« suis-moi et j'te fuis. »
Tu marches jusqu'à votre bar fétiche. Là-bas, où tous les jeunes de la ville se retrouvent les week-end et les soirs de semaines, en dépit des cours qu'ils devront assurer le lendemain à la première heure. D'un pas pressé, tu marches dans la rue, pour échapper à ce climat trop lourd qui règne une fois de plus dans la baraque familiale. Parents qui crient à cause d'une vie qu'ils trouvent trop difficile, mère qui pleure sur le malheur de son existence, père qui se hait de ne pas pouvoir assurer ses responsabilités et petit frère qui s'isole dans sa chambre pour jouer aux soldats de plomb. Tu sais qu'en rentrant dans trois heures, tu retrouveras la maison calme après la tempête. La mère sera en train de dormir pour soulager ses yeux larmoyants, le frère pleurera alors car il lâche tout une fois que personne ne puisse être là pour prendre conscience de son appel au secours. Ton père sera parti retrouver une maîtresse pour soulager ce manque de ne pas avoir de rapport avec sa femme depuis des mois. Et toi, tu berceras ton petit frère jusqu'à ce qu'il ferme les yeux et que tu puisses alors, toi aussi rejoindre ton lit après une cigarette grillée sur le rebord de ta fenêtre.
Mais pour l'instant, tu ne penses plus, à part à ton verre de menthe bleue que tu sirotes. Autour de toi, se trouve les même filles avec qui tu traînes depuis l'époque du bac à sable. Pourquoi ? A les regarder, elles sont toutes superficielles, tu es si différente ! Qui es-tu, que fais-tu là ? On dit que c'est étrange une fille tatouée dans ton genre qui traîne avec des gourdes pareilles. Il y a les deux énergumènes, une blonde platine et une rousse qui collectionnent les conquêtes, leur tableau de chasse, comme elles aiment si bien dire. Elles accordent plus d'importance à la fréquence de leurs rapports sexuels qu'à leur moyenne semestrielle. Et puis il y a la plus sage, la plus réservée, la surnommée "Sainte Nitouche", Carrie. Petite blonde à lunettes rondes. Elles la cherchent, la taquine concernant son coup de cœur de l'année. Le prénommé Camille Beauclair, le français évadé à Arrowsic. Tu t'es toujours demandé ce qui l'a emmené là. Tu t'es aussi interrogée sur les raisons qui poussent toutes les filles à le désirer. Elle rêvent de lui, fantasment aussi bien sur un soir dans ses bras qu'avec son ami "J-E". A lui, on ne sait pas son prénom. On te demande toujours ce qui lui manque à Camille, pour que tu ne craques pas comme les autres. Mais ce qu'elles ne comprennent pas, c'est que tu n'es pas difficile mais plutôt que tu cherches à te faire désirer. Toutes les filles ont fini par te jalouser, ces filles qui se disaient être tes amies aussi quand, tu t'es retrouvée dans les bras de Camille, en tant que petite amie officielle. Le bouquet, cela a été le jour où tu es tombée enceinte. Certaines t'ont traité de pute et les insultes étaient encore plus nombreuses quand Camille t'a mit la bague au doigt. Cette haine a commencé le jour où il a posé ses yeux sur toi, ce soir où tu es allée à sa rencontre pour mettre un terme aux gloussements de tes copines...
Tu soupires franchement puis avance. Côté bar cela s'agite au comptoir. J-E averti Camille comme s'il était son garde chasse. Attention, la proie arrive ! Pathétique, grotesques, penses-tu. Malgré toi, tu trembles un peu mais tu te reprends vite et affiche une assurance qui ferait presque peur. Derrière toi, les copines rient et Carrie se cache. Puis il y a aussi des regards d'autres gourdes qui te toisent (elles te haïssent si tôt) et puis ceux de quelques hommes qui reluquent sans gène ton petit cul rebondi. Rien ne te déstabilises, ni le regard de Camille. Tu arrives vite et tu souris avec malice. Tu ne le lâches pas des yeux un seul instant. Au fond, tu le testes aussi un peu et quelque chose se passe, sans que tu veuilles en prendre conscience. Tu as à peine le temps de parler qu'il décline le sujet. Carrie n'aura donc aucune chance. Au fond, tu le savais déjà. Mais tu t'en fou. Tu jubiles en silence. Puis tu réponds simplement à sa question, bien que tu ne sois pas venue pour toi. Il s'en fou. Toi aussi, de ce qu'il pense. De tes lèvres roses s'échappe ton prénom, que tu dois à ton père, grand fan des Beatles. Et tu t'échappes, en soupçonnant une chose : que tu lui es retourné le cerveau. Et alors tu ne veux pas admettre qu'il te laisse toute chose de savoir que tu as finalement su attirer son attention.
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Cela fait à peine une heure que tu as débarqué à cette fête. Tu as bu déjà quelques bières et du whisky mais rien de suffisant pour te faire ivre. Si tu es venue ici ce soir, c'est pour t'amuser bien sûr mais aussi parce que tu espères le croiser. Lui, Camille Beauclair. Tu penses à lui un peu trop. Tu l’aperçois alors, avec dans ses pattes, son ami J-E. Ils te regardent tous les deux. J-E, avec des arrières pensées que tu imagines sans difficulté. Camille, d'une autre façon que tu as du mal à définir ou plutôt que tu t'efforces de ne pas croire. Son sourire vaut à ton cœur, un raté. Tu te pinces la langue et avances.
