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« Vous êtes enceinte, madame. » Clémence Lefebvre manqua de tomber dans les pommes. Comment ça, enceinte? C'était tout bonnement impossible. Ces nausées devaient être une intoxication, rien de plus. Elle ne pouvait pas être enceinte. pas à quarante ans... Elle fixait le vide, sous le choc. « ... Vous vous sentez bien, madame? » Elle ne répondit pas, se contentant de faire un geste vague de la main. Non, elle n'était pas bien. Comment allait-elle l'annoncer, au... père? Ils n'étaient pas prêts. Elle ne voulait pas d'enfants. Ce qu'elle désirait, c'était tout simplement vivre une vie tranquille et sans soucis, pas s'occuper d'un gosse qu'elle ne voulait pas. Elle se leva brusquement, murmura un "je dois y aller", attrapa son sac et s'en alla, affrontant la pluie battante parisienne et se préparant au pire. Comment allait-elle l'annoncer au père? Elle ne le connaissait que depuis quelques mois... et, qui plus est, il avait quinze ans de moins qu'elle. Complètement paniquée, elle ne pouvait s'empêcher de trouver la situation quelque peu ironique. La première grossesse d'une femme ne devait-elle pas être un évènement heureux? Elle y réfléchit quelques instants. Puis renonça. Elle n'était pas heureuse d'être enceinte. Pas du tout.

Rianne grandit seule avec sa mère. Clémence était une femme qui aimait ses habitudes et chérissait le silence ; elle fut contrainte de tout changer à l'arrivée de la petite. Et, autant vous dire qu'elle garda pendant toute sa vie cette amertume envers sa fille, l'accusant continuellement d'avoir gâché sa vie. Pour une fillette joyeuse et bruyante, son enfance fut la pire période de sa vie.




Dix ans passèrent. Dix ans de vie commune avec quelqu'un qu'on ne supporte pas, c'est long. Au fil des années, Rianne passait de moins en moins de temps à la maison, restant chez ses copines jusqu'à tard le soir, car chaque fois qu'elle était seule avec sa mère, ça finissait en gros pétage de plomb et disputes à n'en plus finir. Un jour, Clémence n'en put plus. Rianne était rentrée seule, à minuit, oubliant d'appeler sa mère. À peine ouverte la porte d'entrée, elle s'était reçue une énorme gifle, chose qui n'était jamais arrivée jusqu'à ce jour. « Nan mais ça va pas ! » « Où est-ce que t'étais finie, bordel ?! » « Chez Lisa, comme d'habitude ! » « Et ça te dirait pas d'appeler, des fois? Je t'ai offert un téléphone, c'est justement fait pour ça, tiens ! » Au bord de la crise de nerfs, elle s'était retenue de gifler à nouveau sa fille à la vue de l'air suffisant et agacé qu'elle affichait. Elle n'y vit plus. « Vas faire ta valise. Tout de suite. Tu vas vivre chez ton oncle Ted dans le Maine. Et je suis sérieuse. » C'était la menace ultime de Clémence. Celle qu'elle lui sortait toujours pour lui faire peur. Son oncle dans le Maine, elle ne l'avait jamais vu. C'était le frère de son père, père qu'elle n'avait jamais vu et qui s'était enfui à peine il avait su sa mère enceinte. Rianne ne dit pas un mot. Consternée, elle entendit le coup de fil de sa mère, d'abord à son oncle puis à l'aéroport, et du se rendre au fait que sa mère ne plaisantait pas. Elle prépara donc ses bagages, en automatique, et entendit à peine sa génitrice lui crier depuis le couloir. « Ton avion décolle demain à dix heures. »

Rianne se surprit, à l'instant que sa mère prononçait cette phrase, qu'elle était loin d'être aussi triste qu'elle aurait dû l'être... Elle allait quitter sa mère, ses copines, sa grande maison, les rues parisiennes qu'elle avait parcouru toute sa vie, elle allait devoir tout quitter. Mais ça ne lui faisait rien. La seule chose à laquelle elle arrivait à penser, c'était si elle parlait suffisamment bien anglais pour aller vivre aux États-Unis. Heureusement qu'elle prenait des cours depuis qu'elle savait à peine parler... Elle avait fini sa valise tranquillement, avait mis son pyjama et s'était endormie immédiatement. Et, le lendemain, elle avait pris cet avion, sans regarder en arrière, sans embrasser sa mère.




