Cher journal,

Alors que papa et maman s'occupait des enfants de l'hôpital aujourd'hui, je suis allée faire un tour, loin de cet endroit dont je déteste l'odeur. Mon amie Tania m'a rejoint et nous sommes allées nous promener près du fleuve Yamuna. Nous sommes restées longtemps assises au bord de l'eau, bercé par le silence qu'il y a près du fleuve sacré. Il est tellement peu profond à des endroits que l'on peut marcher dedans et traverses de l'autre côté de la rive. Nous allions repartir quand mon regard s'est posé sur le sol, vers un petit animal qui marchait avec difficulté, une tortue. Je l'ai prise dans mes bras, elle était blessée. J'ai alors décidé de la ramener à l'hôpital, papa et maman étaient heureux que j'ai sauvé la vie de cette petite tortue. Ils m'ont amené chez le vétérinaire qui a soigné la tortue, puis il m'a dit que, puisque je l'avais sauvé, elle était désormais mienne. J'ai donc donné un prénom à cette tortue: Yamuna, comme le fleuve auprès duquel je l'ai trouvé. C'est une fille, qui plus est. C'est une tortue étoilée, m'a dit le vétérinaire. Papa m'a aidé en rentrant à construire un enclos et Yamuna a l'air de si plaire. Je lui ai donné à manger des fruits, elle n'en a pas voulu. Maman m'a dit que comme nous étions en période sèche, elle se nourrissait principalement de feuilles mortes et de feuilles d'épineux et lorsque je lui ai donné des feuilles que j'ai trouvées dans la forêt près de chez nous, elle les a tout de suite acceptées !

KABOUL, OCTOBRE 2010 ; PETITE MAISON DÉLABRÉE ET SOMBRE
Il fait tout le temps noir ici, les hommes ont mis un drap noir sur les fenêtres dès mon arrivée. La seule lueur que j'aperçois, est celle en dessous de la grande porte en bois. J'ai froid la nuit, trop chaud le jour à cause de ce fichu drap noir qui attire la chaleur. On ne me donne à manger qu'une fois par jour, pareil pour l'eau alors que mon corps se déshydrate de plus en plus. Un garçon de mon âge vient éponger mes lèvres parfois. Au début, j'ai essayé de lui parler mais, je me suis pris une claque par un grand homme au visage voilé, sûrement pour que je ne l'identifie pas, au cas où je serai à amener à sortir, un jour... Les jours sont longs, lorsqu'on est enfermé. Je ne sais même pas quel jour nous sommes. Je reste allongée sur le sol, toute la journée, à prier que quelqu'un me vienne en aide et surtout, que les hommes qui me retiennent ne me fassent pas plus de mal qu'ils m'en ont fait déjà. J'ai la bouche en feu, ma gorge sèche réclame de l'eau, mais je ne peux parler car si je parle, je sais ce qui m'attend: mon visage sera recouvert de bleus, mon ventre se tordra de douleur sous les coups et mon dos, nu, sera recouvert de coups de fouet. Je ne me suis jamais autant sentie humiliée qu'aujourd'hui et une question ne cesse de traverser mon esprit: pourquoi moi ?

ARROWSIC, JUILLET 2011 ; MAISON DE JAMES.
Assise sur le lit de ma chambre aux couleurs vertes, je suis recroquevillée sur moi-même. Trois mois après ma libération, j'ai toujours autant peur que cela ne recommence. Mes nuits sont courtes, je me réveille en sueur, me libérant d'un énième cauchemar. James doit en avoir marre que je le réveille aussi souvent, même s'il ne dit rien, je suis certaine que je le dérange. Je n'aime pas déranger, je veux retourner auprès de mes parents, malheureusement, c'est impossible, ils sont toujours en mission humanitaire, et ils ont préféré m'envoyer vivre chez un de leur meilleur ami, James, pour que j'ai une vie plus stable et pour que je soigne mon traumatisme avec lui, puisqu'il se trouve être psychologue.

Ma porte souvent brusquement, je sursaute et cri. « Pardon, s'empresse de dire James, je ne voulais pas te faire peur. » Les larmes me montent aux yeux, foutu peur que je ne peux contrôler. Il s'assoit sur mon lit, remettant ses cheveux en place. « Tu sais, tu n'as plus à avoir peur ici, tu es en sécurité. » Je le regarde et ne lui répond pas. De toute façon, je n'ai pas dit un mot depuis que j'ai été libérée. James me regarde et me sourit, sourire que j'essaie de lui rendre mais qui ressemble plutôt à une grimace. « Tu veux qu'on sorte, aujourd'hui ? Tu n'as pas mis les pieds dehors depuis que tu es ici, on pourrait aller à la plage ? » Je secoue la tête de façon négative, j'ai peur d'aller dehors, j'ai peur d'entendre des tires puis qu'on me mette un sac sur la tête et qu'on m'emmène, de nouveau. « Très bien, alors je vais rester ici avec toi, et si un jour tu te sens prête à aller à la plage ou ailleurs, tu me le dis, ok ? » Je secoue la tête positivement et lui souris, puis je retourne dans ma position principale, les bras autour de mes jambes, ma tête enfouie dans mes genoux. Je ferme alors les yeux.

ARROWSIC, NOVEMBRE 2011 ; COULOIRS DE L'UNIVERSITÉ.
J'ai l'horrible impression d'être une bête de foire, les étudiants se retournent sur mon passage et chuchote. Ils pensent que je ne les vois pas, que je ne les entends pas. Bien au contraire. Depuis la rentrée c'est ainsi : je suis Marguerite, celle qui s'est fait prendre en otage, la folle qui ne parle jamais. J'ai tellement été habituée à ne pas parler que ça ne me semble plus naturel, je ne sais même plus à quoi ressemble le son de ma voix. James m'a dit que je parlerai quand le moment sera venu, qu'il ne faut surtout pas que je me force, que cela ne ferait qu'empirer les choses.

Je marche, tenant mon sac et veillant à ce que ma respiration soit correcte, parfois elle s'emballe et c'est alors que les crises d'angoisses commencent. Un étudiant me bouscule, tandis que je suis distraite à faire des exercices de respiration. Il continue son chemin pendant je ramasse les livres que la collision a envoyés par terre. Une personne se met à ma taille, m'aidant à ramasser mes notes de cours. « Tiens. » me dit-il en me tendant mes feuilles. C'est la première fois qu'un étudiant m'adresse la parole sans me demander si c'est bien moi, Marguerite, celle qui a été prisonnière durant presque six mois. Je reprends mes feuilles et je souris, c'est ma seule manière de le remercier. « De rien. » me dit alors l'homme en souriant à son tour. Mon sourire s'agrandit, l'homme m'a comprise. « Je m'appelle Joachim et toi c'est Marguerite, c'est ça ? » Je hoche la tête de façon positive tout en rangeant mes cours dans mon sac, gardant mes plus gros manuels dans les mains. « Viens, je vais t'accompagner. » Il prend mes manuels et avance. Je ne bouge pas et le regarde marcher. Il se retourne et jette un œil sur moi. « Tu viens ? » Je souris. C'est comme si la solitude venait de plier ses bagages en quasiment cinq minutes.