- Content de te voir Lucy !Tu acquiesces simplement. Mais tu es joyeuse.
- Tu espérais me croiser n'est-ce pas ?Il sourit.
- Tu peux aussi avouer de ton côté, que cela t'enchantes autant que moi.Pourquoi tourner aussi longtemps autour du pot ? Tu souris franchement et t’empares de son bras. J-E devra arrêter de faire le chien, se contenter d'être seul ce soir. Camille est avec toi, maintenant.
- Tu n'en a pas assez d'avoir J-E sur ton dos ? Il donne l'impression d'être ton ombre.Camille ne répond pas et c'est tant mieux, tu n'as pas envie de discuter plus longtemps de son ami. A la place, il t'attire contre son torse, ses mains se posent sur tes hanches et toi, tu déposes les tiennes sur ses épaules.
La soirée s'écoule. Des moments, il cherche à t'avoir mais tu t'en sors toujours pour fuir, bien que ce soit dur de résister. Vers les trois heures du matin, il t'entraîne jusqu'à la cuisine, cherchant sans doute un endroit pour être seuls. Ton dos heurte un mur de la pièce et son corps se presse contre le tien. Ton cœur accélère de plus belle. Tu es prise au piège. Cependant, avant qu'il opère, tu viens poser ton doigt sur sa bouche que tu souhaites embrasser depuis des lustres. Tes désirs sont plus forts que ta raison. En fait, ils sont étroitement liés. Tu le veux depuis des mois, et ta raison essaye tant bien que mal de réaliser que Camille est la meilleure solution pour espérer être heureuse. Alors, tu cesses sur le champs. Tu te laisser embrasser et pendant que ses lèvres s'éprissent de ta bouche, tu viens glisser tes doigts dans ses cheveux.
Tu as vu, quand tu veux Lucy, tu sais être raisonnable. C'est bon de s'écouter parfois.
Vous souriez et tu poses ta tête contre son torse tandis que ses bras se referment sur toi. C'est le début de tout.
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As-tu imaginé, une seule fois - que tu puisses être mère si tôt ? Non. As-tu imaginé, une seule fois encore - qu'il soit possible que tu te maries si vite ? Aujourd'hui, tu te retrouves à marcher, à l'instant dans cette allée, au milieu de rangs que forment vos familles respectives, toi, resplendissante dans une robe blanche brodée et taillée dans des parures hors de prix. Ton futur mari, qui t'attend en haut, face à l'autel.
Tu souris, tu pleures presque. Tu sers le bras de ton père avec émotion. Lui qui croit en ton mariage - non pas comme la famille de Camille qui au contraire aurait rêvé mieux pour un fils de leur rang. Ton père, bien qu'il ne soit pas digne de l'amour de ta mère, est heureux pour toi et tu l'aimes malgré tout, malgré ses erreurs, ses faux pas car il a toujours tout fait pour votre bonheur. Tu es fière de lui comme il peut l'être à ce jour pour toi.
Tu arrives à hauteur de Camille, il est magnifique et tu lui chuchotes silencieusement avant que le prête commence la célébration solennelle de votre mariage.
Des applaudissements s'élèvent dans tout l'église quand Camille t'embrasse.
Dès maintenant, tu es Madame Beauclair et la jalousie maladive des uns et des autres ne te préoccupes sous aucun prétexte. Jamais. C'est votre unique bonheur qui compte. A votre fille, à votre fils - vos jumeaux, à vous, Camille et toi.
Laura, Charlie, Camille, Lucy.
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Allongée toute nue sur son corps, tu lui caresses le torse et redessines les traits de ses nombreux tatouages.
- Ta sœur est venue ce matin.Tu laisses ta phrase en suspend.
- Quand elle a su que tu n'étais pas là, elle est tout de suite repartie. Oubliant au passage que c'était l'anniversaire des jumeaux aujourd'hui...Tu te redresses.
- Qu'elle ne m'aime pas, peu importe; Mais qu'elle inclus Laura et Charlie dans ces histoires c'est autre chose. Ils ne sont pas mes enfants mais bien les nôtres.Tu restes calme sans chercher à te prendre la tête. Tu es bien consciente que sa famille ne conçoit pas que tu sois sa femme et la mère de ses enfants. Depuis le début de votre relation, depuis le premier jour. Ils ne t'aiment pas et tu l'as bien comprit. Mais ce n'est pas une raison pour oublier vos enfants. D'ordinaire, tu n'as pas à te plaindre, car sa famille survient à vos besoins, à leurs besoins depuis leur naissance mais il y avait bien une date à ne pas oublier...leur anniversaire.
Tu as aussi du mal à accepter que l'on s'occupe de toi. La vie que tu mènes à ce jour n'est pas celle à laquelle tu t'es préparé. Tu as grandit trop vite, tu as su te débrouiller toute seule depuis ton très jeune âge. C'est compliqué pour toi. Bien que tu leur oit reconnaissante et que tu n'en veuilles pas à tes parents, tu dois encore apprendre à accepter d'être aider. A ne pas avoir en tête que tu dois systématiquement quelque chose en retour. C'est pour cette raison aussi sans doute que tu tiens à ton travail de caissière à la supérette du coin.