Serrant dans ses bras son petit garçon, Mattia lui murmurait à l'oreille quelques mots. Le pauvre bébé hurlait, pleurait. Il avait de la fièvre, et il était inconsolable. Depuis une heure déjà, le jeune papa essayait tous les moyens, avec sa maman, pour calmer son fils. Mais impossible. Le bambin souffrait. Il devait avoir mal quelque part; ses yeux déformés étaient gonflés, et à force de pleurer, le petit n'avait pas dormi, ce qui l'énervait sans doute encore plus. Il le consolait comme il pouvait, tandis qu'Ella avait décroché le téléphone pour avoir rendez-vous chez le docteur. Devant y aller sous peu, Mattia avait laissé Ella se préparer -malgré l'heure avancée, elle était encore en pyjama-. Le gamin avait finit par s'endormir, transpirant à grosses gouttes, et reniflant par moment. Quelque peu soulagé qu'il puisse un peu se reposer comme ça, Mattia l'avait déposé dans son parc -histoire de ne pas lui refiler, en plus, sa chaleur-, et l'avait observé.

Lleyton était magnifique. Plus il grandissait, plus il ressemblait à Ella. Il avait la même expression sur visage quand il se frustrait, et quand il souriait, c'était le portrait craché de sa mère. Caressant doucement son fils, Mattia repensait à tout ce qu'il avait faillit perdre. Au fond, Neela, Felix, Ashton et tous les autres avaient raison; il n'y avait pas meilleure vie que celle d'être avec sa famille. Maintenant il s'en voulait d'avoir été plus ou moins audieux avec eux; ils avaient juste voulu l'aider, et aider Ella.. Elle avait besoin d'aide maintenant. Il s'en rendait de plus en plus compte. Quand sa main frôlait sa peau, il sentait plus que d'habitude ses os. Quand son visage effleurait le sien, il trouvait ses joues vides. Et puis, surtout, ses yeux en disaient longs sur l'état de fatigue avancé dans lequel elle se trouvait. Tout ça, à cause de lui. Il avait l'impression d'être le coupable; il avait fait souffrir Ella comme jamais, et maintenant, elle en payait le prix. Alors, pour se racheter, Mattia essayait d'être irréprochable. Il s'occupait de plus en plus de Lleyton, prétextant même vouloir passer un temps seul entre père et fils, pour laisser Ella se reposer un peu.
Trouvant le temps long, Mattia jeta un coup d'oeil sur la montre. Ella était partie se préparer depuis déjà dix minutes. Qu'est-ce qu'elle faisait? Jouant une dernière fois avec les cheveux blonds de son fils, Mattia murmura un « Je vais voir maman.. Je suis juste à côté », avant d'attraper ses béquilles, et de se diriger vers leur chambre.

Il était sur le seuil de la chambre, lorsqu'il vit alors, Ella se retourner vers lui. En petite jupe et débardeur, elle était toujours aussi ravissante, même si bien moins en chair. Elle s'approcha de lui et déposa un baiser sur ses lèvres. « Lleyton est prêt ? ». Avec un petit geste de la tête, Mattia lui dit que oui. Il était prêt. « Il vient même de s'endormir. » lâcha-t-il alors, encore soulagé de l'avoir vu rejoindre les bras de Morphée.
Ce qui suivit le surprit alors. Levant son regard vers lui, Ella demanda d'une voix étrange. « Je peux pas te déposer avec Lleyton et te laisser y aller ? ». De suite, ses joues se tintèrent de rouges, tandis que Mattia fronça légèrement les sourcils. Pourquoi demandait-elle ça? Elle avait insisté pour l'amener chez le docteur. Elle avait maintenant son rendez-vous, et elle.. voulait le laisser y aller seul avec Lleyton? C'était étrange. Bizarre. Surtout venant d'Ella. Surtout venant de cette maman qui couvrait des yeux son fils. Voyant que sa reqûete était étrange, rougissant à vue d'oeil, Ella finit par venir poser sa main sur le visage de Mattia. Histoire de l'amadouer sans doute.

