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 « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »

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MessageSujet: « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »    « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »  EmptyLun 20 Fév - 18:18

Mattia & Ethan

« Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »
CRÉDIT - CSS

    Ce gosse allait le rendre dingue, si ce n’était pas déjà fait. Sérieusement. Chaque semaine, il semblait prendre un malin plaisir à réitérer le même rituel puéril. Suspense grotesque qui planait inlassablement : allait-il venir ou non ? Allait-il enfin se décider à parler, ne serait-ce qu’un peu, ou observer un silence religieux ? C’en était presque ridicule, tant faire la carpe pendant une heure, en guettant le vol d’éventuelles mouches, devait être aussi contraignant pour l’adolescent que pour lui, obligé de combler les blancs. Il pouvait le comprendre, il aurait probablement adopté la même attitude à sa place. Muet par dédain et arrogance. Juste parce qu’il aurait estimé qu’une telle thérapie était non seulement une monstrueuse perte de temps, mais de surcroit une blessure d’orgueil. Années frivoles, emplies d’innocence et d’un brin de décadence, dont le souvenir terni lui laissait un gout amer en travers de la gorge. Il aurait tout donné pour revenir à cette époque, pour retourner au moment précis où tout avait déraillé. Chassé-croisé de faux chemins manqués. Malmené par la cruelle sensation d’avoir manqué une étape, et d’être prisonnier d’un train roulant à une vitesse démentielle, droit dans le précipice. Impossible de prendre une pause, de prendre le temps de réfléchir, captif d’une réalité sordide. Constamment le tourbillon de la vie s’accélérait, et il se sentait stagner dans un monde qui semblait tourner à l’envers. Il ne parvenait plus à envisager son avenir, commençant à admettre qu’il n’en avait aucun. Voilà le douloureux problème qui se pose quand on a trop de temps pour réfléchir, et que notre esprit n’est pas occupé et obnubilé par les confidences d’un autre. Pour Mattia ce n’était rien, uniquement un maudit psychiatre qui ne devait lui inspirer ni respect ni sympathie. Quelqu’un qu’il devait considérer comme un emmerdeur de première, une corvée suprême. Il ne s’imaginait pas comme un anodin battement d’aile de papillon pouvait déclencher une tornade dévastatrice à l’autre bout de la planète. Plus il s’enlisait dans ses songes détraqués, plus il sentait venir le mal-être, la colère. Contre lui-même, contre sa sœur. Contre ce que les lois interdisent, et ce que la morale réprime. Contre ce petit sportif aux airs rebelles, qui faisait preuve d’absentéisme au lieu de le distraire de ses lugubres états d’âme. Et il avait beau s’être armé de patience les premiers temps, là il fulminait. Pire, il ruminait, ressassant son agacement en boucle. C’était un mauvais jour, pour tout un tas de raisons, toujours les mêmes… et l’attitude de ce gamin était la cerise sur le gâteau. Ses doigts pianotaient nerveusement sur le bois de son bureau, tandis que ses prunelles d’un bleu électrique parcouraient les lignes noircies d’encre face à lui sans réellement les déchiffrer. Notes diverses sur des patients moins récalcitrants que celui qui avait déjà une vingtaine de minutes de retard qu’on aurait cru si barbantes qu’il était obligé de revenir aussitôt à la phrase d’avant parce qu’il arrivait au bout sans se rappeler du début. C’était affligeant, il se sentait dans la peau d’un étudiant forcé d’ingurgiter une matière imbuvable.

    Il avait terriblement envie d’une cigarette, de s’intoxiquer les poumons jusqu’à ce qu’ils soient réduits en cendre. Enfumer son cabinet était hors de question, le fait que ce soit interdit dans l’enceinte de l’hôpital n’entrait pas spécialement en ligne de compte, ne pas faire ce qui était défendu ne l’avait jamais arrêté. En revanche, il respectait un minimum ceux prenant place dans ses fauteuils et il ne tenait pas à leur infliger davantage l’odeur pénible du tabac froid, collant suffisamment ses vêtements sans avoir à en rajouter inutilement. Impatient et agaçant, il céda finalement à la tentation. Attrapant sa veste avant de se diriger d’un pas vif vers la porte de sortie, qu’il entrouvrit largement avant de s’arrêter net en voyant à quelques mètres le blond qui avait jugé bon de le faire patienter sournoisement et un homme qu’il identifiait comme étant son beau-père. Vu la mine renfrognée qu’affichait le premier, et la poigne de fer qu’exerçait le second sur sa nuque frêle, il doutait fort qu’il s’agisse d’un élan d’affection ou d’un moment de complicité. Cela semblait même être tout l’inverse, et il y en avait un qui semblait être en train de passer un sale quart d’heure, pire encore que celui qu’il venait de lui infliger de manière désinvolte. Après tout en tant que parent c’est normal d’être furieux quand son ‘fils’ sèche les séances chez le médecin qu’il lui paie, mais là… il ressentait un certain malaise, sans trop savoir pour l’instant pourquoi. Pourtant, les quelques fois où il avait pu discuter avec lui, il s’était montré charmant et civilisé, ouvert et conciliant. Mais il y avait bien longtemps qu’Ethan ne se fiait plus aux apparences, il était bien placé pour affirmer ô combien elles pouvaient s’avérer trompeuses. Les plus beaux masques dissimulent parfois la pire des noirceurs. Il haussa légèrement les épaules, s’ôtant ces divagations du crâne alors que le sportif s’avançait seul vers lui tandis qu’il saluait à distance celui qui l’avait amené de force d’un simple hochement de tête. Ses lèvres esquissèrent un sourire froid et pincé quand il fut à sa hauteur, et sa main serra probablement un peu trop brutalement la sienne tandis qu’il l’engageait à se glisser à l’intérieur. « Monsieur Jarvis, vous me faites le plaisir d’enfin m’honorer de votre présence. Mieux vaut tard que jamais hein. » siffla t’il d'un ton acerbe en tentant laborieusement de contenir son irritation, tandis qu’il s’installait confortablement dans son fauteuil après y avoir apposé à nouveau sa veste. « Laissez-moi deviner. Votre montre retarde en ce moment ? Et les fois d’avant aussi ? »

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Mattia Jarvis
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MessageSujet: Re: « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »    « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »  EmptyMar 21 Fév - 17:57

Il s'en était fallu de peu pour qu'il puisse enfin arriver à ses fins. Sécher cette heure débile en compagnie de ce type censé comprendre le fonctionnement de votre cerveau. Mattia détestait aller là-bas. Pas parce que c'était glauque. Simplement parce que parler à un inconnu ne lui plaisait guère. Et puis, franchement, qui voulait aller voir un type assis derrière un fauteuil qui notait tout ce que vous disiez? Personne. Alors, sécher cette heure, comme il le faisait si souvent, avait été la seule solution qu'il eut trouvé à son problème. Mais aujourd'hui, tout ne s'était pas passé comme prévu. Au détour d'un virage, où se tenait la maison de son ami Calvin, Mattia avait croisé le chemin d'une bière. Bière offerte par un collègue pompier de son beau-père, il s'était retrouvé nez-à-nez avec celui-ci. En somme, la poisse.

A son regard rapide jeté sur sa montre, et à son expression furieuse qu'il voyait si souvent sur les traits de son visage, Mattia su que son heure buissonnière était finie. Son temps de liberté aussi. Il serait chanceux si d'ici les prochaines minutes, il serait encore vivant.
Mais trop malin pour s'énerver en public, son beau-père s'était contenté de l'attraper par le bras, et de lui murmurer un « Putain, tu te souviens pas ce que je t'ai dit? » avant de le pousser vers sa voiture, et de dire deux-trois mots à son collègue qui regardait la scène. Et ce fut quand la voiture avait parcouru quelques centaines de mètres qu'il s'était mis à hurler. Que c'était inacceptable. Qu'il payait ce type. Qu'il devait absolument y aller. Qu'il savait plus quoi faire de lui. Qu'il n'avait pas intérêt à l'énerver plus qu'il l'était déjà.. qu'il.. qu'il.. qu'il... A force, Mattia avait fini par arrêter de l'écouter. Il l'entendait, mais il n'écoutait plus. Son cerveau s'était éteint.
Ils arrivèrent bien trop rapidement sur le parking de ce satané hôpital. Enfin, trop rapidement c'était relatif. Il détestait peut-être rentrer dans ce bureau morbide, mais il préférait ça plutôt que de rester tout seul avec son beau-père. Avant de sortir du véhicule, ce dernier lui avait tordu le bras, se foutant des exclamations de son beau-fils, lui demandant de ne pas lui faire faux-bond, ou sinon.. La suite, il ne l'avait pas formulé, mais il le pensait tellement fort dans son regard sévère que Mattia la devinait sans soucis.

