Je n'ai jamais raconté ma vie à personne. Parce qu'elle est trop triste et que ce n'est pas comme dans les films ou les livres, il n'y a pas de rebondissement, pas de sourire aux lèvres, aucun passage d'amour accrochant, rien de tout ça. Ma vie est normale, triste par moment mais surtout normale. Et je ne l'ai jamais aimée. C'est sûrement pour ça que j'ai décidé de venir habiter dans cette petite ville. Même si York est la plus belle ville au monde, je n'ai plus envie d'avoir affaire à ma famille, à tous ces gens qui m'ont aimé et détesté.

Je m'appelle Alexander Adam Pritchard, je suis l'aîné d'une famille de quatre enfants, Teddy et Lily, les jumelles de la famille et Eden mon frère. Mes parents se prénomment Mary et Joe. En voyant mon nom de famille, je doute que la situation financière de ma famille soit difficile à devenir. Ma famille est assez aisée pour ne pas dire totalement. Coup de chance, héritage des parents de ma mère, il y a plus de trente ans. De plus, le travail de mon père a su aider encore plus la situation financière de mon entourage. Il a d'abord été journaliste dans l'un des plus grands journaux d'Angleterre pour finir patron de cette boite. Et ma mère n'a jamais rien fait de sa vie. Non non, ce n'est pas une femme au foyer accomplie. Elle n'a jamais levé le petit doigt pour faire le ménage, le repassage ou même pour préparer le repas. Trois femmes de ménage, deux cuisiniers et un jardinier. Pourtant, elle s'est toujours plainte de tout.

Passons.
J'ai 26 ans et j'en aurais 27 en fin d'année. Pendant toute mon adolescence, j'ai été oppressé par la jolie madame qu'est ma mère. Ne faisant rien de la journée, elle se devait d'être une mère exemplaire, une mère poule. Elle se vantait de moi à chacune de ses amies pendant leur petit thé du samedi après-midi sous "le toit d'une véranda que nous venons d'installer il y a peu, elle nous a coûté presque plus cher que la double piscine creusée dans le fond du jardin près de l'arbre que nous avons commandé et qui a été planté aussi grand et qui nous a coûté le prix de notre cuisine équipé." J'ai été qualifié comme surdoué à l'âge de 8 ans. Et je crois que c'était le pire jour de ma vie. Je ne m'en suis jamais vanté, car pour moi, je ne l'étais pas. Je l'ai toujours caché et depuis toujours, je trouve que ce n'est pas un avantage, ce n'est même pas une qualité. J'aurais tellement voulu travailler à l'école comme certains et certaines, s'en sortir en étudiant jusqu'à tard dans la nuit pour avoir la satisfaction d'avoir un A ou un B, et non simplement en savant tout comme moi. De plus, ma mère voulait que je le sois encore plus, encore et encore en me demandant de réciter par coeur des choses inutiles dans la vie courante comme le nom de tous les dinosaures ou comment est fait-ci ou ça, elle voulait juste épater la galerie alors que je voulais seulement être un enfant. Ce que je n'ai jamais été, réellement. Elle rappelait mon intelligence à chaque mère de mes camarades de classe, je me suis fait détester voire haïr par ces gens, humilier dans la cour de l'école alors que je n'avais rien demandé. Je n'ai jamais eu d'amis. Je n'ai jamais pu changé d'école de la primaire à la dernière, école privée oblige et la plus réputée s'il-vous-plait, comme disait ma mère. Je me suis fait haïr de la première à la dernière année. Je me suis habituée, je ne suis plus à plaindre, peut être au début mais plus maintenant. J'ai l'habitude d'être seul, entouré de mes livres, de la musique et de quelques feuilles de papier dans une machine à écrire.

Elle s'est vantée de moi jusqu'à mes 19 ans. Un lundi pendant le repas de famille, j'ai annoncé la chose que je n'aurais jamais du annoncé, je pense. Cela faisait deux ans que je voulais avouer ce que j'avais sur le coeur, ce que j'avais caché pendant deux longues années à tout le monde. Je m'étais souvent caché derrière ces savoirs et un sourire. Je voulais que ma famille sache réellement ce que j'étais (et ce que je suis toujours), bisexuel. Je revois encore la scène, comme chaque lundi, ma mère (soit-disant) préparait un poulet rôti. Le meilleur de la ville, normal, le cuisinier le plus réputé de York le faisait chaque lundi après-midi pendant que ma mère passait son temps chez esthéticienne. Elle l'installait au milieu de la table puis je vous passe mon discours. Le meilleur poulet de la ville s'est retrouvé par terre. Mon père m'a giflé et ma mère est partie pleurer. Je n'ai pas compris pourquoi. Mon frère et mes sœurs sont restées immobiles après ce spectacle. L'une de mes sœurs a commencée à pleurer. Elle aussi, elle aussi aimait les personnes du même sexe qu'elle. Elle voulait le dire, mais a préféré de ne rien dire, encore aujourd'hui.

Cela m'a touché car deux heures après, ils m'ont viré de chez eux. Une valise à la main en disant qu'ils me laissaient par gentillesse l'appartement qu'ils m'avaient payé et les meubles de ma chambre. Sans rien dire d'autre. J'étais sans rien, je devais finir mes études. L'argent n'était pas un problème, mais le fait de savoir que j'allais voir mes "parents" presque tous les jours dans cette petite ville allait vite me faire péter un câble.

Après avoir fini mes études cette année, ayant trois diplômes en poche. Trois diplômes vous allez dire... J'ai fait un double cursus quand mes parents payaient encore mes études. J'ai un diplôme en psychologie, en anglais pour devenir ce dont j'ai toujours rêvé, professeur et un en médecine. Je ne m'en vante pas d'habitude, vu mon enfance, que je ne vous raconterais plus jamais. Alors je me tais, je me contente juste de dire que je suis serveur ici dans un bar de cette petite ville. J'ai déjà écrit quatre livres qui sont dans ma bibliothèque, personne ne les a déjà lu, personne, jamais, ne les lira. Pour moi, ils ne sont pas assez bien. À part être un cliché sur patte avec un appartement ancien, une grande bibliothèque et un thé en main dans un canapé mou, je fais de la musique. De la guitare, du piano, du violoncelle et du ukulélé. J'adore dessiner et peindre aussi.

Je suis très ouvert mais très timide. Je suis le garçon que vous voyez dans le parc en train de lire, ou un café à la main lisant un journal au comptoir d'un petit café. Et vous, vous êtes le genre à ne pas m'approcher parce que j'ai l'air inintéressant. Quand quelqu'un me connait, je suis très bavard et je suis un vrai confident. Je n'ai aucune technique de drague, je suis une vraie cruche en matière d'amour. Je n'ai jamais eu de petite-amie, ni de petit-ami. J'ai été deux fois amoureux. Pendant quatre ans d'une jolie rousse aux yeux verts, elle adorait lire et aimait le cours d'anglais, tout comme toi. Elle avait de jolies tâches de rousseurs et une seule sur l'index gauche. Après, il y a eu Andrew. Il était petit, il portait toujours des chemises colorées, il avait un rire communicatif. Des yeux vairons et une coupe brune bouclée légèrement longue. Et personne n'a jamais été amoureuse de moi. Depuis sept ans, je n'ai jamais plus rencontré un coup de coeur. Et je trouve cela dommage, surtout quand ce n'est pas réciproque.