Ne comprenant vraiment pas pourquoi Ella lui demandait ça, Mattia finit par répondre. « Nan, je veux que tu viennes. Avec le petit, ses affaires et mes béquilles, je ne pourrais pas me débrouiller » Et c'était vrai. Il avait toujours besoin de ses béquilles pour se déplacer sur une longue distance. Si il fallait qu'en plus, il tienne Lleyton et porte son sac, c'était mission impossible. Mais surtout, il ne voulait pas laisser le choix à Ella. Se rendant compte qu'il avait peut-être insisté sur le je veux, et qu'il avait peut-être été ferme sans le vouloir, Mattia se rattrapa en demandant, avec un petit sourire. « Pourquoi? Tu avais quelque chose d'autre de prévu? » Il s'approcha d'elle, lui fit un petit bisou sur la bouche, et ajouta alors, en murmurant. « Il faudrait que tu mettes une ceinture aussi.... » Ses yeux se baissèrent vers la jupe de sa petite amie. Elle faisait des gondoles. Dans ce vêtement, il y avait de la place pour une Ella et demie.. Quand il vit ça, quand il prit conscience de sa perte de poids, Mattia se sentit encore plus coupable. Ella n'allait vraiment pas. Ella n'allait plus. Et c'était de sa faute.

Ella était étrange. D'une parole, elle avait demandé si elle pouvait rester. Ces mots ne lui ressemblaient pas. Elle n'était pas du tout du genre à se moquer de la santé de son fils. Quand il faisait ses dents, elle pouvait passer ses nuits à le veiller. Quand il tousse, elle s'inquiète directement. Alors, là, alors qu'il avait de la fièvre, et qu'il toussait, sa réaction n'était pas du tout normal. Quelque chose clochait. Quelque chose que Mattia ignorait encore.
Demandant alors si elle avait quelque chose d'autre de prévu -même si il était certain que non-, elle lui répondit, avec un petit sourire. « Non rien du tout. ». Ce sourire qu'elle arborait contrastait avec la question qu'elle avait posé quelques secondes plus tôt. Ne rajoutant alors rien, l'ancien tennisman se rapprocha d'elle, l'embrassa un coup, et lui murmura à l'oreille quelques mots sur sa tenue. Jamais il n'avait vu Ella aussi maigre. Même si Mattia n'était pas du genre à se souvenir de toute la garde-robe d'Ella, il était quand même assez bien conscient que la demoiselle n'avait jamais eu une jupe aussi large. Il l'aurait remarqué. Relevant alors la tête vers elle, il l'écouta lui dire quelques mots. « J’avais oublié que cette jupe était un peu grande pour moi. ». Elle était sérieuse là? Surpris par cette réflexion, Mattia fronça doucement les sourcils, et il se mit à détailler un petit peu plus Ella. Sa coiffure n'avait pas changé. Mais ses joues s'étaient doucement creusées. Et alors qu'Ella se retournait pour se détacher de lui, et s'en alla chercher une ceinture, ses yeux suivirent le contour de son corps. Le résultat était là, devant lui, flagrant ; ella n'était plus la même; elle avait perdu beaucoup de poids.
Depuis quand au juste? Il n'en savait rien. Trop obnubilé par ses soucis, il n'avait pas vu que quelqu'un d'autre, à ses côtés, souffrait à son tour. Ses problèmes minimes, qui lui avait paru être incroyablement grands, l'avaient aveuglé. Et aujourd'hui, ils en payaient le prix. Ella n'allait pas bien. Regardant toujours sa sirène, sa tête plongée dans ses pensées, le jeune homme sentit la main de sa copine se glisser dans la sienne. « On y va ? ». Après cette requête, elle tenta de le faire avancer. Mais lui resta là, sans bouger, laissant Ella vouloir avancer, sans lui. Elle remarqua bien son obstruction. Quand leurs regards se croisèrent, Mattia voulut lui dire quelques mots, mais sa gorge se resserra, et aucun son n'en sortit tout de suite. Surtout que maintenant, il le voyait bien. Maintenant, il remarquait parfaitement bien qu'Ella n'avait plus que la peau sur les os, et rien de plus. Combien avait-elle perdu? Il ne saurait dire, mais beaucoup trop. Il secoua doucement la tête. Il n'était qu'un idiot. Avec ses conneries, Ella allait mal. Parce qu'il n'était pas bête; il avait parfaitement compris que tout ça était de sa faute à lui. Et pas à elle. Prenant son courage à deux mains, il demanda alors, sans rien dire d'autres, sans avancer non plus. « T'es sûre qu'elle a toujours été grande pour toi, ou bien tu as perdu du poids? »