Et c'était donc comme ça, que vingt minutes après le début théorique de son rendez-vous, Mattia pénétra dans l'hôpital, son beau-père à ses trousses, sa grosse main sur sa nuque frêle. L'expression 'tenir par la peau du cou quelqu'un' prenait tout son sens. Le psy ouvrait justement la porte, tenant sa veste dans sa main. Mattia ragea. Ils seraient arrivés quelques minutes plus tard, ne serait-ce que deux minutes, ce type serait sorti, et le rendez-vous aurait vraiment été annulé.
Probablement à la vue du psychologue, son beau-père décida de le lâcher, et le lycéen s'enleva de son emprise avec soulagement. « Je reviens te chercher tout à l'heure. » Il hocha la tête. Il détestait savoir qu'il allait venir. Tout ça, ce n'était qu'un mauvais présage pour lui. Quoiqu'au moins, il ne serait pas trop bourré pour lui casser la gueule.

Le psy lui fit un petit sourire -à peine sympathique- et lui serra la main assez brutalement. Le joueur de tennis secoua la tête, n'ajouta rien du tout. Pas un bonjour. Il ne fallait pas rêver, il n'était pas là pour le plaisir. « Monsieur Jarvis, vous me faites le plaisir d’enfin m’honorer de votre présence. Mieux vaut tard que jamais hein. » D'après son ton de voix, il semblait irrité. Qu'importe. Ce n'était pas de sa faute si ce métier était aussi pourri; il avait qu'à faire autre chose si voir des gamins faire l'heure buissonnière à leur rendez-vous ne lui plaisait pas. Il le regarda s'installer sur son fauteuil, et remettre sa veste. « Laissez-moi deviner. Votre montre retarde en ce moment ? Et les fois d’avant aussi ? »
Et voilà. Encore une fois, il le lui faisait remarqué. Mattia hocha la tête, tout en se posant sur le fauteuil qu'il avait l'habitude -malgré les peu de fois où il était venu- de s'asseoir. « Plusdepile » murmura-t-il d'une voix à peine audible, comme si cette excuse pouvait expliquer ces soucis pour venir jusqu'à cette porte.

Et ce fut tout.

Mattia s'arrêta là. Les fesses posées sur le fauteuil, il jeta un rapide coup d'oeil autour de lui. Depuis la dernière fois où il était venu, rien n'avait changé. Du moins, rien qu'il n'avait remarqué. Il posa ses bras sur les accoudoirs du fauteuil, essayant d'oublier la douleur sur son bras gauche, et.. attendit.
Venir ici ne lui plaisait pas. Il l'avait déjà clairement expliqué. A Ted, son coach. A son beau-père. A sa mère. Mais le premier avait donné l'idée. Le deuxième trouvait l'idée très bonne, pour qu'il se calme. Et la dernière était tellement dans son monde qu'elle n'avait fait qu'hausser les épaules. Et voilà comment les trois adultes majoritaires dans la vie de Mattia avaient décidé de prendre contact avec ce Ethan Calaan. Ce type au regard électrifiant qui devait drôlement s'ennuyer tout au long de la journée.

La bouche close, le regard divaguant, les doigts pianotant sur le fauteuil, Mattia se murait dans un long silence. L'avantage, c'est que vingt minutes étaient déjà passées. Il n'en restait plus que quarante. Et quarante minutes à attendre, c'est long...


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MessageSujet: Re: « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »    « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »  EmptyDim 26 Fév - 10:54

    Il s’était surpris à espérer un semblant de réaction, ne serait-ce qu’un simulacre de répartie. Après tout il avait quelque peu laissé sur le rebord de la route son attitude courtoise et sympathique, qui s’était de toute manière jusqu’ici lamentablement soldée par des tentatives vaines. Attitude paternaliste et moralisatrice au possible qui aurait au moins mérité plus éloquent et cinglant qu’un regard noir. Même des paroles visant à le traiter de sale con arrogant et emmerdant auraient été satisfaisantes vu les circonstances. Mais non, rien. Rien à part : « Plusdepile. » Bordel. C’était affligeant là, ils n’allaient jamais s’en sortir. Il se demandait lui-même pourquoi faire parler ce gosse lui tenait tant à cœur. Après tout s’il préférait se taire… autant se résoudre à se regarder dans le blanc des yeux quand il faisait l’effort suprême de venir, ou qu’on l’y forçait. Encaisser docilement l’argent et ne plus y penser jusqu’à la séance suivante. Sauf qu’il n’était pas comme ça, du moins pas encore. Peut être que dans quelques années, quand il serait devenu totalement aigri à force de voir défiler des patients dont la guérison ne serait jamais atteinte en dépit de toute la bonne volonté du monde, il se ferait une raison. Il se sentait en l'espèce dans la peau de ses professeurs de lycée, irrités par le comportement désinvolte qu’il prenait un malin plaisir à afficher ouvertement. Frustrés par le potentiel d’un élève qu’ils entraperçoivent mais qui reste au point mort. Ou simplement agacés par son insolence insupportable. Il était devenu comme eux, et ce constat avait le don d’effriter dangereusement ses nerfs. Ses phalanges s’étaient crispées sur son stylo, appuyant et ré-appuyant sur le ressort pour qu’un petit bruit strident vienne percer de manière irritante l’absence de mots. Ethan avait tout un tac de tics de ce genre là, trahissant à merveille sa mauvaise humeur.

    Mettre son orgueil de côté était quelque chose qu’il avait appris à faire avec brio dans le cadre de son travail, et dans ce cadre-là seulement. Il lui arrivait souvent de regretter de ne pas être capable de transformer l’essai et de l’appliquer à sa vie personnelle. C’est pourquoi il fit l’effort de se racler la gorge et de l’interroger : « Vos relations avec votre beau-père ont l’air tendues, je me trompe ? » Tu parles d’un euphémisme. Et balancé de but en blanc, comme ça, il doutait fortement d’obtenir une réponse. Mais dans l’état où il était, ne serait-ce qu’une expression du visage probante suffirait à le satisfaire. La scène à laquelle il avait assisté le perturbait, il fallait le reconnaitre. Comme s’il avait l’intuition que le véritable problème de l’adolescent se trouvait là et qu’il avait ainsi mis le doigt sur ce qui tournait réellement mal dans sa brève existence. Il ne pouvait pas dire que ses relations avec son propre père avaient réellement été idylliques, loin s’en faut. Il passait plus de temps à lui reprocher sa conduite inconsidérée qu’autre chose, et l’envie de réussite qu’il avait tenté de lui inculquer lui avait laissé un goût amer en travers de la gorge. Il avait fini par se calmer en faculté de médecine, et par abandonner partiellement son éternel esprit de contradiction, mais cela avait été au prix d’un douloureux combat intérieur. Néanmoins il sentait en l’espèce que cela n’avait rien de comparable. Ne pouvoir faire que des suppositions sans aucune preuve tangible le tuait. Le doute est quelque chose d’insupportable, il s’infiltre dans la moindre brèche et brûle la chair à vif sur son passage.
    Et une fois n’est pas coutume, aucune réponse. Les rétines du joueur de tennis préféraient s’attarder sur les murs immaculés, absorbées par la sobriété et le manque apparent de chaleur de la pièce. C’était quelque chose auquel il devrait probablement remédier d’ailleurs. Mais il se voyait mal mettre sur son bureau des images piégées dans du papier glacé supposées montrer qu’il avait une vie. Il se voyait mal mettre une photo de sa soi-disant femme et se retenir en permanence de l’envoyer se fracasser contre les murs. Ni de ses parents, car il ne voulait pas se torturer l’esprit en se demandant ce qu’ils penseraient des sentiments malsains qui l’animaient constamment à propos de leur fille. Et encore moins de son ancien chien, Tobby, tristement fauché par une voiture il y a quatre ans. Non franchement il ne voulait se rappeler de personne, c’était justement un des aspects appréciables de son métier : l’espace de quelques heures, il n’était plus ce fils, ce frère et cet ami indigne. Il était juste ce psychiatre supposé vous soulager de vos problèmes de conscience, alors qu’on pouvait quasiment se demander s’il en avait lui-même encore une.

