I don't give a dam of bad reputation !

J'étais ivre. Ivre mort, à vrai dire. Du genre à encore pouvoir tenir debout et à tenir un volant, mais limite. Pourquoi boire ? Je n'en pouvais plus, tout simplement. J'en avais assez de fuir éternellement. Et quand je veux fuir quelque chose, la première chose que je fais en général, c'est me ruer sur une bouteille. Je sais, c'est pitoyable, pathétique, complètement lâche mais je ne savais faire que ça: lâcher prise, céder aux impulsions. Elles me guidaient chaque jour, faisaient de moi ce que je suis. Mes impulsions étaient les seules choses que je ne fuyais pas, et c'était un bon début. Alors voilà, j'étais soul, malheureux, et en train de conduire sous le déluge. Dieu était de mauvaise humeur ce jour là, c'est clair. Jamais je n'avais vu une telle trombe d'eau s’abattre sur Arrowsic, alors que ce matin encore un soleil rond chaud et brillant veillait sur nous. Habituellement, ce genre de situation à la Noé, ça n'arrivait que dans les pays tropicaux, non ? Je savais que j'aurais du voyager plus. J'allumai la radio, espérant capter quelque chose de potable qui puisse me distraire. Seule la chaine d'information me fut accordé, et je fus donc condamné à écouter les infos, une chose que je ne faisais jamais normalement. J'aimais bien mieux me terrer dans mon petit monde. « La route n'était pas droite, l'eau qui dégoulinait sur mon pare-brise faussait ma vision. La seule chose que je voyais était mon compteur de vitesse, qui affichait un chiffre bien plus élevé qu'il n'aurait fallu. Un sourire étira mes lèvres. Je me fichais bien des flics et de leurs foutues lois à la con, je voulais rouler vite, être téméraire et faire ce qu'il ne fallait pas. Voilà tout.

Ma vieille Mustang coupée qui n'avait plus rien d'ostentatoire à notre époque filait à une vitesse ahurissante sur la route. Je ne voyais pas grand chose avec la pluie, pourtant je distinguai clairement la forme d'une voiture emboutie sur le bas côté de la route. Je levai le pieds de l'accélérateur, lentement, et baissai la vitre. Une voiture avait subi un choc assez solide pour défoncer le pare-brise et coincer sa conductrice. Mais qu'en avais-je à faire, j'avais d'autre chats à fouetter que de me soucier des malheurs des autres, pas vrai ? J'en avais déjà assez, quand bien même j'étais le seul auteur de ces emmerdes. Je continuai donc ma route, ralentissant cependant sérieusement l'allure. J'étais encore en train de fuir. La vérité, c'était que même ça, même un accident, cela me rappelait Alaska et ravivait la douleur dans ma poitrine. Quand on s'était rencontrés, c'était sur ce bord de route quelque part entre Tucson et Phœnix. Et que j'étais littéralement tombé amoureux d'elle. Je l'avais aidée changer cette roue, j'avais souris toute la journée. La plus belle journée de ma vie depuis très longtemps. Bon sang, je fuyais une femme en danger, simplement pour fuir le souvenir d'Alaska ! Merde, je n'étais pas un connard. Mon pied écrasa brusquement le frein, la voiture cala. Je redémarrai à toute allure, faisant demi-tour, puis m'arrêtai près du lieu de l'accident. Il n'y avait personne, j'allais devoir sortir cette gamine de là avant qu'elle ne crève écrasée entre le volant et son siège qui avait avancé contre le tableau de bord pendant l'accident. Je garai ma voiture face à la sienne à bonne distance tout de même, puis sortis. Ma chemise fut vite détrempée par les trombes d'eau qui tombaient du ciel, mes pieds semblaient se noyer dans l'eau qui recouvrait le macadam. Je m'avançai vers la fille, elle semblait inconsciente. Merde, qu'est-ce que j'allais faire. Je luttai contre sa portière, qui refusait de souffrir. Je contournai le véhicule, m'attaquant à l'autre, qui elle aussi, semblait avoir été bloquée par l'accident. Mon pieds vint s'écraser contre le métal, tordant assez la portière pour que je puisse l'ouvrir. Je payerais les dégâts plus tard, de toute manière sa bagnole était déjà trop défoncée pour qu'elle râle à cause d'un malheureux coup de pieds. De toute façon, j'étais en train de lui sauver la vie. Enfin, j'essayais.