Dès que cette question passa sa bouche, et qu'Ella l'entendit, Mattia comprit qu'il avait visé juste. Ella n'avait pas perdu des kilos supplémentaires dus à la naissance de Lleyton. Elle n'avait pas non plus acheté une jupe trop grande. Elle avait tout simplement perdu du poids, beaucoup trop de poids.. La réalité venait de le frapper de plein fouet. Si Ella avait perdu autant de poids, c'est parce qu'elle allait mal. Et tout ce qui s'était passé ces derniers temps ne l'avait sûrement pas aidé à aller mieux. Entre sa blessure, son opération, celle de Ashton, Ella s'était retrouvée toute seule. A 19 ans, elle avait du faire face à des milliers de choses, choses qu'elle n'aurait jamais du affronter toute seule ou du moins, pas avant d'avoir 40 ans et toute l'expérience de la vie.. Elle avait du se sentir complètement dépassée par les évènements, perdu entre un frère qui cherchait un avenir, et un petit ami qui s'enfonçait dans le désespoir de voir son rêve se briser. Elle en pâtissait maintenant. Et c'était de sa faute.
« J’ai perdu du poids. ». Même sans un mot, Mattia l'avait compris. Son regard perdu l'avait trahit bien avant. Celui de Mattia restait maintenant sur la jeune femme. Elle en était à combien 5 kilos de moins? Plus? Il n'avait jamais été trop douée pour compter le poids des gens. Il savait juste dire à l'oeil nu si cette personne était normale, enrobée, ou grosse. Mais sa petite amie ne rentrait dans aucun de ces qualificatifs. Elle n'était plus normale. Elle était maigre, bien trop maigre. Ses joues étaient creusées. Ses mollets étaient bien plus petits qu'avant. Et son corps, il n'en avait aucune idée.
Il la sentait mal à l'aise ; elle ne cessait de se balancer d'une jambe à l'autre. « Mattia… ». Elle s'approcha un peu de lui, et passa sa main sur son visage. Les yeux de Mattia la regardèrent avec attention. « Ce n’est pas de ta faute… je te le jure, tu n’y es pour rien là-dedans. ». Maintenant, Ella lisait dans ses pensées; Elle se rendait bien compte qu'il se rendait coupable. Mais au fond, ce n'était pas ça le problème. Qu'il soit coupable. Il allait changer. Il allait l'aider. Il allait arrêter d'être un connard de service. Il commençait petit à petit à se reprendre. « Le problème c’est moi…uniquement moi. ». Il la vit alors se mordre les lèvres. Mais c'était quoi le problème alors si ce n'était pas lui? Pourquoi allait-elle si mal? Secouant doucement la tête, Mattia posa sa main droite sur la hanche -sans peau quasiment- de sa petite amie, et son autre main sur sa joue. De son pouce, il la caressa doucement, sentant toujours avec plaisir ses doigts sur sa peau si douce. « alors c'est quoi le problème Ella? » Il s'arrêta, l'observant toujours, cherchant à comprendre.
Qu'est-ce qui s'était passé ces derniers temps qui auraient pu expliquer tout ça? Sa mauvaise volonté? Sa mauvaise foi? Son arrogance? Il ne voyait que ça, et si c'était ça, tout était de sa faute.. A moins que ce malaise datait de plus loin. Il y avait presque un an, il y avait eu cette putain de fusillade. Avec Ella, ils n'en parlaient pas beaucoup, Mattia tentait de refouler ce passage. Mais si il n'en parlait pas, il ne s'en souvenait pas moins pour autant. Parfois, la nuit, il se réveillait en sursaut après avoir rêvé de cette petite fille qui était à côté de lui et qui avait perdu sa maman. Bizarrement, il ne se souvenait plus des personnes présentes avec lui. Il se souvenait juste de la petite fille, et de Liam. Il revoyait aussi de temps en temps Liam pointer son arme sur cette vieille, et la tuer. Et parfois, son cerveau mélangeait tout ça; il voyait Liam pointer son arme sur la gamine. Le résultat était le même; il se réveillait en sursaut, exténué, en colère et de mauvais poil. Est-ce que ça pourrait être ce drame à l'origine de cette perte de poids? Chaque habitant d'Arrowsic réagissait à sa façon. Certains pleuraient chaque jour. Certains déprimaient. Certains faisaient des cauchemars. Peut-être que certains perdaient du poids. « Explique-moi que je comprenne Ella.. » demanda-t-il alors, tout en continuant de caresser doucement sa peau.