    Il attendit quelques minutes, poignardant du regard avec de plus en plus de hargne l’étudiant. On lui avait parfois fait remarquer que l’acier de ses prunelles savait se révéler effrayant, tant il avait un don inné pour décocher des œillades meurtrières quand on le cherchait. Mais comme Mattia s’obstinait à contempler tout sauf ses pupilles métalliques, ce n’était pas ce qui allait le dissuader de se taire. Un long soupir s’échappa de sa gorge et il se redressa subitement du fauteuil dans lequel il était avachi, frappant rudement et soudainement sur le bois de son bureau pour faire réagir la masse inerte face à lui. « Bon sang ça va durer encore longtemps ce petit manège ? » souffla t’il d’un ton visiblement exaspéré. « Tu veux pas être là, j’ai bien compris. Mais en attendant t’as pas eu le choix je crois, alors tant qu’à faire autant utiliser ton précieux temps à autre chose qu’à compter bêtement les carreaux par terre. » Voilà il avait réussit à le faire sortir de ses gonds. C’était intolérable, et il s’en voulut aussitôt. Malmené par un gamin dix ans plus jeune que lui… si ce n’était pas pathétique. Et sans même sans apercevoir, il avait délaissé le vouvoiement habituel. De mieux en mieux.
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Mattia Jarvis
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MessageSujet: Re: « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »    « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »  EmptyMar 28 Fév - 19:47

Quarante minutes.. Trente-neuf minutes.. Le temps commençaient à défiler sans que Mattia n'ouvre sa bouche. Parler était une perte de temps. Il s'était promis, le premier jour où il avait du poser ses pieds dans ce bureau qu'il ne lui dirait jamais rien. Juste un 'bonjour', un 'au revoir', et encore, seulement s'il se sentait forcé. Paraître désagréable, impoli, insolent lui importait peu. Lui, ce qu'il voulait, c'était qu'on lui fiche la paix. Et pour ça, une non-présence à ce rendez-vous lui suffisait amplement. Avec un peu de chance, ce Ethan Calaan finirait par se lasser, par déclarer un jour ou l'autre « je suis désolé, mais je peux rien faire pour lui. » Voilà, c'était ça qu'il voulait entendre. Il voulait le voir jeter l'éponge, repartir bredouille.
N'empêche qu'en se taisant, le tennisman sentait bien que le psychologue était irrité. Ses doigts serraient son stylo, et il appuyait, ré-appuyait, faisant sauter le petit ressort. Tic. Tic. Tic. Le seul bruit qu'on entendait dans ce silence de plomb. Mais cette attitude n'y changeait rien. Le regard figé sur un point fixe, ou divaguant de carreau en carreau, Mattia se taisait. Inlassablement. Au Roi du Silence, il était Roi. La preuve. Le psychologue craqua, et lui demanda finalement « Vos relations avec votre beau-père ont l’air tendues, je me trompe ? » . Sérieusement? T'as l'impression de ça? Tu parles! Il ne fallait pas avoir fait médecine pour se rendre compte de cette évidence! Mais malgré toutes ces pensées qui circulaient dans sa tête, Mattia essaya de garder le visage le plus neutre possible. Oui, il n'aimait pas son beau-père. Oui, il le haissait. Oui, il voudrait lui cracher dessus. Oui, il souhaiterait sa mort. Mais non, il ne voulait pas en parler. Il ne voulait, et il ne pouvait pas. De peur de faire une bourde, de peur de dire un mot de trop, de peur de devoir quitter sa maison, et donc sa mère.. Alors même si le psychologue avait mis le doigt sur ce qui était, probablement, le problème, il n'allait pas lui donner sa chance. Surtout pas à un psy. Surtout pas à quelqu'un qui pourrait comprendre ces douleurs psychiques.

Ses yeux ne cessaient pas de regarder chaque centimètre carré de ses murs. De ses murs qui faisaient bien mortuaires, bien 'hôpital'. Pas une photo, pas un souvenir. Comme si ce Calaan empruntait ce bureau à quelqu'un, et comme s'il laissait tout son univers au pied de la porte. On le sentait, mais là, il était le docteur Calaan, psychologue. Pas un autre. Mattia le respirait; ce type transpirait son diplôme. Les minutes passèrent ainsi, le lycéen préférant regarder le sol, entendre une mouche voler, ou essayer d'apercevoir une tâche sur ses murs immaculés. De temps en temps seulement il bougeait son bras, essayant de le rendre un peu moins douloureux. Ou passant une main dans ses cheveux. Mais toujours est-il que jamais, il n'osait croiser le regard de son psychologue. D'un, parce qu'il détestait voir les gens qu'il embêtait en face; et il sentait bien qu'à jouer ainsi au petit con, il l'irritait. De deux, parce qu'il haissait devoir observer les prunelles du psy; bien trop poignantes, bien trop fusillantes.

Il était en train d'admirer les pieds de son bureau, quand il sursauta légèrement, surprit par un soupir, suivi d'un bruit mat, rude. Relevant alors les yeux, Mattia aperçut le psy, debout, le poing sur son bureau. « Bon sang ça va durer encore longtemps ce petit manège ? » L'envie de lui dire « oui, jusqu'à ce que je ne sois plus obligé de venir ici » était grande, mais le ton de sa voix l'en dissuadait. « Tu veux pas être là, j’ai bien compris. Mais en attendant t’as pas eu le choix je crois, alors tant qu’à faire autant utiliser ton précieux temps à autre chose qu’à compter bêtement les carreaux par terre. » S'il avait eu un fusil à la place de ses yeux, probablement, y aurait-il eu un drame dans cet hôpital.
Les yeux relevés vers lui, Mattia garda la bouche close durant quelques secondes, incapable de dire quoi que ce soit. Parce qu'il était surpris. Parce qu'il se sentait mal d'énerver ce gars. Puis finalement, il réussit à prendre la parole. Il eut un léger rire « Je peux savoir où est-ce que vous avez eu votre diplôme de psy? » Parce que les psychiatres normalement n'étaient pas comme lui. Bien souvent, c'était des femmes. Des femmes un peu rondes, avec de grosses lunettes. Pas des types sans doute bien foutus aux yeux de leurs patientes -et Mattia aurait mis sa main à couper que ce type devait avoir plus de patientes que de patients. Et puis, surtout les psychiatres avaient une qualité qui était d'or pour leur métier; le calme. « Je vous demande ça, car ça doit être rare de voir un psy s'énerver aussi rapidement pour aussi peu. Je me demande si vous êtes réellement psychiatre.» termina-t-il en haussant légèrement les épaules. Puis, le regardant dans les yeux, il ajouta. « je ne voudrais pas que mon beau-père se fasse entuber par un faux-docteur. » Histoire qu'il voie qu'il tienne quand même à son beau-père, même si ce n'était que des paroles. Secrètement, l'idée qu'il se fasse plumer le faisait jouir.

