Hurtwood. Louanne fixait les lettres relativement peu défraîchies de ce panneau qui indiquait l’existence d’un garage automobile. Elle aurait juré qu’il n’existait pas il y a six ans. Le père Hurtwood n’aurait pas pu l’ouvrir, il n’était pas sorti de prison, non ? Si ? Louanne fronçait les sourcils. Alors peut-être que quelque chose avait changé, ici, tout compte fait. Elle traversa la rue déserte en ce crépuscule de juin et fit un pas dans le garage qui avait l’air désert, hormis une petite mélodie grésillante émise par un vieux poste de radio. « Il y a quelqu’un ? » demanda-t-elle, s’enfonçant toujours un peu plus dans cette espèce de remise géante qui sentait l’essence et l’huile de coude. « C’est fermé, » entendit-elle dire depuis un recoin sombre, recoin qu’elle fixa jusqu’à ce que la silhouette de Nathanael en sorte, plus grand, plus fort, plus déterminé que dans son souvenir. « Nate ! » s’exclama-t-elle de surprise, en le voyant dans un trou de lumière, l’écho de sa voix prononçant ce prénom si familier lui revenant aux oreilles, comme si six années ne s’étaient pas déroulées. « C’est Lou, tu te souviens ? » Elle fit aussi un pas pour entrer dans ce petit champ de lumière qui venait de l’extérieur, qui rassemblait les dernières lueurs du jour avant que la nuit ne tombe sur le village, et se dévoila enfin à Nate, un sourire ému sur le visage alors qu’elle contemplait l’adulte qu’il était devenu, à l’opposé de l’adolescent grognon et blasé qu’elle avait fréquenté derrière le lycée pendant des années.

« C’est ton garage ? » demanda-t-elle ensuite, sincèrement impressionnée, inconsciente du fait qu’elle était en train de s’inviter dans sa soirée, son regard caressant les divers véhicules et outils qui se trouvaient là, bientôt suivi par son pas qui l’entraînait autour du petit établissement, alors qu’elle se laissait imprégner par ce lieu nouveau, inédit, excitant. « C’est vraiment ton garage ? » répéta-t-elle, vraiment heureuse pour lui, vraiment surprise, vraiment admirative, parce qu’il avait fait quelque chose, tout de même. « Quand j’ai vu l’enseigne dehors je me suis dit, mince alors, ça peut pas être Nate, mais en fait si, c’est fou ! » Elle se retourna vers lui, fit un pas dans sa direction.

Le petit Hurtwood, celui que ses parents avaient considéré comme étant le responsable du changement de comportement de Louanne, celui qui avait provoqué ses mauvaises notes, les soirs où elle rentrait de plus en plus tard, les mégots qu’elle essayait de noyer dans les toilettes. Savaient-ils qu’il possédait son propre garage maintenant ? Avaient-ils changé d’avis à son sujet avant de mourir ? S’étaient-ils seulement dit que Louanne était seule responsable de son sort, de son échec, de sa frustration ? Continuaient-ils de blâmer cette mauvaise graine qui avait été en réalité une des seules personnes qui avaient compris Louanne lorsqu’elle avait décidé de filer se marier avec son rockeur ?