Un silence s'imposa doucement entre eux. Alors que le pouce de Mattia ne cessait de caresser tendrement la joue de sa petite amie, cette dernière ferma un moment les yeux. Sentant qu'elle était à bout de nerfs, le jeune homme ne bougea pas. Il laissa le silence s'insinuer entre eux deux comme témoin du mal-être d'Ella. Il sentait bien que quelque chose n'allait pas, et qu'elle était bien trop émue pour répondre de suite. Si il lui fallait du temps, il allait lui en laisser. C'était bien trop important pour devoir tout gâcher d'un coup en insistant. Il voulait vraiment savoir ce qui n'allait pas. Il voulait vraiment comprendre pourquoi la demoiselle avait du mal, pourquoi elle allait si mal. Jamais il ne l'avait vu comme ça; même pas quand il l'avait largué, et ne voulait pas entendre parler du bébé.

Les yeux d'Ella se rouvrirent, et Mattia se contenta de l'observer, plongeant son regard dans le sien, le souffle coupé, prêt à tout entendre. Puis, après quelques instants qui parurent une éternité au jeune papa, elle ouvrit sa bouche. « Le problème, c’est que ça fait trop longtemps que je fais comme si de rien n’était… ». Fronçant doucement les sourcils, Mattia essayait de comprendre. Son coeur lui donnait la désagréable sensation d'avoir arrêter de battre. Il ne comprenait rien. De quoi faisait-elle semblant? Qu'allait-elle lui dire maintenant? Fort heureusement, elle décida d'en dire un peu plus. « Il y a eu ma mère qui m’a tourné le dos, puis cet accouchement désastreux que j’ai imposé à Fernando. Lleyton qui aurait pu mourir à cause de moi. Et j'aurais dû mourir aussi. Jona qui était prête à mourir pour moi. Et toutes ces familles qui ont perdu quelqu’un… alors que je n’avais rien. Alors que j’aurais dû mourir. Et puis il y a eu ta jambe, et celle d’Ash. Je n’étais même pas été le voir à l’hôpital. Parce que ça m’angoisse terriblement l’hôpital… ». Les larmes commençaient à couler le long de ses joues. De son pouce -unique partie de son corps qui osait bouger-, il essaya de les sécher. « J’ai fait comme si rien n’avait changé, j’ai voulu rester la même… et aujourd’hui je ne me reconnais plus. Je ne me supporte plus. J’ai fuis la réalité trop longtemps. ». Ces mots étaient durs, cruels. Elle semblait complètement perdue dans toute sa vie. Elle ne se supportait plus. Pourquoi? Parce qu'elle avait maigrit? Parce qu'elle avait changé? Parce qu'elle n'était plus la même? Deux secondes plus tard, Ella vint se blottir dans ses bras. Il enlaça la jeune fille, et posa son menton sur son crâne, la serrant dans ses bras. « J’ai peur d’amener Lleyton là-bas, parce qu’à chaque fois j’ai peur qu’on m’annonce le pire. ».