Qu'il énerve un peu plus Calaan, il s'en fichait. Juste que ça l'ennuyait un peu; après tout, ce type ne faisait que le recevoir et n'était en rien responsable de sa venue ici. Mais il n'y avait aucune raison qu'il continue ainsi à sortir de ses gonds; avec son obstination, il avait finalement réussi sa mission du jour, non? Réussir à faire parler Mattia. Peut-être pas avec ce qu'il voulait savoir. Mais au moins, il avait ouvert la bouche.
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MessageSujet: Re: « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »    « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »  EmptyDim 4 Mar - 17:40

    L’indifférence, qui y a-t-il de pire ? Pour un orgueilleux tel qu’Ethan, rien. Il aurait encore préféré une émotion houleuse telle que la haine, et que l’adolescent soit si insolent et insupportable qu’il soit contraint de serrer les poings sous la table pour ne pas les lui mettre dans la figure. Il détestait être ignoré ainsi, ne recevoir que de redoutables vents en réponse à ses questions. Peut être que le silence l’effrayait finalement. Il n’avait jamais été du genre à se lancer dans de longs monologues indigestes. Jamais été du genre à vous bassiner tellement de paroles que les interlocuteurs en face cherchent toujours vainement à endiguer ce flot discontinu d’imbécilités. Mais c’était une chose qui l’avait rendu fou avec Elizabeth. Cette maudite absence de mots qu’elle lui avait infligé après son affreux dérapage, prenant bien garde d’instaurer de surcroit une distance réglementaire de plusieurs mètres… c’est vrai après tout, la rage c’est contagieux. Il n’y a rien de plus odieux que le silence selon lui. Il décuple l’imagination, il souffle continuellement sur les braises pour les raviver, il ne laisse aucun répit. Il attise la paranoïa, il fait germer dans n’importe quelle cervelle, pourvu qu’elle soit un peu détraquée, les pires scénarios possibles. Et puis c’était aussi empêcher les morceaux de se recoller, c’était les laisser éparpillés sur l’asphalte quitte à ce qu’ils se brisent davantage à force de se faire allègrement piétiner. Comme si ça n’en valait plus la peine, comme s’il ne méritait plus son attention. Il avait pris son dédain, ou ce qui y ressemblait, en pleine face, et encore maintenant y repenser le meurtrissait jusqu’au plus profond de ses chairs. Mais ce n’était pas le pire. Non le pire était ce foutu espoir, cette futile espérance qui vous prend aux tripes, qui vous obnubile furieusement. Attendre vainement un regard, un mot, un geste… n’importe quoi en fait, peut être même juste un sourire rassurant. Sauf que ce n’était jamais arrivé, et quand elle s’était enfin décidée à sortir de son mutisme, c’était trop tard. Le mal était fait. Il en venait ainsi à détester son malheureux patient de l’avoir plongé dans ses pensées putrides, de l’avoir perdu dans le dédale de songes effroyables. Par-dessus tout, il haïssait sa propre incapacité à ne pas faire le parallèle avec sa sordide vie privée. Que tout finisse par se ramener à sa cadette l’insupportait, confirmant à quel point elle avait le don d’absorber jusqu’à la plus infime parcelle de sa carcasse vide.
    Cherchant laborieusement à s’extirper des ténèbres infernales dans lesquelles il s’enlisait sans la moindre difficulté, il tenta une nouvelle question. Jaugeant de ses prunelles d’acier la plus infime réaction, le plus petit signe apte à trahir les sombres sentiments du jeune sportif. Un félin en train de guetter sa proie, les muscles raidis, n’aurait réellement pas paru plus concentré. Un bref instant, il sembla se crisper légèrement, mais ce fut si furtif qu’il se demanda s’il n’essayait pas tout bêtement de voir ce qu’il avait envie de voir. Après tout, peut être qu’il se faisait des idées. Peut être que Mattia n’avait aucun problème, qu’il était seulement un adolescent un peu turbulent, un peu têtu aussi, pour ne pas dire borné. Un adolescent sans doute en pleine crise d’adolescence certes, mais juste un adolescent comme les autres. Un lycéen sans rien de particulier, qui vit surement un peu mal le fait que sa mère ait reconstruit sa vie, mais qui prend immédiatement ce genre de chose avec le sourire hein ? Mais le doute s’était immiscé dans la brèche sans crier gare, et il n’arrivait plus à l’en déloger tant l’intuition qui en résultait se faisait pressante. Les minutes s’écoulaient, les secondes s’égrenaient, sans que la détermination de Mattia s’essouffle pour autant. Il restait stoïque, comme s’il y avait une récompense à la clef, comme si cela revenait à meurtrir son ego de changer d’optique.

    Ethan était un peu comme une cocotte-minute finalement. La comparaison était douteuse mais c’était cela y ressemblait de près, entre le bruit du stylo et ses oreilles qui fumaient presque à force de devoir s'armer de patience. Qualité traitre qu’il possédait certains jours, et dont il était privé lorsque ses soucis personnels se faisaient démesurément envahissants. Il ne se rendit compte de ce qu’il venait de faire qu’une fois debout, après avoir débité sa tirade énervée. Un tremblement imperceptible déchira sa colonne vertébrale, s’étendant aux terminaisons nerveuses de ses doigts fébriles. Stupéfait, il fixa Mattia sans rien ajouter de plus, hésitant à abréger la séance immédiatement. Prétexter un mauvais virus, une quelconque pathologie expliquant qu’on perde les pédales et le contrôle de soi-même si facilement. Sentant le sang bouillonner dans ses veines, alors qu’une montée d’angoisse le prenait à la gorge.

    Mais finalement, un miracle se produisit : le blondinet daigna lancer quelques sarcasmes. L’ombre d’un sourire se glissa sur ses lèvres abimées, alors qu’il se mordait la joue pour ne pas montrer qu’il était finalement honteusement content de lui. La méthode avait beau être hasardeuse, et pas franchement recommandable, elle venait de faire ses preuves. Ce n’est après tout pas le moyen qui compte, c’est d’atteindre son objectif. Il se laissa retomber dans son fauteuil, croisant les mains alors que ses coudes venaient trouver appui sur son bureau, avant de reposer ses paumes à plat. « Oh j’avais pris l’habitude de soudoyer mes profs, pourquoi ? J’ai eu de la chance, toutes des femmes… conciliantes. » répliqua t’il sur le ton de la plaisanterie, espérant que son patient ne serait pas suffisamment naïf pour croire à une telle énormité. Il avait raison, son comportement avait été affligeant, et lui-même se demandait souvent si la psychiatrie était vraiment sa vocation. Études réussies brillamment qui ne le rassuraient pas sur ce point, tant la mise en pratique du savoir enseigné était loin de s’avérer évidente. « Je suis ravi de constater que vous avez retrouvé l’usage de votre langue, je commençais à me demander si vous ne l’aviez pas avalée. J'avoue que j'étais inquiet. » ajouta t’il avec un brin d’arrogance, même si c’était justement l’attitude à éviter pour ne pas tout gâcher. Tant pis, il prenait le risque. Retrouvant également l’usage du vouvoiement au passage, ce qui n’allait surement pas durer. « Je ne voudrais pas que mon beau-père se fasse entuber par un faux-docteur. » Tu parles, ça crevait les yeux qu’il mentait. « Pourquoi vous affichez ce petit air réjoui alors ? » demanda t’il en imprimant à son ton une innocence peu crédible. Hésitant légèrement avant de souffler d'une voix sérieuse : « Je ne suis pas détective privé, Mattia. Ce n’est pas parce que ton beau-père me paie que je lui fais un compte-rendu ensuite. Je n’en ai pas le droit et je ne suis pas du genre à prendre le gauche. » Affirmation prononcée avec un simulacre de douceur, et beaucoup de conviction. Il doutait que ça suffise pour délier définitivement la langue du tennisman mais il ne coutait rien d’essayer. Il n'était plus à une tentative près.

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Mattia Jarvis
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MessageSujet: Re: « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »    « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »  EmptySam 10 Mar - 19:26

Daigner ouvrir sa bouche, et faire jouer ses cordes vocales pouvaient paraître être un exploit. Pas tant que ça finalement. Parler, il en était capable. Son anatomie le lui permettait. Mais dès que son cerveau songeait à son plus terrible secret, il y avait une connexion qui se bloquait. Ses cordes vocales ne pouvaient plus vibrer, sa bouche ne pouvait plus s'ouvrir. Et Mattia restait là, à crier son désarroi dans son plus grand mutisme. Murer dans un silence. Par obligation. Par honte. Par peur. Trois termes qui l'empêchaient de s'ouvrir aux autres, et de tout dire.
Et puis, du haut de ses dix-sept ans, Mattia trouvait qu'il n'avait pas à se plaindre. Il avait dix-sept ans, était en bonne santé, avait une merveilleuse petite amie, et vivait à fond sa passion. Le reste ne comptait peu à ses yeux. Il préférait frissonner d'effroi devant quelques objets, devant un regard noir ou un bras levé, et vivre sa vie. Plutôt que de renoncer à Ella, au tennis, et vivre dans une famille puant le bonheur, où tout était mignon, tout était beau. Parce que son bonheur à lui, c'était eux : Le tennis, ce sport qu'il réussissait brillamment, et sa petite amie qu'il adorait plus que tout. Alors, oui, Mattia n'avait pas à se plaindre.