« Veuillez tenir vos ceintures de sécurité accrochées jusqu'à l'arrêt complet du véhicule. Nous espérons que vous avez passé un bon voyage sur notre compagnie. Nous vous souhaitons un bon séjour ! » Rianne fut réveillée par cette voix grésillante qui indiquait en anglais son arrivée aux États-Unis. Elle respecta les indications, prit sa petite valise et suivit les autres passagers à travers le couloir de l'avion. Le coeur battant, elle se dirigea vers la sortie. Elle observa timidement toutes ses personnes qui attendaient quelqu'un, cherchant en vain le visage qu'elle attendait. « Rianne ! » Elle se retourna. Un homme lui souriait ; à sa grande surprise, il ressemblait beaucoup à son père, comme elle s'en souvenait des photos qu'elle avait trouvé dans le grenier. Elle lui sourit et lui prit la main, le suivant vers la voiture. Il tenta au mieux qu'il pouvait de la mettre à l'aise, vu qu'il allait devoir l'héberger comme si elle était sa fille. Il lui raconta qu'il n'avait pas eu de nouvelles de son frère ou de la mère de Rianne depuis des années, que lui et sa femme ne pouvaient pas avoir d'enfants, que ça lui faisait plaisir qu'elle vienne vivre chez eux. Qu'ils habitaient à Arrowsic, dans une petite maison, que les voisins était chaleureux et qu'elle allait s'y plaire. Aux anges, la petite l'écouta attentivement, contente d'être là.

Ils arrivèrent au bout d'une dizaine de minutes. Ted l'aida à sortir ses bagages de la voiture et les ramena à l'intérieur, la laissant seule à observer les alentours. Deux enfants, une fille et un garçon, qui semblaient avoir son âge s'approchèrent d'elle, souriants. La fille parla la première. « Salut ! Tu dois être Rianne, la nouvelle fille de Teddy, non? Moi, c'est Sienna. » « Et moi, c'est Jake. J'habite juste devant chez toi, et elle dans la maison à côté de la tienne ! » Rianne leur sourit à tous les deux. Ils semblaient gentils, et elle était heureuse de s'être déjà faite des nouveaux amis. Puis elle croisa les yeux du fameux Jake, sentant immédiatement son jeune coeur battre à la chamade. Un peu confuse sur le moment, elle les salua, toujours un sourire aux lèvres, et entra à l'intérieur de sa nouvelle maison pour la première fois.




« Ri', faut vraiment que t'arrêtes de fumer cette merde, sérieux. » « Promis c'est la dernière ! » Rianne prit dans ses bras Sienna. Elles avaient dix-huit ans désormais. Au fil des années, elles s'étaient considérablement rapprochées, de même qu'avec Jake. Ils formaient le trio inséparable, les trois meilleurs amis. À propos de lui, ce fut à ce moment là qu'elles virent Jake se diriger vers elles ; quand il arriva sur le banc où elles étaient assises, il posa un baiser sur les lèvres de Sienna, puis fit la bise à Rianne. En les regardant ainsi, en couple depuis presque un an, cette dernière sentit son coeur se serrer. Cela faisait pratiquement depuis le jour où elle l'avait vu pour la première fois, huit ans plus tôt, qu'elle en était amoureuse. Sauf qu'il avait choisi Sienna. Évidemment. Et elle ne pouvait rien faire, car ils étaient ses meilleurs amis. Sienna était riche, belle, intelligente et sur la bonne voie pour être un brillante avocate. Un bon parti, en somme. Et Rianne, qu'est-ce qu'elle avait? Son diplôme du lycée obtenu de justesse, une addiction à la nicotine et pas beaucoup d'argent en banque. Un peu énervée, elle sortit une autre cigarette de son paquet, renonçant à sa bonne résolution de quelques minutes auparavant. Au moins, il lui restait encore ses clopes adorées, c'était déjà ça.




« Rianne, Rianne ! OHMONDIEUU, il m'a demandée en mariage ! Tu t'en rends compte? Je vais me marier ! » Sienna sautait partout dans l'appartement de Rianne, trop heureuse et amoureuse pour se rendre compte de l'expression affligée de sa meilleure amie. Impuissante, comme toujours, elle sentit ses lèvres esquisser en un sourire forcé, affichant une joie qu'elle ne ressentait pas le moins du monde. Bien sûr, elle était heureuse que Sienna se marie ; c'était tout de même son amie la plus proche, et elle l'aimait malgré ce qu'elle ressentait pour Jake. Elles avaient 26 ans maintenant, et cela faisait plus de seize ans qu'elle se connaissaient... Rianne la serra dans ses bras pour masquer ses larmes menaçant de couler, et cria feignant excitation. « Aah, c'est génial ma Nana ! » Sienna ne remarqua rien. Elles sautillèrent, enlacées, pendant quelques minutes, des larmes coulant silencieuses sur les joues de Rianne. Puis Sienna la relâcha, un grand sourire sur les lèvres. Qui disparut lorsqu'elle vit les larmes de Rianne. « Bah, pourquoi tu pleures? » La brune sourit, tentant de masquer sa tristesse. « Nan, c'est juste que... j'suis tellement heureuse pour vous, vraiment. » Le sourire réapparut sur les lèvres de Sienna, sa préoccupation évanouie en deux secondes, comme toujours. Elle lui fit un bisou sur la joue. « Heureusement, parce que devine quoi? On va fêter le mariage à Vegas, ma vieille ! » Rianne la regarda, plus étonnée que jamais. Fière de sa petite surprise, Sienna continua sa petite annonce. « On va être toi, moi, Jake et quelques uns de ses potes. On va s'amuser comme des fous, j'en suis sûre ! »