Ainsi au moins, c'était clair. Ella se sentait mal dans sa peau. Ca expliquait pourquoi elle avait perdue autant de poids. Mais en même temps, Elle avait peur de l'hôpital, car là-bas, en un an, elle avait tout vu. Un enfant aussi petit qu'un chat et aussi fragile que de la porcelaine, lutter contre la mort. Un petit ami meurtri par sa blessure. Une amie blessée par un idiot. Des gens effrayés, appeurés, en pleurs, perdus face à leur destin. Reprenant petit à petit ses esprits, Mattia essaya de la rassurer. « On ne va rien t'annoncer de dramatique, Ella. » Il posa ses deux mains sur les épaules de la jeune fille, histoire de la faire reculer un peu. Puis, il remonta avec sa main droite son menton vers lui, afin de croiser son regard. « Je te promets Ella.. On va aller à l'hôpital, et ils vont juste ausculter Lleyton. Il n'a qu'un petit virus, c'est tout. Rien de grave Ella. ». Il lui fit un petit sourire, censée la rassurer. Il fallait bien qu'il trouve un moyen pour qu'elle aille bien, qu'elle sourit, qu'elle cesse de pleurer. Il la serra alors de nouveau dans ses bras, et demanda alors. « Pourquoi tu dis ne plus te supporter? Parce que tu as changé? » Il laissa une seconde de répit avant d'ajouter. « Tu sais, moi, je te reconnais bien. Tu n'as pas changé à mes yeux. Tu es toujours la Ella que j'ai aimé embrasser pour la première fois. »

« Je sais que tu as raison, mais j’ai peur. » Cette petite phrase résumait chacune des pensées d'Ella. Pire qu'apeurée, elle semblait même tétanisée à l'idée de remettre les pieds là-bas. Cet hôpital semblait être un lieu pire que maudit pour elle; il pouvait la comprendre. Les mois passés ne l'avaient pas aidé à aimer ce bâtiment. Tellement de choses s'était passé qu'il aurait été même étrange qu'elle ne subisse pas une conséquence, plus ou moins direct de la fusillade. Car, ça, ça n'avait pas aidé. Elle devait avoir des foules d'images horribles dans sa tête. Et si on rajoute à celle-là les images d'un enfant luttant contre la vie et la mort, qui plus est, son enfant, ça ne pouvait être que pire. Même si elle ne voyait pas ça comme ça, l'hôpital était aussi le lieu où Lleyton avait survécu, le lieu où des gens avaient survécut à la fusillade. « Je serai avec toi. » lui murmura-t-il alors, tout en continuant de la caresser. Il n'allait pas la laisser tomber. Il n'allait plus la laisser tomber. Plus jamais.