Le psychiatre finit par de se rasseoir, inquiétant ainsi moins Mattia. Le lycéen avait beau faire son mal, une réaction de ce genre l'inquiétait toujours. Et quand il ouvrit la bouche, pour lui demander comment il avait fait pour avoir son diplôme, la réponse du psy ne tarda pas. « Oh j’avais pris l’habitude de soudoyer mes profs, pourquoi ? J’ai eu de la chance, toutes des femmes… conciliantes. » Ouais, et blague à part, il avait fait comment? Mattia n'était pas naif. Bien qu'il se doutait que ce type assis sur son fauteuil, les mains croisés plaisait aux femmes, mais se doutait aussi que ce n'était pas comme cela qu'il avait obtenu son diplôme. Encore heureux. Ou alors, où va le monde? Le léger sourire que Mattia avait affiché s'effaça en l'entendant dire « Je suis ravi de constater que vous avez retrouvé l’usage de votre langue, je commençais à me demander si vous ne l’aviez pas avalée. J'avoue que j'étais inquiet. » Arrogant en plus ! Son sourire s'effaça aussitôt, et comme pour lui montrer qu'il avait encore ce muscle dans sa bouche, il l' a rouvrit pour lui en ajouter encore une couche; parce qu'il n'y avait aucun doute, ce type ne devait pas être psy.. Il avait peut-être fait ses études dans un pays minable où il suffisait de payer pour obtenir le droit d'exercer. Ca devait être ça...

Bref, prétextant qu'il ne voulait pas que son beau-père se fasse entuber, Mattia constata que cette réflexion n'allait pas avoir l'effet escompté. Le psychiatre reprit son vouvoiement habituel et décréta un « Pourquoi vous affichez ce petit air réjoui alors ? ». Son ton, peu crédible, lui laissa présager que ce type était borné. « Je ne suis pas détective privé, Mattia. Ce n’est pas parce que ton beau-père me paie que je lui fais un compte-rendu ensuite. Je n’en ai pas le droit et je ne suis pas du genre à prendre le gauche. »

Ce changement de ton, ce passage au tutoiement, cette plus grande douceur mettaient plus en confiance Mattia. C'était fait pour évidemment. Mais cette façon de le faire aurait pu le faire craquer. Il suffisait de peu, peut-être. Mais ce peu n'était pas suffisant. Mattia était âgé maintenant, il était capable de se rendre compte, de s'imaginer sa vie, s'il parlait. Il risquait d'être éloigné de sa mère, risquait peut-être même de vivre ailleurs qu'à Arrowsic, de ne plus voir Ella, et de ne plus jouer au tennis. Il ne voulait pas qu'on le prive de ça; pas de son bonheur à lui. Avant, il y a quelques années, au tout début, peut-être qu'il aurait pu ouvrir sa bouche, devant ce type qui insistait, qui comprenait qu'il y avait un soucis.

Mais là, du haut de ses dix-sept ans, ça l'énervait. Il s'énervait contre lui. Contre ce psy. Parce qu'il sentait que tout pouvait basculer, parce qu'il sentait que ça le touchait, et qu'un rien pouvait le faire réellement craquer.

Il eut un léger petit sourire, et lui dit alors, usant de sa plus grande ironie, qualité dont il aimait user pour cacher son désarroi, sa tristesse, ou sa colère -tout dépend des moments-. « Parce que je le déteste. » Et il eut un léger petit rire. Oui, le fond était vrai, il disait la vérité. Mais le ton qu'il venait d'employer était plutôt moqueur, ironique. Comme si il se moquait de ce que le psy disait. Se moquait de son attitude. Se moquait de la façon exaspérante qu'il avait de mettre son nez partout. Le lycéen avait un large sourire, et ce dernier, et les traits sur son visage contrastaient avec ses plus profondes pensées. Mais qu'importe; il ne pouvait pas se permettre de tout révéler.. « Ca vous va comme réponse? » demanda-t-il, en ouvrant grands les yeux, et en redevenant sérieux quelques instants.

Se moquer, c'était une chose. Mais que Ethan imagine une seule seconde qu'il dise la vérité en était une autre. Alors, redevenant sérieux, arrêtant de rire, il leva légèrement une main, paume vers le haut, et demanda alors. « Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise au juste? » Laissant planer le silence durant deux secondes, il ajouta, beaucoup plus bavard qu'auparavant. « Que je suis malheureux? » Si c'était le cas, il allait être déçu. « Désolée de décevoir votre avis de psy déjanté, mais ce n'est pas le cas.. » En énonçant cette dernière phrase, Mattia s'était légèrement redressé, et avait avancé son buste, histoire de se rapprocher du psychiatre. « Vous comprenez donc pas? » demanda-t-il en posant une main sur le bureau du psychiatre. « Y a rien qui cloche chez moi, j'en ai rien à faire d'être ici, je veux juste qu'on me foute la paix putain!! » Ces derniers mots furent presque hurlés, et dans son élan, d'un geste brusque, il entraina valser un pot de stylos trainant par là.
Et sur ce, il se renferma de nouveau sur lui-même. Son dos s'appuyant de nouveau contre le dossier de son fauteuil, il posa son coude sur l'accoudoir, et sa main vint tenir sa tête. S'énerver aussi facilement, ce n'était pas top, il en était conscient. Mais tant pis. Il aurait mieux fait de se taire, et de continuer à l'emmerder par son silence. Enfin, peut-être que maintenant, ce psy n'allait plus l'emmerder. Il allait peut-être enfin l'avoir, sa paix tant attendue !
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MessageSujet: Re: « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »    « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »  EmptyDim 11 Mar - 9:45

    Même s’il cherchait à n’en laisser rien paraitre, se repliant derrière une pointe d’humour et une montagne de sarcasme, les insinuations de l’adolescent étaient vexantes. Vexantes car elles décelaient une part d’odieuse vérité. Certes il n’avait pas trouvé son diplôme dans Bonux, ni en usant de ses charmes, mais il n’empêche qu’il se posait parfois de sérieuses questions quant sa légitimité à exercer. Presque constamment en fait, en franchissant le seuil de l’aile psychiatrique, et plus précisément chaque fois qu’un collègue jugeait utile et bienvenu de prendre des nouvelles de sa prétendue ‘femme’. C’était lui le premier à avoir besoin d’un psychiatre, c’était lui le pauvre détraqué suffisamment tordu pour désirer sa propre sœur quand il n’aurait du lui concéder que des pensées purement platoniques. A ce rythme là, c’était la camisole de force qui le guettait à terme. Mais orgueilleux comme personne, il n’était même pas question ne serait-ce qu’un millième de seconde de faire appel à un professionnel. Persuadé que ça ne résoudrait de surcroit rien, le venin ayant été injecté en quantité bien trop abondante et démesurée dans son sang pour espérer parvenir à l’en déloger. Il faudrait arracher la peau, écarter ses côtes et déloger son misérable cœur de sa cage thoracique pour espérer un semblant d’efficacité. Et encore, nulle absolution ne lui serait accordée. Un grand malade tel que lui n’avait rien à faire dans ce service en tant que spécialiste des pathologies mentales, c'était une évidence. C’était presque comme confier un bistouri à un alcoolique chevronné, qui parvient avec l’habitude d’ingurgiter quotidiennement son infecte liqueur à paraitre sobre et à maitriser ses tremblements. Sauf que tôt ou tard, il dérape, et toute son existence faite de mensonges et de faux-semblants en est menacée. Il refusait d’en arriver là, et c’est pourquoi il ne se fit pas prier pour se tasser à nouveau dans le moelleux de son fauteuil, outré d’avoir réagi avec une si vive ardeur. Rien n’excusait son comportement pitoyable, surtout pas les provocations ridicules d’un gamin puéril.

