Je m’asseyais sur le lit en poussant un long soupir. « Il est parti… ». Felix s’installa à côté de moi. Il avait beau avoir un an de moins que moi, il était mon confident. Il connaissait ma vie par cœur. Il faut dire qu’il était mon cousin et qu’on avait grandi ensemble. Nos parents se voyaient assez souvent et au pire, nous n’avions pas besoin d’eux pour passer un moment tous les deux. « Tu savais que ça devait arriver… ». Oui, je le savais pertinemment. Mais, ce n’était pas moins douloureux pour autant. J’avais dix-sept ans et pour la première fois j’étais tombée amoureuse. Amoureuse d’un français venu à Arrowsic pour les vacances. Bref, le genre d’histoire sans avenir. « Oui mais… il me manque, je voulais pas le laisser partir. J’ai son adresse, tu crois que je devrais lui écrire une lettre ? ». Quoi ? Comment ça c’était vieux jeu, dépassé ou datant du moyen-âge ? Je suis désolée mais je trouvais ça carrément romantique. J’avais bien son numéro de téléphone aussi mais bon, je préférais éviter le hors forfait. « Tu vas te faire du mal pour rien… il était là uniquement pour les vacances… ». Il n’avait pas tort. Je haussais les épaules. Le problème c’est que quand j’avais une idée en tête, je ne l’avais pas ailleurs. Et je n’avais pas tellement l’intention d’abandonner.


Thomas et moi avions communiqué par lettre, mail, réseaux sociaux. Nous passions notre vie à nous écrire. Un amour de vacances qui était devenu un amour virtuel. Mais on s’aimait sincèrement contrairement à ce que certains pouvaient croire. Mes parents étaient les premiers à me reprocher d’être sur mon nuage. Et on enchaînait dispute sur dispute. Seulement hier, ma mère avait été trop loin. Elle avait déchiré une lettre de Thomas. Me disant qu’il était tant que grandisse et que je vive dans le monde réel. Ne comprenait-elle rien ? J’aimais Thomas ! Ça faisait un an et demi que nous étions amoureux malgré la distance. Il n’était pas n’importe qui. C’était un homme respectueux et romantique. Mes parents le prenaient pour un gigolo. Mais, j’avais eu la preuve que non à l’instant même où j’avais ouvert mes mails. J’avais découvert un billet d’avion à imprimer, un aller simple pour Paris. Ça faisait longtemps que nous en parlions. Hier je lui avais dit sous le coup de la colère que j’étais capable de prendre le premier avion et… il m’avait pris au sérieux.  Voilà comment je me retrouvais à faire ma valise, laissant simplement une lettre à mes parents. Prête pour la plus grande aventure de ma vie.


J’embrassais le front de mon bébé avant de le placer dans les bras de sa grande sœur. Je venais de donner naissance à un petit Mathieu. Un adorable petit garçon qui témoignait de l’amour que l’on se portait toujours avec Thomas. « Maman ? Moi aussi je pourrais porter le bébé ? ». J’offrais un beau sourire à Valentin. « Bien sûr mon ange. ». Elodie et Valentin avaient cinq ans, des faux jumeaux. J’étais donc maman de trois enfants. Jeune mariée, folle amoureuse. J’avais pris cette décision irréfléchie, adolescente, de tout quitter pour Paris. Je n’avais jamais regretté. J’y avais trouvé l’amour. J’avais fondé ma famille. J’étais heureuse. Mes parents avaient fini par l’accepter et m’excuser. Bien sûr, ça n’avait pas toujours été tout rose. Notamment au début lorsque j’avais débarqué chez lui avec une valise. Je n’avais pas de moyen, rien. Il était la seule personne à qui je pouvais m’accrocher. Lui et ses parents évidemment… mais, s’il me quittait je n’avais plus rien. J’avais souvent eu peur à l’époque. J’avais souvent pensé appeler mes parents et les supplier. Retourner en arrière, faire le choix inverse. Parce que ce n’est pas facile. Aucun choix ne l’est. Mais, il faut assumer. Se battre pour ses rêves et croire en soi…


De l’extérieur on avait sans doute l’air d’un couple parfait. Une demoiselle qui n’avait pas hésité à tout sacrifier pour rejoindre l’amour de sa vie. Un jeune homme prêt à tout pour combler sa belle. Trois merveilleux enfants parlant parfaitement l’anglais comme le français. C’est vrai, tout ça était merveilleux. Et puis, j’étais devenue une chocolatière-pâtissière de renommée, oui une américaine faisait son American dream à Paris. Thomas, lui, était PDG d’une grande entreprise. Autant dire que notre réussite faisait des envieux.  Seulement, ce n’était que la surface. Que ce qui était beau. Parce que croyez-le ou non, le bonheur n’est pas éternel.  « Je ne peux pas, ok ? Je ne peux pas ! ». Il avait les larmes aux yeux tout comme moi. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Et lui, ne l’acceptait pas. « Attends, je te dis que j’ai un cancer et toi, tu me dis que tu ne peux pas ? ». Ça me semblait insensé, n’était-il pas supposé me soutenir ? « Je suis désolé… ». Désolé ? Désolé ? C’était tout ce qu’il me disait ? « Où tu vas ? ». Il prenait sa veste, prêt à partir et ce qu’il fit, avec un petit regard désolé.  


Le cancer avait pu être opéré, il en était fini de lui. Tout comme de ma relation avec Thomas.  Ses parents m’avaient beaucoup aidé durant ma maladie avec les enfants.  Mais lui ? Il avait demandé le divorce, renonçant totalement à la garde des enfants. Je n’avais pas compris. Je n’avais pas eu d’explication. J’étais persuadée que ça ne pouvait pas être la maladie. Pas que ça. Il y avait autre chose. Mais, je n’avais jamais su quoi.  Je comprenais plus le sens de ma vie. J’avais besoin de me retrouver. De tourner la page. Il fallait que je comprenne pourquoi ma vie partait en vrille. J’avais donc pris un billet d’avion pour Arrowsic, pour retrouver mes origines, ma famille. Mon cousine, mes parents, mon oncle, ma tante. J’avais besoin d’un environnement sain. De mes valeurs dont je m’étais éloignée depuis trop longtemps. Mon père s’était chargé de trouver une maison pour moi. Au bord de la plage. Et assez grande pour accueillir ma petite famille.