Il essaya par la suite de lui expliquer qu'elle n'avait pas changé. Qu'il l'aimait toujours comme la première fois qu'il l'avait embrassé. Et cette première fois, il s'en souvenait beaucoup. Il revoyait encore distinctement Ella sécher son premier cours. Il revoyait Ella et lui sur la plage à se chamailler, et à finir tremper. Puis, il se revoyait, la regardant, et s'embrassant. Sur cette plage. De cette première fois, il était sûr de s'en rappeler dans soixante ans. Il vit alors avec plaisir le visage d'Ella se tendre. Peut-être souriait-elle, ou peut-être pleurait-elle. Il optait plutôt pour la première option. Il ne pouvait le voir en tout cas; sa tête était tout contre son torse. Il la serra un peu plus encore. « C’est comme si à chaque fois que je remontais la pente, quelque chose m’attirais vers le bas. Je me sens tombée. J’ai l’impression que je n’arrive plus à sourire. Et ça m’énerve parce que je n’étais pas cette fille là… ». Et là, elle pleurait. Les larmes coulaient sur ses joues. Mattia se sentait mal. La vie ne l'avait pas épargné, et elle en payait les frais maintenant. Il faut dire qu'en un an tout avait changé pour eux. Beaucoup trop. A 18 ans, ils étaient trop jeunes pour subir d'aussi brusques changements. Il la serra dans ses bras, et l'embrassa sur le front. Il sentit alors la tête d'Ella se dégager. Elle releva les yeux vers lui. « Qu’est-ce qui fait que tu m’aimes encore aujourd’hui ? Que reste-t-il de la fille en jean et converse dont tu es tombé amoureux ? ». Cette question le surprit. Il était vrai que ses derniers temps, Ella souriait moins. Beaucoup moins qu'avant. Elle semblait plus soucieuse, plus inquiète. Avant, elle n'était pas comme ça. Avant, elle souriait tout le temps, elle riait souvent, elle voyait le bien partout. Avant, elle vivait dans un monde utopique. Mais depuis, c'était comme si elle avait ouvert les yeux, et découvert tous les drames. Ses sourires étaient plus rares. Elle riait moins. Elle était beaucoup plus inquiète. Mais elle n'était pas pour autant moins aimé.
Souriant alors, il observa la jeune femme. Que restait-il de cette fille-là? Beaucoup de choses. Bien plus qu'elle ne le pensait. « Il reste beaucoup de choses de cette fille dont je suis tombée amoureux. Cette fille-là a toujours la même façon de nager comme une sirène, et de se battre comme une lionne pour réussir la plus belle des chorées. Elle regarde toujours avec autant d'amour les gens qu'elle aime. Elle croit toujours que les gens peuvent faire des belles choses. Et puis, cette fille a un peu changé. Cette fille-là est devenue une femme, et une maman. C'est les plus beaux rôles qu'elle n'ait jamais tenu, et quand je te vois avec Lleyton dans les bras, en train de jouer avec lui, je peux t'assurer que j'aime plus cette femme que l'ado qu'elle était.. » Il lui fit un petit bisou sur le front avant de tenir le menton de la jeune fille vers lui. Histoire qu'elle le regarde bien. « Ella, tu n'as pas changé à mes yeux. Ni physiquement, ni moralement. Je suis sûre que ton sourire est juste parti quelques temps en vacances. Il reviendra. Les choses ont beaucoup trop changé en un an. On est passé du stade d'ado à adulte trop brusquement, mais au fond, je vois toujours en toi la jeune ado qui a séché son cours pour passer du temps avec moi, et j'aime encore plus ce que tu es devenue. » Il lui fit alors un petit sourire. Il était sérieux tout à l'heure. Il aimait sans doute plus la femme qu'elle est devenue, que l'ado qu'elle était.