    Son ton se fit finalement plus doux, plus docile, plus persuasif. Après avoir martelé sa carapace à grand renfort d’indignation, de cris, de vaine intimidation, il tentait une autre approche. L’arrogance ne fonctionnait pas dans ce genre de cas, et avait même l’effet tout inverse pour quiconque possédant un peu d’esprit de contradiction. Alors autant changer de tactique, même si les répliques ironiques et condescendantes lui brûlaient la langue, comme un vieil automatisme. « Parce que je le déteste. » Le ton employé était si moqueur qu’il n’arrivait pas réellement à discerner s’il y avait une quelconque sincérité dans ses propos. La seule chose qui pouvait véritablement le trahir sans l’ombre d’un doute restait l’azur de ses prunelles, or son patient prenait justement le soin d’éviter l’acier des siennes. Quant à son rire… il sonnait faux, il le sentait fébrile, en proie à une nervosité contre laquelle il bataillait intérieurement. Est-ce que ça lui allait comme réponse ?! Mattia n’avait toujours rien compris. Il s’imaginait qu’il y avait une bonne ou une mauvaise manière de répliquer, qu’il savourerait une petite victoire personnelle s’il daignait cracher ouvertement sur son père de substitution. Il ne tenait pas à le faire parler, il tenait à ce qu’il se décide à le faire par sa propre volonté, toute la nuance était là. « Peu importe. Peu importe que tu le haïsses ou que tu lui voues un culte, l’important est seulement que tu sois honnête. » Le lycéen continuait de le percevoir en tant qu’ennemi, allié de son bourreau qui s’occuperait de l’emmener à la guillotine au premier aveu compromettant. Attitude obstinée, empreinte d’un simulacre de désespoir et de résignation, qui commençait à l’angoisser toutefois. Sa mauvaise intuition ne cessait d’enfler, de se propager dans chaque parcelle de son enveloppe brisée, et il savait que si elle se concrétisait, rien ne serait simple. Tout basculerait vers des expertises traumatisantes, des batailles juridiques oppressantes, de lourdes conséquences… c’était peut ça qui effrayait tant l’adolescent finalement.
    Il sursauta légèrement lorsque l’adolescent envoya valser le contenu de son bureau sur le sol immaculé, lui hurlant sa colère à la figure. Le fracas engendré par la chute des objets métalliques lui vrilla les tympans, alors qu’il s’efforçait de rester stoïque et de ne pas s’énerver une nouvelle fois. S’il avait tendance à se montrer plutôt désordonné, pour ne pas dire carrément bordélique, dans son appartement, ce n’était pas le cas dans son cabinet. Il avait besoin d’ordre, de contrôle, que chaque chose soit à sa place, et qu’il y ait une place pour chaque chose. Il se retint donc douloureusement de montrer son irritation et d'ordonner sèchement au deuxième impulsif assis dans la salle de ranger le désordre. « Au moins ils ne tomberont pas plus bas. » souffla t’il, d’un ton se voulant détaché et désinvolte avant d’ajouter d’une voix placide : « C’est bon ? Tu es soulagé ? Si tu veux j’ai des feuilles de brouillon aussi, si t’as envie de leur apprendre à voler tant qu’on y est… » Il avança ses notes, vierges compte tenu du comportement peu loquace du tennisman jusqu’à présent, cherchant à titiller davantage des nerfs semblant écorchés à vif.

    Un gosse qui refuse d’avouer qu’il a commis une bêtise absolument affreuse, et qui s’enlise dans sa propre détresse en ne parvenant pas à s’en dépêtrer, voilà ce qu’il lui évoquait. Sauf qu’il aurait mis sa main au feu qu’il n’était pas le réel coupable. « Si tout va bien dans le meilleur des mondes, pourquoi être si agressif ? » On n’apprend pas au vieux rat à couper la paille. C’est vrai, il suffisait de répondre posément. Le sportif aurait pu se contenter de lui raconter gentiment ses journées, de lui dire à quel point sa petite existence était formidable. Il aurait pu lui avouer que ses écarts de conduite n’étaient dictés que par l’envie de s’amuser, et non d’attirer l’attention sur un quelconque mal-être. Il aurait pu l’impressionner par son calme apparent, jusqu’à l’embobiner complètement. Jusqu’à lui faire arrêter les séances en annonçant à son beau-père qu’il avait là un garçon parfaitement équilibré, bien qu’assez turbulent. Le genre d’insolence qui se règlera quand l’énergumène aura grandi et muri. Sauf qu’il avait préféré se murer dans un profond mutisme, attiser sa curiosité en mettant à rude épreuve sa patience. C’est justement quand on ne veut pas mettre en lumière quelque chose que le projecteur s’y retrouve braqué. Et d’un côté, si l’étudiant lui avait répondu comme un automate, il se serait inquiété également. C’était la caractéristique principale d’Ethan : toujours chercher la petite bête, analyser le moindre petit détail, réfléchir à s’en coller une migraine monumentale. « Tu veux que je déclare forfait ? » N’y compte pas. « Et si tu me racontais déjà pourquoi on t’a trainé ici, face à cet horrible psychiatre agaçant et incompétent Mattia ? » Il avait lu son dossier, il savait pourquoi. Mais ce qu’il ne connaissait pas, c’était sa version de l’histoire. Pour résumer, l’essentiel.

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Mattia Jarvis
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MessageSujet: Re: « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »    « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »  EmptyDim 11 Mar - 15:35

Lui avouer qu'il était malheureux était ce que Mattia croyait être la bonne réponse. Il avait toujours cette impression que partout où il allait, quoiqu'il dise se résume en deux mots; bonne ou mauvaise réponse. Comme chez lui. Comme à l'école. Comme dans les devoirs. Et là, il avait l'impression que ce type ne cherchait que ça; que ses oreilles ne désiraient entendre que ces trois mots « je suis malheureux. », ou bien que trois autres mots pouvaient le convaincre « je le déteste. ». Mais apparemment, ça ne marchait pas comme ça.
Le psychiatre jeta son regard d'acier sur lui, et lui dit un « Peu importe. Peu importe que tu le haïsses ou que tu lui voues un culte, l’important est seulement que tu sois honnête. » Honnête. L'envie d'être honnête n'était pas au rendez-vous aujourd'hui. L'honnêteté ne serait plus jamais au rendez-vous. Cela faisait des années que Mattia mentait. Pinocchio avait un adversaire de taille en sa personne. Et lui au moins n'avait pas son nez qui s'allongeait à chaque mensonge dit haut et fort. Il mentait comme il respirait maintenant. Il prétendait une bagarre pour cacher la raison d'un bleu. Il prétendait des devoirs en commun pour cacher une retenue. Il prétendait être heureux pour cacher la vérité.
Et puis, les yeux rivés sur lui, Mattia avait réagit un peu trop violemment. D'un geste brusque, il fit valser les stylos du psychiatre dans la salle. Une impulsivité dont il était fort capable, et dont il était incapable de contrôler. Se tassant sur son fauteuil, Mattia évita soigneusement le regard du psychiatre. Il redoutait qu'il s'énerve à son tour, même si au fond de lui, il l'espérait. Il rêvait que le psy s'énerve, qu'il lui balance un « c'est fini », et qu'il lui foute enfin la paix royale qu'il méritait. Quitte à le payer plus tard quand son beau-père l'apprendrait.. Au moins, c'était un mal pour un bien. Une raclée pour qu'on arrête de le trainer ici. Mais rien ne se passa comme ça. Le psychiatre déclara « Au moins ils ne tomberont pas plus bas. » d'un ton calme. Comme s'il n'en avait rien à faire. Avant d'ajouter « C’est bon ? Tu es soulagé ? Si tu veux j’ai des feuilles de brouillon aussi, si t’as envie de leur apprendre à voler tant qu’on y est… » Et là, il avança ses feuilles devant lui. Toutes vierges. Il n'avait apparemment rien noter depuis le début de la séance.