« Sienna viendra pas ce soir, elle est vraiment trop malade. » Quelques "oh" suivirent l'annonce de Jake. Ils étaient à Vegas depuis ce matin-là, prêts à faire la fête, et voilà que Sienna ne viendrait pas alors qu'elle avait tout organisé... Rianne leva les yeux vers lui. « J'peux rester avec elle, si tu veux... » Jake secoua la tête, enlaçant ses fines épaules de son bras. « Elle s'en remettra, tu sais. En plus, j'exige que tu viennes à mon enterrement de vie de garçon... » Elle rit. Ils avaient prévu une soirée sympa dans les casinos, pas une fête dans les boîtes de strip-tease de Vegas ! Il anticipa ses pensées. « T'inquiètes, on fera pas de bêtises. » Rassurée, elle les suivit, enlaçant elle aussi son meilleur ami par la taille, marchant à ses côtés le coeur battant. Ils firent la fête, burent comme jamais, firent la tournée des bars et firent chauffer leurs cartes de crédit...


« Oh, putain... » Rianne marmonna des injures contre le mal de tête atroce qui venait de l'assaillir en essayant d'ouvrir les yeux. Elle fit une grimace, puis se traîna hors du lit vers la salle de bain, les yeux entrouverts, en prenant avec elle toute la couverture. Elle vomit toutes ses tripes, puis se lava le visage avec de l'eau gelée et s'observa dans la glace. Elle avait des cernes terribles, le teint pâle et du mascara plein les yeux. En tentant de se démaquiller, elle essaya de se rappeler ce qu'elle avait bien pu boire pour se sentir aussi mal. Bordel, mais qu'est-ce qu'ils avaient fait la nuit passée? Elle se souvenait à peine avoir bu quelques shots et dansé avec les mecs... Le reste, c'était le trou noir. Elle savait juste qu'elle se trouvait dans un hôtel qu'elle ne connaissait pas, et qu'elle était à poil, va savoir pourquoi. En se frottant à nouveau le visage, elle remarqua quelque chose de dur frottant sur sa peau. Elle observa son doigt... et hurla à la vue d'une bague de mariage. Paniquée, elle sortit en trombe de la salle de bain, priant pour que tout ne soit qu'un cauchemar ou une mauvaise blague. « MERDE ! ... Jake?! » Il était allongé sur le ventre en plein milieu du lit, nu, une grimace de douleur au visage. « Rianne, arrête de crier, bordel ! J'ai trop mal à la tête là. » Elle se rua vers lui, attrapant sa main gauche. Une bague identique à la sienne trônait sur son annulaire. Elle faillit s'évanouir. Résignée et agitée, elle s'assit sur un coin du lit, toujours enveloppée dans sa couverture. « Jake, on est vraiment dans la mouise là... Mais va t'habiller d'abord. » Un peu préoccupé, il ne remarqua pas vraiment l'ironie de la situation, et le fait qu'ils étaient nus tous les deux. Il prit ses habits au sol, traîna des pieds jusqu'à la salle de bain et s'habilla. Elle se coucha sur le lit, soupirant. Au bout de quelques minutes, elle entendit l'eau du robinet couler, puis un hurlement de Jake. Il sortit immédiatement. « C'EST QUOI CE DÉLIRE LÀ ?! » « J'crois qu'on s'est mariés hier soir. » « Merde... » « Tu peux bien le dire. » Elle se leva, et commença à fouiller dans leurs affaires éparpillées au sol. « Aides-moi à trouver un certificat de mariage, ou un truc comme ça... » Après quelques minutes de recherches, ils mirent la main sur un papier tout froissé, où trônait un "jake ♥ rianne" écrit au rouge à lèvres. Elle lut rapidement ce qui était imprimé sur le papier. « On peut pas divorcer avant deux mois, Jake. » Elle s'assit et regarda dans le vide, ne sachant plus quoi dire. Il était dans le même état qu'elle. Ils savaient juste une seule chose. « On peut pas le dire à Sienna. »