Je rentrai dans l'habitacle, me contorsionnant dans des positions qui me tuaient les reins pour atteindre la boucle de sa ceinture. Je n'arrivais pas à l'enlever. Tout dans cette foutue voiture semblait m'empêcher de tirer la fille de là. Ce n'était pas une gamine, mais presque. Elle semblait avoir cinq ou six ans de moins que moi. Tout est qu'il fallait que je la sorte de là. Si j'avais pu, j'aurais prié pour qu'elle se réveille et qu'elle me dise qu'elle n'allait pas crever pendant que j'étais là. Je mis un doigt à la base de sa gorge, tentant de me concentrer avec tout ce alcool dans le sang pour détecter le mouvement de son liquide vital dans ses veines. Enfin je le perçus, je lâchai un juron. « Merde, réveille-toi ! » soufflai-je, avant de sursauter lorsqu'une troisième personne fit son entrée.

Le ciel était noir, mais ça n'avait aucune importance. Enzo était sortit avec la petite, ils étaient allés se promener tous les deux et j'en avais profité pour chercher son père. Sauf que rien. C'était comme s'il n'existait pas, comme si j'avais inventé toute cette histoire. Or, Kayla était là et je ne pouvais pas le nier. J'étais allée me promener en bord de mer, désespérée. Je ne cherchais pas absolument à ce qu'elle voit son père, mais au moins que lui sache son existence. Qu'il sache qu'il était papa et qu'il avait une petite fille de quatre ans. Des larmes roulèrent sur mes joues, je me sentais tellement impuissante, tellement pathétique. Si j'avais pas été si conne, si j'avais écouté mon frère, si j'étais pas partie, je n'en serais probablement pas là. Je passais une main sur mes joues et criais, alors qu'un éclair zébrait le ciel. Je lui avais dis que je ne rentrerais pas tard, que j'avais deux trois trucs à faire pour la fac, qu'il avait pas besoin de s'inquiéter. J'avais laissé un vulgaire mot sur le papier.

La pluie a commencé à tomber et presque aussitôt un coup de tonnerre faisait trembler le sol. En moins de deux secondes, j'étais trempée mais je m'en foutais. Le vent soufflait, la pluie tombait très fort, il faisait noir. Je regagnais ma voiture et me laissais tomber sur le siège conducteur. La route était désert, personne. Pas une âme vivante à croire que j'étais seule. Je lançais la radio et démarrais, voulant prendre le chemin du retour. La petite ne connaîtrait jamais son père biologique. J'étais à bout et je voulais à nouveau fuir. J'accélérais alors que les larmes coulaient encore plus nombreuses. La pluie s'abattait avec violence mais je n'en avais rien à foutre. Des éclairs déchiraient le ciel, le tonnerre grondait et moi je rentrais chez moi. J'arrivais au niveau du virage assez dangereux et tout bascula.

Je vis la foudre tomber pas très loin de moi et je braquais violemment le volant, m'envoyant sur la bas-côté. Je fis plusieurs tonneaux avant que plus rien ne marche. J'avais mal, ça brûlait et j'avais peur. J'étais perdue sur une route déserte, loin de la ville et personne ne viendrait m'aider. Une tempête approchait, je le savais et j'allais mourir. Je sentis un liquide couler le long de mon crâne et j'essayais de passer une main derrière. Rien à faire, je ne pouvais pas bouger. Toute la partie inférieure de mon corps était bloqué, alors en dernier recours je poussais un long hurlement, puisant dans mes dernières forces.

J'essayais de lutter pour garder les yeux ouverts, mais je n'y arrivais pas. Je devais pas mourir. Il fallait que je pense à Kayla. Je ne voulais pas qu'elle devienne orpheline, je voulais la voir grandir, rire, s'amuser, être heureuse. Et je ne pouvais pas abandonner Enzo. Il avait besoin de moi autant que j'avais besoin de lui. Je ne voulais pas mourir dans un accident de la route, comme sa précédente femme. Je voulais me marier avec lui, avoir des enfants, une grande maison avec un chien et toutes ces choses. J'essayais de tendre la main vers mon téléphone mais rien à faire. J'étais bloquée. Cédant à la fatigue, mes yeux se fermèrent. Quand est-ce que j'allais me réveiller ?

J'entendais du bruit autour de moi, mais j'étais trop bien là où j'étais. Je ne savais pas où j'étais, ni ce qui se passait mais je ne voulait pas quitter cette endroit. Pourtant, les bruits résonnèrent dans mon crâne et je savais que je reprenais lentement conscience. Je poussais un gémissement en réponse à une question. Je ne savais pas qui était là, mais je voulais qu'on me laisse dormir. Je bougeais à peine ma tête, mais j'avais l'impression d'avoir fait un effort inhumain. Je refermais les yeux complètement et sombrais à nouveau. Mes pensées se tournant principalement vers Enzo et Kayla. J'espérais qu'ils étaient bien au chaud et au sec à la maison.