Cette fois, pour la première fois depuis le début de la séance, Mattia osa le regarder dans les yeux. Ses yeux en disaient longs sur ce qu'il pensait, et il voulait que le psy le voie. Que le psy se rende compte que oui, c'était bon, il était soulagé. Que non, il n'allait pas faire valser ses feuilles. Rien.
Toujours muet, c'est le psychiatre qui décida, finalement, de reprendre la parole. Comme à son habitude. « Si tout va bien dans le meilleur des mondes, pourquoi être si agressif ? » Bah il ne le savait pas? C'était pour ça qu'on l'avait amené de force ici. Pour ça et pour toutes les conneries qu'il faisait à côté. Comme voler une voiture par exemple. Et encore, ils n'étaient pas au courant de tout ce qu'il faisait réellement. Personne ne savait qu'il se trouvait parfois en possession de substances illicites, et que sans en prendre, il les amenait à un dealer.. Son attitude était plus que risqué. Il mettait sa vie en danger, tout le temps. Mais il s'en fichait presque.

Répondre à cette question ne lui dit rien non plus. Encore une fois, il se murait dans son silence, construisant un mur entre le psy et lui. Un mur infranchissable. Un mur qu'il n'avait pas envie d'éviter, d'escalader. Finalement, il reprit -encore une fois- la parole. « Tu veux que je déclare forfait ? » Sans un mot, Mattia lui fit comprendre que oui. Oui, par un hochement de tête. C'est pas si compliqué de déclarer forfait. Il suffit de le dire. De s'approcher de l'arbitre, de dire « j'en peux plus », et c'était fini.. « Et si tu me racontais déjà pourquoi on t’a trainé ici, face à cet horrible psychiatre agaçant et incompétent Mattia ? »
Agaçant, oui, il l'était. Incompétent, non. Et c'était ça le plus effrayant. Avec ses prunelles, il avait l'impression de passer un scanner; il se sentait mis à nu devant lui, incapable de cacher quoi que ce soit, comme s'il lisait tout, dans les moindres détails. Il le voyait bien, ce type trouvait que quelque chose clochait. Alors, peut-être que finalement, parler, mettre de côté sa colère, se plier aux règles serait la meilleure chose à faire. Peut-être. Les yeux rivés sur le sol, où jonchaient de ci, de là, quelques stylos, Mattia réfléchissait à toute vitesse. Parler? Se taire? Deux choix, deux visions différentes. Il n'avait pas envie de parler, il avait seulement envie de faire sa mauvaise tête, sa tête de râleur, sa tête de coléreux. Mais lui, là, assis derrière son bureau, il trouvait ça bizarre ce comportement. Alors, peut-être qu'adopter une attitude normale lui plairait plus..
Ce fut donc après deux longues minutes où le silence était d'or que Mattia ouvrit enfin la bouche. « Je n'vois pas à quoi ça va vous mener, vous le savez parfaitement.. » Il n'allait tout de même pas passer de l'ado borné au saint en si peu de temps. « C'est le coach de tennis qui a proposé ça, après que je me sois battu dans les vestiaires avec un autre gars de l'équipe et qu'il ait appris par mes parents que je m'étais fait choppé en train de voler dans un magasin. Mes parents ont trouvé que c'était une bonne idée. » Il haussa alors les épaules, comme si, tout ça, ce n'était rien. Il remua un peu les bras -et justement son bras douloureux- et annonça alors. « Voilà comment vous avez hérité de mon 'cas'. » Il avala sa salive, et, relevant la tête vers lui ajouta. « Mais sérieusement, je n'ai rien à faire ici. Je n'ai qu'une envie, c'est de me lever et de me barrer d'ici. » Dans l'idéal, il le ferait bien ça. Au moins, si d'ici peu, il le faisait, le psychiatre était prévenu. «  J'ai juste fait ça pour m'amuser, c'est tout. Les adultes, vous avez le don de voir le mal partout, d'imaginer tout un tas de trucs.. Et puis si je me suis battu avec Chris, c'est simplement parce qu'il m'a énervé. »
Sur ce, il se tut. Il avait beaucoup parlé, là, non? Ca devrait le rassurer, le psy !
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MessageSujet: Re: « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »    « Mieux vaut fermer sa gueule et passer pour un con que l'ouvrir et ne laisser plus aucun doute à ce sujet. »  EmptyLun 12 Mar - 20:29

    En dépit de sa relativement maigre expérience, le psychiatre avait appris une chose : ce ne sont pas les enfants qui parlent qui ont les pires problèmes. Ce ne sont pas ceux qui clament haut et fort combien leurs parents sont horribles dont les problèmes sont les plus graves. Ce sont ceux qui s’enferment dans un silence meurtrier, qui se torturent l'esprit à n'en plus finir. Qui redoutent de prononcer ne serait-ce qu'un infime mot par peur de déraper et de précipiter la chute des dominos. Par peur de voir l’édifice entier s’effondrer, et d’envenimer une situation déjà insupportable. Et c’était ce que lui évoquait Mattia, avec son regard fuyant et son mutisme infernal. Il le voyait bien, il tentait d’analyser ses réactions et de trouver la conduite idéale à adopter pour ne pas avoir à s’épancher sur son quotidien. Il sentait que se trouver dans cette pièce, avec quelqu’un épiant ses faits et gestes, l’incitant à la confidence, était un véritable supplice, ou en tout cas un moment affreusement pénible. Il n’y avait pas que l’agacement à l’idée de perdre une heure précieuse, il y avait aussi l’angoisse de faire basculer le rempart érigé entre eux du mauvais côté. Il avait presque pitié, il avait presque envie de lui concéder ce qu’il désirait avec tant d’ardeur. Quelque soit ce qui brisait de l’intérieur l’adolescence, ça ne sortirait pas de sa bouche scellée. Il pouvait ainsi se laisser aller à des suppositions, s’imaginer une foule de scénarios plus ou moins plausibles, plus ou moins désastreux… mais la tête de mule face à lui ne plierait pas. Même s’il était mal à l’aise, il n’était pas non plus au bord de l’implosion et il doutait fort de parvenir à le faire atteindre ce seuil critique. Vaguement résigné à ce que la situation stagne, il redouta que ses efforts soient réduits à néant et à ce que son patient recommence à regarder voler les mouches stoïquement. Ne jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué… Attente interminable qui s’éternisa quelques misérables minutes, une pointe de déception lui tiraillant péniblement les côtes à mesure que les secondes s’effritaient. L’acier de ses prunelles se fixa sur l’horloge murale, regardant combien de temps ils allaient devoir encore perdre, avant de retourner s’amarrer au lycéen fébrile.