Jamais Mattia n'avait autant prononcé de mots en si peu de temps. D'une voix douce, il avait essayé de la rassurer comme il pouvait, tentant de trouver les mots les plus appropriés pour la calmer. Et tout ce qu'il avait dit jusqu'à maintenant était bien vrai. Il aimait Ella, et il aimait encore plus la femme qu'elle était devenue que l'adolescente qu'elle était. Ils avaient vécu tellement de choses ensemble qu'il se disait souvent qu'Ella ne pourrait être que la femme de sa vie. Ca ne pouvait pas être autrement. Il ne se voyait déjà pas avec quelqu'un d'autre, et puis, toutes les épreuves qu'ils avaient passé n'avaient fait que les renforcer dans leur amour. Que ce soit la fusillade, la naissance prématurée de Lleyton, la blessure de Mattia. Ils avaient toujours tout fait pour être ensemble, et quand ils n'y arrivaient plus, et qu'ils se laissaient aller, creusant une petite distance entre eux, ils finissaient toujours par mieux se retrouver.
Son regard constamment rivé vers la petite sirène, Mattia finit de dire tout ce qu'il avait à dire. Aussitôt, celle-ci se jeta à son cou, et l'embrassa avec passion. Il lui rendit son baiser, caressant doucement ses cheveux. « Je t’aime Mattia Jarvis. ». Ses mots avaient été susurré à son oreille. Ah ça, il le savait ! Il l'avait toujours su ! Même quand il l'avait abandonné, préférant passer son temps auprès de ses copains, qu'après d'elle. Elle avait toujours été là. Toujours. Elle l'aimait. A chaque regard qu'elle lui lançait, sourire qu'elle arborait, il le voyait. Il l'embrassa aussi, et répliqua alors. « Je t'aime aussi Mlle Clarke. »

Elle se détacha alors un peu de lui, et l'observa. Ils étaient maintenant les yeux dans les yeux. Et qu'est-ce qu'ils étaient beaux ses yeux! Et qu'est-ce que son sourire était beau aussi! Ca lui faisait plaisir de voir ce geste sur le visage de la jeune fille. « Je crois que parfois, j’aimerais juste redevenir une adolescente et oublier tous nos soucis. Je crois que tu as raison… on est devenu trop vite adulte. Et je me rends compte qu’il y a un tas de choses que j’aurai aimé faire et que je n’ai pas fait. Ça fait longtemps que je n’ai pas fait de folie… en fait… je crois que ma dernière folie a été de sécher les cours pour être avec toi… et c’était l’un des plus beaux jours de ma vie. Je crois que j’aimerai retrouver cette magie… ». Un sourire éclaira le visage de Mattia. Il se souvenait parfaitement de ce jour-là. Ce jour avait été une nouvelle page de sa vie; celle avec Ella. Jamais il n'aurait cru Ella capable de sécher un cours, et pourtant, elle l'avait fait. Ce fut son dernier grain de folie apparemment. Et le petit sous-entendu qu'elle fit ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd. Silencieux sur ce point, il gardait ça en mémoire, quelque peu amusé. « On a peut-être grandi trop vite, mais j'aime vraiment ce qu'on est devenu; même si tu n'as pas eu ta dose de folie.. »

Ses doits passèrent dans les cheveux de Mattia. Il aimait ça. Sentir les doigts d'Ella sur lui. Ella semblait un peu plus calme, plus rassurée. Elle s'était livrée à lui, avait mis des mots sur ces maux. Ca ne pouvait que lui faire du bien. « Tu sais, j’aime aussi beaucoup l’Homme et le papa que tu es devenu… ». Son sourire était merveilleux. Magnifique. Il sentit sa main dans la sienne, et lui, il continua de caresser le dos d'Ella avec sa main libre. « Je crois qu’on ferait mieux d’y aller, non ? ». Y aller? Ah Lleyton ! Aussitôt, Mattia repensa à son fils, malade. Au rendez-vous chez le pédiatre. Il se retrouva d'un coup, anxieux. Pas au point d'Ella tout à l'heure, mais juste inquiet pour son fils. Il eut même un peu honte. Il avait complètement oublié que son rejeton n'allait pas bien. Avant qu'elle ne le lui rappelle, il n'avait eu qu'une idée en tête : se mêler au corps de la petite sirène. Tant pis, ce ne sera que partie remise. Avec un petit sourire sous son regard soucieux, et en serrant doucement la main d'Ella, il murmura. « Allons-y, oui. » Et ils s'en allèrent, chercher leur fils, malade, et endormi.