semblait seulement traverser le parc pour se rendre à une destination inconnue. Elle n’avait pas cette nonchalance des gens qui se promènent. Lorsque l’inconnue arriva à sa hauteur, Phoebe s’étonna de la reconnaître. Elle n’avait pas fait beaucoup de rencontres jusqu’à présent, c’était étrange de voir un visage connue.

Sutton. Elle l’avait rencontrée lors d’une de ses rares sorties au bar de la ville. Phoebe ne sortait pas souvent, parce qu’elle était timide et qu’elle n’avait personne avec qui le faire. Cette soirée là, pourtant, elle avait décidé d’y aller quand même, de forcer sa coquille et d’en sortir. Elle avait fait la connaissance de Sutton quand celle-ci l’avait violemment bousculée, ivre. Phoebe ne s’en était pas offensée et avait préféré aider Sutton vers la sortie.

« Sutton? » La jeune fille retourna la tête.

Spoiler:

Ce fut par une fin de matinée encore froide pour la saison que Sutton termina le boulot. Maintenant que Fernando avait quitté définitivement son appartement, elle n'avait plus que la grande maison de Braxton à nettoyer. Elle attendait avec hâte que son premier patron lui donne le feu vert pour commencer l'aménagement du local qu'il venait de louer pour sa future galerie. Elle pensait énormément à cette rénovation, ces temps-ci. Elle qui bossait comme femme de ménage depuis son arrivée à Arrowsic, il y a deux ans de cela, cela la changerait énormément. Ce travail allait être nettement plus gratifiant que récurer assiettes et planchers. Songeuse, elle réajusta son bonnet sur ses oreilles en entrant dans le parc Kennedy.
Celui-ci n'était pas bien grand, mais tout dans cette ville était en petit format. Après avoir passé presque toute sa vie à New York, son arrivée à Arrowsic avait été pour le moins... dérangeante. Cette ville était une sorte de modèle réduit. Tout y était plus petit, les rues, le parc, les commerces... Elle avait été, de prime abord, complètement déroutée. Et puis, elle s'y était faite. Elle avait appris à aimer ce parc qu'on pouvait traverser en cinq minutes, contrairement à Central Park, elle avait appris à choyer les habitants plus avenants et souriants que ceux de la Grosse Pomme, elle avait appris à apprécier les rues miniatures où l'on ne pouvait jamais se perdre, chose impensable à New York City. Sutton avait changé, depuis son arrivée. La vérité, c'était que désormais, elle ne se voyait pas re-déménager là bas. Non seulement car elle avait ses attaches, ses proches, sa nouvelle famille, à Arrowsic, mais aussi car elle était tombée amoureuse de ce trou paumé. Retrouver la folie urbaine n'était donc pas dans ses priorités.
Pensive, Sutton ne faisait aucunement attention à ce qui l'entourait. Elle marchait d'un pas décidé, traversant le parc pour retourner à son appartement. Elle ne jetait même aucun œil à ce, ou ceux, qu'elle pourrait croiser. La fraîcheur de cette fin de matinée avait eu raison des habitants, préférant encore rester bien au chaud dans leurs canapés. Et puis, il y a avait le marché sur la grand place, rendez-vous immanquable pour les petits vieux qui peuplaient la ville. Occasion d'échanger ragots, on-dit, nouvelles et autres recettes de grand mère.

Ce ne fut qu'en entendant son prénom que la jeune fille sortit de ses pensées. Les sourcils froncés, elle jeta un œil autour d'elle, cherchant du regard qui l'avait hélée de la sorte. Un sourire apparu sur son visage lorsqu'elle reconnu la belle. « Phoebe ! Quelle surprise ! » lança-t-elle à son amie en s'approchant d'elle, pour lui faire la bise. « Ben alors, qu'est-ce qui t'amènes dans le coin à une heure pareille ? »