    « Je n'vois pas à quoi ça va vous mener, vous le savez parfaitement... » Il faillit presque échapper un soupir de soulagement en entendant le son de la voix du jeune sportif. Peut être qu’il n’était pas si incompétent et incapable que ça finalement… Il était presque tenté de faire une comparaison douteuse au chien peureux que sa mère avait récupéré il y a quelques années, si traumatisé par ses anciens maitres qu’il passait son temps à l’éviter, à faire de grands écarts juste pour ne pas le croiser. La douceur, les tentatives de persuasion, rien n’y avait fait. Il avait fallu qu’il le prenne entre quatre yeux un jour, bloqué au fond d’un couloir de la maison, avant de lui crier stupidement après pour lui faire comprendre que s’il voulait le détester, parfait, mais maintenant il s’arrangerait pour qu’il ait une bonne raison de s’y employer. Après ça, bizarrement, l’animal était devenu sociable avec lui. Alors c’était ça, il fallait user d’intimidation et d’agressivité pour obtenir que la personne en face cède ? Il n’aurait pas cru que se lever excédé de son fauteuil et montrer ouvertement son irritation marcherait mieux que tous les précédents monologues où il avait cherché à se montrer agréable. Et pourtant. C’était la conduite puérile qu’il avait toujours adoptée dans les situations critiques quand il y réfléchissait. Ignorant toutefois sur quel pied danser avec Mattia, et comment ne pas gâcher bêtement son semblant de réussite. Le blond daignait enfin lui raconter la raison de sa présence ici, énonçant ses différents écarts de conduite d’une voix détachée histoire probablement d’en atténuer la gravité manifeste. Bêtises de jeunesse qui n’étaient pas sans lui rappeler fidèlement les siennes, éparpillées ci-et-là sur un tableau à l’encre noircie de ses méfaits. Il avait toujours eu un don inné pour se mettre dans le pétrin, et réglait souvent certains conflits à la force de ses poings. Alors il était mal placé pour juger, lui l’être impulsif qui avait même gardé une entaille profonde sur la joue suite à une malheureuse bagarre. Le genre de cicatrice qui vous rappelle tous les matins à quel point vous pouvez parfois être con, qui se charge de vous en laisser un souvenir amer au cas où une amnésie passagère s’inviterait. La chance qu’il avait, c’est que le stigmate laissant sa peau diaphane écorchée n’était pas dénué d’un certain charme. On ne pouvait pas dire que cette balafre le complexait, au contraire il arrivait à en éprouver de la fierté dans ses vulgaires élans de fierté masculine mal placée. Ou l’art de se montrer complètement immature sur les bords. La violence ne résolvait rien, mais bon sang, le soulagement fugace qu’on pouvait en retirer en valait la peine. Ils avaient donc un point commun, à la différence que l’adolescent ne s’était jamais battu parce qu’un imbécile avait attisé les braises de sa jalousie maladive en s’approchant d’un peu trop près de sa sœur. Non certainement pas…
    « Mais sérieusement, je n'ai rien à faire ici. Je n'ai qu'une envie, c'est de me lever et de me barrer d'ici. » Ses mots le firent légèrement tiquer, renforçant son intuition. Il hocha la tête, esquissant un semblant de sourire alors qu’il terminait ses explications. « Pourquoi ne pas le faire dans ce cas ? Qu’est ce qui te retient ? » souffla t’il avant d’ajouter d’un ton neutre, curieux : « C’est vrai, visiblement tu as un sérieux problème avec l’autorité et ça ne te dérange pas d’enfreindre les règles. Tu trouve même ça amusant si j’ai suivi… Alors pourquoi ? Qu’est ce qui t’en empêche ? » Ce n'était pas une invitation, ni de la provocation. Il n’avait pas la moindre envie que le tennisman s’exécute et sorte de la pièce, pas après tous ces progrès. La séance suivante, tout risquait d’être à refaire à nouveau, il n’était pas suffisamment arrogant et naïf pour croire le contraire. Mais il n’empêche, il était intrigué par cette attitude paradoxale.

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Mattia Jarvis
Mattia Jarvis
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Idéalement, Mattia n'aurait pas dû réagir de cette façon. Les yeux rivés vers le psychiatre, il s'en rendait compte. Jouer le rôle d'un adolescent plus que normal, à l'aise dans ses baskets, aurait été la meilleure chose à faire. Mais au lieu de cela, il avait fait le gamin buté, chiant, et emmerdeur. Chose qu'il n'aurait jamais dû faire ce jour-là. Surtout ce jour-là. Au regard que le psychiatre lui lançait, et à toutes ces réflexions, Mattia voyait bien que le caractère borné de son patient ne suffisait pas au psy comme cause unique de son problème. Et ça, c'était ennuyeux. Plus qu'ennuyeux.

Alors parler avait été le seul moyen -oh combien désespérant- que Mattia avait trouvé pour s'en sortir. Parler, et raconter ce qu'il voulait savoir, et entendre. Pour qu'au moins, maintenant, il arrête de se poser toutes les questions mystérieuses qu'il devait sans doute se poser. Mais parler, c'était risqué. La preuve; il avait ouvert un peu trop la bouche, et les traits du visage du psychiatre s'étaient étirés. Son hochement de tête confirma au lycéen ce qu'il craignait; il avait trop, beaucoup trop, parler. Le psychiatre semblait encore plus intéressé par ses propos. Un sourire s'étira sur ses lèvres, et alors que Mattia se résignait à ne plus parler, ou à ne plus l'entendre, il ouvrit la bouche. « Pourquoi ne pas le faire dans ce cas ? Qu’est ce qui te retient ? » Et curieux comme tout, il ajouta « C’est vrai, visiblement tu as un sérieux problème avec l’autorité et ça ne te dérange pas d’enfreindre les règles. Tu trouve même ça amusant si j’ai suivi… Alors pourquoi ? Qu’est ce qui t’en empêche ? » Des questions, toujours des questions. Et des réponses que Mattia préférait taire. Mais lui, il fallait qu'il continue, qu'il pousse le bouchon plus loin, qu'il profite d'une petite faille de Mattia pour essayer de s'insinuer encore plus dans son existence. Cette attitude, cette curiosité, cette façon soudaine plus intéressée commençait à énerver Mattia.

Ses yeux rivés vers le psychiatre, Mattia essayait de rester le plus neutre possible. Ne pas lui montrer qu'il s'énervait. Ne pas lui montrer que son attitude le saoulait. Ne pas lui montrer.. Lui expliquer pourquoi il ne l'avait pas encore fait, c'était comme lui prendre la main, et lui faire pointer du doigt son problème. Passant une main dans ses cheveux, petit tic qu'il avait quelques fois, pour se la péter, ou quand il était inquiet, Mattia montra malgré tout son mécontentement en soufflant assez bruyamment. Il ne pouvait pas se résoudre à rester calme. Pas là. « Putain, mais vous êtes vraiment du genre borné vous !!  » Il hocha la tête négativement, son regard rivé vers Calaan. Ce n'était pas si compliqué à comprendre. Il aurait pu lui dire. Il aurait peut-être dû, mais aucun autre son ne sortit de sa bouche. Ses explications qu'il aurait aimé lui donner restaient bloqués au niveau de sa gorge. Pourtant, c'était si simple à dire. Il pouvait facilement le lui dire; il s'était fait engueulé pour ne pas être venu à ce rendez-vous -au vue de la tête qu'il devait faire en arrivant ici, il était certain que le psy l'avait deviné-, et n'étant pas maso, il n'avait pas envie de se faire engueuler une nouvelle fois.. Ca, il aurait pu lui dire. Mais le connaissant, lui et sa façon si ennuyante de fouiller la vie des autres, il aurait encore trouvé quelque chose à redire. Comme toujours. Ce type semblait ne jamais savoir se taire; ce verbe ne devait pas exister dans son vocabulaire. Même face à un interlocuteur muet, il débitait des paroles, monologuant.

Cette explication aurait pu tenir la route. N'importe quel lycéen aurait réagi de cette façon. Une engueulade suffisait, non?

Mais sans réfléchir une seconde plus, Mattia se releva. Il se baissa, ramassa un stylo -parmi tout les stylos qu'il avait envoyé valser quelques minutes plus tôt, et qui jonchaient le sol-, et se tint debout devant le bureau du psychiatre. Le regard toujours rivé sur lui, il balança le stylo qui vint atterrir bruyamment sur la table, juste devant les mains de Calaan. « Vous avez raison, rien ne m'en empêche. » Et sans autre explication, sans rien d'autre, il lui tourna le dos. Attrapant au vol sa veste, il se dépêcha de rejoindre la porte du bureau, la même qu'il avait franchit en arrivant.
Ouvrant la porte, il jeta un rapide coup d'oeil à la silhouette derrière le bureau, et avec un dernier « Bonne journée » qui se voulait le plus agréable possible, Mattia franchit en sens inverse la porte, et se retrouva dans le couloir, en claquant derrière lui la porte.

Le cerveau de Mattia était en ébullition. La colère qu'il ressentait disparaissait petit à petit, et la peur commençait à venir hanter ses entrailles. Alors, marchant d'un pas pressé dans cet hôpital, il tentait de se rassurer. Fuir, c'était sans doute une mauvaise idée. Il était certain de le regretter dès que son beau-père le saurait en arrivant ici pour le rechercher. Mais qu'importe. Il le regretterait encore plus si par mégarde il disait une bourde, un petit mot de trop, comme tout à l'heure, qui ferait qu'Ethan, si persuadé que quelque chose clochait, aurait enfin sa preuve. Mais lui, il ne voulait pas qu'on vienne lui lancer une bouée de sauvetage, et qu'on sauve son existence. Il voulait simplement continuer de vivre sa vie, tranquillement, de se laisser dériver. Il avait bien trop peur de couler pour de bon si on savait.

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